Entrée de carnet

La savante habite-t-elle le même monde que la poète?

Maxime Fecteau
couverture
Article paru dans Écodramaturgies: questions, repères, dispositifs, sous la responsabilité de Catherine Cyr (2022)

L’expression «esprit scientifique» peut rappeler la froideur cartésienne d’un sarrau blanc au beau milieu d’un laboratoire aseptisé. Mais que se passe-t-il lorsque, en pleine forêt, la frontière entre la subjectivité et l’objectivité s’estompe? Quand le corps humain – avec sa part sensorielle et affective – vient reprendre une place dans l’éthos scientifique?

Lors d’une discussion de la première journée d’étude «Avec l’autre qu’humain. Penser, agir et écrire les coprésences», j’ai été touché par la sincérité d’Alison Munson (géochimiste et professeur au département des sciences du bois et de la forêt de l’Université Laval), lorsqu’elle a avoué avoir développé, au fil des années, un certain «attachement» pour les milieux forestiers qu’elle étudie. Sortant de la bouche d’une scientifique, le mot n’est pas anodin. Dans le langage ordinaire, on parle d’attachement filial ou sentimental, sinon d’attachement à des valeurs ou des principes. «Être attaché», c’est éprouver de l’affection, ou un sentiment d’appartenance, vis-à-vis d’autrui. C’est tenir à l’autre, en pensée et en action. Cet attachement – je me suis demandé – l’invite-t-il, tout en maintenant son devoir d’objectivité, à imaginer que ses objets d’étude (les arbres d’une forêt) puissent aussi être un ensemble de sujets? Des sujets qui, eux aussi, sont attachés les uns aux autres; qui, comme nous, tiennent à certaines valeurs.

Pendant longtemps, il n’y a eu que les poètes qui pouvaient s’imaginer de telles choses. Mais c’est bien la réalisation à laquelle est arrivée son homologue, la professeure Suzanne Simard de l’Université de la Colombie-Britannique. Une prise de conscience – aussi scientifique que lyrique – qui a changé sa perception du monde, et qu’elle raconte dans son livre Finding the Mother Tree. «The forest is wired for wisdom», écrit-elle. 

Enfin, j’aime penser que l’écologiste Paul Sears avait raison, lorsqu’il affirmait que «le scientifique grimpe et gravit la montagne, et quand il arrive au sommet, il découvre les empreintes du poète.»

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