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Laisser les manchots, les tortues et les pieuvres vaquer à leurs occupations. Pour des représentations animales désanthropocentrées

Jeanne Murray-Tanguay
couverture
Article paru dans Présence de l’album jeunesse au Québec, sous la responsabilité de Geneviève Lafrance (2024)

      

La présence de l’animal s’impose comme une évidence en littérature jeunesse, au point qu’Isabelle Nièvres-Chevrel juge que celui-ci «est si fréquent dans les albums, et plus largement dans les livres destinés aux jeunes enfants, que l’on serait tenté d’y voir un trait propre à cette littérature». (139) Qu’il soit héros, compagnon ou adjuvant, l’animal est régulièrement anthropomorphisé, c’est-à-dire qu’on lui prête des attributs, des intentions et des affects humains: «il parle, il s’habille, adopte généralement la station debout, roule en carrosse ou en moto, skie, monte en dirigeable, ou raconte ses mémoires» (Prince, 2010: s.p.). Entre 2013 et 2018 au Québec, près de 75% des albums de fiction où figuraient des animaux comportaient à la fois des illustrations et des textes anthropomorphiques (Dionne: 107). Ces traits présentent, selon certain·es, des intérêts psychologiques et cognitifs en permettant à la fois l’identification et la mise à distance lors de la réception par l’enfant (Armengaud, 2017; Atzenhoffer, 2017; Hubert, 2020). Or des études montrent aussi que les albums qui mettent en scène des animaux humanisés ont tendance à nuire à l’acquisition de connaissances sur la faune, en plus de transmettre une vision anthropocentrique du monde aux jeunes lecteur·trices (Ganea et al., 2014; Legare et al., 2013; Waxman et al., 2014). À l’heure où diverses écritures contemporaines s’emparent des discours écologistes et écologiques en dénonçant notamment l’anthropocentrisme occidental et les formes d’exploitation du plus-qu’humain1Dans le cadre de cette étude, nous utilisons l’expression «plus-qu’humain» afin de ne pas reconduire les rapports de binarité et de marginalité anthropocentriques que portent, à nos yeux, les appellations «non-humain» et «autre-qu’humain». L’emploi de «plus-qu’humain», qui ne fait pas l’unanimité parmi les chercheur·euses, questionne l’exceptionnalisme humain et procède à une inversion des rapports hiérarchiques occidentaux qui ont historiquement placé l’être humain au sommet de la pyramide du vivant et de la matière. L’anthropologue Sophie Chao explique: «More-than-human […] invokes a counter-ethos of humility – one that challenged primacy of superior human worth or value» (180). Dans une conversation avec Catherine Price, elle examine les expressions «non-humain», «autre-qu’humain» et «plus-qu’humain» et fait part des limites de celles-ci. qui découlent de celui-ci (Defraeye et Lepage, 2019; Grandjeat, 2005), plusieurs chercheur·euses en écopoétique considèrent que l’anthropomorphisme, comme «tout retour à la nature, toute identification avec elle», est à envisager comme un «acte d’acculturation ou d’exploitation métaphorique» (Blanc et al.: 19).

Force est de constater que la plupart des albums québécois publiés dans les quinze dernières années dans lesquels les animaux ne sont pas anthropomorphisés sont des documentaires ou des imagiers qui offrent peu de prise à l’analyse littéraire. Les propositions narratives, quant à elles, mettent le plus souvent en scène un·e enfant qui vient en aide aux êtres à plumes, à écailles ou à fourrure côtoyés ou rencontrés. On peut croire qu’en représentant l’animal en tant qu’animal, ces albums invitent au respect de celui-ci «sans en même temps inscrire en creux la domination humaine qui s’exerce sur [la nature]» (Blanc et al.: 19). Le corpus sur lequel portera cette étude comprend des albums qui mettent de l’avant la question de la condition animale en affichant le plus faible niveau d’anthropomorphisme possible2Selon Anne-Marie Dionne, les albums qui présentent un faible niveau d’anthropomorphisme sont ceux dans lesquels ni les illustrations ni le texte ne sont anthropomorphisés: «un texte est considéré comme étant fantaisiste (ou anthropomorphique) si un langage intentionnel est utilisé pour décrire les comportements, les sentiments ou les états d’esprit des animaux, ou encore s’ils sont présentés comme étant des êtres doués de la parole, soit de façon explicite par le discours direct ou de façon implicite par l’entremise de la narration. En ce qui concerne les illustrations, […] elles sont considérées comme étant fantaisistes (ou anthropomorphiques) si les animaux sont représentés alors qu’ils exercent des actions spécifiquement humaines (par exemple, lire un journal, conduire une voiture, aller à l’école), qu’ils ont des expressions faciales ou des postures humanisées, qu’ils portent des vêtements, ou qu’ils utilisent de façon autonome des artefacts dont se servent les humains» (103-104).. D’autres titres aux représentations animales plus fantaisistes seront également analysés, dans la mesure où ils participent d’un discours critique sur l’anthropocentrisme. Alors que la nature et ses occupants sont souvent relégués au rôle de «cadre de l’expérience humaine» en littérature, l’animal est un «acteur à part entière» (Blanc et al.: 19) au sein des propositions qui ont retenu notre intérêt3Nous avons retenu les œuvres qui nous ont semblé offrir les perspectives d’analyse les plus riches. D’autres albums présentant également un faible niveau d’anthropomorphisme, mais ayant été écartés de l’analyse, sont recensés dans en annexe..

Manchots au chaud (2016) et À la rescousse de Mia la tortue (2021) suivent le parcours d’enfants qui sauvent des animaux menacés. Alors que ces albums appellent à une prise de conscience écologiste, Alex et Mauve: la tortue (2010) et Léo et sa pieuvre (2013) suggèrent que l’aide la plus profitable est parfois le décentrement de l’être humain. Un jardin pour Tipiti le colibri (2020) et Un jour, je bercerai la Terre (2017) proposent quant à eux des agencements textuels et iconographiques qui établissent des dynamiques relationnelles où l’anthropocentrisme cède la page à une coprésence sensible entre les êtres humains et plus-qu’humains. Nous nous attacherons à examiner ces déclinaisons du thème du bien-être animal en évaluant comment elles parviennent à tisser des relations inter-espèces qui paraissent davantage désanthropocentrées que hiérarchisées.

     

Réchauffer les manchots, sauver les tortues

Patricia Mauclair remarque que si les personnages animaliers sont omniprésents dans la littérature jeunesse espagnole, ils ne sont que très rarement campés en tant que porte-paroles de la protection animale (2018). Le même constat s’applique aux albums jeunesse québécois des quinze dernières années, qui versent surtout dans l’anthropomorphisme imaginatif: l’animal est utilisé pour refléter et décrire l’expérience humaine (Sueur, 2020). Les «bêtes de papier» portent «un masque d’enfance» (Nières-Chevrel: 142) afin de permettre au jeune lectorat de reconnaître des situations de son quotidien ou d’affronter ses émotions et ses angoisses (Atzenhoffer: 10-11). Selon l’autrice-illustratrice Martine Bourre, les auteur·trices et les illustrateur·trices ont ainsi «pris en otage tout le monde animal pour enseigner à nos petits comment bien grandir, en leur faisant un peu peur, en les faisant rêver, en les mettant en garde, en les amusant. […] Ces animaux-mannequins, nous mangeons leur viande, […] mais nous confisquons aussi leur image» (105).

Bien que rares, les animaux qui en sauvent d’autres affichent aussi des traits humanisés. Dans L’été de la petite baleine de Dominique Demers et Gabrielle Grimard (2018), Mirabelle et son petit Gnouf, deux créatures mi-enfants et mi-souriceaux, aident un baleineau échoué sur la plage. La série Super toutou de Paule Brière et Christine Battuz suit les traces d’un chien-héros qui sauve des animaux abandonnés, utilisés à des fins scientifiques ou dépouillés de leur fourrure. Pépitou, armé de sa cape, de son «si grand cœur» et de «son amour de la justice» (Brière et Battuz, 2009: s.p.), n’hésite pas à combattre le crime. Son jeune maître paraît parfois bien las en comparaison. Manchots au chaud d’Andrée Poulin et Oussama Mezher et À la rescousse de Mia la tortue de Lucie Papineau et Lucie Crovatto mettent quant à eux de l’avant des enfants humain·es qui exercent leur pouvoir d’action en portant secours à des animaux réalistes.

Manchots au chaud raconte l’histoire de Matéo, un jeune garçon qui tricote des chandails de laine pour sauver des oiseaux menacés par un déversement pétrolier. Le livre s’ouvre sur une double page aux couleurs vives, qui donne à voir un paysage marin lumineux: «Le soleil fait danser ses rayons. La mer fait valser ses vagues. Les manchots sautent dans les flots.» (s.p.) En arrière-plan, le profil d’un petit bateau se détache de l’horizon et annonce le désastre à venir. La belle page assume une fonction de cache pour mieux révéler ce même bateau, désormais beaucoup plus grand et centré sur la page. La voix iconographique accentue le choc: le noir envahit l’espace de composition. Il gruge le bleu vif de la mer en même temps que celle-ci «cesse de valser» et que «[l]a marée noire s’étale. Le cauchemar s’étend.» (s.p.)

Figure 1: POULIN, Andrée et Oussama Mehzer. 2016. Manchots au chaud, Montréal: Isatis.

Alors que l’image à fond perdu de la première double page illustre l’immensité de la mer, les suivantes signalent l’ampleur de la catastrophe: le pétrole s’étend au-delà du cadre de l’album. «Lentement, l’océan se salit» (s.p.) et des couleurs mazoutées engluent encore quelques pages. Le dessin gagne toutefois en clarté lorsque Matéo décide de passer à l’action:

Il n’arrête pas de penser aux manchots prisonniers du pétrole.
Il se demande si les manchots ont mal.
Il se demande si les manchots pleurent.
Il se demande si les manchots
vont mourir.

En voyant sa mamie tricoter,
Matéo a une idée.
Une mirobolante idée! (s.p.)

Le retrait des termes «vont mourir» met en évidence, sans l’euphémiser, l’issue potentielle de la marée noire. Aucun affect n’est prêté à l’oiseau, ce dont témoigne l’anaphore «Il se demande si les manchots». La gradation suggère tout de même la détresse probable des animaux. Elle souligne l’empathie croissante de Matéo à leur égard, un sentiment qui le conduit à prendre les choses en main. Après avoir expliqué son projet aux secouristes, le jeune garçon se met au tricot sans attendre. Alors que l’album présente surtout des images à fond perdu, la double page suivante est scindée en trois illustrations parcellaires et séquentielles. Colorées, elles tranchent avec le blanc du papier et trahissent le sentiment d’urgence de Matéo. Celui-ci s’attèle à la tâche, visiblement nerveux. Des phrases nominatives accentuent son empressement, à l’instar des «Clic! Clic! Clic!» (s.p.) des broches. Mises en évidence par des lettres majuscules colorées, ces onomatopées rappellent le son des aiguilles d’une montre. Matéo doit faire vite s’il veut sauver les manchots. Il sollicite la participation de ses ami·es et des adultes du quartier. Ensemble, il·elles tricotent plusieurs chandails qu’il·elles remettent aux secouristes. Sur une note plus didactique, le chef secouriste explique à Matéo que «chaque petite action est importante» (s.p.).

Une petite action est également au cœur d’À la rescousse de Mia la tortue. Cet album s’inscrit dans la série Le petit monde de Camille et Paolo, dont les quatre opus suivent les aventures d’une jeune fille et de son toui dit de compagnie4Nous utilisons l’expression «dit de compagnie» à la suite de Françoise Armengaud: «j’adopte la classification habituelle des espèces animales relative à l’usage humain: “animaux de compagnie”, “sauvages” ou “d’élevage”. Mais, comme ils n’ont pas choisi d’y appartenir, je l’ai relativisée. Pour moi, ils sont seulement dits “de compagnie”, dits “sauvages” et dits “d’élevage”.» (2017: 204; l’autrice souligne), Paolo. Au fil de leurs découvertes, les deux ami·es rencontrent divers animaux: Mia la tortue, Tipiti le colibri, d’autres oiseaux et une souris. À la rescousse de Mia la tortue raconte leurs vacances à la mer. Un jour, Camille croit apercevoir une tortue qu’on peine à deviner sur le dessin. La double page suivante précise ses traits: l’une des fiches du «grand livre préféré de Papi» (s.p.), qui porte sur les animaux marins, occupe la belle page. On apprend des informations sur la taille, la migration et l’alimentation de la «Tortue luth (Dermochelys coriacea)» qui «est considérée comme vulnérable ou menacée au Canada» (s.p.). De retour à la plage, Paolo remarque un drôle d’objet qui flotte sur l’eau et alerte Camille. La belle page assume une fonction de cache et la tourne révèle qu’il s’agit en fait d’un sac de plastique qui étouffe une énorme tortue luth. Avec l’aide de son grand-père, la jeune fille retire l’objet. Des lettres plus volumineuses signalent que Mia est «SAUVÉE!» (s.p.)

Le dénouement rapide d’À la rescousse de Mia la tortue s’apparente à celui de L’été de la petite baleine et des albums Super toutou: Mirabelle, le petit Gnouf et Pépitou sauvent des animaux en danger sans que les enjeux du bien-être animal mobilisés ne soient expliqués. Dans Super toutou contre les savants fous, on comprend que le héros canin aide ses amis à s’échapper des scientifiques malveillant·es, mais le traitement qui est réellement réservé aux animaux de laboratoire n’est pas abordé. La voix textuelle de Manchots au chaud insère quant à elle quelques informations factuelles susceptibles de conscientiser les jeunes lecteur·trices aux dangers du pétrole: il rend le plumage des oiseaux perméable, il épuise leur chaleur corporelle, il les empoisonne, etc. Le péritexte se veut lui aussi informatif; il explique que l’histoire est inspirée de faits réels:

En 2011, un cargo transportant plus de 1000 tonnes de pétrole a frappé un récif et s’est échoué sur les côtes de la Nouvelle-Zélande. Une terrible marée noire a déferlé sur les plages. Des milliers de personnes se sont mobilisées afin de tricoter des chandails pour sauver les manchots touchés par cette marée de mazout. (s.p.)

L’absence de toute euphémisation dans les propos véhiculés à la fin du récit est également notable. Lorsque Matéo demande au chef secouriste si les manchots vont survivre, celui-ci lui répond: «On ne réussira pas à les sauver tous. Il y avait trop de pétrole. Trop de dégâts.» (s.p.) Manchots au chaud problématise la question de la protection animale de manière plus frontale qu’À la rescousse de Mia la tortue, où la tortue est «SAUVÉE!» (s.p.) sans confronter le jeune lectorat aux conséquences réalistes de l’action humaine. L’album explique que la tortue luth est «vulnérable ou menacée au Canada» (s.p.); Camille et Paolo aident Mia en retirant le sac de plastique qui l’asphyxie. Cependant, les liens entre la pollution humaine et l’extinction animale ne sont pas clairement établis. Pour comprendre cet enjeu environnemental, l’enfant devra sans doute faire preuve de capacités interprétatives plus robustes qu’à la lecture de l’album de Poulin et Mezher. La fiche encyclopédique qu’on retrouve dans celui de Papineau et Crovatto signale tout de même un certain souci didactique. La préface, signée par l’autrice et l’illustratrice, explique l’un des objectifs du livre:

En apprenant à bien connaître la faune et la flore des rivages, on pourra mieux les protéger… Tous les animaux représentés au début et à la fin de ce livre se retrouvent quelque part dans les illustrations. Tu peux t’amuser à les repérer au fil de l’histoire ou, encore mieux, si tu passes une belle journée au bord de l’eau! (s.p.)

Plus on connaît les animaux, mieux on peut les aider, ce dont témoigne la trame narrative: Camille sauve la tortue après avoir lu à son sujet. La voix iconographique rend compte d’une saisie de plus en plus juste de l’environnement et de ses occupants: Mia, d’abord floutée, est plus détaillée après les apprentissages de la jeune fille. Tandis que le texte prend soin d’identifier adéquatement les animaux rencontrés – bernard-l’hermite, sterne, loup-marin, etc. –, les illustrations animales sont «anatomiquement correct[e]s» (Chartrand: 83). Elles s’apparentent à celles qu’on pourrait retrouver dans un cahier d’observation de la nature. Les pages de garde présentent et nomment plusieurs animaux retrouvés dans le livre; la couverture de l’album se transforme en affiche géante qui fournit des informations à leur sujet5Tous les albums de la série Le petit monde de Camille et Paolo présentent ces caractéristiques..

«Plusieurs auteurs contemporains choisissent de transmettre [d]es contenus [factuels] sous forme de fiction, en mariant textes narratifs et informatifs» (s.p.), soutiennent Monica Boudreau et Isabelle Beaudoin au sujet des albums jeunesse. Manchots au chaud et À la rescousse de Mia la tortue sont à envisager en tant que fictions documentaires, ou «docufictions», c’est-à-dire en tant qu’«ouvrages [qui] offre[nt] aux lecteurs la possibilité d’effectuer des allers-retours entre la réalité et la fiction ainsi qu’entre le divertissement et les acquisitions de connaissances que permettent les textes et les illustrations de ces ouvrages» (Guérette et al.: 12). Si, «[d]ans la fiction documentaire, la part et le poids du réel et de l’imaginaire sont évidemment relatifs» (Lachance: 54), l’imaginaire l’emporte sur le réel dans ces albums qui présentent une plus grande richesse sémiotique que d’autres titres, dont les «démarche[s] éducative[s] ostentatoire[s]» (Thiltges: 96)6Au Québec, nous pensons notamment à la collection «Ma petite planète» des éditions Passe-temps, spécialisées en production de matériel pédagogique. sont susceptibles de rebuter les jeunes lecteur·trices (90-91)7Thiltges appuie ses réflexions sur les idées déployées par Dagmar Lindenpütz (2000).. On peut émettre l’hypothèse que l’ancrage dans la factualité et la volonté manifeste de transmettre des connaissances au lectorat de Manchots au chaud et d’À la rescousse de Mia la tortue expliquent le recours à des représentations animales non fantaisistes. La désanthropomorphisation des animaux paraît en effet propice à la formulation de discours écologistes (Gaïotti, 2018). En passant de la réalité à la fiction, et vice-versa, les enfants sont à même de comprendre que la nature qui les entoure est menacée et que des animaux sont vraiment en danger: «Porteuse d’une certaine vision du monde par rapport à des réalités données, la fiction documentaire instaure un questionnement chez le lecteur qui l’amène à confronter ses représentations initiales à celles des personnages évoluant dans la réalité évoquée» (Lachance: 54). En présentant des stratégies d’action à l’enfant, en lui suggérant qu’il faut agir rapidement ou en lui apprenant à connaître la nature pour mieux la protéger, Manchots au chaud et À la rescousse de Mia la tortue sont susceptibles d’éveiller la conscience de son pouvoir d’action et un sentiment de responsabilisation à l’égard de l’environnement et des êtres qui le peuplent (Boutet et al., 2010). En ce sens, ces livres sont aussi à concevoir en tant qu’«éco-graphies», soit en tant qu’ouvrages pour la jeunesse qui invitent l’enfant à protéger une «nature en péril» en lui montrant qu’il·elle peut «réinventer et […] réenchanter le monde de demain» (Prince: 15). Manchots au chaud et À la rescousse de Mia la tortue s’inscrivent ainsi dans la littérature «écologiste», qui revendique la protection de l’environnement et des êtres qui l’occupent en invitant le lectorat à agir de manière respectueuse (Grandjeat: 20). Les écritures écologistes dénoncent notamment les impacts négatifs de l’anthropocentrisme – pollution, exploitation, destruction – sur l’environnement et ses occupants (Grandjeat: 20). Pour Françoise Armengaud, la présence d’animaux dans la littérature jeunesse, que ceux-ci soient anthropomorphisés ou non, vise parfois à sensibiliser les enfants au «devenir des espèces animales»:

Certains ouvrages marquent leur intérêt pour les animaux eux-mêmes, en tant qu’espèces et en tant qu’individus, développant chez le jeune lecteur curiosité intellectuelle et empathie. Il ne s’agit plus ici d’étayer le développement psychique de l’enfant, mais de l’éduquer, par la fiction ou par des récits factuels, à ses responsabilités de citoyen et d’habitant d’un monde qu’il partage avec d’autres êtres vivants. (2017: 202)

À la rescousse de Mia la tortue est de cela un bon exemple: le reptile «se retourne une dernière fois, comme pour saluer ses nouveaux amis» (s.p.), puis se dirige vers le large. La comparaison sous-entend qu’on ne prête pas d’intentions à l’animal. La fin de l’album diffère de celle de L’été de la petite baleine, qui se conclut avec une danse bien spéciale: «[Les baleines] accomplissent leurs plus spectaculaires prouesses en l’honneur de Mirabelle et du petit Gnouf.» (s.p.) L’été de la petite baleine, Manchots au chaud et À la rescousse de Mia la tortue montrent l’importance de venir en aide aux animaux, mais la satisfaction humaine est posée comme finalité8Selon Alain Ponsero et Laurent Dabouineau, il s’agit de l’une des caractéristiques de l’écologie dite «classique» ou anthropocentrique (12). avec les cétacés qui honorent les souriceaux anthropomorphisés. De même, le Super toutou devient une vedette télévisuelle à la fin de ses aventures: «Vive Pépitou»; «[T]out le monde ne parle que de Pépitou» (2009a, s.p.), de son courage et de ses prouesses. À l’inverse, le sauvetage animalier est présenté avec plus d’humilité dans Manchots au chaud et À la rescousse de Mia la tortue: les oiseaux reprennent leurs sauts dans un environnement plus sain, sans égard à Matéo et à sa grand-mère qui les observent à bonne distance; Camille envisage la rencontre avec le reptile marin comme une amitié en germe. La tortue, loin à l’horizon, replonge dans son habitat naturel sans agir avec reconnaissance. La relation imaginée par la jeune fille n’est pas illustrée: le reptile ne porte pas l’enfant sur son dos, tout sourire, comme le fait le baleineau dans l’album de Demers et Grimard.

Selon Marie-Claude Hubert, qui s’intéresse au chien dans la littérature jeunesse, la mise en jeu d’un personnage canin anthropomorphisé est susceptible de «propose[r] aux enfants des identifications ludiques d’une grande richesse, qui favorisent la sensibilité à l’altérité, l’empathie envers chaque être vivant» (s.p.). En littérature comme en arts, certaines «techniques de représentation mobilisant des formes de projections et d’identifications anthropomorphiques» sont en effet à même d’agir, pour tout·e destinataire, telles des «attrapes pour l’empathie humaine, et, à ce titre, sont potentiellement pourvoyeuses d’attachements pour les êtres et les mondes non humains» (Sermon, 2021: 130). Cela dit, puisque l’anthropomorphisation des animaux dans les albums a tendance à partager une vision anthropocentrique du monde aux enfants (Waxman et al., 2014), on peut supposer que l’empathie développée à la rencontre d’un baleineau qui «gémit» pour retrouver «sa maman» (Demers et al.: s.p.) ou de ratons laveurs qui «pleurent» parce qu’on leur a volé leurs jolies fourrures (Brière et al., 2009a: s.p.) s’établira possiblement «comme l’expression d’une volonté hégémonique de ramener l’Autre [animal] à la sphère du Même [humain]» en annulant le «droit propre à l’existence» (Grandjeat: 28) du plus-qu’humain en-dehors du point de vue humain. À l’inverse, la tortue dépourvue de traits et d’affects anthropomorphisés «ne représente plus qu’elle-même, dans l’exhibition de sa différence», pour reprendre les mots de Françoise Demougin au sujet de la chèvre de l’album français Gaspard qui pue (75). De même, Matéo s’attache aux oiseaux sans les envisager comme ses pairs. «Les manchots cessent de sauter. / Leurs plumes sont engluées de pétrole. / Ils tremblent de froid. / Ils tremblent de peur» (s.p.), mais l’illustration n’humanise pas leur expression. Tandis que les mines affolées des animaux de la série Super toutou signalent efficacement leur détresse supposée, les traits des manchots, neutres, suggèrent que les oiseaux peuvent ressentir la peur de manière différente. Selon Françoise Demougin, «[l]a littérature de jeunesse, en rapprochant excessivement l’animal de l’[être humain], finit par le priver de son “âme”, le vider de sa complexité ontologique et de sa capacité à conduire ses lecteurs vers des formes d’altérité» (64):

[L’animal excessivement anthropomorphisé] ne nous conduit plus vers des formes d’altérité. Or la construction de la personne chez l’enfant se produit par le respect de l’objet qui lui résiste. Encore faut-il activer cette force de résistance. Le lecteur, surtout s’il est jeune, a besoin d’entrer en relation de choc avec un objet qui est ce qu’il est et non pas ce qu’il voudrait qu’il soit. (76)

En n’anthropomorphisant pas les manchots et la tortue, en les représentant de manière réaliste et en amenant le jeune lectorat à mieux les connaître, ce sont bel et bien des animaux qu’on nous invite à protéger et non «des êtres humains de substitution» (Dionne: 95). Force est d’admettre que le jeune lectorat pourrait très bien anthropomorphiser les animaux de papier par lui-même. Cependant, on peut croire que cette opération sera plus critique et qu’elle permettra de développer une empathie tempérée par des savoirs objectifs (Morton et al., 1990): le manchot a peur parce que le pétrole lui fait du mal et non parce qu’il a perdu sa maman ou son manteau. Kari Weil propose une autre définition de l’anthropomorphisme critique: celui-ci permet d’imaginer les émotions des animaux en termes anthropomorphes, mais en arrêtant de croire que l’être humain peut complètement saisir leur expérience; l’empathie critique se développe donc en reconnaissant l’altérité de l’animal (20). Sa différence est d’ailleurs signalée dans d’autres albums qui mettent de l’avant le retrait de l’être humain.

    

Laisser les chiens, les pieuvres et les tortues tranquilles

«Soucieux d’éduquer tout en amusant, c’est souvent avec beaucoup d’humour que les auteurs de littérature de jeunesse rappellent au jeune lecteur que le chien n’est pas un jouet. Romans et albums vont insister sur la responsabilité qu’implique l’adoption d’un chien» constate Marie-Claude Hubert au sujet d’écritures européennes où le personnage canin est «toujours anthropomorphisé» (s.p.). Au Québec, près de 22% des cent quatre-vingt-dix-sept albums comportant des animaux publiés entre 2013 et 2018 mettent en scène des êtres dits de compagnie (Dionne:106). Le rôle principal est souvent attribué à l’enfant humain et le texte comme les illustrations ont tendance à être plus réalistes que fantaisistes (Dionne: 112). Par ailleurs, ces albums abordent régulièrement le deuil animalier. La responsabilité des enfants à l’égard de leurs compagnons concerne souvent les soins de fin de vie qu’il faut leur prodiguer. Par exemple, il est question de chats malades dans Mingan les nuages de Marie-Andrée Arsenault et Amélie Dubois (2017) et dans Minou, minou de Marie-Francine Hébert et Lou Beauchesne (2012). Le premier album représente de manière réaliste l’animal qu’une jeune fille décide d’euthanasier; le second donne une voix au chat. Si l’anthropomorphisation peut agir comme un «dispositif de capture» (Grandjeat: 30) esthétique, on peut très bien considérer, à la suite de Marie-Claude Hubert, de Julie Sermon et des chercheuses en zoopoétique Anne Simon (2021) et Aude Volpilhac, que «tous les anthropomorphismes ne se valent pas, et [que] certains sont plus valables et efficaces que d’autres.» (Volpilhac: s.p.) Explorer l’intériorité d’un animal par le biais de la littérature permet parfois d’opérer un rapprochement avec lui en «nous invitant […] à décentrer notre regard et à nous immerger dans une subjectivité étrangère et singulière» (Volpilhac: s.p.). Or les pensées de Minou ont tout d’humain et le félin ne vit que pour sa maîtresse. Il se considère comme son «humble serviteur», même s’il affirme qu’ils ont «une relation d’égal à égal» (s.p.). Quand il sent «la vie [lui] échapper», il est rempli de «désespoir» (s.p.). Il est bien surpris de constater que la jeune fille s’occupe enfin de lui: «Je n’aurais jamais imaginé qu’elle puisse m’aimer autant. Sans rien attendre en retour.» (s.p.) Des mots en caractères gras soulignent en outre ses émotions humanisées. Minou ressent «Une vraie honte!» (s.p.) quand il ne réussit pas à faire ses besoins dans sa litière. L’utilisation de la première personne, souvent considérée comme un «artifice énonciatif par lequel on fait comme si l’animal s’exprimait par lui-même», «projette sur l’intériorité animale un cogito trop humain» (Volpilhac, s.p.) malgré ce qu’en pense le chat: «Je n’avais rien d’humain, ce qui ne m’empêcha pas de gagner la confiance de ma fée.» (s.p.)

Figure 2: WINTERS, Kari-Lynn et Pierre Pratt. 2014. Ami pour-tout-toujours, Montréal: Planète Rebelle.

Bien que Minou, minou montre l’importance de prendre soin des animaux dits de compagnie, l’accent est surtout mis sur ce que l’animal peut apporter à sa maîtresse. L’album Ami pour-tout-toujours de l’ontarienne Kari-Lynn Winters et du montréalais Pierre Pratt présente quant à lui une relation inter-espèces moins hiérarchisée. À l’image de Matéo dans Manchots au chaud, le protagoniste ne prête pas d’intentions ou d’affects à son chien âgé, illustré sans aucune forme d’anthropomorphisation: «Que vois-tu / quand tu ouvres tes paupières plissées pour me regarder?» (s.p.) L’animal et l’enfant, de même que les mots «Que vois-tu» et la suite de la phrase, sont dessinés et écrits de part et d’autre de la charnière. L’effet miroir qui en résulte met les deux personnages sur un pied d’égalité en même temps qu’il signale leur différence. Le «Que vois-tu», isolé à gauche, suggère que le chien peut voir autre chose que ce qui est dessiné sur sa droite. L’enfant poursuit: «Est-ce que tu me vois et te dis “voilà mon ami!”»; «Aimerais-tu que les choses soient comme autrefois?» (s.p.) Il pose de nombreuses questions, déclinées sur plusieurs pages tandis que son chien garde le silence. Tout comme dans le roman Dans la guerre d’Alice Ferney (2003), «[l]e choix linguistique de la forme interrogative […] formulant des questions qui demeurent sans réponse […] reconnaît les frontières infranchissables entre les conditions humaine et canine en l’absence de langage commun» (Milcent-Lawson: s.p.). On remarquait déjà un phénomène similaire avec la forme interrogative indirecte dans Manchots au chaud: «Il se demande si les manchots ont mal.» (s.p.) Ces deux albums, à l’image du livre de Ferney, soulèvent des «questions, mais sans s’aventurer sur le terrain des réponses.» (Milcent-Lawson: s.p.) De ce fait, ils «invite[nt] le lecteur à s’interroger lui aussi, sans lui imposer une vision des choses.» (Milcent-Lawson: s.p.) Si la parole n’est pas donnée au compagnon canin, Sophie Milcent-Lawson juge que «[l]’interpellation de l’animal comme un tu constitue une marque linguistique que l’animal auquel on s’adresse est considéré par le locuteur comme un sujet, capable si ce n’est de répondre […], du moins d’écouter» (s.p.; l’autrice souligne). Milcent-Lawson s’appuie sur les travaux de la linguiste Catherine Détrie en appliquant ses propos aux interactions discursives inter-espèces:

[I]nterpeller c’est en effet construire une sphère interpersonnelle au sein de laquelle l’instance d’énonciation prédique non seulement la présence d’autrui mais aussi son positionnement en tant que coénonciateur, et asserter de sorte qu’il a toute sa place dans l’espace intersubjectif ainsi élaboré. (8)

Même s’il est dépourvu de parole, le chien d’Ami pour-tout-toujours apparaît comme un sujet coénonciateur. Les dessins montrent le garçon en train de grandir et de s’amuser avec son compagnon; au fil des pages, on observe la croissance de l’animal. Celui-ci paraît, au terme du livre, trop fatigué pour jouer. Même s’il veut encore s’amuser avec lui, l’enfant décide finalement de le laisser se reposer: «Reste ici. / Chien âgé, chien adoré, j’espère que tu vois un ami pour-tout-toujours quand tes yeux s’ouvrent sur moi.» (s.p.) Comme chez Ferney, l’apostrophe nominale, affectueuse, renforce l’intimité entre les personnages humain et plus-qu’humain en plus de «ratifie[r] en quelque sorte le statut d’allocutaire de l’animal» (Milcent-Lawson: s.p.) Une «relation d’égal à égal» (Hébert et Beauchesne: s.p.) se développe ainsi de manière plus convaincante dans Ami pour-tout-toujours que dans Minou, minou, qui détourne la parole du chat pour poser, encore, «la satisfaction des besoins humains comme finalité» (Ponsero et Dabouineau: 12). Alors que ces albums dépeignent la relation entre l’enfant et l’animal avec sérieux, l’humour relevé par Marie-Claude Hubert du côté des écritures européennes se déploie avec force dans certaines propositions québécoises, notamment dans Léo et sa pieuvre, où la satisfaction anthropocentrée est soulignée de manière amusante.

Léo et sa pieuvre de Laurent Theillet et Marion Arbona raconte l’histoire d’un jeune garçon qui «a une drôle de passion»: «Léo aime les animaux rigolos, les bestioles les plus rares, les bêtes les plus bizarres» (s.p.). Léo a «adopté une pieuvre. Oui, une PIEUVRE!» (s.p.) Germaine la pieuvre est anthropomorphisée: les traits qui représentent sa bouche et ses sourcils se courbent en exprimant la joie, la tristesse ou la peur. Affolée devant un plat de calmars, Germaine saute de son aquarium pour se réfugier dans les bras de Léo, qui doit ensuite «drôlement la rassurer» (s.p.). Il lui promet qu’il n’y aura plus jamais de mollusques au menu. Germaine, de retour dans son bocal, semble encore inquiète. À l’instar du chien de Dans la guerre, elle est ainsi «ponctuellement envisagé[e] par la narration [et par les illustrations] comme foyer d’expérience» (Milcent-Lawson: s.p.). Le petit frère de Léo, Miro, «est tombé raide dingue de Germaine!» (s.p.) Souriants, «nez contre nez, ils discutent jusqu’à l’heure du coucher!» (s.p.) En revanche, les parents du jeune garçon n’apprécient pas la compagnie de la pieuvre. Léo juge pourtant qu’elle serait bien utile – «[i]ndispensable même!» (s.p.) Elle pourrait garder Miro ou encore aider sa grand-mère à tricoter et son père à bricoler. L’instrumentalisation s’accroît au fil des pages. Elle est soulignée par l’effet miroir que procure la charnière d’une double page: deux pieuvres souriantes se font face; seize bras occupent l’espace de composition et manipulent adroitement bébé, couches, jouets, broches et pelotes de laine. Le poulpe est ensuite relégué au statut d’objet: seuls ses tentacules sont illustrés alors qu’ils fournissent le père de Léo en outils. Le texte signale l’incongruité de la gradation iconographique: «Léo s’emporte! Léo va trop loin! La réalité n’est pas celle qu’il imagine. / Germaine ne sera jamais une nounou pour Miro. Non, Germaine jamais ne chouchoutera, jamais ne tricotera, et jamais ne bricolera. Quant à monter la garde… Pfff! Germaine n’a même pas de dents!» (s.p.) Tandis que l’enfant réfléchit, la vague qui entraîne le bocal de sa pieuvre illustre ses élans imaginatifs, déjà annoncés par les nombreuses phrases exclamatives présentes dans l’ensemble du texte. La langue sortie en guise de grimace, le poulpe s’empare du dentier de la grand-mère: «Comment ça, “pas de dents”?» (s.p.) demande-t-il. On comprend désormais que l’anthropomorphisation de Germaine, à l’image de son instrumentalisation, n’est que le résultat de l’imagination foisonnante de Léo. Tout comme dans le roman de Ferney, «[u]ne relecture rétrospective» autorise donc une nouvelle analyse sur les bases d’un «foyer d’expérience» qui n’est plus celui de la pieuvre, mais celui de Léo, «son interprétation enchâssant la pensée qu’il prête [à l’animal]. Ainsi, le texte pose et propose, en les superposant, plusieurs lectures.» (Milcent-Lawson: s.p.) C’est Léo qui croit que sa pieuvre est affolée et qu’elle a besoin d’être rassurée; c’est lui qui considère qu’elle prend plaisir à discuter avec son petit frère et à donner un coup de main aux membres de sa famille. Une adresse au lectorat signale la médiation humaine: «Vous imaginez la tête de Germaine!» (s.p.) Contrairement au chien de Dans la guerre, le poulpe paraît doté du langage humain: «Coucou» (s.p.) dit-il en agitant l’un de ses huit bras quand il est illustré pour la première fois. On peut toutefois supposer que Léo imagine plutôt qu’il n’entend ses pensées, représentées dans des bulles reliées à l’animal par des traits pointillés. Selon l’enfant, si Germaine agite le bras, c’est qu’elle le salue. Les gestes et les «Coucous» de la pieuvre sont à envisager comme des manifestations d’anthropomorphisme interprétatif, qui consiste par exemple à tenter de comprendre les intentions et les agissements de son animal dit de compagnie (Sueur, 2020). En fonction des connaissances scientifiques que nous avons au sujet de l’animal en question, l’interprétation est plus ou moins juste (Sueur, 2020). Tout se passe comme si Léo prêtait des émotions et des pensées à la pieuvre en fonction de ses propres affects et comportements. La correspondance entre les traits humains et animaux parcourt l’ensemble de l’album: le visage de Germaine reflète celui du petit frère, tout joyeux; Léo, visiblement troublé, projette sa propre inquiétude sur la pieuvre lorsqu’il est question de manger des calmars. À la lecture rétrospective de l’album s’ajoute une lecture prospective, où les traits anthropomorphisés à venir sont à considérer au prisme de la perception humaine. Après sa prise de conscience, le jeune garçon décide de remettre la pieuvre à la mer; les deux ami·es ont alors des «mines sincèrement affligées.» (s.p.)

Lorsqu’il réalise que Germaine n’agira jamais comme un être humain, Léo en vient à penser qu’adopter un poulpe n’est peut-être pas la meilleure des idées: «Et même si Germaine sourit gentiment à Léo du fond de son bocal, Germaine s’ennuie ferme! / La mer lui manque, sa petite famille lui manque, sa jolie caverne tapissée d’algues et de coquillages lui manque…Bref, son univers tout bleu lui manque.» (s.p.) Dans son aquarium, la pieuvre ne reflète pas le sourire de Léo. Bien que son intériorité soit suggérée en termes anthropomorphes, l’interprétation du jeune garçon est plus juste après sa prise de conscience: l’ennui de la pieuvre, enfermée dans son bocal, est plus probable que la peur ressentie devant un plat de calmars frits. L’expérience plausible du poulpe accède au droit de cité de façon détournée: la «médiation narrative» permet à l’expérience animale de «trouver une expression verbale» (Milcent-Lawson: s.p.) tandis qu’il y a  «impossibilité de toute expression directe de la part du personnage» (Cohn: 65; cité dans Milcent-Lawson: s.p.). Les questions posées au chien dans Ami pour-tout-toujours, de même que la «traduction» des sentiments de la pieuvre, sont dès lors à considérer comme autant de «procédés qui permettent de donner à entendre un autre point de vue sans prétendre attribuer un discours verbalisé à un animal.» (Milcent-Lawson: s.p.) De ce fait, à l’instar de certains dispositifs énonciatifs – le discours indirect libre, par exemple –, ils «permet[tent] de fondre sans les confondre énonciation humaine et vécu animal» (Volpilhac: s.p.), en nous invitant à porter attention au point de vue du plus-qu’humain sans l’anthropomorphiser par le biais du recours à la première personne. Une gigantesque baleine saute au-dessus du canot du jeune garçon et envahit la double page finale: «Oh! Une nouvelle AMIE! […] Je crois bien qu’il va me falloir un plus GRAND bocal, vous ne pensez pas?… Un TRÈS GRAND bocal!» (s.p.) Si le message qui est alors véhiculé peut paraître incohérent avec celui que s’efforce de transmettre l’album, il est surtout susceptible de faire rire et réfléchir les enfants, implicitement invité·es à expliquer pourquoi le protagoniste a déjà oublié sa leçon. Les protagonistes d’Alex et Mauve: la tortue comprennent quant à eux qu’il ne faut pas jouer avec les animaux après un incident malheureux.  

Alex et Mauve: la tortue est le premier opus de la série Alex et Mauve de Célyne Fortin et Marion Arbona. On y suit l’histoire de deux enfants qui décident de venir en aide à une tortue. Il·elles jugent en effet que Tortulente gagnerait à se déplacer plus rapidement: «Pauvre Tortulente, la journée vient à peine de débuter et elle a déjà l’air fatigué… Faudrait pouvoir l’aider…» (s.p.) Plus loin, Mauve réfléchit et «se demande si on s’habitue à la fatigue. Quand elle est fatiguée, elle crie, elle pleure, elle s’impatiente…» (s.p.) Le reptile, non anthropomorphisé, est alors représenté en gros plan, sans signe de fatigue, de colère ou de tristesse. Les enfants envisagent plusieurs façons d’accélérer son pas: il·elles pourraient lui installer différents types de roues ou même une roquette en guise de propulseur. Alors que l’idée initiale est d’aider Tortulente, Alex et Mauve, comme Léo, considèrent rapidement que l’animal pourrait être utile. Tortulente serait en effet capable de «faire du transport scolaire… Elle prendrait les enfants sur son dos et les emmènerait à la maternelle. Tous les enfants pourraient aller à l’école comme ça.» (s.p.) Cinq Tortulentes recouvrent la double page: le reptile sourit et utilise sa planche à roulettes avec aisance, en transportant les enfants sur son dos. Alex et Mauve jugent finalement qu’elle pourrait les divertir. Il·elles organisent une course avec Pachyderme, la tortue de Jérémie: «Dès le départ, [Tortulente] roule à un train d’enfer…» (s.p.) Sur la belle page, elle est illustrée en gros plan, les deux pattes arrière sur son nouveau rouli-roulant, à l’aise et euphorique, tandis que Pachyderme, sur la page de gauche, glisse sur son plastron sans aucun signe de joie. Tortulente entre rapidement en collision avec une voiture, «grisée par la vitesse» (s.p.). Elle perd tout trait anthropomorphe quand elle se remet en marche, «un peu secouée par l’incident» (s.p.). Alex et Mauve décident ensuite «qu’il vaut peut-être mieux pour les tortues de continuer à vaquer à leurs occupations habituelles et à leur rythme» (s.p.). Une tortue à roulettes est alors illustrée dans une bulle blanche marquée d’un «X». Les fleurs et les plantes envahissent à fond perdu la double page suivante. La tortue est à nouveau une tortue.

L’instance narrative iconographique à l’œuvre dans Alex et Mauve: la tortue indique efficacement que l’instrumentalisation et l’anthropomorphisation de Tortulente sont imaginées par les deux enfants: la tortue accessoirisée et utilisée en tant qu’autobus scolaire est illustrée dans plusieurs petites zones rondes, blanches et translucides qui s’apparentent à des phylactères. Certaines de ces bulles sont reliées à la tête d’Alex ou de Mauve. Quand Tortulente se trouve sur le siège d’une bicyclette, sa mine et ses yeux affolés rappellent l’expression des animaux de la série Super toutou. On comprend bien, toutefois, que l’anthropomorphisation est composée dans l’esprit des deux enfants: le reptile est là encore illustré dans une bulle. Léo et sa pieuvre utilise un procédé similaire: alors que le blanc l’emporte souvent dans les illustrations, l’espace occupé par la pieuvre se recouvre de couleurs vives quand elle est humanisée ou instrumentalisée. À l’instar de Léo, les personnages d’Alex et Mauve projettent leur propre plaisir sur l’animal. Lorsque le reptile anthropomorphisé n’est pas dans un phylactère, des charnières créent un effet miroir et le gros sourire de la tortue reflète l’expression et l’enthousiasme des enfants, excité·es à l’idée d’une course. D’autres axes de symétrie insistent par ailleurs sur le contraste à l’œuvre entre les illustrations anthropomorphisées de Tortulente et celles de Pachyderme, qui n’a rien d’humain et qui paraît nettement moins enthousiaste. La différence entre les deux tortues, marquée par les pliures, indique au jeune lectorat que la représentation de Tortulente est exagérée et fantaisiste. À la fin du livre, on retrouve des informations factuelles au sujet de la reproduction, de l’alimentation et de l’habitat de «Tortulente et ses semblables» (s.p.). La volonté de transmettre des connaissances aux enfants renforce l’idée que la tortue n’est pas un jouet.

Figure 3: FORTIN, Célyne et Marion Arbona. 2010. Alex et Mauve: la tortue. Montréal: Heures bleues.

Dans Alex et Mauve: la tortue comme dans Léo et sa pieuvre, l’anthropomorphisation est mobilisée quand les enfants, envisageant les animaux à leur image, considèrent que ceux-ci éprouveraient du plaisir à effectuer des tâches ou des activités humaines. Or les deux albums suggèrent que les animaux ne sont pas des êtres humains ou des objets dont on peut tirer profit: il faut remettre la pieuvre à la mer et il faut laisser la tortue vaquer à ses occupations. Selon Yves-Charles Grandjeat, l’anthropomorphisation est l’un des «modes de représentation [qui] constituent une forme d’exploitation (symbolique), de soumission du monde naturel aux intérêts (même artistiques) de l’homme.» (20) Celle qui est à l’œuvre dans Léo et sa pieuvre et Alex et Mauve: la tortue est cependant soulignée par la voix iconographique alors même que la trame narrative critique l’instrumentalisation du plus-qu’humain. On peut donc envisager ces albums en tant qu’écritures «écologiques» au sens où les entend Grandjeat (20). Tandis que les auteur·trices écologistes «proclam[ent] [leur] adhésion à un ensemble de principes et d’idées – à une idéologie, au sens non péjoratif du terme, au service de laquelle se met l’écriture», les écrivain·es écologiques «ne se contente[nt] pas d’énoncer le bien-fondé de ces principes» et cherchent plutôt à les mettre en pratique dans leurs gestes créateurs (20). L’auteur·trice écologique accompagne donc sa pratique d’une réflexion éthique, en réfléchissant à ses modes de représentation et à ses stratégies d’écriture dans l’objectif de ne pas les laisser légitimer ou favoriser la domination du plus-qu’humain par l’être humain.

L’auteur·trice écologique – et ce que nous nous proposons d’appeler l’illustrateur·trice écologique – est tout à fait conscient·e que la représentation animale ne peut que passer par des mots et des coups de crayon humains:

L’écrivain écologique, qui prend la nature comme objet d’écriture, ne prétend pas pouvoir libérer celle-ci du carcan des représentations humaines, quand bien même tel serait son plus profond désir. C’est dans l’honnêteté de cet aveu, et dans la vérité de ce remords, que se lit le plus justement sa position écologique. (30)

En raison de cette capture incontournable, des artistes choisissent de mettre en évidence la fabrication humaine à l’œuvre dans leur représentation de la nature. Par exemple, certain·es soulignent l’appropriation du plus-qu’humain pour la rendre caduque (28-30), à la manière de filets dont on étirerait les mailles pour laisser passer les poissons9Nous avons observé le déploiement d’une stratégie similaire dans deux pièces de théâtre de l’artiste gaspésienne Maryse Goudreau, que nous avons également étudiées au prisme des écritures «écologistes», «écologiques» (Grandjeat, 2005) et «écopoétiques» (Sermon, 2021). Voir Jeanne Murray-Tanguay. 2023. «Histoire sociale du béluga et La conquête du béluga: écritures et lectures désanthropocentrées de la baleine». Percées. No 7-8. En ligne. https://percees.uqam.ca/fr/article/histoire-sociale-du-beluga-et-la-conquete-du-beluga-ecritures-et-lectures. Cette stratégie signale l’incapacité à dépeindre fidèlement l’environnement, qui reste indomptable, insaisissable. «[E]n reconnaissant la réalité de l’espace» qui les sépare de la nature et en insistant sur cette distance, les artistes écologiques parviennent à «évoquer en contexte une relation respectueuse, égalitaire avec le monde des non-humains» (27; l’auteur souligne). Si Grandjeat prône le refus de l’anthropomorphisation, nous jugeons qu’elle peut agir comme un «aveu d’artifice» (21) humain lorsqu’elle est utilisée de manière exacerbée ou «décalée10Grandjeat utilise ce terme pour qualifier des comparaisons qui ont recours à des comparants humains inadéquats ou surprenants pour décrire la réalité plus-qu’humaine.» (29) pour pointer du doigt l’anthropocentrisme et l’exploitation animale. Mise en évidence par les voix iconographiques de Léo et sa pieuvre et d’Alex et Mauve: la tortue par le biais de couleurs vives, de bulles ou de charnières, l’anthropomorphisation affiche l’artifice humain. Accentuée, l’«imposture anthropomorphique» (27) signale justement l’imposture. Comme la «comparaison décalée» (29), elle prend «efficacement à revers l’idée même qu’elle est censée illustrer: celle d’une communion entre l’univers naturel et [les êtres humains].» (29) De ce fait, l’anthropomorphisation «décalée» soutient le message que s’efforcent de transmettre les voix textuelles des deux albums. Les personnages ne peuvent pas fusionner avec la nature et s’emparer des animaux, «quand bien même tel serait [leur] plus profond désir.» (30) Il en va de même pour le lectorat.

En insistant sur leur représentation «paradoxale» de la nature et en critiquant les dispositifs mobilisés, les auteur·trices écologiques «invit[e]nt le lecteur à méditer sur son propre regard, le fonctionnement de son imaginaire, et sa propre politique de lecture» affirme Grandjeat (30). L’enfant peut ainsi être amené·e à se poser diverses questions: est-ce une bonne idée de garder des animaux en captivité? En quoi l’animal est-il différent de l’être humain? On peut croire par ailleurs que le «choc» relevé par Françoise Demougin est particulièrement saisissant quand l’animal redevient «ce qu’il est et non pas ce qu’[on] voudrait qu’il soit» (76). Devant l’omniprésence d’animaux humanisés en littérature jeunesse, Alex et Mauve: la tortue et Léo et sa pieuvre sont susceptibles de déjouer les attentes du jeune lectorat en montrant certains écueils de l’anthropocentrisme. À l’instar de Manchots au chaud et d’À la rescousse de Mia la tortue, Ami pour-tout-toujours, Léo et sa pieuvre et Alex et Mauve: la tortue sont «écologiquement engagés» et «véhicul[ent] un véritable intérêt pour la nature» (Thiltges: 81) sans faire de celle-ci l’«otage d’un sens qu’on voudrait lui donner» (Suberchicot: 178; cité dans Thiltges: 81). Or certains albums ne prennent pas en charge de tels discours écologiste ou écologique. Ils s’attachent davantage à renouveler les façons par lesquelles les personnages humains entrent en relation avec les plus-qu’humains.

    

Bercer le jardin de la Terre

Les albums que nous avons explorés jusqu’ici mettent de l’avant des relations inter-espèces où l’animal dépend de l’être humain: l’enfant doit le sauver, ou du moins le laisser tranquille. Un jardin pour Tipiti le colibri, deuxième opus de la série Le petit monde de Camille et Paolo, de Lucie Papineau et Lucie Crovatto, décentre les relations inter-espèces à mesure que Camille apprend à prêter attention aux animaux, aux plantes et aux insectes avec lesquels elle cohabite dans son jardin. Dans cet album, une valorisation de l’écosystème s’ajoute à la question du bien-être animal. Un jour, la jeune fille aperçoit un colibri. Celui-ci revient à quelques reprises, puis disparaît: «Tipiti manque à l’appel. Et le soir aussi. Et le jour suivant aussi.» (s.p.) Comme dans À la rescousse de Mia la tortue, Camille consulte un livre pour en apprendre davantage sur l’animal. Une fiche encyclopédique recense les plantes qui attirent l’«Archilochus colubris» (s.p.). Camille s’empresse de semer capucines, haricots d’Espagne, tournesols et gloires du matin: «Si on plante un jardin pour Tipiti, avec toutes ses fleurs préférées… il reviendra sûrement nous visiter à la fin de l’été!» (s.p.) Si la satisfaction humaine paraît encore motiver le récit, l’album insiste davantage sur l’idée que pour approcher la nature, l’être humain doit se faire discret: «Pendant plusieurs jours, le minuscule visiteur revient boire le nectar du fuchsia soir et matin. Camille et Paolo restent alors sans bouger, et le colibri vole tout près d’eux.» (s.p.) Le bris du silence est par ailleurs l’élément déclencheur de l’histoire. Un jour, Paolo crie: «Ti-Pit! Beau Ti-Pit!» (s.p.) L’oiseau est en effet capable de prononcer quelques mots, toujours les mêmes, ce qui est plutôt normal pour un perroquet. «Mais il doit crier moins fort», précise la voix textuelle, puisque «le colibri s’enfuit dès qu’il entend un oiseau parler le langage des humains!» (s.p.) Camille s’abstient par la suite de parler quand elle observe les végétaux. La narration ne précise que certaines de ses pensées, de moins en moins nombreuses à mesure que les descriptions de la nature l’emportent. Le colibri revient à la fin du livre: Camille, en gros plan, signale «CHUT!» (s.p.) du doigt.

Alors que les autres albums de la série s’articulent autour des péripéties de la jeune fille et de son toui, Un jardin pour Tipiti le colibri décrit l’évolution de la communauté biotique qui se crée dans le jardin. À l’image de la nature personnifiée dans le récit poétique L’histoire de la petite feuille de Mireille Cukier-Jakubowitz et Marc Cukier (2012), le jardin de Camille, dont les occupants ne sont pas anthropomorphisés, «apparaît ainsi […] en tant que sujet à part entière. Le texte dépasse alors la traditionnelle représentation de la nature pour la décrire dans son unité écologique11Pour Sébastian Thiltges, la personnification de la nature permet parfois d’éviter de la reléguer au statut de «décor environnant» (95); son argumentaire éclairant montre bien que «tous les anthropomorphismes ne se valent pas» (Volpilhac, s.p.)..» (Thiltges: 95) Même si Camille a l’impression que «[l]e temps passe très vite au jardin», l’histoire se déploie lentement, au rythme de la croissance des plantes: «Elles poussent, poussent, / et poussent encore vers le ciel.» (s.p.) De page en page, la jeune fille est de moins en moins illustrée et la nature envahit, à fond perdu, les espaces de composition. Camille s’émerveille notamment devant les fleurs et les bestioles qui occupent la majeure partie d’une double page: «Comme c’est magnifique!» (s.p.) Ces mots, écrits en caractères gras et larges, insistent sur l’abondance et la beauté des multiples éléments naturels représentés. Plus loin, seules les jambes de la jeune fille sont dessinées; l’action se centre autour de Paolo, qui interagit avec un bourdon. Une autre double page fait encore une fois état d’une nature luxuriante. Camille n’apparaît pas et «[i]l y a maintenant plusieurs visiteurs: des petits papillons blanc et bleu, des coccinelles, des fourmis… en plus des gros bourdons et de drôles de mouches qui ressemblent à des abeilles.» (s.p.) L’axe de symétrie fourni par la charnière de la double page subséquente accentue la densité de la nature. On en oublie presque la présence de Camille, cachée derrière les fleurs et les feuilles qui paraissent décuplées. L’œil est plutôt attiré vers les «dizaines et [l]es dizaines de papillons qui volent» (s.p.), surtout vers ceux qui se posent sur les tournesols, dessinés en gros plan et très détaillés. Un jardin pour Tipiti le colibri s’inscrit ainsi aux côtés d’œuvres québécoises pour la jeunesse comme Jane, le renard et moi de Fanny Britt et Isabelle Arsenault (2012), Le ciel tombe à côté de Marie-Francine Hébert et Lou Beauchesne (2003) et La chute de Sparte de Biz (2011), qui «réaffirment l’idée voulant que l’environnement naturel soit bien plus qu’un simple cadre dans lequel nous évoluons.» (Beaudoin: 74) Contrairement à ces titres, l’album de Papineau et Crovatto manifeste une visée « explicitement didactique » (74), à l’instar de toutes les docufictions de la série:

Les pollinisateurs sont essentiels à la vie sur notre planète. En butinant de fleur en fleur, ils transportent le pollen qui féconde les plantes. Ils leur permettent ainsi de produire des “bébés”…c’est-à-dire des fruits, des légumes et des graines. Tous les pollinisateurs illustrés au début et à la fin de ce livre sont cachés dans le jardin de Camille et Paolo. Tu peux t’amuser à les repérer au fil de l’histoire, ou encore mieux, dans les jardins de ta ville ou de ton village! (s.p.)

La couverture se transforme d’ailleurs en affiche géante qui illustre divers pollinisateurs et qui offre des informations à leur sujet. Selon Sébastian Thiltges, la mobilisation de l’image dans les textes pour enfants «s’avère pertinent[e] d’un point de vue écocritique, car le mélange du texte et de l’image allie [le] plaisir de la découverte au didactisme tout en garantissant une expérience sensible et perceptive plurielle du livre» (86). Tous les opus du Petit monde de Camille et Paolo sont majoritairement composés d’images à fond perdu. Dans À la rescousse de Mia la tortue, elles rendent compte de l’immensité de la mer. L’une d’entre elles montre Camille qui plonge dans l’eau, entourée de méduses, d’anémones et d’algues. Les illustrations témoignent aussi de l’étendue du ciel et de la plage, où sont dessinés plusieurs oiseaux, mollusques, végétaux et crabes, ce qui montre bien que «[l]e bord de la mer (ou du golfe du Saint-Laurent) est un milieu qui grouille de vie.» (s.p.) Un jardin pour Tipiti le colibri s’attache aussi à mettre en relief les liens qui se tissent entre les êtres qui cohabitent dans la nature: les plantes nourrissent les pollinisateurs, qui permettent ensuite de multiplier les végétaux. La nature prend soin d’elle-même; elle devient de plus en plus dense à mesure que se déploient les relations qui l’animent. Celles-ci alternent entre l’infiniment petit des papillons qui butinent les tournesols et des «tiges qui pointent le bout de leur nez» (s.p.) et l’infiniment vaste d’un paysage où les insectes volent par dizaines et où les plantes semées par l’enfant poussent jusqu’au ciel.

Figure 4: CROVATTO, Lucie et Lucie Papineau. 2020. Un jardin pour Tipiti le colibri. Montréal: Éditions de La Bagnole.

Si le point de vue de l’être humain tend à s’estomper dans le texte et dans les illustrations au profit des descriptions et des images de la nature, il n’est pas pour autant complètement absent. L’enfant s’inscrit elle aussi dans la communauté du jardin. Après tout, c’est Camille qui sème les graines. De ce fait, «[i]l ne s’agit pas ici de vouloir présenter une image “vraie” ou “pure” de la nature, image fondée sur l’exclusion (illusoire) de la médiation humaine, mais au contraire, de réinventer […] les moyens de la représentation» (Blanc et al.: 22-23) en proposant des textes et des dessins où les actions humaines ne sont plus au centre du récit et où la pensée anthropocentrique cède le pas à une relation «“écocentrique” ou encore, devrait-on dire plus exactement, éco-décentrée, tant il est vrai que l’écosystème, réseau de relations rhizomatiques, n’est pas une communauté centralisée.» (Grandjeat: 22) Un jour je bercerai la Terre, de Mireille Levert, met aussi de l’avant «l’interconnection de toute chose dans un écosystème» (Thiltges: 81) en évacuant cette fois tout didactisme.

Parmi les titres qui composent notre corpus, Un jour je bercerai la Terre est celui qui adopte le style et la forme les plus poétiques. Dans sa préface, Mireille Levert décrit les sentiments et les souvenirs qui sont à l’origine de sa création:

Enfant, j’aimais avec le vent courir dans les champs. Dans le silence du matin, observer le vol des oiseaux. Me cacher dans une cabane faite de branches d’arbres pour regarder passer une caravane de fourmis. Me coucher sur le dos dans l’herbe pour contempler la lente procession des nuages.

Encore maintenant, je me sens petite, un minuscule grain de sable, une infime poussière d’étoile, tombée par hasard dans un jardin magnifique.

Une terre de beauté. (s.p.)

Le texte reprend mot pour mot certains de ces passages et plusieurs illustrations rendent compte des actions et de l’humilité décrites par Levert. Le jeune garçon dont il est question est souvent «minuscule» devant l’immensité des paysages représentés à fond perdu. À l’image de ce qui se produit dans L’histoire de la petite feuille analysée par Thiltges, «[l]e témoignage et l’expérience intimes de la nature enclenchent le travail poétique et font naître le texte». Chez Mireille Levert comme chez Mireille Cukier-Jakubowicz et Marc Cukier,

[l]’expérience réelle suggère […] un lien entre l’environnement et le texte, mais ce lien va à l’encontre de la traditionnelle mimésis réaliste en ce que le texte n’est pas une simple re-présentation du monde naturel, mais une médiation de deux expériences, l’une naturelle, l’autre textuelle. La description de l’expérience référentielle souligne le fait que la nature est bien réelle et ne peut, par conséquent, être considérée exclusivement comme une construction esthétique et poétique. La nature doit être conservée, car elle est source de vie et source de sens. Le texte n’est donc pas seulement éco-poïétique au sens où il crée un discours écologique, mais également au sens où l’environnement est la source d’un travail de création poétique. (Thiltges: 96)

Dans Un jour je bercerai la Terre, la nature est posée comme source de vie, de sens et de création dès la première double page, où le garçon est installé devant son chevalet:

Un jour j’écrirai
sur du vrai papier

Je prendrai mon temps
je tracerai à la main
chaque lettre

Je dessinerai
avec des mots
et des couleurs
la lune, le soleil
les planètes
la Voie lactée

Ma planète toute ronde (s.p.)

Illustration et texte sont juxtaposés, disposés de part et d’autre de la charnière. La double page subséquente reprend ce format: «Nous sommes [alors] dans une situation de séparation maximale [entre texte et image], la pliure matérialisant la frontière entre deux espaces réservés.» (Van der Linden: 51) De sa maison, l’enfant dit bonjour au soleil, aux fleurs, aux insectes et aux oiseaux nommés par la voix textuelle. Dans la suite de l’album, il va à leur rencontre. Lorsque l’enfant quitte son univers de création et sa demeure, textes et images s’entremêlent en même temps qu’il s’immerge dans la nature, provoquant un effet de rupture qui accentue la plongée. Alors que le lectorat devait avant cela «passe[r] successivement d’une observation de l’image à la lecture du texte […], engendrant un rythme de lecture régulier» (Van der Linden: 51), il doit dès lors étendre son regard à l’ensemble de la double page pour repérer les insectes, les animaux et les végétaux qui occupent l’espace de composition. Progressivement, le protagoniste quitte son statut d’observateur et énonce son désir d’entrer en symbiose avec l’environnement et ses occupants: «J’écouterai / ma respiration / mon ventre / mon cœur / Je marcherai / avec le loup / le chevreuil / et l’ours / Un jour mon cœur battra / avec celui des animaux / avec l’esprit de la forêt» (s.p.). La fusion est espérée et non avérée, ce dont témoignent l’emploi du futur simple et l’anaphore «Un jour». L’enfant exprime surtout son désir de s’inscrire au sein de la nature qui l’entoure, parmi ses occupants: chevreuils et bernaches, auprès de qui il s’imagine marcher et voler, portant lui-même bois et ailes, mais aussi nuages, insectes, étoiles, vent, marée, flocons de neige, etc. Il aspire à prendre soin de ceux-ci: «Un jour je brillerai / étoile parmi les étoiles»; «Un jour je bercerai la Terre» (s.p.). Le verbe «bercer» témoigne d’un souhait de prendre part au même mouvement que les êtres et les éléments apaisés. Le protagoniste retrouve sa maison à la fin du livre, alors qu’il étreint la Terre sur laquelle elle se trouve. Une «poétique de l’habitation du monde» (Suberchicot: 18; cité dans Thiltges: 83) se déploie au fil des pages, en suggérant que l’être humain n’est pas extérieur à la nature: il est connecté à tous les éléments qui la composent, que ceux-ci soient animés ou inanimés, organiques ou inorganiques.

Figure 5: LEVERT, Mireille. 2017. Un jour je bercerai la Terre. Montréal: Éditions de La Bagnole.

Un jour je bercerai la Terre sollicite d’autres sens que la vue en rendant compte des sons, des mouvements et des variations de température qui animent l’environnement: «Je prêterai l’oreille / au murmure du ruisseau / au sifflement du vent / dans les feuilles et les branches / Un jour je chanterai / avec la musique des arbres» (s.p.). L’aquarelle agit de manière similaire en mettant en relief les diverses textures du monde. La composition mobilise parfois la technique du collage: les ailes des insectes et les nuages sont représentés à l’aide de morceaux de papier déchirés, rugueux ou diaphanes. L’album «tente de recréer l’immanence et la pluralité perceptive de la nature» (Thiltges: 86) en invitant son lectorat à prêter attention au chant des oiseaux, à l’humidité de la pluie et à la délicatesse des libellules. En décrivant et en illustrant une expérience où l’enfant désire trouver sa place dans la nature, qu’il découvre «avec [s]es yeux émerveillés tout grands ouverts» (s.p.) et qu’il souhaite habiter, écouter et bercer, le livre favorise «une prise de conscience de l’être-au-monde, décrit cette expérience et crée (eco-poiesis) un modèle écologique qui réunit la nature, le texte et le lecteur» (Thiltges: 82). L’album «cherche non pas à instruire ni à faire peur, mais à [faire] découvrir le lien qui unit l’être humain à son environnement à travers une démarche poétique et sensible.» (83) Il invite ainsi son lectorat à réfléchir à ses responsabilités environnementales, et ce, sans lui montrer des comportements à imiter ou à éviter (83). Il s’agit plutôt de suggérer que l’être humain est solidaire d’un monde qu’il ne domine pas.

* * *

Notre étude ne saurait brosser un portrait général des albums québécois qui, dans les quinze dernières années, ont représenté les animaux sans «confisqu[er] […] leur image» (Bourre: 105). Elle permet tout de même de constater, comme le fait Thiltges à partir d’un corpus luxembourgeois, qu’au moins trois «écogenres» se profilent dans les albums jeunesse québécois. Bien que les titres qui n’anthropomorphisent pas les animaux ou qui critiquent l’anthropocentrisme abordent le thème du bien-être animal de façons différentes, ces «écogenres» ne sont pas à envisager en tant que catégories mutuellement exclusives. Des éco-graphies écologistes et éducatives comme Manchots au chaud et À la rescousse de Mia la tortue sont susceptibles de conscientiser les enfants aux enjeux auxquels notre époque est confrontée. Or «le rôle de la fiction et de la création poétique dans les textes pour les enfants et la jeunesse n’est pas uniquement de “fleurir” un discours pédagogique» pour éveiller la conscience écologique (Thiltges: 83). Dans Léo et sa pieuvre et Alex et Mauve: la tortue, il s’agit davantage d’«instruire le plaisir» (Prince: 79; cité dans Thiltges: 96) en suggérant avec humour et sans didactisme apparent que l’instrumentalisation du plus-qu’humain est une mauvaise idée. Alors qu’il est possible «de dire l’altérité de la nature […] sans la civiliser, sans la cultiver» (Blanc et al.: 21) comme le fait Ami pour-tout-toujours, les albums de Laurent Theillet (Léo et sa pieuvre) et de Célyne Fortin et Marion Arbona (Alex et Mauve: la tortue), plus écologiques qu’écologistes au sens où Grandjeat entend ces catégories, accentuent l’anthropomorphisation pour insister sur la distance qui sépare l’être humain de l’animal. Un jardin pour Tipiti le colibri et Un jour je bercerai la Terre empruntent quant à eux une voie plus «éco-poétique» (Blanc et al.: 21; les auteurs soulignent) ou «éco-poïétique» (Thiltges: 96) en exposant les multiples interactions entre les êtres qui cohabitent dans l’écosystème. Ces livres «[font] le pari de sensibiliser en racontant des histoires [qui sont] comme autant d’invitations à (re)lire et à (re)penser le monde.» (Thiltges: 83) Après tout, comme le souligne Marie-Hélène Massie, «avant de conscientiser les enfants aux problèmes environnementaux, il importe d’abord de les inviter à contempler, à développer une sensibilité face aux beautés de la nature, afin que leurs gestes protecteurs deviennent éventuellement instinctifs et bien sentis.» (134)

Puisque «tous les anthropomorphismes ne se valent pas, et [que] certains sont plus valables et efficaces que d’autres» (Volpilhac: s.p.), il faudrait examiner dans quelle mesure des albums qui présentent des animaux fantaisistes peuvent aussi proposer des liens inter-espèces plus sensibles qu’anthropocentrés, en devenant potentiellement «pourvoyeu[r]s d’attachements pour les êtres et les mondes non humains» (Sermon, 2021: 130). La prise en compte des végétaux serait également souhaitable: l’arbre, par exemple, est plus ou moins anthropomorphisé dans plusieurs albums québécois où il est question d’êtres humains qui entrent en relation avec la nature12Nous pensons notamment à L’arbragan de Jacques Goldstyn (Montréal, La Pastèque, 2015) et à L’arbre au cœur brisé de Lili Chartrand et Gabrielle Grimard (Saint-Lambert, Dominique et compagnie, 2016).. Plusieurs titres mettent en jeu des enfants qui prennent soin de plantes, à la manière des protagonistes d’Un jardin pour Tipiti le colibri et d’Un jour je bercerai la Terre. Par ailleurs, comme le remarque Flore Garcin-Marrou au sujet du théâtre contemporain, «[l]’intérêt pour les animaux nous maintient dans un certain zoocentrisme, car nous ne sommes ni plus ni moins des animaux qui nous intéressons à d’autres animaux.» (s.p.) Or l’émerveillement nécessaire à l’éveil d’une conscience écologique (Massie, 2017) doit se faire par la rencontre de tout ce qui constitue le «plus-qu’humain», c’est-à-dire «la myriade de créatures et de communautés, de phénomènes et d’éléments avec lesquels nous collaborons pour faire et habiter la Terre»: «animaux, fongus, lichens, plantes et protistes; écosystèmes et relations symbiotiques; aurores boréales, eaux, nuages et pierres; collines vallonnées, marais herbacés, rivières débordantes.» (Hope: 2017)

   

ANNEXE — Autres albums québécois présentant un faible niveau d’anthropomorphisation13Le recensement réalisé pour cette étude s’arrête en 2021.

BEAUCHESNE, Lou et Elisabeth Eudes-Pascal. 2013. L’oiseau de monsieur Pigeon. Montréal: Éditions de la Bagnole, 32p.

CHARTRAND, Lili et Marie LAFRANCE. 2018. La petite fille blanche. Montréal: Québec Amérique, 36p.

DUCHESNE, Christiane et Pierre PRATT. 2015. Moi, mon chat… Montréal: Éditions de la Bagnole, 32p.

DUMAS, Marianne. 2016. Le pêcheur et le renard. Moncton: Bouton d’or Acadie, 52p. 

FORTIN, Célyne et Marion Arbona. 2013. Alex et Mauve: le lièvre. Montréal: Les Heures bleues, 48p.

GAY, Marie-Louise. 2020. Les trois frères. Saint-Lambert: Dominique et compagnie, 36p.

PAPINEAU, Lucie et Lucie Crovatto. 2019. L’escapade de Paolo. Montréal: Éditions de la Bagnole, 32p.

PAPINEAU, Lucie et Lucie Crovatto. 2021. Une maison pour Pippa la souris. Montréal: Éditions de la Bagnole, 32p.

LEPAGE, Catherine. 2017. Marivière. Montréal: Comme des géants, 48p.

MARCOTTE, Danielle et Andrew Davis. 2019. Capri, la petite antilope des prairies. Régina: Éditions de la nouvelle plume, 42p.

MCGRATH, Jennifer et Josée Bisaillon. 2018. La vie secrète. Montréal: Québec Amérique, 32p.

MESSIER, Mireille et Kass Reich. 2020. Sergent Billy: la vraie histoire du chevreau devenu soldat. Montréal: Isatis, 40p.

NADON, Yves et Manon Gauthier. 2014. Grand-mère, elle et moi. Montréal: Les 400 coups, 32p.

POULIN, Andrée et Véronique Joffre. 2015. N’aie pas peur. Varennes: Comme des géants, 40p.

VINTZE, Annie et Caroline Merola. 2021. Petits pas dans la neige. Montréal: Isatis, 24p.

    

Bibliographie

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BRIÈRE, Paule et Christine Battuz. 2009a. Super toutou contre les voleurs de fourrure. Montréal: Bayard Canada, 24p.

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WINTERS, Kari-Lynn et Pierre Pratt. 2015. Ami pour-tout-toujours. Montréal: Planète rebelle, 36p.

  • 1
    Dans le cadre de cette étude, nous utilisons l’expression «plus-qu’humain» afin de ne pas reconduire les rapports de binarité et de marginalité anthropocentriques que portent, à nos yeux, les appellations «non-humain» et «autre-qu’humain». L’emploi de «plus-qu’humain», qui ne fait pas l’unanimité parmi les chercheur·euses, questionne l’exceptionnalisme humain et procède à une inversion des rapports hiérarchiques occidentaux qui ont historiquement placé l’être humain au sommet de la pyramide du vivant et de la matière. L’anthropologue Sophie Chao explique: «More-than-human […] invokes a counter-ethos of humility – one that challenged primacy of superior human worth or value» (180). Dans une conversation avec Catherine Price, elle examine les expressions «non-humain», «autre-qu’humain» et «plus-qu’humain» et fait part des limites de celles-ci.
  • 2
    Selon Anne-Marie Dionne, les albums qui présentent un faible niveau d’anthropomorphisme sont ceux dans lesquels ni les illustrations ni le texte ne sont anthropomorphisés: «un texte est considéré comme étant fantaisiste (ou anthropomorphique) si un langage intentionnel est utilisé pour décrire les comportements, les sentiments ou les états d’esprit des animaux, ou encore s’ils sont présentés comme étant des êtres doués de la parole, soit de façon explicite par le discours direct ou de façon implicite par l’entremise de la narration. En ce qui concerne les illustrations, […] elles sont considérées comme étant fantaisistes (ou anthropomorphiques) si les animaux sont représentés alors qu’ils exercent des actions spécifiquement humaines (par exemple, lire un journal, conduire une voiture, aller à l’école), qu’ils ont des expressions faciales ou des postures humanisées, qu’ils portent des vêtements, ou qu’ils utilisent de façon autonome des artefacts dont se servent les humains» (103-104).
  • 3
    Nous avons retenu les œuvres qui nous ont semblé offrir les perspectives d’analyse les plus riches. D’autres albums présentant également un faible niveau d’anthropomorphisme, mais ayant été écartés de l’analyse, sont recensés dans en annexe.
  • 4
    Nous utilisons l’expression «dit de compagnie» à la suite de Françoise Armengaud: «j’adopte la classification habituelle des espèces animales relative à l’usage humain: “animaux de compagnie”, “sauvages” ou “d’élevage”. Mais, comme ils n’ont pas choisi d’y appartenir, je l’ai relativisée. Pour moi, ils sont seulement dits “de compagnie”, dits “sauvages” et dits “d’élevage”.» (2017: 204; l’autrice souligne)
  • 5
    Tous les albums de la série Le petit monde de Camille et Paolo présentent ces caractéristiques.
  • 6
    Au Québec, nous pensons notamment à la collection «Ma petite planète» des éditions Passe-temps, spécialisées en production de matériel pédagogique.
  • 7
    Thiltges appuie ses réflexions sur les idées déployées par Dagmar Lindenpütz (2000).
  • 8
    Selon Alain Ponsero et Laurent Dabouineau, il s’agit de l’une des caractéristiques de l’écologie dite «classique» ou anthropocentrique (12).
  • 9
    Nous avons observé le déploiement d’une stratégie similaire dans deux pièces de théâtre de l’artiste gaspésienne Maryse Goudreau, que nous avons également étudiées au prisme des écritures «écologistes», «écologiques» (Grandjeat, 2005) et «écopoétiques» (Sermon, 2021). Voir Jeanne Murray-Tanguay. 2023. «Histoire sociale du béluga et La conquête du béluga: écritures et lectures désanthropocentrées de la baleine». Percées. No 7-8. En ligne. https://percees.uqam.ca/fr/article/histoire-sociale-du-beluga-et-la-conquete-du-beluga-ecritures-et-lectures
  • 10
    Grandjeat utilise ce terme pour qualifier des comparaisons qui ont recours à des comparants humains inadéquats ou surprenants pour décrire la réalité plus-qu’humaine.
  • 11
    Pour Sébastian Thiltges, la personnification de la nature permet parfois d’éviter de la reléguer au statut de «décor environnant» (95); son argumentaire éclairant montre bien que «tous les anthropomorphismes ne se valent pas» (Volpilhac, s.p.).
  • 12
    Nous pensons notamment à L’arbragan de Jacques Goldstyn (Montréal, La Pastèque, 2015) et à L’arbre au cœur brisé de Lili Chartrand et Gabrielle Grimard (Saint-Lambert, Dominique et compagnie, 2016).
  • 13
    Le recensement réalisé pour cette étude s’arrête en 2021.
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