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L’ambivalence de la relation père-fils, entre bouffonnerie sympathique et initiation poétique
Très populaires à l’époque de leur publication, les livres didactiques de la série Rollo de Jacob Abbot (1803-1879) offrent un exemple du rôle confié au père dans la littérature jeunesse au XIXe siècle. Figure tutélaire par excellence, le père de Rollo, détenteur d’une autorité juste, mais ferme, chaperonne son fils dans les différentes étapes de son processus éducatif:
Rollo’s father is the chief disciplinarian who has the responsibility of equipping Rollo to take his place in the social order. […] Since the training of children is so important, it comes as no surprise that the father is a central figure in his son’s life—more involved, indeed, than is Rollo’s mother. […] He provides for his son’s physical and spiritual needs (as he sees them). (Berry: 102)
L’initiation présidée par la figure paternelle donnera lieu dans cette œuvre à la maturation d’un protagoniste prêt à endosser une identité masculine conforme aux attentes de la société: «No longer under adult supervision, Rollo takes on the role of a father himself, protecting and educating his younger sister. […] Rollo is ready to take his father’s place.» (Berry: 104) La relation tissée par Jacob Abbot entre les deux protagonistes permet à terme au garçon d’assumer l’autorité patriarcale cédée par son père. Transmise de père en fils, l’identité paternelle se réincarne en Rollo, sur qui repose la perpétuation de la lignée.
L’album jeunesse est un médium prédisposé à présenter des récits de formation juvénile où, comme dans la série Rollo, un parent fait office d’accompagnateur. Intimement lié à l’apprentissage de la lecture, l’album a «un rôle initiatique de premier ordre: premier livre, il répond à la quête de sens de l’action humaine.» (Brugeilles, 2002: 265) Il apparait donc naturel que la figure paternelle soit largement investie au sein de ce genre littéraire. Ainsi que l’a observé Isabelle Patouillot, «les pères occupe[nt] une large part dans les livres pour enfants». (Patouillot: 68) Parmi les œuvres dans lesquelles ils apparaissent, nombreuses sont celles qui portent sur les relations privilégiées qu’ils entretiennent avec leurs fils: «les papas de la littérature jeunesse actuelle sont ceux avec lesquels, que l’on soit fille ou garçon (bien que la relation père-fils semble plus souvent relatée), on vit l’aventure d’être soi.» (Patouillot: 51)
Prenant pour objet des albums centrés sur le lien père-fils, cette étude propose d’interroger les caractéristiques du cadre relationnel sous-jacent à la formation d’une identité masculine à l’intérieur d’une production qui, comme l’ont noté Christiane Connan-Pintado et Gilles Béhotéguy, «se révèle toujours suspecte de propager des représentations qu’on espérait révolues». (Connan-Pintado et al.: 17) Dans les albums jeunesse publiés au Québec, plusieurs histoires sont présidées par des figures de pères à la personnalité opposée: on trouve, d’un côté, des aventures cocasses mettant en scène des pères bouffons et infantiles, irresponsables ou maladroits et, de l’autre, des récits initiatiques et poétiques où un père sage et bienveillant chapeaute les apprentissages de son fils et accompagne son élévation littérale ou symbolique. Nous nous intéresserons à la polarisation des archétypes paternels dans ces albums, en mettant en évidence les différentes esthétiques qui les sous-tendent.
Le corpus à étude sera constitué d’albums indexés à l’aide du sujet «pères et fils» dans le catalogue de l’Espace Jeunes de Bibliothèque et Archives nationales du Québec. Quatre-vingt-dix œuvres sont comprises dans cette catégorie. Bien que la présence du père, qui apparaît souvent dans les albums jeunesse en tant que personnage secondaire, soit loin d’être limitée à cette sélection, la thématique père-fils nous permettra de nous concentrer sur des œuvres dont la diégèse s’articule explicitement autour du lien filial masculin. Cinq œuvres feront l’objet d’une analyse approfondie, choisies en raison de leur représentativité. Ces œuvres condensent en effet des caractéristiques récurrentes du rôle paternel et de la relation filiale dans les albums jeunesse au Québec. Papa, réveille-toi de Robert Munsch et Micheal Martchenko (1987), Le souper de papa de Luc Durocher et Paul Roux (2005) et Petit héros boit sans dégâts de François Barcelo et Marc Mongeau (2010) seront analysés dans la première partie. Ancrées dans l’espace domestique, ces trois œuvres racontent des histoires comiques où un père maladroit se signale par sa niaiserie lors d’une activité entreprise avec son fils. Dans une série de péripéties familiales déclenchées à l’initiative de l’adulte, les actions transgressives de celui-ci lui permettent de tisser un lien de proximité avec son fils. Les albums Tous les soirs du monde de Dominique Demers et Nicolas Debon (2005) et L’oiseau des sables de Dominique Demers et Stéphane Poulin (2003) feront l’objet de la seconde partie. À l’inverse du rôle ludique et cocasse endossé par le père dans les œuvres précédentes, la fonction paternelle s’y exerce par le partage d’un savoir: nous verrons que la filiation entre le personnage du père et sa progéniture masculine se manifeste à travers la transmission d’un legs poétique dans des scènes initiatiques qui associent la figure paternelle à une forme d’autorité spirituelle.
Une filiation carnavalesque
Dans la présentation d’un dossier consacré il y a une trentaine d’années par le périodique Children’s Literature Association Quarterly aux fictions paternelles, Claudia Nelson constatait le rôle problématique de la paternité dans l’édification de la masculinité en littérature jeunesse:
Clearly our culture feels considerable anxiety about fatherhood […]. We can trace the rise of this concern, as we can follow so many cultural obsessions, in the pages of literature for children, a genre that is of course designed in part to explain to its young readers their position within the family and the larger world. (Nelson: 98)
Pour Robert Bly, auteur du populaire et controversé Iron John: A Book About Men, la crise de la masculinité serait due à l’absence de modèles conséquents: «The ancient societies believed that a boy becomes a man only through rituals and effort – only through the “active intervention of the older men”. It’s becoming clear to us that manhood doesn’t happen by itself.» (Bly: 15) La carence d’une présence paternelle forte est l’une des principales complaintes du livre de Bly: «Not seeing your father when you are small, never being with him, having a remote father, an absent father, a workaholic father, is an injury.» (31) Les problèmes qui découleraient de tels manquements des pères sont pourtant évacués des albums québécois contemporains. Comme en témoigne la série Zunik de Bertrand Gauthier, dès les années 1980, les nombreux pères présents dans les albums jeunesse au Québec entretiennent une relation privilégiée avec leur garçon et participent activement à leur quotidien1On trouvera des exemples plus récents de cette relation privilégiée dans les albums Les devoirs d’Edmond d’Edmond Léger et Julie Rocheleau (2022) et Thomas de Martine Arpin et Claude K. Dubois (2020), où des pères accompagnent leur garçon dans le processus de deuil qui suit le décès de la mère.. Du côté de l’Hexagone, les recherches de Sylvie Cadolle font état d’une situation similaire: «Dans la littérature enfantine comme dans les fictions télévisées étudiées, on peut être frappé par la fréquence avec laquelle les auteurs mettent en scène un garçon élevé par son père alors que cette situation est exceptionnelle.» (Cadolle: 29) Parfois maladroits, mais toujours bienveillants2Dans les cas plus rares où un père fictif présente un comportement problématique à l’égard de son fils, la fin du récit témoigne généralement d’une réconciliation, qui passe par la prise de conscience des effets néfastes des actes de l’adulte. C’est le cas dans les albums Comment devenir un parfait chevalier en 5 jours de Pierrette Dubé et Caroline Hamel (2008) et Parle, petit loup de Claudie Stanké et Barroux (2008)., ces pères fictifs libérés des carcans de l’identité masculine disposent d’un ethos différent de celui traditionnellement associé à l’autorité paternelle. Comme l’a observé Stéphane Bonnéry dans des albums jeunesse publiés en France à partir des années 1970, «les deux modèles […] de la masculinité, virilisme brut ou productif, sont disqualifiés dans la fraction “légitime” de la littérature de jeunesse». (Bonnéry: 220)
Décontractés, les pères sont représentés de manière positive dans la plupart des albums édités au Québec, et ce, grâce au lien de proximité qu’ils entretiennent avec leurs enfants. Faisant souvent preuve d’une grande tempérance, ils s’investissent dans le quotidien de ceux-ci au sein d’activités où le jeu occupe une place prédominante. Par exemple, dans Bon bain, mon petit ourson chéri! d’Alain M. Bergeron et Francis Boulanger (2005), un papa ours prend part à l’éducation de son ourson en voulant lui faire prendre un bain. Cette corvée anodine devient une aventure distrayante aux yeux d’un fils qui ne facilite pas la tâche à son père. Celui-ci apparaît dès lors comme le complice de son enfant, voire comme un double qui se signale par son caractère infantile. C’est aussi le cas dans Papa a peur des monstres de Sophie Rondeau et Louise-Andrée Laliberté (2009), où l’angoisse nocturne de l’enfant-narrateur est projetée sur le père. Doté d’une personnalité à mi-chemin entre l’homme et l’enfant, le père de ce récit est relégué au même statut que son garçon dans la scène finale, où la mère fait la lecture à son conjoint au moment du coucher.
Publié initialement au Canada anglais sous le titre 50 Below Zero en 1986, Papa, réveille-toi de Robert Munsch et Micheal Martchenko3Une nouvelle adaptation en français de cet album est parue à Toronto chez Scholastic en 2013. porte sur les mésaventures d’un père somnambule. En le suivant dans ses déplacements imprévisibles, son fils tente de trouver une solution aux errances nocturnes de l’homme. Le texte, auquel les pages de gauche sont réservées, anime par son aspect performatif les illustrations disposées sur les belles pages. L’écriture de Robert Munsch multiplie en effet les dialogues, les onomatopées, les signes de ponctuation forte (points d’exclamation, d’interrogation, de suspension) et les choix typographiques (majuscules, mots en gras) propres à conférer à l’album une forte dimension sonore. Les nombreux marqueurs d’oralité dont le texte est parsemé dynamisent la lecture à voix haute de l’album et accentuent son aspect humoristique, qui repose largement sur l’inversion des rôles attribués au père et au fils. À la deuxième double page, après avoir aperçu son père perché sur le haut du réfrigérateur, Guillaume s’écrie: «On devient complètement fou ici!» (s.p.) Reprise plus d’une fois dans les pages suivantes, cette phrase souligne l’absurdité d’une situation où l’enfant est celui qui désapprouve les extravagances de l’adulte. Par ses décisions sensées et son caractère prévoyant, le fils parviendra à assurer la sécurité de son père. Après avoir constaté la disparition de celui-ci en plein hiver, le jeune Guillaume entreprend de le sauver: «“Aïe! Dit Guillaume. Mon père n’a que son pyjama! Il va être transformé en bloc de glace.” Guillaume met alors trois habits de neige, trois manteaux, six paires de chaussettes et une paire de bottes très chaudes. Il sort dans la neige et suit les traces de pas.» (s.p.) La dimension comique du récit atteint son paroxysme lorsque Guillaume tente de faire prendre un bain à son père après l’avoir rapatrié à la maison.
Papa, réveille-toi suit ainsi une logique carnavalesque, où les responsabilités parentales sont assumées par l’enfant et où le comportement infantile est celui de l’adulte. Dès l’ouverture du récit, les frasques nocturnes du père tirent le garçon d’un paisible sommeil. C’est aussi dans un monde à l’envers que Guillaume trouve plus tard la force requise pour tirer le long corps de son père au sommet de la galerie, puis pour l’amener jusque dans la baignoire. À la septième double page, alors que l’illustration montre Guillaume qui s’attèle à la tâche difficile de tirer son père par les pieds du haut des marches, la disposition en escalier de l’onomatopée «glou» sur la page de gauche crée un effet de symétrie entre texte et image (figure 1). Cette disposition inverse la logique de l’action évoquée par l’onomatopée (un bain qui se remplit), la montée des six «glou» allant à l’encontre des lois de la gravité. Ce jeu graphique fait écho, sur le plan formel, à l’aspect carnavalesque de la diégèse.
Par son corps longiligne et ses maladresses, le père de Papa, réveille-toi incarne la figure du grand dadais par excellence. Tout au long de l’histoire, son corps de gringalet sert la dimension humoristique des illustrations. L’étymologie du terme «gringalet», autrefois utilisé pour désigner un «bouffon amusant4Centre national de ressources textuelles et lexicales. Article «Gringalet». En ligne. https://www.cnrtl.fr/etymologie/gringalet», est révélatrice de la logique carnavalesque que le récit articule autour du corps de l’homme. La «grande personne» (au sens figuré) qu’il est censé être est tournée en ridicule par une représentation visuelle qui frôle la caricature. Son absence de crédibilité dans son rôle parental est rendue visible par la bouffonnerie inhérente à son corps longiligne. Elle se donne également à voir dans la deuxième et la dernière illustrations, où père et fils dorment chacun sur le réfrigérateur de la cuisine (figures 2 et 3). Recroquevillés sur le haut de l’appareil ménager dans une position similaire, les deux protagonistes arborent une expression faciale souriante, illuminée d’un halo blanc. Les traits de l’homme ont un aspect juvénile qu’accentue la dissimulation de sa barbe par son bras. Les visages des deux personnages se ressemblent, ce qui, à la relecture de l’album, infantilise davantage encore le père. À la fin du récit, après avoir été réveillée par un bruit provenant de la cuisine, causé cette fois par Guillaume, la mère constate l’étrange scène où Guillaume a remplacé son père sur le réfrigérateur, alors que celui-ci est attaché au milieu de la pièce par une corde. Aux yeux de la mère, père et fils apparaissent fautifs d’une espièglerie commune, qui souligne leur filiation.
La prise en charge des tâches ménagères semble un contexte propice à la mise en scène de la bouffonnerie paternelle. Le souper de papa de Luc Durocher et Paul Roux porte sur les tentatives culinaires d’un homme complètement inapte en la matière. Son fils, plongé malgré lui dans un charivari gastronomique, sera témoin de ses frasques maladroites et tentera de lui venir en aide. Loin de la séparation nette et ordonnée entre texte et image de l’album précédent, Le souper de papa est caractérisé par un bariolage iconographique qui fait honneur au chaos domestique relaté. Les mésaventures désopilantes des deux protagonistes sont ponctuées de nombreux jeux de mots, dont le ton est donné dès l’incipit: «Quand papa fait la cuisine, il a vraiment le don de se mettre les pieds dans les plats…» (s.p.) Lorsque le père brûle des filets de poisson en oubliant de les sortir du four, le paragraphe qui décrit la scène précise: «Un autre plat qui finit en queue de poisson!» (s.p.) Les rapprochements sémiotiques soulignent la confusion qui règne dans la cuisine, comme dans le passage suivant, où le champ lexical capillaire est exploité de manière à surjouer le caractère échevelé de la scène:
Mon paternel est têtu. Il y tient, à sa soupe. À présent, il s’affaire à jeter plein de légumes dans le bouillon de poulet. Il brasse, brasse, brasse encore le bouillon. Soudain, il s’arrête net! Sa perruque est tombée dans la soupe et elle flotte! Comme je ne manque pas de toupet, je lui dis que sa soupe n’est pas vraiment au poil. J’ai passé à un cheveu de le faire rire… (s.p.)
La tonalité humoristique du texte est nourrie par l’aspect mouvementé de son iconographie, auquel participe l’incursion du texte dans l’image: des procédés empruntés à la bande dessinée (phylactères, onomatopées incorporées à même les illustrations) exploitent le potentiel sonore de l’album et de nombreuses indications écrites (notes collées au mur, enseignes commerciales, inscriptions sur les récipients alimentaires, aimants apposés au réfrigérateur) sont disséminées au fil des scènes. Dès la première double page, le père, vêtu d’un tablier sur lequel on lit le mot «Chef», est entouré d’un nombre extravagant de livres de cuisine, dont plusieurs affichent un titre lisible (figure 4). Ces titres sont tantôt anecdotiques ou légèrement excentriques (L’œuf, Le navet, L’encyclopédie du spaghetti), tantôt complètement loufoques (La pizza inuit, Confitures à la viande, Les patates et le chocolat). Antinomiques, ceux-ci annoncent d’emblée le défi au bon sens que causera la bouffonnerie du protagoniste adulte. Signifié d’entrée de jeu par les immenses piles de livres posés pêle-mêle, le désordre progresse jusqu’à l’apocalypse finale, à laquelle même les animaux domestiques prennent part. Comme l’indique la disposition renversée des derniers mots du paragraphe décrivant l’énorme dégât causé par le père, «le résultat est renversant!» (s.p., figure 5)
De par sa volonté de tempérer les actions désastreuses de son père, le garçon du Souper de Papa joue un rôle similaire à celui de Papa, réveille-toi. Il s’inquiète dès le début du récit, anticipant le chaos que risque de causer son père: «Il dit que ce sera le meilleur repas de ma vie. Moi, je dois bien avouer que ça m’inquiète un peu.» (s.p.) La diégèse des deux œuvres rend compte d’un rapport familial similaire, où le père fait figure de trouble-fête ou d’incompétent de première classe, dont la sécurité dépend de la surveillance qu’exerce sur lui son propre fils. Les remarques de Sylvie Cadolle sur les pères dans les livres pour enfants en France témoignent du fait qu’on y trouve des relations filiales et des personnalités paternelles semblables à celles observées dans ces deux albums: «Le père est très souvent représenté infantile, faible, un peu ridicule et irresponsable, même s’il est gentil et adore son fils […]. L’enfant est plus raisonnable et réfléchi que son père.» (Cadolle: 30). Celui du Souper de Papa est un gringalet binoclard, dont les immenses lunettes donnent à ses yeux une expression caricaturale qui accentue son allure bouffonne. La tignasse brune et ébouriffée des deux personnages et les rougeurs qui teintent leurs expressions faciales les font se ressembler en dépit de leurs différences notables de maturité. À la fin du récit, après avoir abandonné le projet de cuisiner par eux-mêmes, le père et le fils arborent la même mine ébahie en constatant les nombreuses similarités que présente avec leurs plats ratés le menu du restaurant où ils sont attablés (figure 6). Solidaires dans leur cuisant échec culinaire, l’homme et l’enfant apparaissent dans cette scène finale comme le reflet l’un de l’autre, donnant l’impression que les étourderies du premier sont venues solidifier leur lien de filiation.
À l’instar des deux albums analysés jusqu’ici, Petit héros boit sans dégâts de François Barcelo et Marc Mongeau s’articule autour d’une activité initiée par le père. En tentant d’apprendre à son fils à boire sans son biberon, l’homme incarne un modèle d’autorité qui encourage sa progéniture à quitter le monde de la petite enfance pour devenir un homme5Saperlifourchette! de Roxane Turcotte et Lucile Danis Drouot (2017) présente un scénario similaire, où un père apprend à son garçon à manger avec une fourchette. Bien que le père de cet album soit plus futé et moins caricatural que celui de Petit héros boit sans dégâts, son intervention prend une tournure cocasse vers le milieu du récit lorsqu’il est aspergé par son fils dans la salle à manger: «Papa est victime d’une tempête de bave aux œufs. J’écope d’une tornade de “Saperlipopette!”» (s.p.): «“Bibi, tu n’es plus un bébé. Il est temps que tu boives dans un verre, comme ton père”.» (s.p.) Les lettres tracées à l’encre noire, nonchalantes et juvéniles, participent à la construction d’une esthétique enfantine qui donne un cadre conséquent aux mésaventures des protagonistes. Après que le père est parvenu à faire boire correctement à l’enfant un verre de jus de raisin que celui-ci confond avec du vin, un gros plan montre Bibi arborant fièrement la trace mauve laissée par le liquide sur le haut de ses lèvres: «le plus amusant, pour Bibi, c’est qu’en buvant dans un verre on se fait de belles moustaches.» (s.p.) La fierté que tire Bibi de ces «belles moustaches», qui substituent au lait, propre au monde maternel, ce qu’il présume être une boisson alcoolisée consommée par son père, met en évidence le lien père-fils que thématise l’album.
Contrairement aux gringalets des deux albums précédents, le père de Petit héros boit sans dégâts a un physique imposant. Sa taille disproportionnée par rapport à celle de Bibi, ses longs bras qui traversent la double page pour soulever celui-ci (figure 7), sa moustache et sa barbichette rendent tout de suite visible sa masculinité et instaurent, dans les premières pages de l’album, un rapport de force entre lui et l’enfant, que nourrit également la taille gigantesque du «beau grand verre» perçu par celui-ci quand son père le lui tend. Or la prestance initiale du père apparaît rapidement trompeuse, texte et images mettant surtout l’accent sur la personnalité naïve et amusante du protagoniste. Relégué à l’arrière-plan dans plusieurs des illustrations, le père s’avère incapable de faire boire son fils «sans dégâts» dans les premières pages de l’album, contrairement à ce qu’annonçait le titre. La propreté initiale de l’espace domestique laisse progressivement place à un désordre monumental, que le père feint d’ignorer au moment où il annonce le résultat de son entreprise à sa conjointe consternée: «Et quand sa maman est rentrée, le papa de Bibi s’est écrié: “Regarde, chérie, notre Bibi boit dans un verre!”« (s.p.) À la double page suivante, l’homme est accroupi sous la table et s’affaire à nettoyer les dégâts derrière son fils, qui se tient debout au premier plan (figure 8). L’inversion des rôles et des proportions accentue le ton humoristique d’une fin où, une fois de plus, la figure paternelle se révèle, malgré ses bonnes intentions, un nigaud qui fait les frais d’un certain manque de jugement.
De «nouveaux pères» à bouffons de service
Dans Papa, réveille-toi, Le souper de papa et Petit héros boit sans dégâts, l’humour a partie liée avec le renversement d’une figure d’autorité parentale. Les actions de ces pères fictifs peinant à assumer leurs responsabilités transgressent les règles auxquelles on soumet normalement les enfants, comme se coucher à une heure décente dans Papa réveille-toi, rester attentif lors de la cuisson d’aliments dans Le souper de Papa et manger proprement à table dans Petit héros boit sans dégâts. L’incapacité de ces figures parentales masculines à faire régner l’ordre domestique et à ne pas être un danger (pour eux-mêmes ou pour les autres) met à mal l’idéal du «nouveau père» proposé aux familles dans l’espace public. Comme l’ont observé Carole Brugeilles et Pascal Sebille, «[l]e modèle de “nouveau père”, participant à la fois aux activités au sein du ménage et s’investissant dans l’éducation des enfants», est présenté depuis les dernières décennies du XXe siècle6Pour une synthèse des travaux sur le modèle du «nouveau père» au Québec, voir Gossage: 57-62. «comme une innovation gage d’égalité au sein des couples». (Brugeilles et al., 2013: 24) Contrairement aux modèles plus ou moins révolus du «père pourvoyeur» et du «père disciplinaire» (Gossage: 58-62, 67-70), le «nouveau père» se signale par le partage de tâches domestiques, y compris les soins des enfants, de même que par «le contenu émotif de sa relation parentale», qui doit être «riche et valorisant, tant pour lui-même que pour ses enfants». (Gossage: 60) Dans les faits, la reconfiguration des rôles parentaux que ce modèle suppose demeure cependant largement illusoire. Comme le rappellent Carole Brugeilles et Pascal Sebille dans une étude de 2013,
les femmes sont demeurées très majoritairement les actrices principales des tâches domestiques et des activités parentales, et la concrétisation d’une nouvelle conception de la paternité, où les pères s’investiraient massivement dans les soins et l’éducation des enfants, reste un objectif lointain. (Brugeilles et al., 2013: 24)
Par leur humour fondé sur l’incapacité d’un homme à jouer efficacement son rôle de «nouveau père7On trouve un autre exemple de cela dans le premier volume de Zunik de Bertrand Gauthier et Daniel Sylvestre (2010), où un père monoparental tarde à se réveiller pour aller conduire son garçon à une partie de hockey. Pour arriver à l’heure, Zunik est contraint de mettre lui-même un terme à la flânerie matinale de son père: «je dois le réveiller si je ne veux pas être en retard. Ma partie commence à dix heures. […] J’ai réussi à le réveiller. Il fallait tout de même se dépêcher.» (s.p.)», les trois albums étudiés jusqu’ici disent à leur manière l’échec de la promesse égalitaire portée par cet idéal. Dans Le souper de papa et Petit héros boit sans dégâts, la tâche ménagère entreprise par le père tourne rapidement, comme nous l’avons vu, au fiasco. L’incurie paternelle (qu’elle soit momentanée, comme dans l’histoire de Bibi, ou non) a cependant pour effet de transformer une tâche domestique en une activité ludique. À défaut d’être toujours utiles, les pères de ces albums s’amusent, amusent leurs enfants ou, à tout le moins, font rire les jeunes lecteurs. Cette dimension récréative de leurs mésaventures fait écho à certaines observations de Carole Brugeilles, Isabelle Cromer et Sylvie Cromer sur les représentations du masculin et du féminin dans un corpus composé de 537 livres illustrés pour enfants édités en France en 1994. Elles ont remarqué que les pères y «sont plus souvent impliqués dans des relations de jeux» avec leurs filles et leurs fils que les mères (2002: 288). Celles-ci, en revanche, sont «davantage mises en scène que les pères dans les actions de la vie courante (nourrir, habiller, laver, coucher, promener…)». (288) Dans Papa, réveille-toi, Le souper de papa et Petit héros boit sans dégâts, les mères, dans le rôle stéréotypé de la bonne ménagère, brillent sinon par leur absence, du moins par la discrétion de leur présence. Leur retrait momentané au sein de l’espace domestique révèle l’incapacité des pères à assumer à eux seuls la charge de leur enfant. Livrés à eux-mêmes, les pères de ces albums s’avèrent plus irresponsables que leurs fils. Dans Le souper de papa, le départ de la mère est d’ailleurs l’élément déclencheur de l’histoire: «Puisque maman est partie pour la fin de la semaine, c’est lui [papa] qui va préparer le souper.» (s.p.) Les aventures de Bibi le «petit héros» débutent de manière similaire, c’est-à-dire «[u]n jour, pendant que sa maman était sortie». (s.p.) Quant à la mère de l’album Papa, réveille-toi, elle n’est évoquée qu’à la toute fin de l’histoire, au moment où elle se réveille à son tour et découvre les deux protagonistes endormis dans la cuisine. Le dénouement de Petit héros boit sans dégâts suit une logique similaire, la mère y constatant avec effarement le désordre causé par son conjoint et par son fils à son retour chez elle. En ordonnant à son mari de nettoyer les dégâts, elle se présente comme l’autorité du foyer, à laquelle le père, tel un enfant turbulent, se doit d’obéir sous peine d’être puni. Les «nouveaux pères» de ces œuvres sont représentés en somme comme des bouffons de service, voués à divertir les enfants plutôt qu’à les discipliner.
Une figure tutélaire
Les représentations de pères en bouffons sympathiques ne sont toutefois pas hégémoniques au sein des albums jeunesse québécois. Les histoires humoristiques sont contrebalancées par des œuvres dotées d’une esthétique fort différente, dans lesquelles des pères exercent une autorité qui détonne quand on la compare à l’immaturité des précédents. Les modèles masculins proposés dans ces albums s’apparentent à ceux observés par Stéphane Bonnéry dans des albums jeunesse publiés en France entre les années 1945 et 1970: incarnant «une masculinité maîtrisée» (Bonnéry: 219), le père y apparaît «rassurant, soit par la certitude, l’assurance, la fiabilité et la stabilité morales soit par sa force physique». (Bonnéry: 218) Sans pour autant sombrer dans les archétypes autoritaires des modèles patriarcaux, ces figures parentales masculines reconduisent une image spirituelle de la paternité fortement ancrée dans la chrétienté. Comme le rappelle Peter Gossage,
à une certaine époque, dans les milieux chrétiens, le père de famille incarnait l’autorité d’un Dieu dont la forme [était] la sienne; il était donc le chef spirituel de sa famille. […] [A]u Québec, il nous paraît assez clair que cette longue tradition chrétienne – celle qui fusionnerait les instances d’autorité divine et paternelle – persiste […] jusqu’à l’époque contemporaine. (Gossage: 65)
Ayant partie liée avec l’imaginaire religieux, la symbolique de l’élévation occupe une place prépondérante dans les relations père-fils de ces albums. La plupart des récits constitutifs de cette seconde tendance ont comme dénominateur commun de faire état d’un apprentissage résultant d’une progression verticale au sein de l’espace. Par exemple, dans Jabari Plonge de Gaia Cornwall (2020), un garçon accompagné de son père trouve le courage de sauter du plongeoir de la piscine municipale. Plusieurs autres albums disposent d’un cadre spatial où l’eau est prédominante et joue un rôle symbolique dans l’histoire initiatique du garçon. Dans Décroche-moi la lune de Marie-Francine Hébert et Mylène Pratt (2001), un papa généreux du nom d’Italo, incapable d’exaucer le souhait irréalisable de son fils Calvino, trouve le moyen de lui «décrocher la lune» grâce à sa sensibilité poétique. Les deux protagonistes, baignés par la réflexion de la pleine lune au milieu d’un lac, contemplent le ciel de leur barque à la fin du récit: «Il y a des moments, dans la vie d’un petit garçon, où rien ne vaut le clapotis de l’eau contre les flancs de la chaloupe de son papa.» (s.p.)
D’autres récits, sans nécessairement insister sur la symbolique de l’eau, entrainent l’enfant dans un espace où son père lui sert de guide. Tous les soirs du monde de Dominique Demers et Nicolas Debon porte sur l’entrée au pays des songes d’un garçon dénommé Simon, permise grâce au pouvoir de conteur de son père. Qualifiées de «formules magiques» (Demers et Debon: s.p.), les paroles de l’homme stimulent l’imaginaire de Simon jusqu’à provoquer son assoupissement final. À l’instar des albums analysés dans la première partie de cette étude, Tous les soirs du monde se déroule principalement au sein de l’espace domestique, plus particulièrement dans la chambre à coucher de Simon. Dans les illustrations, il n’est jamais donné au lecteur d’apercevoir le visage du père. Soit ce dernier ne figure pas sur l’image, comme lorsque Simon l’appelle pour qu’il vienne le border, soit seuls ses avant-bras et ses mains apparaissent, comme dans les images encadrées qui se focalisent sur les étapes du rituel du coucher, soit encore le «papa de Simon» (s.p.) est montré de dos, comme dans la dernière illustration à fond perdu, qui donne un plan d’ensemble de la chambre de l’enfant (figure 9). Conférant au personnage une aura mystérieuse, la mise en scène énigmatique de l’adulte permet de construire une figure type, peu individualisée, qui se donne à voir comme un parangon de la paternité8Dans Je parle comme une rivière de Jordan Scott et Sydney Smith (2021), la représentation physique du père est également énigmatique. Contrairement à certains attributs de sa masculinité mis de avant, tels que sa silhouette bâtie et sa pilosité, ses traits faciaux ne sont pas esquissés. En amenant son fils à se baigner dans une rivière loin des regards indiscrets, il le guérit de ses angoisses et de ses problèmes de langage..
Les images encadrées qui rendent compte de la procession soporifique de l’enfant contrastent avec les illustrations qui, celles-ci à fond perdu et recouvrant la totalité des doubles pages, font part des projections imaginaires de Simon. Ainsi que l’ont observé Maria Nikolajeva et Carol Scott, «frames normally create a sense of detachment between the picture and the reader, while the absence of frames (that is, a picture that covers the whole area of a page or a doublespread) invites the reader into the picture» (Nikolajeva et al.: 62). De même que Simon, le lecteur est plongé dans un monde onirique nourri par des jeux de variation typographique et par la disposition ondulée des phrases (figure 10). Grâce au pouvoir des mots prononcés par son père, Simon quitte l’espace clos de sa chambre pour des pays imaginaires. Autrement dit, les paroles paternelles le projettent au sein d’un ailleurs situé hors de l’espace domestique. Dans ses pérégrinations mentales, Simon est amené à visiter la faune et la flore de différents biomes de la planète bleue. Des savanes et des jungles, parcourues de lions et de panthères, jusqu’aux «toundras glacées» (s.p.) peuplées de caribous et de phoques, le voyage qu’entreprend Simon le propulse aux quatre coins du globe. Comme l’annonce la quatrième de couverture, le garçon opère une traversée planétaire: «Chaque soir, au coucher, Simon ferme les yeux pour mieux voir le monde. Guidé par son papa, il traverse les continents, le ciel et les océans pour s’assurer que tous les êtres vivants vont au lit, eux aussi.»
Tous les soirs du monde est présenté par l’éditeur sur la quatrième de couverture comme un «rituel poétique». Dans l’activité père-fils qui est relatée, l’adulte fait office d’initiateur et le garçon, d’initié. À la première page, la routine de Simon avant l’heure du coucher apparaît comme le préambule d’un rite : «C’est l’heure. Simon fait la grimace. Il enfile son pyjama, démêle ses cheveux, boit un grand verre de lait, se débarbouille de la tête aux pieds et se brosse soigneusement les dents.» (s.p.) À chacune de ces étapes de la routine décrite par le texte correspond sur la même page un portrait du garçon en action. La procédure rituelle suivra par la suite un rythme constant: texte et illustrations en recenseront chaque moment, qui sera suivi d’un nouveau voyage imaginaire de Simon. À cinq reprises, on apprend que «le papa de Simon remonte encore un peu les couvertures, étend ses grandes mains, les pose» sur le corps de son fils: sur ses pieds d’abord, sur ses genoux ensuite, puis sur son ventre, ses épaules et sa tête enfin (figure 11).
Ces passages mettent l’accent sur la dimension corporelle de la cérémonie. En bordant son fils des pieds à la tête, c’est-à-dire dans un mouvement ascendant, à l’aide de ses «grandes mains», le père apparait comme un passeur spirituel qui, par sa bénédiction, provoque l’envolée imaginaire de son fils. Allant de pair avec l’apparence énigmatique du père de Simon, la mise en scène du rite onirique auquel assiste le lecteur reconduit l’idée, ancrée dans l’imaginaire chrétien, d’une fusion entre l’autorité spirituelle et l’autorité paternelle. Comme le rappelle Peter Gossage, «la bénédiction paternelle du jour de l’An […] où les enfants à genoux recevaient sur leur tête l’imposition des mains du père qui priait Dieu de les combler de ses grâces» est une cérémonie qui, «dans la culture canadienne-française[,] symbolise [la] relation d’autorité et de soumission spirituelles». (Gossage: 65-67) Le rayon de lumière provenant de la lampe posée sur la table de chevet de Simon rend visible l’aspect spirituel de cette bénédiction. Dans l’illustration correspondant à la dernière étape du cérémonial, où Simon s’endort le corps couvert jusqu’au milieu du visage, les mains du père, posées sur la tête du garçon, sont nimbées du halo lumineux de la lampe. Un sens du sacré se dégage de cette image qui illustre le dénouement d’un moment privilégié entre l’enfant et un père mystérieux dont le corps, à l’exception des avant-bras, se trouve hors cadre.
L’emplacement de la chambre de Simon participe également au mouvement ascensionnel impliqué dans le rituel. Après avoir complété sa routine d’hygiène, Simon «monte l’escalier» pour se rendre à sa chambre. Cette ascension est rappelée lorsque le père rejoint son fils dans la pièce: «Tous les soirs du monde, le papa de Simon monte l’escalier, il s’installe à côté de son fils et se prépare à endormir la planète.» (s.p.) Un même mouvement d’élévation caractérise la double page consacrée aux oiseaux, où des dizaines de «grandes ailes se soulèvent». (s.p.) Les outardes qui y figurent sont reproduites sur la page de couverture et sur les pages de garde. Ces choix éditoriaux ne sont pas anodins: ils participent à la cohésion métaphorique du récit. Pour le dire avec Maria Nikolajeva et Carol Scott, «the covers of picturebooks signal the theme, tone, and nature of the narrative». (Nikolajeva et al.: 51) Comme l’indique l’envolée des outardes au-dessus du garçon assoupi sur la première page de couverture, le vol des oiseaux est associé à l’élévation onirique de Simon.
La symbolique des oiseaux apparaît dans un autre album écrit par Dominique Demers où un père fait aussi office de guide. Dans L’oiseau des sables, le cheminement de l’enfant-narrateur se termine le jour où il accède à son tour à la paternité. Lorsqu’il était un jeune garçon, le narrateur se fit offrir par son père cinq petites colombes de pierre ayant la capacité d’exaucer ses vœux. Ce legs, que le protagoniste utilise avec parcimonie après la mort de son géniteur, l’aide à surmonter les épreuves de sa vie et à donner un sens à celle-ci. Le défunt, par l’intermédiaire des figurines sculptées par sa main, reste présent auprès de son fils et contribue à son épanouissement. Après la naissance de son propre fils, le narrateur décidera de perpétuer la tradition en lui léguant le dernier oiseau qu’il lui reste: «J’ai gardé pour toi le dernier oiseau […]. Quoi que tu décides, je marcherai toujours à tes côtés.» (s.p.)
Des sujets difficiles tels que le deuil d’un être cher sont abordés avec sérieux dans cet album où le narrateur, après la mort de son père, affirme avoir éprouvé une peine «tellement immense [qu’il] avai[t] perdu le goût de vivre». (s.p.) Certains détails des illustrations, comme les habits des personnages, inscrivent la diégèse dans un cadre historique qui correspond à peu près à la première moitié du XXe siècle. Comme en témoigne une scène de guerre où une colombe guide le protagoniste en pleine fuite dans un environnement dévasté (figure 12), la distance historique s’accorde à la dimension fabuleuse de l’histoire relatée. La première phrase du texte présente d’emblée le récit comme un conte auquel le lecteur est sommé de croire: «L’histoire que je vais te raconter est vraie. Elle commence il y a longtemps, quand j’avais ton âge.» (s.p.)
Comme dans Tous les soirs du monde, la figure du père dans L’oiseau des sables est caractérisée par une aura mystérieuse et bienveillante. Seulement présent dans deux illustrations de l’album, l’homme, dont le nom restera inconnu du lecteur, est doté d’un tempérament sage et taciturne: «J’ai tout raconté à mon père, un homme de peu de paroles qui savait écouter. Il m’a pris par la main et nous avons marché sur la plage.» (s.p.) Après son décès, l’homme continue à se manifester et à porter conseil à son fils: «Je repensai […] aux quatre vœux déjà exaucés. “Prends le temps de bien réfléchir”, avait dit papa.» (s.p.) Dans l’illustration qui accompagne ce passage, le fils, nimbé du halo lumineux de la lune, repense aux conseils de l’homme en contemplant l’horizon nocturne du haut de la fenêtre de la mansarde de sa maison (figure 13). Absent, le père ne cesse pour autant de réaffirmer son importance auprès de sa progéniture9Il en va de même dans Papa est de retour de Stéphanie Boyer et François Thisdale (2020) et dans Je vois la mer de Joanne Schwartz et Sydney Smith (2018). Les pères de ces récits, absents en raison des contraintes de leur travail, sont le sujet principal des pensées de leur garçon.. Comme l’a observé Christian Poslaniec dans les albums Quand papa était loin de Maurice Sendak et Pétronille et ses cent vingt petits de Claude Ponti, l’absence physique des pères dans la vie quotidienne de leur enfant a pour effet de leur conférer une fonction tutélaire: «La première fonction du père absent c’est, semble-t-il, d’être une présence tutélaire. […] [B]ien qu’absent, il est omniscient et c’est un héros qui revient toujours en cas de coup dur, quand sa famille a besoin de lui. En fait, une sorte de dieu tutélaire.» (Poslaniec: 100-101) De la même manière qu’une prière, le mouvement ascendant du geste fait par le narrateur en mémoire de son père chaque fois qu’il lance une colombe dans les cieux lui permet de garder espoir face à l’adversité. Par l’entremise des colombes, le père continue d’exercer le rôle d’un guide et d’un protecteur, accompagnant son fils dans les étapes cruciales de sa vie malgré son décès prématuré.
Marquée par la symbolique du ciel et de la mer, la formation du garçon repose sur une aventure où il doit braver vents et marées afin de devenir un homme. Sur la première page de couverture, le rapport de filiation se donne à lire par la présence des deux personnages marchant main dans la main le long d’une plage, à l’horizon de laquelle on aperçoit un phare et une maison (figure 14). Les deux habitacles sont disposés de manière symétrique au père et au fils, le grand à la gauche du petit. Reprise au début de l’histoire, dans la deuxième page double, cette image établit un parallèle entre le père et le phare, mettant en relief le repère qu’incarne l’adulte aux yeux de l’enfant. Pris par la main et en main par l’adulte, l’enfant marche aux côtés de celui-ci alors que s’activent autour d’eux la masse des nuages et le mouvement des marées. À la page suivante, la description du phare souligne davantage encore sa fonction métaphorique: «L’île abritait un phare, une tour lumineuse, comme un flambeau dans la nuit pour guider les pêcheurs égarés.» (s.p.)
Au moment où le fils fait le deuil de son père, son choix de se recueillir au sommet du phare s’inscrit dans la même logique. Debout face à l’adversité d’une mer agitée et d’un ciel orageux, le garçon devenu adolescent lance son deuxième oiseau de pierre, son profil se détachant du halo lumineux de la structure. Pour que son souhait se réalise, son père lui avait dit: «tu devras marcher jusqu’à la mer ou jusqu’à un cours d’eau filant vers l’océan, et y lancer ton oiseau.» (s.p.) L’héritage que l’adulte a légué au garçon permet à celui-ci de s’élever au-dessus du mouvement houleux des marées10Dans d’autres albums, l’initiation du garçon se fait d’une façon beaucoup plus pragmatique. Il en va par exemple ainsi dans Sois brave, petit phoque! de Catherine Côté et Elena Aiello (2019), où un père phoque apprend à son enfant mâle à nager.. À la double page suivante, le vol des oiseaux miniatures fait place à l’envolée du fils, au sens propre comme au sens figuré:
J’ai grandi et grandi… Notre île était devenue trop petite pour moi. Je voulais explorer le monde, aller de l’autre côté de l’océan. Et plus loin encore. Je suis devenu pilote d’avion. Dans mon grand oiseau de métal, je transportais des cargaisons précieuses et des gens très importants. (s.p.)
L’illustration à fond perdu met en évidence les ailes de l’avion, dont l’une se déploie de part et d’autre de la charnière centrale. La métamorphose du petit garçon insulaire en un jeune homme prêt à «explorer le monde» passe par la conquête des cieux.
Des initiateurs poétiques et une poétique de l’initiation
L’oiseau des sables peut être lu à la lumière des observations de Daniel Fabre à propos des rites de passage dans les sociétés européennes. Dans «La voie des oiseaux», l’ethnologue a relevé l’importance de la symbolique des oiseaux dans les récits d’apprentissage de la masculinité. Les «oiseleurs», garçons passionnés par les aptitudes des oiseaux au chant et au vol, partaient jadis dans les campagnes françaises à la recherche de nids et de volatiles à capturer. Ayant lieu dans des zones limitrophes, l’aventure de ce «dénichage» s’apparentait à une quête initiatique. Elle produisait «une maîtrise particulière du monde naturel et […] inaugur[ait], d’un même mouvement, une transformation de la personne au moment où il conve[nait] de “faire le garçon”». (Fabre: 51) L’escalade des arbres était souvent nécessaire afin de collecter les fruits d’une expédition à travers de laquelle l’enfant se donnait «de la hauteur». (Fabre: 40) Ultimement, ce rite initiatique préparait à la rencontre de l’altérité (féminine) et à la séduction: une fois l’apprentissage complété, «alors même que l’adolescent [pouvait] s’adonner à d’autres chasses, la quête réelle [était] convertie, transposée dans le langage de l’amour où l’attrait passionné des oiseaux trouv[ait] comme sa justification ultime». (Fabre: 51)
Dans L’oiseau des sables, la foi inébranlable qu’a le narrateur en ses oiseaux magiques marque la première étape de son parcours vers la maturité. À bord de son «grand oiseau de métal», il quitte plus tard son île, «devenue trop petite», pour aller à la rencontre de l’altérité:
Un jour, un des moteurs de mon avion s’arrêta en plein ciel. Il me fallut atterrir d’urgence sur des rives inconnues. C’est là que j’ai rencontré une jeune fille aux yeux d’orage et aux mains d’oiseaux. […] Elle s’appelait Maïla, un mot chantant qui signifie «goutte de mer». (s.p.)
Avec ses «mains d’oiseaux», son nom «chantant» et sa robe à motif de nuages (figure 15), Maïla s’apparente étrangement aux trophées rapportés par les jeunes oiseleurs. Sa rencontre initie un mouvement de retour vers le lieu d’origine du narrateur: «Un an plus tard, j’épousais Maïla et je l’emmenais dans l’île où j’avais grandi.» (s.p.) La mer et le ciel, éléments constitutifs de l’espace initiatique du récit, refont surface dans l’identité d’une femme aux «yeux d’orage» et au nom «qui signifie “goutte de mer”». La rencontre amoureuse est illustrée à l’aide d’une image onirique où les deux personnages enlacés voguent parmi les nuages. Les couleurs de la peau et de la robe de la femme contribuent à marquer une différence entre elle et l’homme qui, un bras tendu dans la direction opposée, donne l’impression de soulever sa conquête.
La représentation de l’espace, tant dans Tous les soirs du monde que dans L’oiseau des sables, joue un rôle fondamental dans la dimension initiatique des récits. Les cieux embrumés et l’étendue des horizons participent à rendre visible le rapport affectif entre les deux protagonistes masculins. Ainsi que l’a observé Christine Plu dans plusieurs albums caractérisés par la puissance évocatrice de leurs paysages, «la présence d’un ciel et d’une ligne d’horizon crée une illusion atmosphérique associée à l’apaisement ou la libération de sentiments positifs.» (Plu: 200) Il en va ainsi chez Dominique Demers, où les mouvements vers et dans le ciel suggèrent la noblesse des sentiments mobilisés par la relation filiale. Dans L’air et les songes, Gaston Bachelard a relevé que, «[d]e toutes les choses attenantes au corps, ce sont les ailes qui le plus participent à ce qui est divin. […] Dès qu’un sentiment s’élève dans le cœur humain, l’imagination évoque le ciel et l’oiseau.» (Bachelard: 82-83) Mobilisant l’un et l’autre la symbolique du vol, Tous les soirs du monde et L’oiseau des sables mettent en valeur le caractère spirituel du lien entre un père et son fils. Le garçon, tiré de son nid domestique ou géographique, vogue vers un ailleurs sous l’égide de son père11On trouve un scénario semblable dans Un livre à la mer de Marie-Danielle Croteau et Rogé (2012), où un garçon traverse l’océan à bord d’un bateau dont son père est le conducteur. Dans Au-delà de la forêt de Nadine Robert et Gérard DuBois (2016), un père lapin et son fils construisent une tour afin de découvrir ce que cache la forêt «très dense et très sombre» qui encercle leur village; la prise de hauteur permettra au fils de découvrir le monde extérieur..
Les figures paternelles de ce second ensemble d’iconotextes se présentent comme des guides spirituels présidant à l’épanouissement de leur fils. L’absence des mères dans les deux œuvres que nous venons d’analyser (exception faite de la discrète Maïla, qui donnera naissance au fils du narrateur) nourrit l’impression de lire des aventures spécifiquement masculines. Alors que la présence sporadique des figures maternelles, dans les trois premiers albums étudiés, accentuait l’incapacité de leur partenaire à assumer les tâches ménagères, l’évacuation presque complète des mères dans Tous les soirs du monde et dans L’oiseau des sables souligne l’autonomie du père dans son rôle de guide auprès de son fils.
En raison de l’autorité spirituelle qui leur est attribuée, les pères représentés dans Tous les soirs du monde et L’oiseau des sables contrebalancent la sottise moderne dont font preuve leurs homologues bouffons. Ces initiateurs dotés d’une aura poétique réaffirment ce que les pères bouffons tournent en dérision, à savoir l’idée d’une influence positive des pères sur leur enfant. Papa, réveille-toi, Le souper de papa et Petit héros boit sans dégâts entretiennent cependant un rapport ambivalent à l’imaginaire patriarcal puisque leur aspect comique reconduit l’idée d’une incompatibilité entre l’activité masculine et les tâches traditionnellement attribuées aux femmes. Ces deux types d’albums donnent lieu à des expériences de lecture opposées, l’attrait ludique et la forte dimension carnavalesque des premiers contrastant avec le ton sérieux, les clichés poétiques et les scènes contemplatives des seconds. Dans les cinq albums étudiés, le cadre spatial de l’histoire racontée a partie liée avec la relation représentée. Le côté humoristique et divertissant du lien père-fils apparait lorsque les protagonistes sont confinés dans le milieu domestique, alors que sa valeur spirituelle se manifeste dans des espaces ouverts qui permettent l’exploration mentale et géographique. La figure paternelle navigue ainsi entre des scénarios opposés, affichant tantôt des traits loufoques, tantôt un visage des plus vertueux.
Bibliographie
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- 1On trouvera des exemples plus récents de cette relation privilégiée dans les albums Les devoirs d’Edmond d’Edmond Léger et Julie Rocheleau (2022) et Thomas de Martine Arpin et Claude K. Dubois (2020), où des pères accompagnent leur garçon dans le processus de deuil qui suit le décès de la mère.
- 2Dans les cas plus rares où un père fictif présente un comportement problématique à l’égard de son fils, la fin du récit témoigne généralement d’une réconciliation, qui passe par la prise de conscience des effets néfastes des actes de l’adulte. C’est le cas dans les albums Comment devenir un parfait chevalier en 5 jours de Pierrette Dubé et Caroline Hamel (2008) et Parle, petit loup de Claudie Stanké et Barroux (2008).
- 3Une nouvelle adaptation en français de cet album est parue à Toronto chez Scholastic en 2013.
- 4Centre national de ressources textuelles et lexicales. Article «Gringalet». En ligne. https://www.cnrtl.fr/etymologie/gringalet
- 5Saperlifourchette! de Roxane Turcotte et Lucile Danis Drouot (2017) présente un scénario similaire, où un père apprend à son garçon à manger avec une fourchette. Bien que le père de cet album soit plus futé et moins caricatural que celui de Petit héros boit sans dégâts, son intervention prend une tournure cocasse vers le milieu du récit lorsqu’il est aspergé par son fils dans la salle à manger: «Papa est victime d’une tempête de bave aux œufs. J’écope d’une tornade de “Saperlipopette!”» (s.p.)
- 6Pour une synthèse des travaux sur le modèle du «nouveau père» au Québec, voir Gossage: 57-62.
- 7On trouve un autre exemple de cela dans le premier volume de Zunik de Bertrand Gauthier et Daniel Sylvestre (2010), où un père monoparental tarde à se réveiller pour aller conduire son garçon à une partie de hockey. Pour arriver à l’heure, Zunik est contraint de mettre lui-même un terme à la flânerie matinale de son père: «je dois le réveiller si je ne veux pas être en retard. Ma partie commence à dix heures. […] J’ai réussi à le réveiller. Il fallait tout de même se dépêcher.» (s.p.)
- 8Dans Je parle comme une rivière de Jordan Scott et Sydney Smith (2021), la représentation physique du père est également énigmatique. Contrairement à certains attributs de sa masculinité mis de avant, tels que sa silhouette bâtie et sa pilosité, ses traits faciaux ne sont pas esquissés. En amenant son fils à se baigner dans une rivière loin des regards indiscrets, il le guérit de ses angoisses et de ses problèmes de langage.
- 9Il en va de même dans Papa est de retour de Stéphanie Boyer et François Thisdale (2020) et dans Je vois la mer de Joanne Schwartz et Sydney Smith (2018). Les pères de ces récits, absents en raison des contraintes de leur travail, sont le sujet principal des pensées de leur garçon.
- 10Dans d’autres albums, l’initiation du garçon se fait d’une façon beaucoup plus pragmatique. Il en va par exemple ainsi dans Sois brave, petit phoque! de Catherine Côté et Elena Aiello (2019), où un père phoque apprend à son enfant mâle à nager.
- 11On trouve un scénario semblable dans Un livre à la mer de Marie-Danielle Croteau et Rogé (2012), où un garçon traverse l’océan à bord d’un bateau dont son père est le conducteur. Dans Au-delà de la forêt de Nadine Robert et Gérard DuBois (2016), un père lapin et son fils construisent une tour afin de découvrir ce que cache la forêt «très dense et très sombre» qui encercle leur village; la prise de hauteur permettra au fils de découvrir le monde extérieur.