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N’a-t-on jamais traduit une monographie de paroisse? Transcription et translation de la colonisation au Québec

Simon Labrecque

«Vaste monde, ma paroisse.»
— Yves Congar, o.p.

La monographie de paroisse est l’un des objets typiques produits par la colonisation du Québec aux 19e, 20e et, peut-être aussi, au 21e siècles. La forme et le fond de ces objets textuels trament une des matières de la colonisation européenne en ces terres. Selon un schéma qui s’est répété des dizaines, voire des centaines de fois, un territoire particulier a été «ouvert» et «institué» par des colons, après avoir été habité de différentes façons: lieu de passage et d’échanges, espace supposément en friche mais déjà cultivé par des squatters, seigneurie de plus en plus peuplée, ou déjà en voie d’industrialisation, etc. C’est sans parler des usages ancestraux et contemporains de ce même territoire par des peuples autochtones, qui sont généralement passés sous silence ou mis en exergue comme une origine indicible ou suspendue, une parenthèse initiale qui échapperait à l’écriture, mais qui est mise en scène comme telle, c’est-à-dire comme une réalité antérieure au texte, une «nature» antérieure à la «culture», qui est confinée, dans et par le texte colonial, à demeurer «au commencement des choses, nulle part ailleurs1Victor-Lévy Beaulieu, Docteur Ferron. Pèlerinage, Montréal, éditions Stanké, 1991, p. 294. Voir également René Lemieux, «Herméneutique – critique des origines: Avant les rues de Chloé Leriche», Trahir, 13 avril 2016, en ligne: https://trahir.wordpress.com/2016/04/13/lemieux-leriche/. ».

Lorsque le nombre et d’autres considérations (comme l’absence d’une église à proximité) le justifiaient, une nouvelle paroisse catholique était érigée canoniquement et civilement, souvent avec un nouveau lieu de culte. Cette double érection institutionnelle marquait une étape clé dans la prise de terre coloniale, et les résonances charnelles de cette notion datée –un double entendre, selon l’expression anglaise– donnent déjà à penser différentes formes de violence impliquées dans la colonisation.

Typiquement, quelques décennies après l’érection canonique et civile d’une paroisse (la première venant habituellement avant la seconde), l’histoire locale était rédigée et publiée, c’est-à-dire, pour une part, transcrite (ou «traduite») de l’oral à l’écrit à des fins de diffusion et d’édification. Cette transcription était souvent le fait d’un curé ou d’un vicaire, qui était généralement de passage dans la paroisse, les prêtres étant rarement originaires du lieu où ils sont chargés par un évêque de servir le peuple de Dieu, et ce service étant souvent limité à un ou deux mandats d’une durée de six années environ. Pour cette transcription, l’auteur, qui était très généralement un homme qui se faisait historien, sociologue ou même naturaliste amateur pour l’occasion, recourait à des témoins oculaires et auriculaires de différentes générations, ainsi qu’à des documents officiels comme les cadastres, les actes notariés et les registres paroissiaux, qui étaient aussi les registres civils à l’époque2Ils le sont restés jusqu’à l’entrée en vigueur du nouveau Code civil du Québec en 1994.. Des archives privées manuscrites étaient également mises à profit lorsque des informateurs et informatrices les rendaient disponibles. Parfois, la mention de tels manuscrits dans une monographie de paroisse s’avère d’ailleurs la seule trace dont nous disposons aujourd’hui qui atteste l’existence même d’une source primaire3C’est le cas, par exemple, du journal manuscrit du milicien, canotier et aubergiste Augustin Labadie, qui contient des observations détaillées, notamment sur le climat de la Pointe de Lévy au tournant du 19e siècle. Ce journal, commencé le 25 avril 1795 et achevé le 9 décembre 1825, est longuement cité par le notaire et historien Joseph-Edmond Roy dans son Histoire de la seigneurie de Lauzon en cinq tomes, en particulier dans les tomes 3 (1900) et 4 (1904). L’auteur affirme que ce journal était en sa possession au moment d’écrire (t. 3, p. 231), mais il est aujourd’hui introuvable dans les différents fonds d’archives liés à Joseph-Edmond Roy et à son frère Pierre-Georges, également historien et archiviste. Fait intéressant, Joseph-Edmond Roy laisse entendre que le journal de Labadie pourrait bientôt être édité, ce qui ne semble pas s’être produit. Cela explique que les citations de ce journal qui se trouvent dans d’autres ouvrages, tous parus après 1900, sont en vérité des reprises de passages déjà cités par Roy ou ses lecteurs. Ainsi, Jean Provencher, dans Les quatre saisons dans la vallée du Saint-Laurent (Montréal, Éditions du Boréal, 1996, pp. 159-160), cite le journal de Labadie décrivant le mois de juin 1816, qui fut marqué par des chutes de neige. Provencher signale qu’il cite un passage du manuscrit cité par Roy en 1904 (t. 4, pp. 83-83) et il ajoute que cette citation fut elle-même citée par l’abbé Honorius Provost dans le deuxième volume (Histoire civile) de sa monographie Sainte-Marie de la Nouvelle-Beauce (Québec, éditions de la Nouvelle-Beauce, 1970, p. 760). Je remercie Dalie Giroux d’avoir porté à mon attention le sort incertain de ce singulier manuscrit d’Augustin Labadie, en souhaitant qu’il soit retrouvé un jour..

Cette pratique scripturaire du monographe déterrant et rassemblant des sources primaires et secondaires, parfois inédites, pour mettre en récit l’histoire d’un lieu où il séjourne tient déjà d’une forme de translation, si l’on entend ce mot dans l’un de ses sens communs qui a directement à voir avec la vie en paroisse: la translation comme «déplacement de vieux restes». On parle bien de la translation d’une dépouille, ou même de la translation de cendres, lorsqu’il y a exhumation des restes matériels d’un défunt en vue de leur réinhumation dans un autre lieu. C’est un peu ce que fait le monographe. Pour nourrir une réflexion matérialiste sur le colonialisme et la traduction, j’indiquerai comment ces concepts de transcription et de translation permettent de mettre en lumière l’importance de ces artefacts coloniaux aujourd’hui trop peu connus que sont les monographies paroissiales québécoises.

C’est le cas, par exemple, du journal manuscrit du milicien, canotier et aubergiste Augustin Labadie, qui contient des observations détaillées, notamment sur le climat de la Pointe de Lévy au tournant du 19e siècle. Ce journal, commencé le 25 avril 1795 et achevé le 9 décembre 1825, est longuement cité par le notaire et historien Joseph-Edmond Roy dans son Histoire de la seigneurie de Lauzon en cinq tomes, en particulier dans les tomes 3 (1900) et 4 (1904). L’auteur affirme que ce journal était en sa possession au moment d’écrire (t. 3, p. 231), mais il est aujourd’hui introuvable dans les différents fonds d’archives liés à Joseph-Edmond Roy et à son frère Pierre-Georges, également historien et archiviste. Fait intéressant, Joseph-Edmond Roy laisse entendre que le journal de Labadie pourrait bientôt être édité, ce qui ne semble pas s’être produit. Cela explique que les citations de ce journal qui se trouvent dans d’autres ouvrages, tous parus après 1900, sont en vérité des reprises de passages déjà cités par Roy ou ses lecteurs. Ainsi, Jean Provencher, dans Les quatre saisons dans la vallée du Saint-Laurent (Montréal, Éditions du Boréal, 1996, pp. 159-160), cite le journal de Labadie décrivant le mois de juin 1816, qui fut marqué par des chutes de neige. Provencher signale qu’il cite un passage du manuscrit cité par Roy en 1904 (t. 4, pp. 83-83) et il ajoute que cette citation fut elle-même citée par l’abbé Honorius Provost dans le deuxième volume (Histoire civile) de sa monographie Sainte-Marie de la Nouvelle-Beauce (Québec, éditions de la Nouvelle-Beauce, 1970, p. 760). Je remercie Dalie Giroux d’avoir porté à mon attention le sort incertain de ce singulier manuscrit d’Augustin Labadie, en souhaitant qu’il soit retrouvé un jour.

      

Des objets textuels particuliers

Les monographies de paroisse nous permettent de redécouvrir des complexités et des complications de l’habitation coloniale de ce territoire aujourd’hui connu sous le nom de province de Québec. Cette redécouverte passe d’abord par le contenu des monographies. Dans sa recension de monographies récentes de la Matapédia et de Lac-au-Saumon, par exemple, Victor Lévy-Beaulieu résume en ces termes une leçon générale portée par le genre de l’histoire locale:

[C]e qui rend [ces] ouvrages si intéressants au-delà des anecdotes souvent pissantes d’humour, c’est ce qu’on y apprend sur le peuplement des régions. On tient pour acquis aujourd’hui que l’immigration y fut nulle, que les Irlandais, les Italiens, les Britanniques, voire les Polonais se sont cantonnés à Montréal alors que la réalité telle que nous la livre [le monographe] Bertrand B. Leblanc est tout autre: jusqu’au milieu du siècle dernier, même de petits villages comme celui de Lac-au-Saumon comptaient plein de Walsh, de Marmen, de Lane, de Ross, d’O’Reiley et de Noble. Ce fut l’arrivée chez nous des prêtres racistes de la Contre-Réforme qui mit fin à ce métissage […].4Victor Lévy-Beaulieu, «De l’utilité des monographies de paroisse», Le Devoir, 22 janvier 2005, en ligne: https://www.ledevoir.com/lire/73103/de-l-utilite-des-monographies-de-paroisse.

Beaulieu, qui se réclame explicitement de l’héritage du médecin et écrivain Jacques Ferron, s’est servi de cet enseignement sur le métissage dans l’écriture de plusieurs de ses romans, comme Ferron l’a fait avant lui dans Le ciel de Québec, en particulier, «livre par excellence de la complication sans fin de toute origine5Simon Labrecque, «Sur le nom de Louis-de-Gonzague Bessette, curé de Saint-Magloire dans Le ciel de Québec de Jacques Ferron», Trahir, 19 juin 2022, en ligne: https://trahir.wordpress.com/2022/06/19/sur-le-nom-de-louis-de-gonzague-bessette-cure-de-saint-magloire-dans-le-ciel-de-quebec-de-jacques-ferron/. Voir Jacques Ferron, Le ciel de Québec, Montréal, éditions du Jour, 1969. Voir aussi Jacques Cardinal, Le livre des fondations. Incarnation et enquébecquoisement dans Le ciel de Québec de Jacques Ferron, Montréal, XYZ éditeur, coll. «Documents», 2008.».

Qu’en est-il de la forme matérielle des monographies de paroisse? De quoi témoigne-t-elle? La monographie paroissiale classique faisait au moins une centaine de pages et était publiée à compte d’auteur. Elle pouvait néanmoins connaître une diffusion significative, en s’ajoutant au corpus grandissant des monographies canadiennes-françaises collectionnées par les notables dès le dernier tiers du 19e siècle, dans les sillons tracés notamment par la publication de l’Histoire du Canada depuis sa découverte jusqu’à nos jours (1845) de François-Xavier Garneau, du Cours d’histoire du Canada (1861) de l’abbé J.-B.-A. Ferland et de l’Histoire des Canadiens français (1882) de Benjamin Shulte. Or, les notables étaient passablement nombreux en ces terres, comme l’a remarqué avec étonnement Lord Durham dans son tristement célèbre rapport de 1839: chaque village, chaque paroisse avait son curé, son médecin, son notaire et son avocat, et chacun d’eux maintenait des liens étroits avec ses voisins. C’était là une surprise pour un Britannique habitué à une société où les classes sociales vivaient des vies séparées. Chaque village canadien-français pouvait ainsi faire l’expérience d’une certaine égalité interne, en plus d’affirmer une autonomie certaine, une indépendance fière face à son dehors –une «souveraineté paroissiale», selon l’expression de Jacques Ferron6Jacques Ferron, «Une confédération de villages», dans Du fond de mon arrière-cuisine [1973], Montréal, Bibliothèque québécoise, 2015., lui-même médecin et fils de notaire devenu lecteur et collectionneur de monographies.

Avec le développement disciplinaire des sciences historiques et des sciences sociales, au 20e siècle, plusieurs monographies de paroisse ont été rédigées par des étudiant·es aux cycles supérieurs, voire par de jeunes professeur·es. Le séjour de recherche sur le terrain, parmi «le peuple», était l’épreuve du feu des sociologues, des anthropologues et des ethnographes, qui se professionnalisaient en cherchant à dépasser, notamment par la mise en valeur de l’oralité et des traditions populaires, le caractère néanmoins «officiel» de l’histoire mise en récit par le clergé et les notables, qui faisaient figure d’amateurs7Voir, par exemple, Sœur Marie-Ursule, c.s.j., Civilisation traditionnelle des Lavalois, préface de Luc Lacoursière, Québec, Presses de l’Université Laval, coll.»Les archives de folklore», nos 5-6, 1951, et Marcel Rioux, Belle-Anse, Ottawa, Edmond Cloutier éditeur, coll.»Bulletin», no 138/»Série anthropologique», no 37, 1957.. Quelques contemporains, dont le sociologue Frédéric Parent, valorisent toujours la monographie comme approche et méthode, dans le sillon de Léon Gérin8Frédéric Parent, Un Québec invisible. Enquête ethnographique dans un village de la grande région de Québec, Québec, Presses de l’Université Laval, 2015 ; Frédéric Parent, Léon Gérin. Devenir sociologue dans un monde en transition, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2018.. Étant donné la tradition monographique, cette valorisation contemporaine implique aussi une interprétation et une évaluation, ou une réévaluation, des monographies plus anciennes.

         

Réceptions et inflexions

L’histoire du genre monographique est encore en train de s’écrire. Récemment, Nathalie Miglioli a montré qu’on trouve, dans les monographies paroissiales, les ferments d’une première histoire de l’art au Québec9Nathalie Miglioni, Les monographies paroissiales (1854-1926): micro récits sur l’art au Québec, mémoire de maîtrise en histoire de l’art, Montréal, Université du Québec à Montréal, 2008.. Pour sa part, la sociologue Andrée Fortin a montré que l’histoire du genre est aussi une histoire de l’histoire, telle qu’elle s’est écrite au Québec10Andrée Fortin, «Histoires de paroisses en 1900 et histoire de l’histoire», Cahiers des Dix, no 70, 2016, pp. 81-130.. De mon côté, je tente de faire des monographies paroissiales un terrain privilégié pour réfléchir aux rapports intriqués que plusieurs personnes et groupes qui séjournent en ces lieux entretiennent avec la mémoire des différentes façons d’habiter la vallée du Saint-Laurent11Simon Labrecque, Un désir de liens. La mémoire qui nous agite, Montréal, éditions Liber, 2019..

Éléments constitutifs d’une historiographie institutionnelle et populaire, composantes essentielles de synthèses régionales et véritables laboratoires narratifs, les monographies de paroisse se sont aujourd’hui transformées en monographies de villes, de villages ou de quartiers, sans doute parce que l’institution paroissiale proprement dite, liée à l’Église catholique, est délaissée, suivant cette tendance sociétale que les analystes décrivent depuis le tournant du 20e siècle sous le nom de sécularisation. Il faut d’ailleurs noter que, sur le plan canonique, un grand nombre de paroisses se sont transformées, se transforment et se transformeront encore, dans des processus de regroupements, voire de fusions, rendus nécessaires par la diminution du nombre de prêtres et de fidèles catholiques à travers le Québec. Ces processus touchent même des diocèses, qui regroupent plusieurs paroisses et constituent une «Église particulière» sous l’autorité d’un évêque.

L’auteur des monographies contemporaines a tendance à se collectiviser et à s’anonymiser. Il reste bien quelques monographes solitaires, comme Roméo Bouchard, à Saint-Germain-de-Kamouraska, ou Patrick Goulet, au Sault-au-Récollet12Roméo Bouchard, Gens de mon pays. Portraits de Saint-Germain de Kamouraska, Montréal, Écosociété, coll. «Parcours», 2018. Pour sa part, Patrick Goulet publie fréquemment, depuis 2018, des extraits d’un livre à venir, Secrets d’histoire à l’église de La Visitation, dans le bulletin de la Société d’histoire d’Ahuntsic-Cartierville. Fait intéressant, ces deux auteurs ont été prêtres puis ont été laïcisés. Bouchard est devenu un anticlérical fervent. Goulet, qui a été vicaire pour la paroisse La Visitation-de-la-Bienheureuse-Vierge-Marie (ou La Visitation du Sault-au-Récollet), est ensuite devenu marguiller de cette même paroisse, puis coordonnateur à l’entretien et aux services pour cette église, qui est la plus ancienne de l’île de Montréal à être toujours debout (elle date de la fin du régime français). En lien avec le motif de la translation comme «déplacement de vieux restes», il n’est pas inintéressant de rappeler que Goulet a fait l’objet d’un reportage sensationnaliste de l’émission d’enquêtes et d’affaires publiques J.E., en octobre 2012, la chaîne TVA affirmant qu’il «aurait déterré 366 sépultures pour les mettre en exposition dans la crypte de l’église». Voir Anabel Cossette Civitella, «Une gardienne en détresse», TVA Nouvelles, 25 octobre 2012, en ligne: https://www.tvanouvelles.ca/2012/10/25/une-gardienne-en-detresse. Notons enfin que devant l’église de La Visitation se trouvent des statues du récollet Nicolas Viel et d’Ahuntsic, qui ont tous deux péris à cet endroit en 1625, dans les rapides de la rivière des Prairies. Érigées au tournant du 20e siècle, ces statues font aujourd’hui l’objet de controverses en raison de leur caractère éminemment colonial. La présentation d’Ahuntsic comme un Autochtone est particulièrement problématique, aux yeux de celles et ceux qui demandent le retrait de la statue. Pour leur part, la paroisse et le milieu du patrimoine favorisent l’installation de plaques explicatives. Dans les médias, c’est souvent Goulet qui intervient dans ce dossier au nom de la paroisse. Voir Étienne Paré, «Une autre statue controversée prise pour cible de vandalisme», Le Devoir, 4 mai 2022, en ligne: https://www.ledevoir.com/culture/706803/une-autre-statue-controversee-prise-pour-cible; Étienne Paré, «Les statues de la discorde», Le Devoir, 6 juillet 2022, en ligne: https://www.ledevoir.com/culture/730341/histoire-les-statues-de-la-discorde-d-ahuntsic.. Dans quelques cas, un territoire institué charge même un professionnel d’écrire l’histoire locale afin d’inscrire des projets de développement socio-économique dans le récit des lieux13Voir, par exemple, Gaétan Nadeau, Angus. Du grand capital à l’économie sociale, Montréal, Fides, 2009, et Gaétan Nadeau, Angus, tome 2. Un roman social et économique, 1992-2020, Montréal, Fides, 2020. Notons qu’à l’occasion de la parution du tome 2 de cet ouvrage, une nouvelle édition du tome 1, l’identifiant comme tel et indiquant qu’il porte sur les années 1904 à 1992, a été publiée chez Fides.. Cependant, de manière générale, les nouvelles monographies municipales sont écrites par un comité citoyen formé de quelques bénévoles, souvent à la retraite, qui coopèrent pour souligner un anniversaire –le plus souvent, la fondation de la paroisse qui a précédé la municipalité14Voir, par exemple, Collectif, Mon village a 150 ans. Cencinquantenaire de St-Jean Chrysostôme, 1828-1978, St-Jean Chrysostôme, Comité des fêtes du cencinquantenaire de St-Jean Chrysostôme, 1978 ; Collectif, Ripon. J’ai la couleur d’une rivière, 1865-2015, Ripon, Comité du patrimoine de Ripon, 2014..

Dans la majorité des cas, le souci d’objectivité historique des monographes reste porté par une volonté apologétique. Il s’agit principalement de raconter «ce qui s’est fait de bien et de beau» dans un lieu donné, par une population particulière à laquelle les monographes se sentent liés. Au séjour limité dans le temps des curés, des vicaires et des ethnographes semble ainsi se substituer une revendication d’enracinement à plus long terme.

Remarquons tout de même un phénomène contemporain qui va en sens inverse de la tendance apologétique qui cherche à «mettre en valeur» le patrimoine matériel et immatériel d’une collectivité: la production de monographies ouvertement critiques, où le ton caustique remplace la louange. En approchant un espace-temps donné d’un angle qui se revendique plus ou moins directement des travaux psychogéographiques de l’Internationale situationniste, ou encore de la sociologie du quotidien et de l’urbanisme critique, par exemple, des ouvrages collectifs comme ceux de la Conspiration dépressionniste et de La Mèche cherchent à politiser la question des modes d’habitation de la vallée du Saint-Laurent15Collectif, Québec, ville dépressionniste, Québec, Moult éditions, 2008; Frédéric Mercure-Jolette et Jasmin Miville-Allard (sous la dir.), Montréal, ville dépressionniste, Montréal, Moult éditions, 2017; Collectif, Cartographies, I. Couronne sud, Montréal, La Mèche, 2016; Cartographies, II. Couronne nord, Montréal, La Mèche, 2017..

Dans tous les cas, le lectorat des monographies semble demeurer assez restreint. Dans son adresse aux lecteurs qui ouvre le premier tome de sa grande Histoire de la seigneurie de Lauzon, Joseph-Edmond Roy écrit: «Chacune de nos paroisses devrait avoir son monographe qui ferait revivre les traditions et les moindres épisodes du passé16Joseph-Edmond Roy, Histoire de la seigneurie de Lauzon, tome 1, Lévis, Mercier & Co., 1897, p. iv..» Toutefois, dans le même texte, Roy reconnaît que «[l]e simple récit de la vie intime de quelques paroisses perdues au fond du nouveau-monde ne peut intéresser le grand public17Ibid., p. ii.». Dans sa monographie de l’étonnante tour des martyrs de Saint-Célestin, dans le comté de Nicolet, l’abbé Arthur Girard explique, dans le même sens, que «[l]es personnes qui s’intéressent à l’histoire d’un fait particulier sont rares, surtout si ce fait n’est pas de leur région, n’intéresse pas les proches18Arthur Girard, La tour des martyrs de Saint-Célestin, comté de Nicolet, 3e éd., Saint-Célestin, Ernest Tremblay éditeur, 1931, p. 5..» Il ajoute: «Cela n’est pas un beau désintéressement. Les loisirs consacrés à ces actes de dévouement obscur, mais fécond, doivent cesser d’aller se caser au chapitre si long chez nous des heures perdues19Ibid..» Par cet énoncé, la réflexion sur les monographies rejoint la réflexion sur la théorie de la valeur qui opère le partage entre travail et loisir.

    

Des façons d’écrire l’histoire

Les monographies de paroisse ont participé à la construction du grand récit national québécois. Joseph-Edmond Roy concevait son entreprise monographique comme une façon de mettre patiemment de la chair sur l’os de la charpente construite par François-Xavier Garneau et les autres «historiens nationaux» du milieu du 19siècle, dont l’œuvre est généralement lue comme répondant à la remarque de Lord Durham sur «un peuple sans histoire et sans littérature». Au 20e siècle, de nouveaux historiens ont repris une partie de la matière narrative rassemblée et transcrite par les monographes paroissiaux pour rendre vivante leur grande histoire politique et mystique, en misant sur l’intensification de l’anecdote héroïque, d’une part, et sur la longue durée des travaux et des jours d’une société essentiellement agraire, d’autre part. Ce processus de reprise peut être décrit comme une translation: il y a là une traduction, un recodage, qui opère par «déplacement de vieux restes», pour mieux les fixer. C’est donc en bonne partie à travers ce corpus monographique que les grands récits nationaux du Canada français, puis du Québec, se sont bâtis et ont été diffusés. Cela dit, l’étude de ce phénomène permet aussi de mettre en lumière des rapports complexes au corpus.

Le chanoine Lionel Groulx, par exemple, fréquentait assidûment ce genre littéraire. S’il a fait l’éloge de sa minutie, il reprocha aussi à ce mode d’écriture de l’histoire de s’enfoncer dans l’érudition et d’oublier le plan d’ensemble. Ainsi, l’un de ses tout premiers ouvrages est un recueil d’articles d’histoire locale d’abord parus en 1912 dans L’Écho du bazar, une publication éphémère vendue au profit des Sœurs de la Providence20Lionel Groulx, Petite histoire de Salaberry de Valleyfield, Montréal, Librairie Beauchemin, 1913.. De plus, tout au long de sa carrière d’historien, Groulx renverra fréquemment à des monographies précises21Voir, par exemple, ses références à l’Histoire de la seigneurie de Lauzon de Joseph-Edmond Roy, dans Lionel Groulx, Notre grande aventure. L’Empire français en Amérique du Nord, 1535-1760, Montréal, Fides, 1957, pp. 67, 98 et 163.. Au début des années 1920, il fait l’éloge de la monographie comme pratique mémorielle rappelant et reconduisant un ordre politique singulier. À propos de la société de la Nouvelle-France dont les Canadiens français porteraient encore «les rêves et les paysages», il écrit ceci:

Les sociologues ne trouveraient-ils point charme et profit à monographier, comme M. Léon Gérin l’a déjà commencé, en de magistrales études, ce type de société presque cloîtrée, société paternelle et paroissiale, qui ne s’est développée dans le Nouveau-Monde qu’en empruntant à elle-même, à son milieu géographique, à ses hérédités paysannes, françaises et chrétiennes? Dans ces petites collectivités baptisées, pratiquant les sacrements et la prière en commun, groupées autour de leur église qui a reçu chacun de leurs membres sur les fonts baptismaux, qui a vu devant son autel s’échanger l’anneau des fiançailles, qui garde autour d’elle les tombes des ancêtres, où l’égalité de fortune, de soucis et de labeurs s’incline et s’ordonne sous l’autorité du prêtre qui est celle de la religion et de la morale, les sociologues trouveraient peut-être la démocratie sans phrases, avec les freins qui la conditionnent, avec la discipline qui crée de l’ordre et de l’avenir.22Lionel Groulx, Chez nos ancêtres, Montréal, Bibliothèque de l’Action française, 1920, p. 99.

Quelques années plus tard, cependant, lorsqu’il commente le rapport des Canadiens français à leur histoire après 1867, Groulx manifeste une certaine ambivalence par rapport à la pratique monographique:

Surtout nous avons continué d’ignorer l’histoire. Après le superbe effort de 1850, disparaît la génération des grands historiens. Nos travailleurs s’enferment, ou peu s’en faut, dans l’érudition et la monographie, tendance progressiste qui se change en recul, parce que c’est aussi le temps où la grande histoire cesse de descendre vers le peuple. Désormais on ne saura plus que la réduire en de petits manuels étriqués, chefs-d’œuvre de mnémotechnie, dont se contente l’enseignement secondaire, cependant qu’à l’Université Laval la chaire de l’abbé Ferland demeure muette.23Lionel Groulx, Notre maître le passé, Montréal, Bibliothèque de l’Action française, 1924, p. 14.

Le projet historiographique de Groulx est alors de dépasser ce repli et de faire en sorte qu’à nouveau, «la grande histoire» parvienne à «descendre vers le peuple».

Fait intéressant, c’est notamment à partir du même vaste corpus monographique que les grands récits clérico-nationalistes, dont Groulx est devenu le symbole, ont été critiqués à partir du milieu des années 1960, suivant un autre processus de translation, un autre «déplacement de vieux restes», qui a constitué une sorte de retraduction. Les récits de Jacques et de Madeleine Ferron, puis ceux de Victor-Lévy Beaulieu, par exemple, disent que Groulx et d’autres ont mal saisi, ou ont effectué une lecture biaisée de ce que racontent les monographies24Voir, par exemple, Madeleine Ferron et Robert Cliche, Les Beaucerons ces insoumis [1974], suivi de Quand le peuple fait la loi [1972], Montréal, Hurtubise, 1982.. Plutôt que les nombreux témoignages de foi et de piété filiale qui trament les histoires paroissiales et qui constituent ce que Groulx décrivait comme une «leçon d’apologétique chrétienne25Lionel Groulx, Petite histoire de Salaberry de Valleyfield, op. cit., p. 5.», ces nouvelles générations de lecteurs et de lectrices retiennent principalement des monographies la distance narquoise du peuple, et même du bas clergé, face aux élites locales et nationales, distance qui se manifeste notamment dans les boutades formulées à l’intention des notables.

Dans les guerres de clochers qui ont tramé l’histoire d’un grand nombre de paroisses, Beaulieu décèle la présence d’un esprit fort peu chrétien, qui serait en même temps typique des communautés chrétiennes –rappelons à cet égard qu’en anglais, «esprit de clocher» se dit parochialism, terme qui provient du latin tardif parochia, «paroisse». Beaulieu lit aussi, et peut-être surtout, dans les monographies, les signes d’un «rapetissement de la vie», que plusieurs autres ont décrit, à la même époque, sous le signe de la «Grande Noirceur», qui aurait résulté de la domination conjointe et sans partage de l’Église catholique, des riches propriétaires terriens et des patrons capitalistes.

Dans un livre remarquable publié en 1974 et entièrement construit à partir de monographies de paroisse et de brochures diverses formant ce qu’il décrit comme une «petite littérature», Beaulieu dénonce l’absurdité du processus de colonisation qui a mené, en trois générations à peine, à l’«ouverture» puis à la «fermeture» de paroisses et de régions entières, défrichées puis reboisées à la main. Il écrit ensuite ces lignes, qui témoignent d’une ambivalence autre que celle de Groulx face aux monographies:

C’est cela que les monographies de paroisses [sic] nous apprennent –jusqu’à quel point on peut se faire fourrer et être content de l’être. Et jusqu’à quel point se faire fourrer ne pouvait être que normal quand on était Canadien-français [sic] et catholique, né pour un p’tit pain noir sur terre mais pour une grande place dans le ciel de ce bon «bon Dieu», ainsi que nous le verrons dans le prochain chapitre. Mais avant de terminer celui-ci, je voudrais ajouter quelques mots au sujet des monographies de paroisses [sic] et de l’enseignement qu’on peut en tirer sur l’organisation sociale des Québécois de ce temps, sur leurs passe-temps, leurs amusements, leur sens de l’invention –toutes sortes de petites choses que j’ignorais mais qui ont leur importance car elles me permettent de souffler un peu, d’oublier, ne serait-ce que quelques pages, ce rapetissement de la vie: un pays colonisé et presquement fier de l’être, un pays colonisé mais dont la colonisation imposée est citée à l’exemple de tous comme une vertu ; un pays collectivement sans courage, dirigé par quelques fous calmes, certains à pantalon, les autres à robe ; un pays d’abord constitué de trafiquants et d’insécrables heureux –comme a-t-il pu perdre sa bonne vie, devenir d’un tel conservatisme et être si dérisoirement la proie de tant de charlatans de l’esprit? Bien sûr, c’est d’avant 1960 qu’il s’agit ici. Et c’est aussi après 1800 que tout cela se passe. En fait, la grande période de notre névrose couvre un siècle, atteint son apogée entre les années 1900 et 1940 et va comme un gant au système qui l’a fait naître et éclore comme une odieuse fleur noire.26Victor-Lévy Beaulieu, Manuel de la petite littérature du Québec [1974], Montréal, Boréal, coll. «Compact», 2012, pp. 46-47.

Les «vieux restes» contenus dans les monographies de paroisse sont ainsi déplacés de la «grande histoire nationale» des Canadiens français catholiques au destin providentiel à l’histoire «en train de s’écrire» du peuple québécois, à la veille de l’élection d’un premier gouvernement indépendantiste qui mettra de l’avant, comme ses prédécesseurs libéraux, le grand récit modernisateur de la Révolution tranquille –récit qui n’est peut-être pas moins providentiel, lorsqu’on s’y arrête.

À chaque déplacement, à chaque translation, les «vieux restes» eux-mêmes changent un peu: des morceaux tombent, d’autres s’ajoutent, à partir du terreau où reposaient les dépouilles que l’on croyait immobiles. L’intégrité du mort n’est jamais totalement préservée. Aujourd’hui, un retour créatif aux monographies ou, plus généralement, aux histoires locales, pourrait d’ailleurs être utile pour percer une brèche et faire entrer de l’air dans la bulle asphyxiante des récits nationaux saturés, gonflés à bloc par les gaz que crée leur putréfaction, leur travail de décomposition de l’espace médiatique francophone le long du Saint-Laurent, par le martèlement continu de récits xénophobes mettant en scène un «peuple assiégé».

     

Entre les langues

Jusqu’ici, la dimension proprement linguistique ou langagière de ces artefacts réflexifs de la colonisation que sont les monographies de paroisse n’a pas été analysée, ni même véritablement remarquée. Des lectrices et des lecteurs de monographies se sont certes penchés sur leur style, mais c’était surtout pour souligner que le genre excluait par principe les chefs-d’œuvre. En effet, c’est par l’accumulation lente et grise, plutôt que par la percée remarquable et lumineuse, que le genre poursuit son objectif de documenter l’habitation ancestrale jusqu’au présent de celui ou de celle qui tient la plume.

Un impensé de la dimension linguistique des monographies de paroisse au Québec est le fait banal mais important qu’elles sont, dans leur très grande majorité, écrites en français. Quelques parish monographs ou local histories ont bien été rédigées en anglais, notamment dans les Eastern Townships et, plus récemment, autour de Saint-Sylvestre, Sainte-Agathe et Saint-Jacques-de-Leeds, dans Lotbinière27Steven L. Cameron a récemment publié trois livres à compte d’auteur sur la présence irlandaise dans ce secteur: Hill Search: The Robert Corrigan Story (2014); Hill Tales: Still Searching (2015); et Hill Notes: ‘Glimpses’ of Before (2017), disponibles en «impression sur demande». J’ai proposé une critique de ces ouvrages et j’en ai appelé à leur traduction, ou à leur réécriture pour une publication en français, dans Simon Labrecque, «Damnations d’Ulster», Trahir, 4 août 2018, en ligne: https://trahir.wordpress.com/2018/08/04/labrecque-cameron/. Cet appel est resté sans réponse.. Toutefois, plusieurs paroisses habitées par une population anglophone significative ont uniquement donné lieu à une monographie traditionnelle en français. Cela semble être le cas de Saint-Malachie, par exemple, qui comptait plusieurs familles anglo-écossaises et, surtout, irlandaises. Ces familles ont été désignées par l’appellation Frampton Irish, du nom d’un village voisin, à la frontière entre la Nouvelle-Beauce et Bellechasse, qui n’a eu sa monographie anglophone qu’en 2014, grâce à un autre passionné d’histoire et de généalogie28À compte d’auteur, Dennis McLane a publié trois volumes sur la présence irlandaise dans le comté de Frampton sous le titre Irish Needles (2014). Une deuxième édition est parue en 2019 chez Shoppe Foreman Publishing, à Oklahoma City..

Évidemment, je ne choisis pas ce cas au hasard, mais parce qu’il me permet de souligner une singularité. Le village de Saint-Malachie est peut-être principalement connu, ces années-ci, en raison d’un projet de démolition d’une maison patrimoniale visant à agrandir le stationnement de l’épicerie au centre du hameau, projet qui a suscité une certaine grogne et qui est «remonté jusqu’à Québec» sans toutefois être empêché par la ministre de la Culture et des Communications –un événement de la «petite histoire» qui figurera assurément dans toute future monographie de l’endroit29Patricia Cloutier, «Mobilisation citoyenne pour sauver une maison de 150 ans à Saint-Malachie», Le Soleil, 18 janvier 2019, en ligne: https://www.lesoleil.com/2019/01/19/mobilisation-citoyenne-pour-sauver-une-maison-de-150-ans-a-saint-malachie-462219197e38c60377fc60292bbd3e37; Éric Gourde, «Résidence à Saint-Malachie: le ministère émet une ordonnance», La Voix du Sud, 24 janvier 2019, en ligne: https://www.lavoixdusud.com/actualites/residence-a-saint-malachie-le-ministere-emet-une-ordonnance/; Éric Gourde, «Saint-Malachie: la résidence patrimoniale sera démontée et récupérée», La Voix du Sud, 3 avril 2019, en ligne: https://www.lavoixdusud.com/actualites/societe/saint-malachie-la-residence-patrimoniale-sera-recuperee/.. Toutefois, Saint-Malachie peut revendiquer un titre beaucoup plus honorable en lien avec la «petite histoire»: c’est, à ma connaissance, le seul village du Québec mis en récit dans une monographie de paroisse classique, en français, laquelle a été ensuite intégralement traduite en anglais.

La monographie originale a été publiée en 1909 par l’abbé Jules-Adrien Kirouac, dont le neveu Conrad est devenu plus tard connu comme le frère Marie-Victorin, grand «botaniste national». Cette monographie traditionnelle contient déjà une traduction. En effet, la lettre adressée à l’auteur par Mgr Louis-Nazaire Bégin, archevêque de Québec originaire de Saint-Joseph-de-la-Pointe-Lévis, est présentée en français puis en anglais au début de l’ouvrage. Le mot «Traduction» est inscrit en tête de la version anglaise, entre parenthèses, ce qui indique que l’original était en français30Jules-Adrien Kirouac, Histoire de la paroisse de Saint-Malachie, Québec, Laflamme & Proulx, 1909. Notons que le livre n’est toutefois pas dédié à l’archevêque, mais à son évêque auxiliaire, Mgr Paul-Eugène Roy, originaire de Berthier-sur-Mer. Mgr Paul-Eugène Roy était membre d’une famille de vingt enfants. L’un de ses frères était Mgr Camille Roy, qui fut historien, critique littéraire, recteur de l’Université Laval et protonotaire apostolique (d’où son titre de «monseigneur»). Auteur du premier grand manuel sur la littérature canadienne-française, Mgr Camille Roy est peut-être surtout connu, aujourd’hui, en tant que personnage central du roman Le ciel de Québec, de Jacques Ferron, dont une partie significative se déroule non loin de Saint-Malachie, à Saint-Magloire, dans Bellechasse.. Cette traduction s’explique par le fait qu’au tournant du 20e siècle, Saint-Malachie comptait une population anglophone significative. Comme l’explique l’abbé Kirouac dans l’ouvrage, plusieurs terres de la région ont été données à des soldats britanniques à la suite de la guerre de 1812. Le territoire de Saint-Malachie appartenait à Gilbert Henderson (1785-1876), qui est devenu un grand propriétaire terrien. Les lieux ont d’abord été colonisés par des immigrants originaires du comté d’Armagh, dans la région de l’île d’Émeraude qui se nomme Irlande du Nord, depuis la guerre civile des années 1920. Cette portion du territoire de la province de Québec fut nommée Saint-Malachie en l’honneur d’un illustre archevêque d’Armagh (1094-1148), primat d’Irlande, à qui ont été attribués plusieurs miracles et un texte apocalyptique, La prophétie des papes, aujourd’hui reconnu comme apocryphe31C’est au retour d’un voyage en Irlande, et plus particulièrement en Irlande du Nord, passant par Armagh après avoir suivi quelques traces d’Antonin Artaud à Galway, sur la côte Atlantique, et plongeant dans les fictions de Jacques Ferron et de Victor-Lévy Beaulieu, qui travaillent les relations complexes entre le Québec et l’Irlande, que j’ai développé un intérêt marqué pour l’histoire de Saint-Malachie, dans Bellechasse. Les méandres des mémoires collectives et personnelles se nouent de façons parfois étonnantes..

La traduction complète de la monographie de l’abbé Kirouac sur Saint-Malachie date de 1997. Elle a été publiée à Pittsburgh, Pennsylvanie, et est le fait de Donald Ray Henderson et Sarah Krams Henderson. Les Archives nationales situées à l’Université Laval en conservent une copie boudinée. Cette traduction a d’abord été produite pour des raisons généalogiques, la famille Henderson étant une famille souche de Saint-Malachie. Dans leur avant-propos, les Henderson indiquent que l’abbé Kirouac avait lui-même l’intention de publier une version anglaise de son ouvrage, mais qu’il avait dû renoncer à ce projet, faute de fonds. En ce sens, les Henderson conçoivent leur traduction comme l’achèvement du projet initial de l’abbé Kirouac, au profit des nombreuses familles anglophones qui habitent aujourd’hui les États-Unis et qui s’intéressent à leurs origines et, plus particulièrement, aux lieux de séjour de leurs ancêtres à leur arrivée sur le continent américain.

Un indice de l’intérêt linguistiquement différencié pour l’histoire de la paroisse de Saint-Malachie se lit d’ailleurs dans l’écart surprenant entre la page Wikipédia francophone du lieu, très lapidaire, et la page anglophone, beaucoup plus détaillée. Cette remarque me permet de souligner un dernier aspect intéressant de la matérialité des monographies de paroisse: elles sont aujourd’hui de plus en plus accessibles en format numérique, ce qui facilite grandement la consultation et la recherche, sinon la lecture et l’interprétation. Les «vieux restes» sont donc redéplacés à nouveau, toujours en translation. La traduction se fait cette fois en langage binaire, et le transport, par la fibre optique et les ondes radio, vers les bases de données et les nuages d’archives, nouveaux tombeaux.

     

Pérennes pérégrinations

D’une façon qui semble contraster avec l’association intime qui semble se faire jour, dans les monographies paroissiales, entre «paroisse catholique» et «colonisation de peuplement», la forme d’habitation de la paroisse est celle du séjour. Sur le plan philosophique, du moins, c’est ce que montre Giorgio Agamben dans une méditation éclairante sur le sens du mot grec paroikein, utilisé dans l’un des plus vieux textes chrétiens, la lettre de Clément de Rome aux Corinthiens, qui commence par cette adresse: «L’Église de Dieu en séjour à Rome à l’Église de Dieu en séjour à Corinthe». Agamben commente en ces termes:

Le mot grec paroikousa, que j’ai traduit «en séjour», désigne le séjour de l’exilé, du colon ou de l’étranger, par opposition à l’habitation à demeure du citoyen, qui se dit en grec katoikein. […] Le sujet de ma conférence est le messie et paroikein, vivre en séjour, est la définition même de l’habitation du chrétien dans le monde et de son expérience du temps messianique. C’est un terme technique, ou quasi technique, car la Première lettre de Pierre (1,17) appelle le temps de l’Église ho chronos tes paroikias, le temps de la paroisse, pourrait-on traduire, si l’on se souvient que paroisse ici signifie encore «séjour en étranger». Le terme «séjour» n’implique rien quant à sa durée chronologique. Le séjour de l’Église sur la terre peut durer –et il a de fait duré– des siècles et des siècles, sans que cela ne change en rien la nature particulière de son expérience messianique du temps32Giorgio Agamben, «L’Église et le Royaume», dans Saint Paul, Juif et apôtre des nations. Conférences de Carême à Notre-Dame de Paris, prés. Cardinal André Vingt-Trois, Paris, Parole et Silence, 2009, pp. 27-28. Pour une lecture détaillée de ce texte d’Agamben, écrite après la première présentation du présent texte sur les monographies de paroisse lors d’un colloque à Vancouver, voir Simon Labrecque, «La rançon de la gloire: matérialité de l’épître aux Parisiens d’Agamben», Trahir, 27 juillet 2019, en ligne: https://trahir.wordpress.com/2019/07/27/labrecque-agamben/. .

Un théologien québécois de renom se réfère à la même lettre de Clément de Rome dans sa présentation de l’institution paroissiale. Il écrit ceci:

Le verbe grec, paroikein, d’où nous viendra le terme paroisse, signifie d’abord «habiter auprès de, vivre parmi ou au milieu de». Il peut également signifier «séjourner à titre provisoire ou en pays étranger» ou «être de passage». Ce dernier usage du terme, dans le grec profane, est adopté dans le Nouveau Testament. À la suite des Hébreux en route vers la terre promise, les chrétiens se considéraient comme des pèlerins en chemin vers leur véritable patrie et, pour le moment, résidant dans une terre d’emprunt ou dans une patrie qui n’est pas la leur propre. Ils étaient, en somme, des «étrangers domiciliés». La littérature chrétienne des premiers siècles reprendra fréquemment ce thème. L’adresse de la première lettre de Clément de Rome se lit comme suit: «L’Église de Dieu en séjour (paroikousa) à Rome, à l’Église de Dieu en séjour (paroikousa) à Corinthe.»33Gilles Routhier, «La paroisse: naissance et évolution d’une institution», dans Atlas historique du Québec. La paroisse, sous la dir. Serge Courville et Normand Séguin, Sainte-Foy, Presses de l’Université Laval, 2001, p. 5.

Lecteurs d’Agamben (et de Gilles Deleuze et Félix Guattari), de jeunes catholiques refusent l’idée d’une justification raisonnable de l’effacement progressif de la dimension eschatologique et messianique de la paroisse. Ils cherchent plutôt à revenir à une radicalité originelle en situant la paroisse comme «séjour» au cœur de leur pensée politique. En témoignent ces lignes:

Puisque ce n’est pas à nous, ni à aucun politicien, ni à aucun ecclésiastique, qu’appartiennent le règne, la puissance et la gloire, la «destitution» –ou la «déposition»– est le premier mot de notre pensée politique. Le second est «paroisse». Au fond, ce qui est destitué de facto par la fraternité, c’est une certaine idée de l’unité politique. L’Église porte une autre manière de penser l’unité que l’empire et l’État, qui la conçoivent comme extension d’une même juridiction et centralisation du pouvoir. L’universel n’est pas atteint par la réduction à un plus petit dénominateur commun mais par la prolifération des paroisses. Le catholique est d’abord un paroissien, c’est-à-dire quelqu’un qui séjourne, qui ne fait pas de son territoire un absolu, mais qui se tient en instance de déterritorialisation, prêt à prendre une ligne de fuite.34Paul Colrat, Foucauld Giuliani et Anne Waeles, La communion qui vient. Carnets politiques d’une jeunesse catholique, Paris, éditions du Seuil, 2021, p. 41.

Au Québec, à l’heure actuelle, alors que la «culture religieuse» se raréfie et que les paroisses catholiques sont engagées dans d’importants processus de transformation, les monographies de paroisse produites de façon quasi systématique tout au long du processus de colonisation du territoire peuvent peut-être offrir une matière textuelle qui permette de travailler de tels enjeux d’habitation et de vivre-ensemble, qui touchent notamment aux relations entre le particulier et l’universel, entre l’espace et le temps et entre le langage et le pouvoir. D’autres transcriptions et d’autres translations de la colonisation, qui n’est pas faite que de «vieux restes», car elle trame encore nos quotidiens, sont à faire. Le présent texte aura cherché à esquisser quelques sentiers, à faire entrevoir quelques pistes en ce sens.

    

Bibliographie

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Roy, Joseph-Edmond, Histoire de la seigneurie de Lauzon, 5 tomes, Lévis, Mercier & Co., 1897-1904.

  • 1
    Victor-Lévy Beaulieu, Docteur Ferron. Pèlerinage, Montréal, éditions Stanké, 1991, p. 294. Voir également René Lemieux, «Herméneutique – critique des origines: Avant les rues de Chloé Leriche», Trahir, 13 avril 2016, en ligne: https://trahir.wordpress.com/2016/04/13/lemieux-leriche/.
  • 2
    Ils le sont restés jusqu’à l’entrée en vigueur du nouveau Code civil du Québec en 1994.
  • 3
    C’est le cas, par exemple, du journal manuscrit du milicien, canotier et aubergiste Augustin Labadie, qui contient des observations détaillées, notamment sur le climat de la Pointe de Lévy au tournant du 19e siècle. Ce journal, commencé le 25 avril 1795 et achevé le 9 décembre 1825, est longuement cité par le notaire et historien Joseph-Edmond Roy dans son Histoire de la seigneurie de Lauzon en cinq tomes, en particulier dans les tomes 3 (1900) et 4 (1904). L’auteur affirme que ce journal était en sa possession au moment d’écrire (t. 3, p. 231), mais il est aujourd’hui introuvable dans les différents fonds d’archives liés à Joseph-Edmond Roy et à son frère Pierre-Georges, également historien et archiviste. Fait intéressant, Joseph-Edmond Roy laisse entendre que le journal de Labadie pourrait bientôt être édité, ce qui ne semble pas s’être produit. Cela explique que les citations de ce journal qui se trouvent dans d’autres ouvrages, tous parus après 1900, sont en vérité des reprises de passages déjà cités par Roy ou ses lecteurs. Ainsi, Jean Provencher, dans Les quatre saisons dans la vallée du Saint-Laurent (Montréal, Éditions du Boréal, 1996, pp. 159-160), cite le journal de Labadie décrivant le mois de juin 1816, qui fut marqué par des chutes de neige. Provencher signale qu’il cite un passage du manuscrit cité par Roy en 1904 (t. 4, pp. 83-83) et il ajoute que cette citation fut elle-même citée par l’abbé Honorius Provost dans le deuxième volume (Histoire civile) de sa monographie Sainte-Marie de la Nouvelle-Beauce (Québec, éditions de la Nouvelle-Beauce, 1970, p. 760). Je remercie Dalie Giroux d’avoir porté à mon attention le sort incertain de ce singulier manuscrit d’Augustin Labadie, en souhaitant qu’il soit retrouvé un jour.
  • 4
    Victor Lévy-Beaulieu, «De l’utilité des monographies de paroisse», Le Devoir, 22 janvier 2005, en ligne: https://www.ledevoir.com/lire/73103/de-l-utilite-des-monographies-de-paroisse.
  • 5
    Simon Labrecque, «Sur le nom de Louis-de-Gonzague Bessette, curé de Saint-Magloire dans Le ciel de Québec de Jacques Ferron», Trahir, 19 juin 2022, en ligne: https://trahir.wordpress.com/2022/06/19/sur-le-nom-de-louis-de-gonzague-bessette-cure-de-saint-magloire-dans-le-ciel-de-quebec-de-jacques-ferron/. Voir Jacques Ferron, Le ciel de Québec, Montréal, éditions du Jour, 1969. Voir aussi Jacques Cardinal, Le livre des fondations. Incarnation et enquébecquoisement dans Le ciel de Québec de Jacques Ferron, Montréal, XYZ éditeur, coll. «Documents», 2008.
  • 6
    Jacques Ferron, «Une confédération de villages», dans Du fond de mon arrière-cuisine [1973], Montréal, Bibliothèque québécoise, 2015.
  • 7
    Voir, par exemple, Sœur Marie-Ursule, c.s.j., Civilisation traditionnelle des Lavalois, préface de Luc Lacoursière, Québec, Presses de l’Université Laval, coll.»Les archives de folklore», nos 5-6, 1951, et Marcel Rioux, Belle-Anse, Ottawa, Edmond Cloutier éditeur, coll.»Bulletin», no 138/»Série anthropologique», no 37, 1957.
  • 8
    Frédéric Parent, Un Québec invisible. Enquête ethnographique dans un village de la grande région de Québec, Québec, Presses de l’Université Laval, 2015 ; Frédéric Parent, Léon Gérin. Devenir sociologue dans un monde en transition, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2018.
  • 9
    Nathalie Miglioni, Les monographies paroissiales (1854-1926): micro récits sur l’art au Québec, mémoire de maîtrise en histoire de l’art, Montréal, Université du Québec à Montréal, 2008.
  • 10
    Andrée Fortin, «Histoires de paroisses en 1900 et histoire de l’histoire», Cahiers des Dix, no 70, 2016, pp. 81-130.
  • 11
    Simon Labrecque, Un désir de liens. La mémoire qui nous agite, Montréal, éditions Liber, 2019.
  • 12
    Roméo Bouchard, Gens de mon pays. Portraits de Saint-Germain de Kamouraska, Montréal, Écosociété, coll. «Parcours», 2018. Pour sa part, Patrick Goulet publie fréquemment, depuis 2018, des extraits d’un livre à venir, Secrets d’histoire à l’église de La Visitation, dans le bulletin de la Société d’histoire d’Ahuntsic-Cartierville. Fait intéressant, ces deux auteurs ont été prêtres puis ont été laïcisés. Bouchard est devenu un anticlérical fervent. Goulet, qui a été vicaire pour la paroisse La Visitation-de-la-Bienheureuse-Vierge-Marie (ou La Visitation du Sault-au-Récollet), est ensuite devenu marguiller de cette même paroisse, puis coordonnateur à l’entretien et aux services pour cette église, qui est la plus ancienne de l’île de Montréal à être toujours debout (elle date de la fin du régime français). En lien avec le motif de la translation comme «déplacement de vieux restes», il n’est pas inintéressant de rappeler que Goulet a fait l’objet d’un reportage sensationnaliste de l’émission d’enquêtes et d’affaires publiques J.E., en octobre 2012, la chaîne TVA affirmant qu’il «aurait déterré 366 sépultures pour les mettre en exposition dans la crypte de l’église». Voir Anabel Cossette Civitella, «Une gardienne en détresse», TVA Nouvelles, 25 octobre 2012, en ligne: https://www.tvanouvelles.ca/2012/10/25/une-gardienne-en-detresse. Notons enfin que devant l’église de La Visitation se trouvent des statues du récollet Nicolas Viel et d’Ahuntsic, qui ont tous deux péris à cet endroit en 1625, dans les rapides de la rivière des Prairies. Érigées au tournant du 20e siècle, ces statues font aujourd’hui l’objet de controverses en raison de leur caractère éminemment colonial. La présentation d’Ahuntsic comme un Autochtone est particulièrement problématique, aux yeux de celles et ceux qui demandent le retrait de la statue. Pour leur part, la paroisse et le milieu du patrimoine favorisent l’installation de plaques explicatives. Dans les médias, c’est souvent Goulet qui intervient dans ce dossier au nom de la paroisse. Voir Étienne Paré, «Une autre statue controversée prise pour cible de vandalisme», Le Devoir, 4 mai 2022, en ligne: https://www.ledevoir.com/culture/706803/une-autre-statue-controversee-prise-pour-cible; Étienne Paré, «Les statues de la discorde», Le Devoir, 6 juillet 2022, en ligne: https://www.ledevoir.com/culture/730341/histoire-les-statues-de-la-discorde-d-ahuntsic.
  • 13
    Voir, par exemple, Gaétan Nadeau, Angus. Du grand capital à l’économie sociale, Montréal, Fides, 2009, et Gaétan Nadeau, Angus, tome 2. Un roman social et économique, 1992-2020, Montréal, Fides, 2020. Notons qu’à l’occasion de la parution du tome 2 de cet ouvrage, une nouvelle édition du tome 1, l’identifiant comme tel et indiquant qu’il porte sur les années 1904 à 1992, a été publiée chez Fides.
  • 14
    Voir, par exemple, Collectif, Mon village a 150 ans. Cencinquantenaire de St-Jean Chrysostôme, 1828-1978, St-Jean Chrysostôme, Comité des fêtes du cencinquantenaire de St-Jean Chrysostôme, 1978 ; Collectif, Ripon. J’ai la couleur d’une rivière, 1865-2015, Ripon, Comité du patrimoine de Ripon, 2014.
  • 15
    Collectif, Québec, ville dépressionniste, Québec, Moult éditions, 2008; Frédéric Mercure-Jolette et Jasmin Miville-Allard (sous la dir.), Montréal, ville dépressionniste, Montréal, Moult éditions, 2017; Collectif, Cartographies, I. Couronne sud, Montréal, La Mèche, 2016; Cartographies, II. Couronne nord, Montréal, La Mèche, 2017.
  • 16
    Joseph-Edmond Roy, Histoire de la seigneurie de Lauzon, tome 1, Lévis, Mercier & Co., 1897, p. iv.
  • 17
    Ibid., p. ii.
  • 18
    Arthur Girard, La tour des martyrs de Saint-Célestin, comté de Nicolet, 3e éd., Saint-Célestin, Ernest Tremblay éditeur, 1931, p. 5.
  • 19
    Ibid.
  • 20
    Lionel Groulx, Petite histoire de Salaberry de Valleyfield, Montréal, Librairie Beauchemin, 1913.
  • 21
    Voir, par exemple, ses références à l’Histoire de la seigneurie de Lauzon de Joseph-Edmond Roy, dans Lionel Groulx, Notre grande aventure. L’Empire français en Amérique du Nord, 1535-1760, Montréal, Fides, 1957, pp. 67, 98 et 163.
  • 22
    Lionel Groulx, Chez nos ancêtres, Montréal, Bibliothèque de l’Action française, 1920, p. 99.
  • 23
    Lionel Groulx, Notre maître le passé, Montréal, Bibliothèque de l’Action française, 1924, p. 14.
  • 24
    Voir, par exemple, Madeleine Ferron et Robert Cliche, Les Beaucerons ces insoumis [1974], suivi de Quand le peuple fait la loi [1972], Montréal, Hurtubise, 1982.
  • 25
    Lionel Groulx, Petite histoire de Salaberry de Valleyfield, op. cit., p. 5.
  • 26
    Victor-Lévy Beaulieu, Manuel de la petite littérature du Québec [1974], Montréal, Boréal, coll. «Compact», 2012, pp. 46-47.
  • 27
    Steven L. Cameron a récemment publié trois livres à compte d’auteur sur la présence irlandaise dans ce secteur: Hill Search: The Robert Corrigan Story (2014); Hill Tales: Still Searching (2015); et Hill Notes: ‘Glimpses’ of Before (2017), disponibles en «impression sur demande». J’ai proposé une critique de ces ouvrages et j’en ai appelé à leur traduction, ou à leur réécriture pour une publication en français, dans Simon Labrecque, «Damnations d’Ulster», Trahir, 4 août 2018, en ligne: https://trahir.wordpress.com/2018/08/04/labrecque-cameron/. Cet appel est resté sans réponse.
  • 28
    À compte d’auteur, Dennis McLane a publié trois volumes sur la présence irlandaise dans le comté de Frampton sous le titre Irish Needles (2014). Une deuxième édition est parue en 2019 chez Shoppe Foreman Publishing, à Oklahoma City.
  • 29
    Patricia Cloutier, «Mobilisation citoyenne pour sauver une maison de 150 ans à Saint-Malachie», Le Soleil, 18 janvier 2019, en ligne: https://www.lesoleil.com/2019/01/19/mobilisation-citoyenne-pour-sauver-une-maison-de-150-ans-a-saint-malachie-462219197e38c60377fc60292bbd3e37; Éric Gourde, «Résidence à Saint-Malachie: le ministère émet une ordonnance», La Voix du Sud, 24 janvier 2019, en ligne: https://www.lavoixdusud.com/actualites/residence-a-saint-malachie-le-ministere-emet-une-ordonnance/; Éric Gourde, «Saint-Malachie: la résidence patrimoniale sera démontée et récupérée», La Voix du Sud, 3 avril 2019, en ligne: https://www.lavoixdusud.com/actualites/societe/saint-malachie-la-residence-patrimoniale-sera-recuperee/.
  • 30
    Jules-Adrien Kirouac, Histoire de la paroisse de Saint-Malachie, Québec, Laflamme & Proulx, 1909. Notons que le livre n’est toutefois pas dédié à l’archevêque, mais à son évêque auxiliaire, Mgr Paul-Eugène Roy, originaire de Berthier-sur-Mer. Mgr Paul-Eugène Roy était membre d’une famille de vingt enfants. L’un de ses frères était Mgr Camille Roy, qui fut historien, critique littéraire, recteur de l’Université Laval et protonotaire apostolique (d’où son titre de «monseigneur»). Auteur du premier grand manuel sur la littérature canadienne-française, Mgr Camille Roy est peut-être surtout connu, aujourd’hui, en tant que personnage central du roman Le ciel de Québec, de Jacques Ferron, dont une partie significative se déroule non loin de Saint-Malachie, à Saint-Magloire, dans Bellechasse.
  • 31
    C’est au retour d’un voyage en Irlande, et plus particulièrement en Irlande du Nord, passant par Armagh après avoir suivi quelques traces d’Antonin Artaud à Galway, sur la côte Atlantique, et plongeant dans les fictions de Jacques Ferron et de Victor-Lévy Beaulieu, qui travaillent les relations complexes entre le Québec et l’Irlande, que j’ai développé un intérêt marqué pour l’histoire de Saint-Malachie, dans Bellechasse. Les méandres des mémoires collectives et personnelles se nouent de façons parfois étonnantes.
  • 32
    Giorgio Agamben, «L’Église et le Royaume», dans Saint Paul, Juif et apôtre des nations. Conférences de Carême à Notre-Dame de Paris, prés. Cardinal André Vingt-Trois, Paris, Parole et Silence, 2009, pp. 27-28. Pour une lecture détaillée de ce texte d’Agamben, écrite après la première présentation du présent texte sur les monographies de paroisse lors d’un colloque à Vancouver, voir Simon Labrecque, «La rançon de la gloire: matérialité de l’épître aux Parisiens d’Agamben», Trahir, 27 juillet 2019, en ligne: https://trahir.wordpress.com/2019/07/27/labrecque-agamben/.
  • 33
    Gilles Routhier, «La paroisse: naissance et évolution d’une institution», dans Atlas historique du Québec. La paroisse, sous la dir. Serge Courville et Normand Séguin, Sainte-Foy, Presses de l’Université Laval, 2001, p. 5.
  • 34
    Paul Colrat, Foucauld Giuliani et Anne Waeles, La communion qui vient. Carnets politiques d’une jeunesse catholique, Paris, éditions du Seuil, 2021, p. 41.
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