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Les médias canadiens et la lutte aux stéréotypes sexuels: voyage (décevant) au pays de l’autorégulation
Plusieurs études s’étant penchées au cours des dernières années sur les liens entre médias, stéréotypes et égalité entre les femmes et les hommes (Ravet, Cossette, Renaud et al., 2006; Descheneau-Guay, 2006; Descarries 2006; Grusec et Hastings, 2007; Descarries et Mathieu, 2010), nous avons cherché à mieux comprendre quelles étaient les normes des entreprises médiatiques canadiennes sur cette question et comment elles étaient appliquées. Cette analyse permettra, entre autres, de voir si les mécanismes de contrôles mis en place par ces entreprises permettent de répondre aux questions et critiques soulevées par ces études.
Ce texte présente les résultats préliminaires d’une recherche en cours1Subvention du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH), projet intitulé: «La lutte aux stéréotypes sexistes, le droit à l’égalité et les médias; la gestion du droit à l’égalité dans un contexte d’autorégulation».. Nous ferons tout d’abord une présentation très brève des organismes qui réglementent les médias. Nous nous intéresserons par la suite plus précisément à l’un de ces organismes, le Conseil canadien des normes de la radiotélévision (CCNR), dont nous avons analysé les décisions portant sur les questions liées au genre. Enfin, nous ferons état de ce que nous avons découvert à la lecture de ces décisions.
1. Mise en contexte
L’autorégulation se définit généralement dans un continuum allant de la délégation par le pouvoir législatif de pouvoirs réglementaires limités vers des agents privés jusqu’à la capacité pleine et entière du secteur privé de concevoir ses propres règles de fonctionnement (Campbell, 2000). Au Canada, on a choisi de permettre aux médias de se régir selon leurs propres règles de fonctionnement, et ce, sous la supervision limitée du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC).
Deux organismes d’autorégulation, Les normes canadiennes de la publicité (NCP) et le Conseil canadien des normes de la radiotélévision (CCNR), assurent au Canada la mise en œuvre des principes de non discrimination femmes/hommes dans les médias2Une étude des liens entre le CRTC et ces organismes a été développée dans un article antérieur: Rachel Chagnon et Paméla Obertan, «Le droit à l’égalité et la lutte aux stéréotypes sexuels et sexistes, un arrimage difficile» (2010).. Ces deux organismes ont, plus spécifiquement, le mandat de répondre aux plaintes émanant du public et d’appliquer les codes déontologiques élaborés par les corporations médiatiques qui ont accepté d’être assujetties au processus d’autorégulation.
Ces organismes doivent toutefois mettre en œuvre des principes issus de normes juridiques relatives au précepte de non-discrimination. Pour ce faire, le CCNR a adopté certaines règles, dont la suivante, visant à définir les stéréotypes discriminatoires à éliminer des contenus médiatiques:
Les stéréotypes constituent une forme de généralisation souvent simpliste, dénigrante, blessante ou préjudiciable, tout en ne reflétant pas la complexité du groupe qu’ils visent. Reconnaissant ce fait, les radiodiffuseurs doivent s’assurer que leurs émissions ne renferment aucun contenu ou commentaire stéréotypé indûment négatif en ce qui concerne la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial ou un handicap physique ou mental. (Code sur la représentation équitable 2008, art. 4).
Pour leur part les NCP, qui régissent le monde de la publicité, ont adopté la norme suivante: «La publicité ne doit pas: (a) tolérer quelque forme de discrimination personnelle que ce soit, y compris la discrimination fondée sur la race, l’origine nationale, la religion, le sexe ou l’âge» (Code canadien des normes de la publicité, art. 14).
Ces deux organismes disposent de sites Web sur lesquels il est possible désormais de trouver les décisions rendues dans l’application des codes. Ce sont à ces décisions que nous nous intéressons, et plus particulièrement à celles du CCNR. Les décisions des NCP feront l’objet d’une analyse subséquente.
2. Le Conseil canadien des normes de la radiotélévision
Les premiers signes de la sensibilisation des médias aux impacts potentiels de l’image des femmes remontent aux années 1980. À ce propos, la note suivante se retrouve sur le site du CCNR:
Le rapport du Groupe de travail du CRTC, paru en 1982 sous le titre L’image des femmes, exhortait les radios télédiffuseurs privés à prendre des moyens d’enrayer les stéréotypes sexuels dans les médias de la radiodiffusion. Répondant à cette invitation et renouvelant son propre engagement, l’Association canadienne des radiodiffuseurs, organisme ayant fondé le CCNR, va alors constituer un comité spécial qui fait paraître les Lignes directrices d’application volontaire concernant les stéréotypes sexistes. (Site CCNR)
Notons d’emblée que le choix de la régulation volontaire soulève, dès les premières années de mise en œuvre, des questions quant à son efficacité. Ainsi dans un avis public datant de 1986, l’organisme public chargé de réguler les médias, soit le CRTC, notait que «l’autoréglementation n’a pas réussi à éliminer les stéréotypes sexuels».
Au fil des années, le CCNR s’est doté d’une série de comités dont la fonction est de traiter les plaintes et de rendre des décisions. Une série de comités locaux gèrent les contenus à caractère local et provincial, un comité national reçoit, quant à lui, les plaintes concernant les contenus diffusés à l’échelle du pays. Pour fins d’analyse, nous avons retenu les décisions rendues par l’ensemble de ces comités.
Nous nous sommes arrêtées sur les processus internes d’autorégulation afin de mieux comprendre leur mécanique et, nous l’espérons, mieux mesurer leur efficacité. À l’heure actuelle, notre analyse porte sur 68 décisions identifiées et résumées. Dans 15 cas, le comité responsable de la décision a jugé qu’il y avait atteinte à l’un des articles de déontologie: violence (la majorité), stéréotype et sexualisation des enfants (1 cas). Dans les 53 autres cas, la décision a été qu’il n’y avait pas d’atteinte aux principes de l’égalité entre les hommes et les femmes.
Il ressort de cette première lecture qu’un grand nombre de plaintes ont été jugées non fondées. De façon plus générale, en fait, il existe une grande disparité entre le nombre de plaintes déposées, toutes catégories confondues, et le nombre de plaintes retenues. Le tableau ci-dessous (tableau 1) permet de constater le faible pourcentage de plaintes ayant donné lieu à une décision officielle pour les années 2006 à 2009.
Il s’avère, à la lumière des chiffres fournis par le CCNR dans ses rapports annuels, que seule une fraction des dossiers de plaintes déposés auprès de l’organisme aboutit à un constat de discrimination. Ce nombre est réduit encore davantage si les décisions dites sommaires sont retirées du calcul. Mentionnons que la «Décision sommaire» est «une lettre de trois à quatre pages qui explique au plaignant que le Secrétariat n’identifie aucun aspect du dossier qui nécessiterait une décision de la part d’un Comité. Puisqu’une Décision sommaire ne fournirait pas de nouveau raisonnement ou interprétation des normes codifiées, ces décisions ne sont pas affichées au site Web du CCNR»3Site Web du CCNR, http://www.cbsc.ca/francais/decisions/index.php, consulté le 21 mars 2012..
La prise en considération de la situation observée dans d’autres organismes dotés de mécanismes de gestion de la plainte entraîne un constat similaire. La Commission des droits de la personne et de la jeunesse du Québec constitue à cet effet une bonne base de comparaison. La Commission possède, en effet, un mécanisme de traitement des plaintes qui s’apparente à celui du CCNR. En 2009, 7 906 plaintes lui ont été adressées. De ce nombre, 1 066 ont fait l’objet d’une enquête, ce qui représente un taux de traitement de 13 %. Sur les 1 066 plaintes étudiées, 702 ont été jugées recevables et ont fait l’objet d’une enquête plus approfondie et d’un processus de médiation. En bout de piste, le Tribunal des droits de la personne a rendu 10 décisions en 2009 (Rapport CDPDJ 2009-2010). Autrement dit, seul 0,9 % des plaintes traitées dans l’année 2009 a donné lieu à une décision finale.
Toutefois, contrairement au CCNR, la Commission est dotée d’un organe distinct qui a pour tâche de faire enquête, d’arbitrer les plaintes reçues et d’agir à titre de médiateur entre le plaignant et le mis en cause (Rapport CDPDJ 2009-2010). Ce système d’arbitrage permet d’imposer des contraintes au mis en cause qui devra, selon l’entente négociée, présenter des excuses ou réformer certaines pratiques. Si le mis en cause se montre récalcitrant, la Commission peut même lui imposer une amende. Le CCNR ne dispose pas d’un tel mécanisme.
3. Analyse des décisions
Compte tenu de la petite taille de l’échantillon analysé, il est difficile d’arriver à des conclusions réellement significatives sur le plan de l’analyse sérielle. Toutefois, puisque les différents comités du CCNR ont développé l’habitude de consulter les décisions antérieures et qu’une tendance à l’uniformisation dans l’analyse des concepts apparaît clairement à la lecture des décisions, il est possible de dégager certaines tendances tout à fait pertinentes pour les fins de la présente recherche. Ces décisions montrent bien comment les membres des différents comités du CCNR évaluent l’équité entre les représentations des femmes et des hommes dans les médias. Elles nous indiquent aussi les liens, ou l’absence de liens, qui sont faits entre certains types de représentations, principalement celles à caractère pornographique, et la notion de stéréotype.
Nous nous concentrerons ici sur cette tendance des comités du CCNR à s’autoréférencer, contribuant à la création d’une forme de jurisprudence4La jurisprudence est l’ensemble des décisions rendues par les tribunaux. Elle joue un rôle majeur dans l’interprétation et l’évolution du droit (http://www.justice.gouv.qc.ca/francais/sujets/glossaire/jurispr.htm, consulté le 7 novembre 2011).. Nous nous intéresserons ensuite à l’évolution de l’un des concepts utilisés dans les décisions portant sur la discrimination, soit celui d’exploitation.
3.1 Liens surprenants entre les comités CCNR et les tribunaux judiciaires
Tout d’abord, l’analyse des décisions étudiées révèle qu’avec le temps, les comités ont pris l’habitude de faire référence de façon systématique aux décisions antérieures, développant par le fait même une véritable règle du précédent. C’est le cas, par exemple, dans la décision CILQ-FM re the Howard Stern Show (CBSC Décision 97/98-0487; comité ontarien)5Cette décision traite une plainte déposée contre l’animateur de radio Howard Stern en lien avec de multiples interventions sexistes ayant eu lieu dans l’une de ses émissions, entre autres contre une animatrice de télévision, Mary Hart..
Rappelons ici que la règle du précédent vise avant tout à stabiliser une règle normative de façon à rendre son application homogène et prévisible. En droit, le principe de l’autorité du précédent est variable et dépendra surtout de la similitude entre les affaires étudiées et la position hiérarchique de l’instance qui a rendu la décision appliquée (Brun, Tremblay, Brouillette, 2008: 22 et ss). Dans ce cas-ci, nous retiendrons que c’est surtout la similitude des cas qui semble conduire le comité à invoquer une décision antérieure. De plus, il ne saurait s’agir de la création d’une réelle règle du précédent, les comités du CCNR n’étant pas des tribunaux judiciaires.
Il faut noter que la règle du précédent a été critiquée à de nombreuses reprises. Dans le système de common law, où elle sert véritablement de socle sur lequel repose l’ensemble du droit applicable, son effet sclérosant lui est reproché. La règle du précédent peut, en effet, conduire à une cristallisation du droit existant qui rend alors son évolution très difficile. Au 17e siècle en Grande-Bretagne, cet effet de stagnation du droit conduira d’ailleurs à la création d’un nouveau type de tribunal dont le mandat sera de juger en «équité» et non selon le droit établi (Ogilvie, 1982). Il faut donc se demander si une telle pratique est réellement souhaitable dans la mesure où l’un des avantages annoncés de l’autorégulation est sa souplesse et sa grande capacité d’adaptation à de nouveaux enjeux.
On constate en parallèle des cas où on s’est référé à la Cour suprême du Canada, essentiellement à l’arrêt Butler c. la Reine ([1992] 1 S.C.R. 452)6Monsieur Donald Butler, habitant de Winnipeg au Manitoba, est le propriétaire d’une boutique spécialisée dans la vente et la location de matériel pornographique. Plus de 200 chefs d’accusation seront déposés contre lui par la police de Winnipeg, chefs d’accusation portant principalement sur la vente et la possession de matériel obscène. Il sera acquitté de la plupart des chefs d’accusation mais condamné de possession et distribution de matériel obscène au regard de tout le matériel à caractère sadomasochiste vendu dans sa boutique.. En fait, l’utilisation du moteur de recherche du site du CCNR permet de retrouver 12 décisions citant cette cause en particulier. C’est le cas, entre autres, dans la décision CILQ-FM re the Howard Stern Show:
The comments counselling the rape of Mary Hart, which were followed by the lengthy discussion with G. Gordon Liddy regarding his calendar and the combination of nude or semi-nude women and guns, fall, broadly speaking, into the area of concerns expressed by the Supreme Court of Canada in its landmark decision in Butler v. R., [1992] 1 S.C.R. 452. In that case, the Court stated that if true equality between male and female persons is to be achieved, we cannot ignore the threat to equality resulting from exposure to audiences of certain types of violent and degrading material. Materials portraying women as a class as objects for sexual exploitation and abuse have a negative impact on “the individual’s sense of self-worth and acceptance”.
As the Supreme Court put this point in defining the three categories of pornography in Butler v. R., it explained that “explicit sex that is not violent and neither degrading nor dehumanizing is generally tolerated in our society and will not qualify as the undue exploitation of sex unless it employs children in its production. [Emphasis added.]” In this area, the station has itself acknowledged “that extra vigilance is required where children and sexuality are linked, even if in jest.
[Nous traduisons] Les commentaires recommandant le viol de Mary Hart, suivis par la discussion prolongée avec G. Gordon Liddy concernant son calendrier qui combinait des femmes nues ou à demi nues avec des pistolets, tombent dans le registre plus large des préoccupations exprimées par la Cour suprême du Canada dans sa décision Butler c. la Reine, [1992] 1 S.C.R. 452. Dans cette décision, la Cour a déclaré que si l’on veut parvenir à une véritable égalité entre les hommes et les femmes, la menace que présente pour l’égalité le fait d’exposer le public à certains types de matériel violent et dégradant ne peut être ignorée. Le matériel qui représente les femmes comme une catégorie d’objets d’exploitation et d’abus sexuels a une incidence négative sur «la valorisation personnelle et l’acceptation de soi».
En définissant, dans Butler c. la Reine, trois catégories de pornographie, la Cour a expliqué que «les choses sexuelles explicites qui ne comportent pas de violence et qui ne sont ni dégradantes ni déshumanisantes sont généralement tolérées dans notre société et ne constituent pas une exploitation indue des choses sexuelles, sauf si leur production comporte la participation d’enfants» [Italique ajouté]. Dans ce domaine, la station a elle-même reconnu «qu’une vigilance supplémentaire est exigée quand enfants et sexualité sont liés et ce, même à titre humoristique».
Notons ici que cette décision de la Cour suprême n’est pas en lien avec les principes de non-discrimination. Dans cette cause, il s’agit d’évaluer si du matériel pornographique est criminellement licite ou non. Les juges se prononcent de façon plus restreinte sur l’interdiction faite au matériel pornographique jugé «obscène». Rappelons que la pornographie est par ailleurs légale au Canada, même s’il est loisible de questionner son caractère hautement stéréotypé.
On remarque aussi dans l’extrait cité que le comité s’intéresse à la définition donnée par la Cour suprême de la pornographie illicite. Toutefois, les faits reprochés à l’animateur Howard Stern ne sont aucunement en lien avec la production ou la distribution de matériel pornographique illicite. Il lui est reproché d’avoir eu des propos dénigrants à l’égard des femmes et d’avoir cherché à les réduire à de simples objets sexuels, une attitude qui, par ailleurs, contrevient clairement aux termes du code. Le comité en viendra en fait à la conclusion que les propos de l’animateur constituaient des atteintes au code.
L’introduction d’éléments normatifs issus du jugement Butler constitue un précédent inquiétant puisque ces éléments contribuent à faire dévier le sens à donner à des propos sexistes lorsqu’ils sont à connotation sexuelle. En effet, la distinction entre pornographie licite et illicite ne prend pas en compte le principe de représentation équitable entre les femmes et les hommes, contrairement au code sur la représentation équitable auquel les médias ont accepté de se soumettre. À défaut d’une définition réellement éclairante de ce qui constitue un stéréotype «indûment négatif», il semble que les comités du CCNR aient en quelque sorte décidé d’assimiler ce concept à celui de la pornographie obscène. Cette tendance se concrétise d’ailleurs dans la définition retenue par les différents comités du CCNR de la notion d’exploitation.
Rappelons ici que l’expression «indûment négatif» se retrouve dans le code de déontologie que met en application le CCNR, à l’article 4 que nous citons plus haut. Le libellé de cet article nous invite à penser qu’il est implicitement admis que toute forme de stéréotype n’est pas automatiquement discriminatoire et que le diffuseur jouit d’une certaine latitude dans les contenus stéréotypés qui pourront être présentés. Cette latitude est aujourd’hui d’autant plus grande que la notion «indûment» a été réduite à des contenus qui seraient considérés carrément contraire au Code criminel en matière de représentations pornographiques. En bref, la seule obligation d’un diffuseur semble donc de se conformer au Code criminel.
3.2 Une définition de la notion d’exploitation difficile à cerner
Au fil de la lecture des décisions colligées, il apparaît que les définitions même d’exploitation sexuelle et de sexisme ne sont pas nécessairement celles auxquelles on pourrait s’attendre. Tout d’abord, la question de la représentation d’actes sexuels semble donner lieu à de complexes circonvolutions. En témoigne une décision concernant le long métrage La Chiave Del Placere (The Key to Sex) (CBSC, decision 06/07-0081)7Résumé du film: «La Chiave Del Placere raconte l’histoire d’un homme qui tient, de concert avec ses amis, des rencontres sexuelles dans la maison de son patron pendant que celui-ci est absent. Le film montre des hommes et des femmes en divers états de déshabillement qui se livrent à différents genres d’activité sexuelle» (http://www.cbsc.ca/francais/documents/prs/2007/070529.php, consulté le 5 août 2011)., où il sera décidé qu’un contenu sexuellement explicite n’est pas nécessairement pornographique et n’équivaut donc pas à de l’exploitation. En fait, il sera mentionné que:
The Panel considers that the sexual activity in this film does not fall within, or even near, the boundaries of pornographic material. There is sexual explicitness, to be sure, but there is no degrading or dehumanizing context associated with it. There is violence but it is not associated with the sexuality itself. In conclusion, in the present matter, the Panel finds no element of pornography present.
[Nous traduisons] Le Comité considère que l’activité sexuelle dans ce film ne se rapporte en aucun cas, à la définition de matériel pornographique. Certes, selon l’évaluation du Comité, il y a certainement de la sexualité explicite, mais il n’y voit aucun contexte dégradant ou déshumanisant qui y soit lié. Il y voit aussi de la violence, mais celle-ci n’est pas associée à la sexualité elle-même. En conclusion, le Comité ne trouve aucun élément de pornographie présent.
Ce qui lui fait dire: «Acknowledging that some of the material in the film is explicit does not render it pornographic / Admettre que certaines scènes tirées du film soient explicites n’en fait pas un film pornographique [nous traduisons]».
Le comité arrive à cette décision en citant Butler c. la Reine, mais ne semble pas prendre en compte que les juges dans Butler c. la Reine ont fait une distinction entre la pornographie licite qui offre néanmoins une représentation explicite de rapports sexuels et la pornographie illicite au sens du code criminel. Ce film est donc considéré érotique, ce qui amène le comité à conclure qu’il n’y a pas d’exploitation.
En matière d’exploitation, on se réfère également à une décision antérieure: CKX-TV re National Lampoon’s Animal House (CBSC Decision 96/97-0104, December 16, 1997)8Ce film relate les péripéties de collégiens membres d’une fraternité, la Delta House. Une bonne part de l’action du film tourne autour de leurs frasques sexuelles en tout genre.. Dans cette décision, on exprime une définition très intéressante de l’exploitation:
It is essential to remember that the principal goal of the Sex-Role Portrayal Code relates to the equality of the sexes and not to issues of sexual behaviour which do not go to equality or exploitation, which is itself a form of inequality.
While the portrayal of the women in the film is not overly flattering, it cannot either be said that the portrayal of the men is any better or advantages them in any way. All in all, the presentation of almost every one of this group of young college people is as unflattering as one might expect from a film emphasizing the frivolous, narcissistic, often gross, occasionally disgusting portrait of college fraternity life which can best be characterised as high farce. The question of portrayal inequality does not come into play.
[Nous traduisons] Il est essentiel de se rappeler que le but principal du Code d’application concernant les stéréotypes sexuels à la radio et à la télévision se rapporte à l’égalité des sexes et non pas aux comportements sexuels sans lien avec l’égalité ou l’exploitation qui, en elle-même, est une forme d’inégalité.
Bien que la représentation des femmes dans le film ne soit pas très flatteuse, on ne peut pas non plus dire que la représentation des hommes soit meilleure ou les favorise de quelque façon. Somme toute, la présentation de pratiquement tous les membres de ce groupe de jeunes universitaires est aussi navrante que l’on pourrait le prévoir d’un film faisant le portrait frivole, narcissique, souvent cru, voire répugnant, de la vie dans les fraternités de collège et qui, au mieux, peut être qualifié de grosse farce. La question de l’inégalité de représentation n’est pas en jeu.
Il semble donc que caricaturer de façon grossière certains comportements sexuels dans le but d’en faire un produit commercial ne soit pas de l’exploitation. De même, le recours volontaire aux stéréotypes sexuels n’est pas de l’exploitation en autant que tous les groupes représentés le soit de façon «équitablement» négative.
Dans un autre registre, il semble aussi que concevoir une émission visant à présenter des femmes nues ou à demi-nues ne représente pas une problématique d’exploitation des femmes, même si le gain économique potentiel lié à ce type de contenu soit assez facile à envisager. Dès 1994, le CCNR va trancher cette question dans la décision CITY-TV re Fashion Television (CBSC, decision 93/94-0176). Cette décision deviendra par la suite un standard de référence dans les causes ultérieures offrant des éléments de similitude.
Dans cette affaire, l’émission en cause, «Fashion Television», présentait le monde de la mode à travers des entrevues avec des mannequins et des gens du milieu, mais surtout le «quotidien» des mannequins, tel que des défilés de maillots et des changements de vêtements en coulisse. L’émission montrait des scènes où l’on pouvait voir les mannequins très peu habillées, voire seins nus. Selon la plainte, ces éléments, de même que l’apologie du mannequin en tant que modèle féminin, contrevenaient à l’article 4 du Code d’application concernant les stéréotypes sexuels à la radio et à la télévision alors en vigueur. Cet article visait à restreindre les contenus cherchant à exploiter la sexualité des femmes et définissait cette exploitation comme étant, entre autres, la représentation de femmes peu habillées, adoptant des attitudes aguicheuses. Ce code a été remplacé en 2008 par le Code sur la représentation équitable.
Le comité ne retint aucun des éléments liés à l’exploitation de la nudité. Il s’intéressa plutôt aux arguments développés par le diffuseur qui soutenait l’idée que l’émission faisait la promotion d’une image positive de la femme à travers des mannequins épanouies et en pleine possession de leurs moyens. Dans sa décision, très peu étoffée par ailleurs, le comité conclut que le recours à la nudité ne constituait pas une forme d’exploitation, même si cette nudité faisait partie des éléments importants du contenu.
Une décision rendue en 2000 par le Comité régional du Québec dans TQS concernant le long-métrage Strip Tease (décision du CCNR 98/99-0441)9Ce film présente les mésaventures d’une agente du FBI, incarnée par Demi Moore, qui trouve un travail d’effeuilleuse après avoir perdu son poste. restreindra et explicitera davantage la notion d’exploitation. Il y est écrit: «Dans son acception plus moderne, la pornographie suppose l’exploitation des faibles par les plus forts dans un contexte obscène ou libidineux. Or, le matériel faisant l’objet de la plainte est totalement dénué de ces connotations.»
En résumé, il est manifeste que, sur la base de la jurisprudence considérée aux fins de la présente recherche, exposer la nudité féminine dans un contexte que l’on peut qualifier de racoleur ne constitue pas de l’exploitation. De même, exploiter la nudité et la sexualité féminines à travers des représentations stéréotypées ne constitue pas de l’exploitation si les comportements masculins sont aussi caricaturés. Finalement, un film peut montrer des scènes sexuellement explicites et exploiter des stéréotypes sexuels, mais il n’y aurait pas exploitation dès que le contenu n’est pas jugé pornographique à proprement parler. Le critère de l’exploitation apparaît donc ici des plus étroits.
De plus, notre analyse fait ressortir une définition de la pornographie qui dévie du sens général qui lui est généralement donné. Ainsi que les juges de la Cour suprême l’ont eux-mêmes écrit dans Butler c. la Reine, la pornographie désigne aussi: «les choses sexuelles explicites, non accompagnées de violence, qui ne sont ni dégradantes ni déshumanisantes».
Or, sans être indue au sens criminel du terme, cette forme de pornographie peut très bien être discriminatoire. En d’autres termes, les comités du CCNR ne semblent pas avoir pris en compte que la Cour suprême ne s’est jamais prononcée sur les aspects discriminatoires de la pornographie, par exemple au sens des chartes, mais uniquement sur la situation où la représentation pornographique est abusive au point d’en être criminelle. Il ne nous paraît pas justifiable que le CCNR adopte une telle norme de droit, alors qu’il n’est pas de son mandat de juger si les représentations pornographiques qu’il a à analyser constituent des actes criminels au sens de la loi.
Conclusion
Bien que l’échantillon sur lequel porte notre analyse soit restreint, il s’avère déjà pour le moins révélateur. La poursuite du travail de recherche nous permettra de le compléter et de mettre ces premiers résultats en perspective. Par contre, il est d’ores et déjà évident qu’une partie du problème quant à l’évaluation d’un stéréotype «indûment» négatif se situe dans la compréhension qu’ont les organismes d’autorégulation de la notion même d’exploitation et de leur degré de tolérance face au matériel à caractère sexuel.
Il faut souligner la résilience des organismes d’autorégulation canadiens, qui ont su assurer depuis maintenant près de 60 ans la mise en place d’un cadre régulateur opérationnel. Dans d’autres pays, tels les États-Unis et l’Australie, ces organismes n’ont malheureusement pas survécu aux diverses pressions dont ils ont été victimes (Campbell, 2000). On doit reconnaître à l’autorégulation sa capacité à assurer une représentation plus équitable des divers groupes sociaux dans les médias, tout en protégeant ces médias des dangers d’une censure politique émanant du gouvernement du jour.
Toutefois, il faut se demander si cette pérennité du CCNR et du NCP n’est pas en partie attribuable au fait qu’ils possèdent, somme toute, un pouvoir relativement limité quand vient le temps de mettre au pas une industrie récalcitrante. On remarque, à l’analyse des décisions étudiées, une certaine timidité, c’est le moins que l’on puisse dire, lors de la mise en œuvre des principes de non-discrimination. Et on comprend bien, en regardant les contenus touchés, quels sont les enjeux économiques liés à l’exploitation des stéréotypes sexuels. Serait-il si difficile de concilier non-discrimination et recherche de rentabilité?
De façon générale, la question de la volonté de ces organismes à combattre des stéréotypes sexuels mérite d’être posée. Le recours aux représentations stéréotypées est aussi une affaire d’argent et de cotes d’écoute.
Références
Doctrine
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DESCHENEAU-GUAY, Amélie. 2006. «Les séries jeunesse et les stéréotypes sexuels : la récupération de l’idée d’émancipation et l’émergence d’une culture du consensus», Recherches féministes, vol. 19, n° 2, p. 143-154.
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OGILVIE, Margaret-H.1982, Historical Introduction to Legal Studies, Toronto: Carswell.
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Décisions CCNR
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Autres
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http://www.ccnr.ca/francais/documents/annreports/annreport-2007-2008.pdf (consulté le 29 août 2011)
Code canadien des normes de la publicité. En ligne: http://www.adstandards. com/fr/Standards/canCodeOf AdStandards.aspx#unacceptable (consulté le 20 juillet 2011)
Code sur la représentation équitable (2008), Code sur la représentation équitable de l’Association canadienne des radiodiffuseurs, Conseil canadien des normes de la radiotélévision. En ligne: http://www.ccnr.ca/francais/codes/epc.php#clause4 (consulté le 29 août 2011)
Rapport CDPDJ 2009-2010, Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, Rapport d’activités et de gestion 2009-2010. En ligne: http://www2.cdpdj.qc. ca/publications/Documents/Rapport_ activites_gestion_2009-2010.pdf (consulté le 29 août 2011)
Sex Role Portrayal Code for Television and Radio Programming. En ligne: http://www.cbsc. ca/english/codes/sexrole.php (consulté le 29 août 2011)
Site du CCNR: http://www.ccnr.ca/francais/index.php (consulté le 29 août 2011)
- 1Subvention du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH), projet intitulé: «La lutte aux stéréotypes sexistes, le droit à l’égalité et les médias; la gestion du droit à l’égalité dans un contexte d’autorégulation».
- 2Une étude des liens entre le CRTC et ces organismes a été développée dans un article antérieur: Rachel Chagnon et Paméla Obertan, «Le droit à l’égalité et la lutte aux stéréotypes sexuels et sexistes, un arrimage difficile» (2010).
- 3Site Web du CCNR, http://www.cbsc.ca/francais/decisions/index.php, consulté le 21 mars 2012.
- 4La jurisprudence est l’ensemble des décisions rendues par les tribunaux. Elle joue un rôle majeur dans l’interprétation et l’évolution du droit (http://www.justice.gouv.qc.ca/francais/sujets/glossaire/jurispr.htm, consulté le 7 novembre 2011).
- 5Cette décision traite une plainte déposée contre l’animateur de radio Howard Stern en lien avec de multiples interventions sexistes ayant eu lieu dans l’une de ses émissions, entre autres contre une animatrice de télévision, Mary Hart.
- 6Monsieur Donald Butler, habitant de Winnipeg au Manitoba, est le propriétaire d’une boutique spécialisée dans la vente et la location de matériel pornographique. Plus de 200 chefs d’accusation seront déposés contre lui par la police de Winnipeg, chefs d’accusation portant principalement sur la vente et la possession de matériel obscène. Il sera acquitté de la plupart des chefs d’accusation mais condamné de possession et distribution de matériel obscène au regard de tout le matériel à caractère sadomasochiste vendu dans sa boutique.
- 7Résumé du film: «La Chiave Del Placere raconte l’histoire d’un homme qui tient, de concert avec ses amis, des rencontres sexuelles dans la maison de son patron pendant que celui-ci est absent. Le film montre des hommes et des femmes en divers états de déshabillement qui se livrent à différents genres d’activité sexuelle» (http://www.cbsc.ca/francais/documents/prs/2007/070529.php, consulté le 5 août 2011).
- 8Ce film relate les péripéties de collégiens membres d’une fraternité, la Delta House. Une bonne part de l’action du film tourne autour de leurs frasques sexuelles en tout genre.
- 9Ce film présente les mésaventures d’une agente du FBI, incarnée par Demi Moore, qui trouve un travail d’effeuilleuse après avoir perdu son poste.