Entrée de carnet

La vigilance et l’attention

Gloria Isabel Gomez Ceballos
couverture
Article paru dans Revenir et s’écrire dans les traces, sous la responsabilité de Catherine Cyr et Katya Montaignac (2023)

     

Pendant le La vigilance et l’attention séminaire, nous avons réfléchi sur l’attention et sa relation avec le monde contemporain.  À travers des ateliers pratiques et des lectures académiques, nous sommes plus capables d’élargir la relation qui existe entre notre subjectivité et la nature. Pour cette raison, à propos de la sphère écopolitique, je voudrais partager quelques considérations sur le concept de “vigilance”, une capacité essentielle pour comprendre la relation entre l’attention et le contrôle.

Mon point de départ est ce fragment du texte “Cosmodélie: scènes de l’attention” écrit par Jérémy Damien:

“…cette vigilance-là pourrait être une forme d’hypersensibilité au monde, à ses événements autant qu’à ses périls ou menaces, le lieu de la dissipation, de la désidentification ou de l’enchantement, le lieu de la mise en relation avec le monde. Bref, un lieu intenable.” (Damien, 2021, 2).

Damien utilise un chapitre de Moby Dick pour décrire le régime attentionnel actuel, traversé par le néolibéralisme et le capitalisme postindustriel. L’auteur propose “l’hypersensibilité du monde” pour expliquer les effets produits par le système économique sur “nos actes de perception”. J’ajouterais à sa réflexion que la vigilance est une forme d’attention qui se concentre dans un but précis. Par Foucault, c’est un mécanisme spécifique du pouvoir de discipline (Gomez & Romero, 2010) et ce contrôle peut se manifester à travers de la famille, l’école, l’état et la religion.

Donc, la vigilance humaine est associée à la sécurité des citoyens, la protection de la propriété, la surveillance des prisonniers, l’anticipation d’une attaque terroriste, etc. Pour mener à bien ces activités, des objets et structures encore existantes ont été utilisés pour avoir le contrôle sur de grandes distances (jumelles, radios, prisons, tour de vigilance). Actuellement, la distance physique n’a pas d’importance, car ils nous contrôlent à travers la technologie: les caméras de sécurité, la géolocalisation, la biométrie, les détecteurs de mouvement et les bases de données numériques ne sont que quelques exemples.

Pour moi, cela signifie que la vigilance est programmable tandis que l’attention est volontaire. C’est á dire, la vigilance faite par les machines dépend des informations et des instructions créées par des humains, et vise généralement à garantir la sécurité et la productivité (par exemple, il y a des logiciels qui utilisent l’intelligence artificielle pour mesurer les résultats des travailleurs chaque journée). Quant à certains animaux, la vigilance est une capacité liée à la survie: les jaguars surveillent leurs proies dans le but de les chasser tandis que les suricates désignent une sentinelle pour défendre leur territoire des prédateurs…La protection et l’attaque sont déterminées par l’instinct!

Contrairement, l’attention implique l’utilisation libre des cinq sens, parce que quand les humains et les animaux font attention à un stimulus, nous utilisons notre perception pour comprendre des expériences, et ce phénomène vient de l’intuition et pas de la programmation. Pour cette raison, je trouve que l’information rassemblée par l’attention est toujours sensible. Je parle ici des émotions, des sensations et des expériences qui traversent le corps, une caractéristique pas présente dans les données numériques des nombreux dispositifs de la surveillance humaine. La vigilance n’utilise pas nécessairement le corps pour obtenir des informations. Même l’interprétation de ces données peut être effectuée à tout moment et par n’importe qui, car il s’agit d’une activité qui n’est pas médiatisée par la subjectivité. Par contre, l’attention requiert la présence et la concentration de l’individu en direct.

Et c’est précisément cette caractéristique qui explique qu’on parle de “pratiques attentionnelles” et non de “pratiques de surveillance”. Bien qu’on puisse utiliser la vigilance comme un concept artistique et créer des œuvres qui utilisent des dispositifs de surveillance pour critiquer le contrôle, l’art utilise l’attention dans tous les processus créatifs: “Les artistes sont, eux aussi et d’une toute autre manière sans doute, des instaurateurs et des sculpteurs d’attention” (Damien, 2021, 10).

L’attention des artistes se matérialise en créations uniques, parce qu’ils sont le résultat d’une réflexion intentionnelle pas limitée à accomplir une tâche spécifique sinon à construire plusieurs significations, et grâce au fait que l’attention n’est ni mécanique ni séquentielle, les pratiques écosomatiques artistiques utilisent le corps pour incarner des expériences spontanées concentrées sur la nature et le paysage.

Pour finir, la vigilance est une manière de contrôler quelqu’un ou quelque chose à travers de l’autorité, alors que l’attention est toujours liée à la curiosité… Curiosité de ce qui existe, de ce qui se répète, de qui est connue et de ce qui est inconnue. Cependant, il vaudrait la peine de poursuivre cette réflexion parce que dans le domaine des arts, il y a des initiatives qui proposent de changer la notion contemporaine de vigilance pour un paradigme “de la vigile et le soin” (Rocha & Prado, 2022) à travers des œuvres de Bioart crée par des indigènes; et si cette transformation est possible, des pratiques écosomatiques peuvent se réconcilier avec des actions de vigile qui cherchent de nouvelles relations entre attention et contrôle. De cette manière, le contraste entre les deux concepts peut justifier la vigilance comme une activité complémentaire qui fait partie d’un nouveau regard sur le monde (Zhong Mengual) ou —pourquoi pas?— de nouveaux Mondes possibles (Damien Jeremy, Laura Burns).

      

Références

Damian, J. (2021). Cosmodélie: scènes de l’attention. Revue Corps-Objet-Image, (4).

Rocha Montanari, M., & Prado, G. (2022). From vigilance to vigil: an introduction to an alternative paradigm for technology, art, and life. Diffractions, (5), 71-98.

Yela Gómez, J. A., & Hidalgo Romero, C. I. (2010). El poder en Foucault: bases críticas para el estudio de las organizaciones. Cuadernos de Administración (Universidad del Valle), (44), 57-70.

     

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