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La place des veuves dans un monde d’hommes: Genre et classe à Charleston, Caroline du Sur, au début du XIXe siècle

Isabelle Lehuu
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Article paru dans Blanches et Noires: Histoire(s) des Américaines au XIXe siècle, sous la responsabilité de Isabelle Lehuu (2011)

En 1809, l’historien David Ramsay prit soin d’inclure un véritable éloge du caractère féminin dans son histoire de la Caroline du Sud. Il souligna non seulement l’attention qu’épouses et mères vouaient à leurs familles, mais aussi la contribution des femmes célibataires qui faisaient leur devoir de filles, de sœurs, d’amies et d’enseignantes. Et surtout, il rendit hommage aux veuves, remarquant que «des maris spéculateurs, intempérants et mauvais gestionnaires servaient les intérêts de leurs familles en mourant et en laissant ainsi leurs veuves assumer la gestion complète de leur fortune» (Ramsay, 1809: II, 412). Les veuves de Caroline du Sud s’avéraient donc indispensables à la sauvegarde du patrimoine familial et au succès économique des familles aisées, ce qui justifiait, selon Ramsay, une plus grande équité entre fils et filles dans les pratiques successorales.

À une époque où le discours dominant soulignait l’infériorité intellectuelle des femmes et où les lois et coutumes réaffirmaient leur statut de subordonnées, l’admiration que David Ramsay portait aux femmes de sa région sortait quelque peu de l’ordinaire. Déjà dans ses écrits sur la guerre d’indépendance, l’historien sudiste louangeait les femmes patriotes: «Dans cette crise de danger pour les libertés de l’Amérique, les Dames de la Caroline Méridionale se conduisirent avec une magnanimité plus que Spartiate[…] Au fort des conquêtes Britanniques, & lorsque la ruine & l’indigence sembloient devoir être le partage inévitable de tous les partisans fidèles de la cause de l’Amérique, les femmes montrèrent généralement plus de fermeté que les hommes» (Ramsay, 1787: II, 150-151). Mais le respect que l’historien manifestait à l’endroit des femmes, loin de se limiter aux événements extraordinaires de la révolution américaine, concernait aussi la vie quotidienne de ses proches au début du XIXe siècle. Très admiratif de son épouse, Martha Laurens Ramsay, dont il publia les mémoires dans une édition posthume en 1811, David Ramsay se fit également le chroniqueur de la participation silencieuse des femmes à la croissance économique et au développement des familles dans les décennies de la jeune république jeffersonienne (Ramsay, 1811; Gillespie, 2001).

Dès le tournant du siècle, David Ramsay devînt une figure centrale de la communauté intellectuelle de Charleston, bien qu’il ne jouât qu’un rôle mineur en politique, étant sans doute marginalisé de par ses positions libérales sur la question de l’esclavage, en plus de ses origines, lui qui n’était pas de la Caroline du Sud, mais de la Pennsylvanie. Historien, écrivain, mais aussi médecin et membre actif de plusieurs sociétés savantes, Ramsay demeure un témoin extraordinaire de son temps (Shaffer, 1991: 3-6 ; O’Brien, 1994). S’il «manquait de jugement dans les affaires du monde», pour reprendre l’expression de Robert Y. Hayne lors de son oraison funèbre, c’est que l’intellectuel Ramsay fut fortement endetté à la suite de mauvaises transactions financières et des frais liés à la publication coûteuse de ses écrits. Forcé finalement d’hypothéquer la plupart de ses biens immobiliers et de vendre sa plantation de soixante-neuf acres, David Ramsay meurt assassiné par un fou qu’il avait tenté de soigner (Bailey, 1981: 503)1 En1797, Ramsay devait 97 204$ à son beau-frère, Henry Laurens Jr. et, en 1798, il dut déclarer faillite. Selon le recensement fédéral de 1790, Ramsay était propriétaire de six esclaves, mais il semblait en avoir seize au moment de sa faillite.. Les biographes retiennent surtout le fait que Ramsay a connu des difficultés financières, mais ils auraient dû souligner aussi la perspicacité avec laquelle il sut reconnaître la part importante que jouaient les femmes dans la société. Sans aller jusqu’à promouvoir la fin des distinctions de genre et la participation des femmes à la sphère publique, Ramsay n’en appréciait pas moins le jeu du hasard qui faisait succéder à des planteurs indolents et endettés leurs veuves industrieuses et productrices de richesses. De plus, le portrait qu’il fit des veuves de la Caroline du Sud a la particularité de correspondre à un moment historique où les veuves avaient un poids démographique important et, par conséquent, une visibilité accrue dans la société de l’époque.

En écho au témoignage de l’historien David Ramsay, ce chapitre veut cerner la place qu’occupaient les veuves dans une société régie par des hommes et saisir la particularité de leur expérience par rapport à celle des autres femmes. Les traces qu’ont laissées plusieurs veuves dans les sources documentaires de la Caroline du Sud du début du XIXe siècle limitent nos références à l’élite sociale blanche. Mais bien qu’elles soient fragmentaires, ces archives permettent d’explorer l’histoire du veuvage féminin à l’échelle régionale et de remettre en question la soi-disant invisibilité des femmes de cette époque. Comme ailleurs en Amérique du Nord et en Europe, les représentations du veuvage féminin offraient surtout des images de désolation et de précarité. Cependant, les stéréotypes de veuves esseulées, vieilles, acariâtres, pauvres, ou encore ceux de la veuve joyeuse, qui ont été véhiculés à travers les âges, masquent une autre réalité historique: celle d’une catégorie de femmes que leur statut de veuves distinguait de la majorité silencieuse des épouses et mères, sans pour autant les élever au même rang que les hommes dans la société patriarcale du XIXe siècle. La présente étude examine le cas de jeunes femmes devenues chefs de famille à la suite de la perte de leur époux et se retrouvant à la tête d’exploitations agricoles ou commerciales. Les histoires singulières de ces veuves du Sud des États-Unis permettent ainsi de documenter un volet de l’histoire des femmes trop longtemps négligé ou incompris.

 

Une historiographie récente

Les recherches historiques sur le veuvage, aussi bien en Amérique du Nord qu’en Europe, ont été peu nombreuses et datent seulement des vingt-cinq dernières années. Certes, veuves et veufs avaient déjà fait l’objet d’importantes enquêtes de démographie historique au cours des années 1970 (Goody, Thirsk et Thompson, 1976; Van Tassel, 1979). Mais pour les historiens et les historiennes, comme pour les contemporains qui avaient relégué la veuve et l’orphelin aux organismes de charité, les veuves restaient cloîtrées dans la marginalité tant de l’histoire socio-économique que de l’histoire des femmes. Toutefois, aucours des années 1980, plusieurs études, notamment en histoire de l’Europe moderne, ont offert de nouvelles perspectives, comme par exemple les travaux d’Olwen Hufton sur les veuves et les vieilles filles de France et de Grande Bretagne (1984). L’indépendance du veuvage a alors été comparée aux contraintes du mariage et, contrairement aux femmes mariées, les veuves sont apparues comme des sujets historiques bénéficiant d’une visibilité inhabituelle.

Du côté américain, le développement des recherches en histoire des femmes dans les années 1980 a aussi été accompagné d’études ponctuelles sur le veuvage féminin, comme par exemple l’analyse des droits de propriété des femmes des colonies anglaises, de Marylynn Salmon (1986), ou l’étude sur les femmes libres de Suzanne Lebsock, portant sur le cas de Petersburg en Virginie pendant la première moitié du XIXe siècle (1985). Nous reviendrons sur les conclusions de ces auteures et leur pertinence pour le cas spécifique des veuves de Caroline du Sud. Mais il restait encore beaucoup d’archives à dépouiller pour comprendre le statut des veuves dans leur diversité sociale, régionale et chronologique. Selon Anne Firor Scott, une des pionnières de l’histoire des femmes sudistes, une étude des veuves s’imposait, laquelle inclurait notamment les veuves de planteurs qui avaient réussi à développer leurs plantations avec beaucoup de succès. Les contacts que ces femmes entretenaient avec le monde extérieur, le monde masculin des affaires, avaient même encouragé de fortes personnalités chez certaines veuves, voire un intérêt pour la politique (Scott, 1984: 189n). Anne Firor Scott a par ailleurs brossé le portrait d’Eliza Lucas Pinckney, l’incontournable femme planteur du XVIIIe siècle, dont la correspondance révèle à la fois le personnage public et la vie privée (Scott, 1979; Pinckney, 1997; Basket, 1971). Eliza Lucas, née en 1723 à Antigua et éduquée en Angleterre, assuma en l’absence de son père, qui était un militaire, la responsabilité des plantations familiales en Caroline du Sud. En 1744, elle épousa l’avocat Charles Pinckney, un veuf de quarante-cinq ans; mais après quatorze ans de mariage, elle devint veuve à l’âge de trente-cinq ans et le resta jusqu’à sa mort à soixante-dix ans2 Eliza Lucas Pinckneymeurt le 26 mai 1793.. Reconnue pour avoir introduit avec succès la culture d’indigo en Caroline du Sud dans les années 1740, Eliza Lucas Pinckney sert aussi de modèle patriotique à la fin du XVIIIe siècle, ayant réussi simultanément à exploiter les terres familiales et à éduquer toute sa famille, y compris des leaders politiques de la période révolutionnaire (Coon, 1976; Fryer, 1998).

Outre Eliza Lucas Pinckney, dont le parcours est singulier, la Caroline du Sud coloniale connut nombre de veuves, en commençant par Affra Harleston Coming, veuve et planteur dans le comté de Berkeley, dans la région littorale, de 1695 à 1698 (Anzilotti, 1997: 244-246). Mais le veuvage féminin n’affectait pas que la classe des planteurs. La ville coloniale de Charleston comprenait évidemment bien des veuves parmi ses résidants. Par exemple au XVIIIesiècle, les veuves entrepreneurs Elizabeth Timothy et Ann Timothy continuèrent de faire marcher la principale imprimerie de la colonie sudiste, assurant la publication de la South Carolina Gazette après la mort de Louis Timothy en 1738, puis celle de son fils, Peter Timothy, en 1782 (King, 1992: 169-197, 245-273; Humphrey, 1999; Dunn, 1999)3 Carol Sue Humphrey, «Timothy, Ann» v. 21, p. 688-689 et Elizabeth E. Dunn, «Timothy, Elizabeth» v. 21, p. 689-690.In American National Biography, sous la dir. de John A. Garraty et Mark C. Carnes. New York: Oxford University Press.3. Cependant, c’est surtout la problématique des femmes propriétaires terriennes qui a plus récemment retenu l’attention des historiennes du veuvage féminin dans le Sud des États-Unis, qu’il s’agisse de la période coloniale ou de la première moitié du XIXe siècle.

Ainsi, Cara Anzilotti a montré, dans une étude des femmes et du patriarcat dans la colonie de Caroline du Sud, que les veuves qui dirigeaient des plantations n’ont pas opté pour l’autonomie individuelle et l’indépendance qui s’offraient à elles, mais ont plutôt choisi d’appuyer l’organisation patriarcale de leur société afin de favoriser l’ascension sociale de leur famille (2002). Appelées à gérer la propriété du défunt mari et à éduquer de jeunes enfants jusqu’à l’âge adulte, les veuves des planteurs du littoral carolinien au XVIIIe siècle servaient simplement de trait d’union entre deux générations d’hommes. Et si elles ont parfois franchi les limites traditionnelles imposées à leur sexe en participant au pouvoir économique, elles n’ont, selon Anzilotti, jamais abandonné la place qui était la leur dans la société patriarcale et n’ont nullement remis en question la domination d’une élite blanche et mâle de planteurs (2002: 5).

De même, dans son étude des femmes maîtresses de plantations au cours de la période antebellum en Virginie, en Caroline du Nord et du Sud et en Géorgie, Kirsten E. Wood a décrit des veuves esclavagistes qui étaient perçues simultanément comme des femmes dans une société patriarcale, des propriétaires dans une société esclavagiste et des nanties dans une économie inégale (Wood, 2004: 6-11). Par leur veuvage, ces femmes de la classe des planteurs ont acquis une autorité qui mêlait féminité et esclavagisme, et les plaçait, en dépit de leur sexe, au-dessus non seulement des enfants et des esclaves, mais aussi des hommes blancs non esclavagistes. Elles avaient alors le pouvoir d’acheter, de vendre ou encore de punir leurs esclaves; elles pouvaient tout aussi bien congédier un régisseur, augmenter un loyer, annuler une hypothèque et même poursuivre en justice ceux qui avaient empiété sur leurs terres. Néanmoins, Wood démontre que ces femmes ont assimilé non seulement les distinctions de classe et de race, mais aussi l’inégalité de genre qui était au cœur de la définition hiérarchique de la société sudiste du XIXe siècle. Loin de revendiquer des droits en tant que femmes, leur comportement était essentiellement conservateur et elles ont préféré préserver leur identité de dames privilégiées, bénéficiant ainsi de la protection des hommes esclavagistes (Wood, 2004: 157; Wood, 2000).

Il ressort de ces études récentes sur les femmes planteurs une certaine ambiguïté quant au comportement des veuves. Complices du pouvoir patriarcal et esclavagiste, les veuves de la classe possédante opéraient dans un monde d’hommes tout en maintenant leur identité de femmes. Dans le contexte de leur soumission à l’autorité patriarcale des hommes blancs esclavagistes, on peut cependant distinguer les interstices d’une histoire où les rapports de pouvoir entre hommes et femmes étaient mitigés par des rapports de classe et de race. C’est pourquoi la présente étude s’attarde à dépouiller les faits et gestes de quelques veuves qui, sans publiquement remettre en question l’autorité patriarcale, révèlent néanmoins des comportements différents, des pratiques féminines. Leurs actions indiquent un autre mode de pensée et des initiatives ponctuelles visant à négocier les limites du statut de subordonnées qui était associé à leur sexe. C’est dans le silence des sources documentaires et sous l’apparence d’une soumission à l’idéologie dominante du Sud esclavagiste et paternaliste que l’on devra rechercher les traces furtives de la parole affirmative des veuves.

Si, par ailleurs, les travaux de Cara Anzilotti et de Kirsten E. Wood suggèrent des parallèles importants entre la période coloniale des XVIIe et XVIIIe siècles et la période antebellum du milieu du XIXe siècle, la situation des veuves reste floue au cours de la période de la jeune république américaine. Anzilotti souligne que les circonstances démographiques favorables à l’autonomie des veuves au XVIIIe siècle, en raison de la morbidité de la société coloniale sudiste, font place à une affirmation du pouvoir patriarcal au début de lapériode nationale, lorsque le taux de mortalité décroît4 Le changement est analogue à la distinction que Lois Green Carr et Lorena S. Walsch firent entre les premiers colons de la Baie du Chesapeake et les générations postérieures, dont la stabilité démographique est couplée à l’essor du patriarcat. Voir «The Planter’s Wife» (1977).. De son côté, Kirsten E. Woodmet l’accent sur les années 1840 et 1850 pour faire ressortir la complicité des veuves maîtresses de plantations et des leaders masculins de la classe des planteurs. Notre étude des veuves de Charleston dans les premières décennies du XIXe siècle permettra ainsi d’explorer comment des femmes privées d’époux ont agi dans une société en mutation et ce, entre les périodes étudiées par ces deux historiennes. Car la période nationale de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècle semblait tout aussi propice à l’indépendance des veuves, qui dérogeaient à la division des rôles genrés dans la société sudiste.

Rendre visibles les femmes invisibles a été la mission initiale des praticiens et praticiennes de l’histoire des femmes. Par contraste, la visibilité des veuves soulève la question de leur représentativité. En effet, les fragments de vie de veuves que l’on peut déchiffrer dans les archives laissent entrevoir l’histoire de femmes relativement moins invisibles que la plupart de celles qui, par le mariage, vivaient dans l’ombre d’un homme. Si les veuves vivaient dans l’ombre d’un défunt et restaient subordonnées à ses dernières volontés, elles n’en retrouvaient pas moins une identité juridique propre, dont étaient privées les femmes mariées. Alors que selon le droit commun, toute femme était sous la couverture légale d’un mari (feme covert) ou dépendait d’un père avant son mariage, seul le décès d’un mari «libérait» une femme et lui donnait une individualité aux yeux de la loi (feme sole). C’est donc par le veuvage que quelques-unes des femmes du passé sont devenues visibles dans les textes, et par suite visibles pour les historiens et les historiennes.

Autrement dit, de par leur statut particulier du point de vue juridique, les veuves constituaient une catégorie de femmes à part. Des femmes dans le veuvage pour la plus grande partie de leur vie adulte, mais aussi des mères. Des femmes silencieuses, comme beaucoup d’autres, mais aussi des chefs de famille avec des responsabilités économiques et une visibilité juridique. Des femmes sans maître, séparées des autres femmes, sans être égales aux hommes de leur classe. Et des maîtresses femmes qui exerçaient une relative autorité sur des êtres appartenant à des catégories sociales inférieures, libres ou esclaves.

 

Les chiffres du veuvage féminin à Charleston

Tout tableau du veuvage féminin dans la ville portuaire de Charleston doit d’abord s’appuyer sur les sources traditionnelles de la démographie historique pour donner une mesure du poids démographique que constituaient les veuves au XIXe siècle, avant de reconstituer le vécu quotidien de quelques individus. Dans leur étude statistique du recensement local de 1848, J.L. Dawson et H.W. DeSaussure ontcomptabilisé le nombre de femmes célibataires, mariées ou veuves à Charleston. Sur un total de 4 756 femmes blanches de quinze ans ou plus, on comptait 1 760 célibataires, 2 119 femmes mariées et 877 veuves, soit plus de 18 % (Dawson et DeSaussure, 1849: 27)5 Pour une critique de ce recensement encomparaison du recensement fédéral de 1850, voir Anne W. Chapman, «Inadequacies of the 1848 Charleston Census». À partir des mêmes données du recensement, les historiens Jane H. Pease et William H. Pease ont choisi, dans une étude comparée de Charleston et de Boston dans la première moitié du XIXe siècle, de ne comptabiliser que les femmes âgées de vingt ans ou plus. Cela les amène à conclure à une proportion de veuves qui dépasse le cinquième de la population féminine blanche à Charleston, une proportion par conséquent bien supérieure à celle de Boston qui ne comptait, à la même époque, que 11% de veuves (Pease et Pease, 1990: 11, 172n)6 À partir des données de Dawson et DeSaussure, les Pease ont comptabilisé un total de 4108 femmes blanches âgées de 20 ans ou plus, comprenant 1 173 célibataires, 2 058 femmes mariées et 877 veuves.. Selon les Pease, l’écart entre Charleston et Boston était dû au fait que les femmes blanches de Caroline du Sud se mariaient plus jeunes, avec des hommes plus âgés que leurs consœurs nordistes (1990: 11). Elles étaient alors plus susceptibles de connaître le veuvage dès qu’elles entraient dans la trentaine7 Marylynn Salmon a aussi souligné le jeune âge des défunts et des veuves à l’époque coloniale : voir Women and the Law of Property, p. 157..

Pourtant, il n’y avait pas toujours cette différence d’âge entre les époux. Les causes du veuvage étaient d’ailleurs multiples. Le taux de mortalité, déjà élevé à l’époque coloniale, augmenta durant la guerre d’indépendance, alors que la Caroline du Sud servait de champ de bataille révolutionnaire. Les conséquences démographiques du conflit continuèrent aussi de se faire sentir dans les premières décennies du XIXe siècle (Salmon, 1982). De plus, il faut prendre en compte le climat malsain de l’État sudiste et les épidémies chroniques de fièvre jaune pour expliquer l’importance de la mortalité et la fréquence du veuvage à Charleston8 On notera cependant que les victimes de la fièvre jaune étaient surtout des personnes qui n’étaient pas de la région et qui n’avaient pas l’immunité des habitués de la région. C’est pourquoi la yellow fever est souvent appelée Stranger’s fever. Il y eut vingt-cinq épidémies de fièvre jaune entre 1800 et 1860. Les pages suivantes souligneront la coïncidence des années d’épidémies avec le veuvage de plusieurs femmes de Charleston, même si l’information est insuffisante pour déterminer la cause du décès de leurs maris respectifs.. Dawson et DeSaussure ont d’ailleurs souligné l’écart important qui existait entre les 877 veuves et la minorité de 180 veufs. Pour la période de 1822 à 1848, le taux de mortalité était supérieur de 12 % pour la population mâle, l’écart étant encore plus significatif si l’on considère uniquement la population blanche (Dawson et DeSaussure, 1849: 27, 210, 213).

Pour ce qui est des années antérieures à 1848, les recensements sont loin de permettre un comptage des veuves à Charleston, et il est donc difficile de dégager l’évolution du veuvage dans le temps. Les recensements décennaux révèlent simplement un décompte par sexe et par race, avec parfois un découpage par groupes d’âge. De plus, avant 1820, ils ne précisent ni le sexe, ni l’âge de la population noire, tandis que le premier recensement fédéral de 1790 ne distingue que l’âge des hommes, et non celui des femmes. Par exemple, lors du recensement de 1800, la population de Charleston comprenait 10 843 Afro-Américains, incluant 1 024 Noirs libres et 9 819 esclaves, face à 9 630 Blancs (Dawson et DeSaussure, 1849: 3)9 Pour d’autres données du recensement de 1800, voir Walter J. Fraser, Jr., Charleston! Charleston!, p. 186, 189.. La ville portuaire, à l’image de l’État de Caroline du Sud, était donc majoritairement noire. Le nombre de femmes blanches de Charleston, toutes catégories d’âge confondues, s’élevait à 4 599 en 1800, et était inférieur au nombre total d’hommes qui atteignait 5 031. Si l’on exclut les enfants, le nombre de femmes âgées de plus de 16 ans atteignait 3 278. Le nombre des femmes était inférieur à celui des hommes dans toutes les catégories, à l’exception des personnes âgées de plus de 45 ans, catégorie où le nombre de femmes (464) continue de dépasser celui des hommes pour tous les recensements des décennies suivantes (Dawson et DeSaussure, 1849: 12-13). Ce même recensement de 1800 totalisait, outre 43 chefs de familles de Noirs libres dont les noms sont omis, 2 186 chefs de familles blanches, dont 388 ou 18% étaient des femmes, vraisemblablement des veuves (Hagy, 1992: 60).

Outre les recensements décennaux qui, selon les années, permettent de dégager un portrait des diverses catégories d’âge dans la population féminine blanche, les annuaires de la ville de Charleston offrent des données complémentaires sur l’existence d’un nombre important de veuves dans la ville portuaire. Par exemple, dans les annuaires de 1790, 1794 et 1796, les femmes représentaient 13 à 14% des chefs de familles et de commerces répertoriés. Elles étaient en grande majorité veuves même si, d’une année à l’autre, elles étaient tantôt identifiées par leur activité professionnelle, tantôt comme veuves, tantôt sans aucune autre indication que leur nom. Par exemple, dans l’annuaire de 1796, parmi les 166 noms de femmes sur un total de 1255 noms, on trouve 121 veuves, une tenancière de maison close et 44 femmes sans activité professionnelle. En 1801, par contre, 309 femmes figurent dans un annuaire de 1978 chefs d’établissement, soit près de 16% d’entre eux, et parmi celles-ci on dénombre 109 veuves et 103 femmes identifiées par leur profession, très probablement celle de leur défunt mari dans certains cas (Hagy, 1992: 48-49, 72-73). L’inclusion des veuves selon leur catégorie d’État civil ou leur statut socioprofessionnel ne permet cependant pas une comparaison systématique dans le temps, car les auteurs des annuaires, qui variaient d’une année à l’autre, n’appliquaient pas les mêmes grilles. En outre, il faut préciser que ces annuaires n’incluaient pas les Noirs libres de Charleston.

En dépit de toute l’incertitude qui entoure les chiffres, la proportion des veuves était importante à Charleston, Caroline du Sud, de la fin du XVIIIe siècle au milieu du XIXe siècle, et variait entre 18 et 20%. Cette proportion de près d’un cinquième de la population féminine contribue à la quasi-normalisation du statut de veuves. En retour, les documents municipaux témoignent de la visibilité des veuves dans la vie sociale et économique de Charleston, particulièrement comme logeuses ou enseignantes, deux activités «légitimes» auxquelles les veuves dans le besoin avaient recours, comme David Ramsay l’avait remarqué (1809: II, 400). Si ces données se limitent à la population blanche et ne permettent pas d’évaluer le veuvage des femmes noires, elles témoignent cependant de l’existence d’un groupe social significatif, qui correspond à un pourcentage important de la population féminine et constitue une catégorie à part de l’histoire des femmes10 Kirsten Wood a également souligné les limites de ses recherches pour documenter la situation des veuves afro-américaines, voir Masterly Women, p. 4, 200n..

 

Les sources juridiques du veuvage féminin

Cependant, l’expérience du veuvage ne peut se résumer à une simple réalité démographique. Elle est aussi le fait d’un contexte juridique particulier. Mais si le statut de la veuve est synonyme d’émancipation juridique, c’est probablement moins le fruit des lois de succession que celui des pratiques successorales. Dans son étude pionnière de l’histoire des femmes sudistes dans les années 1930, Julia Cherry Spruill a indiqué qu’à l’époque coloniale, les procédures de succession attribuaient un tiers des biens du défunt à sa veuve, mais spécifiaient la perte éventuelle de ces biens en cas de remariage (1938: 215). Puis, dans une étude comparée des droits de propriété dans les colonies anglaises, Marylynn Salmon a rappelé que les veuves recevaient le tiers des biens immobiliers, mais uniquement en usufruit jusqu’à leur mort (1986: 141). Dans le cas d’un mariage sans enfant, la veuve avait droit à la moitié des biens du défunt. Néanmoins, une veuve n’avait le droit ni de vendre, ni d’hypothéquer la propriété foncière, qui revenait ultimement aux héritiers. Par contre, en matière de propriété personnelle, c’est-à-dire la propriété d’esclaves, une veuve pouvait hériter d’un tiers des biens de son mari et en avait la propriété absolue: elle pouvait alors en disposer à son gré ou même les vendre, à condition bien sûr que le défunt n’ait pas laissé de dettes (Salmon, 1986: 156-160, 168-172).

Alors que les textes juridiques stipulaient cette limite d’un tiers, Alexander Keyssar et Linda E. Speth ont remarqué, pour le Massachusetts et la Virginie respectivement, que les veuves recevaient souvent plus que le tiers qui leur était alloué par la loi (Keyssar, 1974; Speth, 1982). La Caroline du Sud ne faisait pas exception, même si elle fut la dernière à éliminer, en 1791, le privilège masculin, cette clause de double portion pour les fils aînés que presque toutes les colonies anglaises avaient substituée aux lois de primogéniture de la mère patrie dès le XVIIe siècle (Salmon, 1986: 142). D’ailleurs, pour John E. Crowley, le changement juridique de 1791 ne fit qu’entériner un siècle de décisions individuelles, telles que reflétées dans les sources testamentaires (1984). Dans ses travaux sur les pratiques testamentaires de Caroline du Sud, Crowley montre que contrairement à une tradition anglaise de transmission de propriété de type patriarcal, qui privilégie la filiation masculine des biens fonciers, les lois de succession de Caroline du Sud ne vont pas discriminer les filles. De plus, d’autres types de propriété, comme celle des esclaves et des commerces, vont concurrencer la primauté de la terre (Crowley, 1984 & 1986).

La spécificité des États esclavagistes comme la Caroline du Sud conférait aux femmes de l’élite possédante le droit de propriété de biens meubles, soit la propriété d’esclaves, voire dans certains cas la propriété immobilière. Toutefois, les procédures de succession pouvaient inclure des clauses qui décourageaient leremariage, par peur du transfert de propriété, car une veuve remariée retombait sous la couverture légale de son deuxième mari. Une veuve disposant de biens en douaire ou en héritage choisissait souvent de ne pas se remarier, et ce quelque soit son âge, à moins de préciser dans un contrat de mariage la protection des biens hérités d’un premier mariage ou de sa famille. Ainsi, dans son étude de Petersburg en Virginie, Suzanne Lebsock a mis en évidence un écart entre les veuves aisées qui renonçaient à un deuxième mariage, et les veuves d’origine plus modeste qui avaient beaucoup plus tendance à se remarier (1985: 26-27). De même, Catherine Clinton a souligné le faible taux de remariage des maîtresses de plantations sudistes, soit seulement sept pourcent, ce qui confirme l’indépendance des veuves (1982: 78). Ainsi, l’émancipation juridique qui était associée au veuvage n’éliminait pas les contraintes économiques. Et même les veuves de familles aisées pouvaient voir leur statut limité par les clauses des testaments et les provisions spécifiques à leur contrat de mariage.

Dans le cas spécifique de la Caroline du Sud, le faible taux de remariage des veuves dès l’époque coloniale ne s’expliquerait ni par les contraintes imposées par le défunt, ni par le manque de prétendants du sexe opposé, mais bien par le choix de femmes qui ne voulaient pas renoncer à l’autonomie relative acquise par le veuvage (Anzilotti, 2002: 98-99). De même, au début du XIXe siècle, on retrouve des veuves propriétaires de plantations qui choisirent de ne pas se remarier, en dépit de leur veuvage précoce. C’est le cas de Juliet Georgiana Elliott, veuve à vingt-huit ans, qui vécut jusqu’à l’âge de soixante-douze ans sans se remarier. Née en 1778 dans la classe des planteurs du littoral carolinien, Juliet Georgiana Elliott était la dixième enfant de Robert Gibbes et de Sarah Reeve, propriétaires de la plantation Peaceful Retreat sur John’s Island, au sud de Charleston. Elle épousa Barnard Elliott en 1798, mais ce dernier mourut en 1806 à l’âge de vingt-neuf ans11 Barnard Elliott était le seul fils du colonel révolutionnaire Barnard Elliott. Il est pertinent de noter que Juliet et Barnard Elliott avaient juste un an de différence et que, donc, la différence d’âge n’était nullement un facteur de veuvage. L’information biographique surJuliet Elliott est tirée de Henry S. Holmes, «Robert Gibbes», p. 84. Holmes donne le 15 mai 1798 comme date de mariage, mais l’annonce étant faite le 24 mars 1798 pour le 15 du mois, il faut vraisemblablement lire le 15 mars 1798. Voir Register, «Marriage and Death Notices», p. 41.. Juliet Georgiana Elliott se retrouve donc veuve après seulement huit ans de mariage, avec de jeunes enfants et enceinte12 Letestament de Barnard Elliott fait référence à l’enfant que portait son épouse: voir Wills, vol. 30, 1016-17. En effet, Lewis Gibbes Elliott naît le 9 janvier 1807. Deux enfants sont morts en bas âge (en 1800 et 1804) et quatre sont mentionnés dans son testament (Barnard Smith, né en 1804, Adelaide née en 1801 et Juliet Georgina née en 1805 et Gibbes L. Elliott). Voir Elliott Family, Miscellaneous Manuscripts, Charleston Library Society; Will of Juliet G. Elliott, Will Book, vol. 45, p. 705.. La jeune veuve, qui avait fait le traditionnel Grand Tour en Europe avec sa sœur à peine trois ans plus tôt13 C’est à l’occasion de son séjour en Angleterre en 1803 que John Russell fit son portrait (McInnis, 1999: 178; Severens, 1977: 73)., devint ainsi le chef de famille et le resta jusqu’à sa mort en 185014 Will of Juliet G. Elliott, Will Book, vol. 45, p. 705. Le testament est homologué le 15 juin 1850. Son fils Barnard Smith Elliott et sa fille Adelaide Elliott Gibbes étaient les exécuteurs de son testament, mais à la suite de la mort de Barnard S. Elliott le 2 décembre 1850, Adelaide Gibbes devient la seule exécutrice le 11 décembre 1850 : voir Richard J. Bryan, «Epitaphs», p. 70..

Le cas de Juliet Elliott est intéressant, car malgré la générosité des dernières volontés de son mari, elle refuse la communauté de biens et réussit à négocier son indépendance juridique et économique. Déjà héritière de nombreux esclaves par le testament de son père, Robert Gibbes, Juliet Elliott avait gardé sa propriété séparée par un contrat de mariage et plusieurs amendements à la suite de la division de la succession de son père en février 1800. Ainsi, 51 esclaves échappaient au contrôle de son mari et restaient à l’emploi de ses frères15Pour le contrat de mariage, voir Marriage Settlement, 15 Mars 1798, Book 3, p. 254-257. En 1798, seulement onze noms d’esclaves étaient inscrits. Par contre, en 1800, une liste de 51 esclaves est incluse. Voir Barnard Elliott, Juliet Georgiana Elliott, Robert Gibbes & Lewis Gibbes (April 7, 1800), Marriage Settlements, South Carolina Department of Archives and History, Book 5, p. 432-433.. Outre la portion de propriété personnelle héritée de son père, une autre servitude du contrat de mariage en date du 8 avril 1800 donnait à Juliet Elliott une propriété foncière, à savoir une maison située sur George Street à Charleston, où elle pouvait employer des esclaves de son mari pour tenir la maison. C’est d’ailleurs la résidence urbaine qu’elle continua d’occuper après la mort de celui-ci.

Une fois veuve, Juliet Elliott devait recevoir bien plus que le tiers prévu par la loi. Selon le testament de Barnard Elliott, son épouse recevrait la moitié de ses biens, l’autre moitié devant être partagée entre ses enfants. L’héritage de la veuve était cependant conditionnel à ce qu’elle accepte d’inclure dans ces biens à partager la part inscrite dans son contrat de mariage. Au cas où elle refuserait, elle pourrait jouir de sespropres biens, tandis que l’entière propriété du défunt serait divisée entre les enfants. Par ailleurs, le testament de Barnard Elliott stipulait qu’il lui permettait néanmoins d’utiliser sa propre main d’œuvre, simultanément avec celle de ses enfants, sur les terres dont héritaient ses enfants16 Testament de Barnard Elliott, dans Wills, vol. 30, p.1016..

Il appert que la veuve Elliott choisit de ne pas inclure les biens inscrits préalablement dans son contrat de mariage, sans doute en raison du capital important qu’ils représentaient, mais peut-être aussi à cause du jeune âge de ses enfants. Quelques années plus tard, le contrat de mariage de sa fille aînée, Adelaide, souligne cette séparation de biens entre Juliet et Barnard Elliott, stipulant qu’Adelaide Elliott Gibbes hérite d’un quart des biens de son père (terres de la paroisse de Saint Bartholome et portion des 80 esclaves) et qu’elle recevra un quart de la propriété en esclaves de sa mère à la mort de cette dernière, en vertu du contrat de mariage de 1800 entre ses parents17 Marriage Settlement, 28 janvier 1817, Book 7, p. 13..

Ainsi, les sources juridiques du veuvage féminin telles que les lois de succession gagnent à être confrontées aux sources économiques disponibles pour saisir la réalité vécue par les veuves et évaluer comment elles ont pu négocier plus du tiers prévu par la loi.

 

Les sources économiques du veuvage féminin

De par leur statut juridique et leur identité propre devant les tribunaux, les veuves appartenaient à une catégorie sociale distincte de la majorité des femmes. Leur voix, si discrète soit-elle, les séparait des autres femmes qui étaient tenues au silence par le mariage. À cette distinction au sein de la catégorie des femmes s’ajoutait une distinction de genre. Les veuves, même si elles bénéficiaient d’un droit d’autoreprésentation, constituaient néanmoins une catégorie à part, séparée des hommes. Ainsi, la bibliothèque sociale de Charleston, dont les registres d’emprunt nous ont permis de découvrir l’existence de plusieurs veuves, comprenait bon an, mal an entre vingt et trente veuves parmi ses quelques 250 actionnaires. Les procès-verbaux de la bibliothèque relèguent les veuves à une catégorie particulière, au même titre que les country members ou participants saisonniers qui ne résidaient à Charleston que pendant les mois d’été et les fêtes hivernales. Veuves et saisonniers ne payaient donc que quatre dollars dans les années 1810, et six dollars dans les années 1820, tandis que les membres réguliers payaient une cotisation annuelle de dix dollars18 Voir Minute Books, 1815-1841, Charleston Library Society. Outre les veuves, d’autresfemmes pouvaient être membres, car les règlements permettaient qu’un père transmette les actions qu’il détenait dans la bibliothèque à sa fille ou sa nièce. Mais deux membres d’une même famille ne pouvaient être simultanément actionnaires de la bibliothèque, d’où l’absence de la plupart des femmes. Pour les années qui nous concernent, toutes les femmes mentionnées dans les registres de la bibliothèque étaient des veuves..

Bien que séparées des hommes et des femmes mariées, les veuves ne constituaient pas une catégorie socialehomogène. Leur statut socio-économique était un facteur de distinction supplémentaire. Comme Bettina Bradbury l’a fait ressortir dans une étude des veuves à Montréal au XIXe siècle, le veuvage pouvait accentuer les différences de statut social entre les femmes avec propriété et les femmes sans propriété (1989: 148)19 Plus récemment, Bettina Bradbury a souligné les différences des pratiques testamentaires entre francophones et anglophones, Catholiques et Protestants: voir «Widows Negotiate the Law» (2005). Voir aussi Josette Brun, Le veuvage en Nouvelle-France (2001).19. C’est surtout la précarité économique liée au veuvage qui a retenu l’attention, car les sources elles-mêmes révélaient cet aspect central de la vie des veuves. On pense notamment aux pétitions des veuves de la guerre d’indépendance à la fin du XVIIIe siècle (Kierner, 1998 : 64-65), ou encore aux traités d’éducation des filles qui étaient conçus pour répondre à l’éventualité du veuvage ou du célibat, et ainsi préparer les jeunes femmes à prendre leurs responsabilités (Moroney, 2000). Martha Hodes a aussi noté la vulnérabilité des veuves des classes inférieures et leur association à des comportements sexuels illicites (1997: 131). Par contraste, le cas des veuves issues de familles aisées laisse entrevoir une relative autonomie économique et une indépendance juridique limitée, toutefois, par les contraintes imposées à leur sexe20 Sur le veuvage des femmes de l’élite sociale, voir Yme Kuiper,«Noble Widows Between Fortune and Family» (1995).. Ainsi, dans une étude des veuves de Pennsylvanie au début de la république, Lisa Waciega a montré la capacité de veuves aisées à développer avec succès les finances ou l’entreprise de leur défunt mari (1987). Au Sud, parmi les veuves de l’élite sociale et culturelle, les femmes propriétaires et les femmes planteurs sont particulièrement visibles. C’est donc aux interstices des catégories genrées, quand les veuves sont des chefs de famille et assument des responsabilités généralement réservées aux hommes, que l’on peut localiser les sources nécessaires pour documenter la vie publique et privée des veuves du passé. Les testaments et les inventaires après décès contribuent tout particulièrement à l’ébauche d’une histoire économique des veuves. Quoique souvent fragmentaires, ces sources documentent l’histoire d’un individu à la fin de sa vie, mais elles peuvent aussi donner un aperçu des réseaux familiaux au sein desquels gravitaient ces femmes.

Dans le cas de la veuve Elliott, outre son contrat de mariage et le testament de son défunt mari, les sources documentaires comprennent son propre testament, homologué le 15 juin 1850, et deux inventaires après décès du 9 août 1850 et du 1er février 1851. Dans son testament, la veuve Elliott évalue la plantation de Rosemont à 12 000 dollars, et la lègue conjointement à son fils Barnard et sa fille Adelaide, en leur demandant de racheter la part de l’autre si l’un d’eux voulait se départir de cette propriété. Les inventaires après décès, quant à eux, font une évaluation de sa propriété de 58 esclaves et de l’équipement, du bétail, des meubles de la plantation de Rosemont, de même que celle des meubles et des 43 esclaves qu’elle avait en ville, sans préciser l’adresse. Son testament indique deux propriétés en ville: l’une située au numéro 10 de la rue George, qu’elle lègue à sa fille Juliet Georgiana, et l’autre au coin des rues George et St. Philips, qu’elle lègue à son fils Gibbes. Au total, la succession de Juliet G. Elliott comprenait 37 115 dollars en esclaves, 7 105 dollars en biens meubles, dont plus de 2 000 dollars en vins, et 9 650 dollars en obligations et actions bancaires21Inventory of the Goods and Chattels of the Estate of Mrs. J.G. Elliott, 9 août 1850 et Inventory and Appraisement of the Negroes, Furniture and Other Chattels & Effects of the Estate of Mrs. Juliet G. Elliot made at Rosemont Plantation on the 1st February 1851, Estate Files 59-3 to 62-13, Probate Court, Charleston, C. S. Voir aussi les états de comptes de la succession de Juliet G. Elliott du 26 février 1851 et du 29 novembre 1851, également dans les fichiers de la Probate Court.. La majeure partie de ses biens consistait donc en propriété dite personnelle, à savoir des esclaves. D’ailleurs, quelques mois après son décès, le recensement de 1850 pour la paroisse de St. Paul, District de Colleton, mentionnait 61 esclaves pour la succession de Juliet G. Elliott et 100 esclaves pour la propriété conjointe de ses enfants, Barnard Elliott et Mrs. Gibbes22 Slave Schedule, South Carolina Census 1850, 29 novembre 1850, p. 645-649..

Non seulement la veuve Elliott est-elle identifiée comme planter dans les annuaires de la ville de Charleston23 En 1809 et 1813, elle apparaît comme planter, mais en 1816, elle est simplement «veuve de Barnard» (Hagy, 1995: 103, 145; Hagy, 1996: 8)., mais elle semble aussi avoir à cœur l’exploitation de ses plantations. Ainsi, parmi les livres que Juliet Elliott emprunte à la bibliothèque de Charleston au début du XIXe siècle, on trouve des traités d’agriculture tels que English Grass de Curtis, American Husbandry24 American Husbandry Containing an Account of the Soil, Climate, Productions of the Britisth Colonies in North America and the West Indies, by an American, London, 1775, 2 vol. et des périodiques spécialisés comme Annals of Agriculture, Transactions Agricultural, Agricultural Magazine. On peut même conclure que ces ouvrages étaient destinés à sa lecture personnelle, puisque ces emprunts datent de 1812 et 1813, alors que ses enfants étaient encore très jeunes25 Circulation Records, 1811-1817, Charleston Library Society. C’est seulement en 1838 que son fils Gibbes Elliott hérite de son titre auprès de la Charleston Library Society. Voir Minute Books (1815-1841), Charleston Library Society, Charleston, SC.. Comme tout autre planteur, la veuve Elliott portait un intérêt tout particulier à son exploitation et lisait la littérature appropriée. Elle était d’ailleurs connue pour sa gestion efficace de la propriété familiale (Severens, 1977: 73).

Contemporaine de Juliet Elliott et également membre de la bibliothèque sociale de Charleston, Ann Telfair Timothy était aussi veuve depuis 1807. Par contre, elle n’était pas planteur, mais l’épouse de l’imprimeur Benjamin Franklin Timothy26 Né en 1771 et diplômé de Princeton en 1790, Benjamin Franklin Timothy était le fils de Peter et Ann Timothy, et le petit- fils de Lewis et Elizabeth Timothy, imprimeurs officiels à Charleston pendant la période coloniale. Les Timothy étaient amis et partenaires de Benjamin Franklin, l’homme des Lumières, imprimeur, savant, diplomate et père fondateur de la république américaine.. C’est en 1792, à la suite de la mort de sa mère, Ann Timothy, que Benjamin Franklin Timothy devînt l’héritier de l’imprimerie Timothy de Charleston et le responsable de la publication de la State Gazette of South Carolina27 Selon le testament de Ann Timothy, décédée le 11 septembre 1792, citédans Martha Joanne King, «Making an Impression», p. 271. Voir également Martha J. King, «‘What Providence Has Brought Them to Be’» (1997).. En 1793, il s’associa à son beau-frère, William Mason, et leur collaboration dura cinq ans, jusqu’à ce que Mason fonde une école d’anglais, tandis que Timothy poursuivait seul la publication de la South Carolina Gazette jusqu’au 20 septembre 180228 William Mason épousa Sarah Timothy, sœur de Benjamin Franklin Timothy, le 24 mars 1793 (Smith et Salley, 1971: 254). William Mason, un diplômé de Harvard, originaire du Massachusetts, enseignait au College of Charleston et à la Parsonage Academy. Il renonce au partenariat en 1798.[/fn].

Finalement, Timothy devint directeur de l’école de la South Carolina Society à Charleston, et le resta jusqu’à sa mort à l’âge de trente-six ans le 20 octobre 1807 (Jervey, 1930: 264)28 La cause du décès de Benjamin Franklin Timothy est inconnue, car les Death records de la ville de Charleston ne sont disponibles qu’à partir de 1819. On notera cependant que l’année 1807 est marquée par une épidémie de la fièvre jaune à Charleston qui fait 162 morts.
. Benjamin Franklin Timothy laissait derrière lui une veuve, car il avait épousé Ann Telfair, originaire de Philadelphie, le 14 juin 1793 à la Christ Protestant Episcopal Church à Philadelphie (Woodward et Craven, 1991: 529). L’information généalogique est morcelée quant à cette famille. Par exemple, on ne connaît pas la date de naissance d’Ann Telfair Timothy, ni le nombre d’enfants qu’elle a eus. Mais on sait qu’en 1802, le couple avait perdu sa seule fille, et que le dernier de ses fils est mort en 182229 Elizabeth Timothy est décédée en mai 1802 à l’âge de six ans et dix mois (Holcomb, 1979 : 38). Son dernier fils, Peter Timothy, meurt de la jaunisse le 9 septembre 1822 à l’âge de 28 ans.. Après un veuvage de trente-trois ans, Ann Timothy meurt en 1840. En dépit de sa volonté d’être enterrée avec son mari et ses enfants dans le cimetière de l’église épiscopale St. Philips à Charleston, on ne peut retrouver sa pierre tombale, ni celle de ses proches30 Il est possible qu’elle ait été enterrée en Pennsylvanie ou en Virginie si elle est décédée lors d’une visite chez des parents. Son nom n’apparaît pas dans les registres funéraires de St. Philips, mais tous n’ont pas survécu aux incendies. Tout porte à croire cependant qu’elle n’a pas été enterrée à Charleston, car elle ne figure pas dans l’index des cimetières préparé par la Works Progress Administration dans les années 1930.. Mais si seuls quelques pans de sa vie sont connus, la veuve Timothy n’était pas pour autant invisible. D’ailleurs, son portrait fait en 1818 par le peintre Rembrandt Peale est conservé à la Maryland Historical Society à Baltimore. Enfin surtout, Ann Timothy apparaît très fréquemment dans lesregistres de la Charleston Library Society entre 1811 et 1817, bibliothèque où elle emprunte plus de 400 livres et périodiques en six ans31 Ce total compilé à partir des registres d’emprunts de la bibliothèque de Charleston comprend les ouvrages qu’elle commande elle-même ou qui sont sortis à son nom. Un bon nombre de ces emprunts sont faits par son fils, Peter Timothy, qui termine ses études à Princeton en 1813, puis exerce comme avocat à Charleston et réside avec elle au 13 Water Street. Voir Circulation Records, Charleston Library Society, Charleston, SC..

Pour subvenir aux besoins de sa famille, Ann Timothy dut probablement enseigner quelques années. En effet, son nom apparaît avec la mention School Mistress dans le City Directory de 1809, et après une absence en 1813, il réapparaît en 1816, avec cette fois-ci comme occupation widow of Benjamin F. Son testament et l’inventaire après décès de ses biens montrent que la veuve avait des placements qui s’élevaient à 30 000 dollars et qu’elle vivait des intérêts capitalisés sur ses investissements en obligations32 Son testament est certifié le 18 novembre 1840 et le 23 février 1841 et l’inventaire après décès date du 23 avril 1841. Will of Ann Timothy, vol. 42 (1839-45); Inventory of Personal Estate of Ann Timothy, Deposited 23d April 1841, Inventories, A (1839-44): 154-55.. Les emprunteurs étaient des hommes de la communauté urbaine comme Benjamin Smith, négociant de Charleston, à qui la veuve accorda en septembre 1834 un prêt de 14 000$ garanti par cinquante actions dans la South Carolina Canal and Rail Road Company33 Miscellaneous Records, Register Mesne Conveyance,County of Charleston, G 10, p. 348, 350.. Mais la veuve prêtait aussi de l’argent à des femmes : par exemple 2000$ à Mary E. Kennedy et Leocadia Kennedy, avec une hypothèque sur une maison de deux étages située sur Mazyck Street34 Miscellaneous Records, mai 1835, I 10, p. 221-222.. À Miss Caroline Perry, elle accorde deux prêts de moindre valeur, respectivement de 587,88$ et de 41,97$, en date du 12 mai 1838 et du 12 mai 1839. Parallèlement, on notera qu’un an plus tôt, Ann Timothy avait choisi d’inclure Caroline Perry dans son testament, lui faisant un don de 1 000$ en souvenir de leur longue amitié[fn] Le testament de 1837 est antérieur audit prêt de 1838, mais homologué le 18 novembre 1840. Voir Will of Ann Timothy, vol. 42 (1839-45), p. 205.[/mfn].

Outre ses placements financiers, l’inventaire de la succession d’Ann Timothy comprenait seulement six esclaves, d’une valeur totale de 1 375 dollars. Nous reviendrons ci-après sur les clauses de son testament concernant lesdits esclaves. Mais il importe de souligner ici que si elle n’était pas une maîtresse de plantation comme la veuve Elliott, la veuve Timothy n’était pas dans le besoin. Elle avait choisi d’investir dans les affaires plutôt que dans la propriété d’esclaves.

Comme l’a souligné Elizabeth Pruden au sujet du XVIIIe siècle, il existait un déséquilibre entre la propriété d’esclaves et les investissements en capitaux. Une veuve dépourvue des moyens nécessaires pour acheter des esclaves, ou réticente à le faire pour des raisons morales, pouvait choisir d’investir un montant beaucoup plus faible en obligations et de vivre des intérêts de ses placements. Le cas de la veuve Timothy illustre bien cette autre option d’investissement à Charleston. Les veuves de Caroline du Sud ont su dès l’époque coloniale investir dans le marché hypothécaire et les obligations (Pruden, 2001). Certes, le volume des transactions reste minime en regard de l’ensemble du marché obligataire de Charleston. Même si la contribution des veuves à la transmission de capital était négligeable, ces quelques transactions soulignent une participation, si minime soit-elle, des veuves au monde des affaires et à la sphère publique. De plus, l’exemple de la veuve Timothy permet de voir à quelles personnes elle octroyait des prêts et hypothèques: voisins, parents et amis qui avaient besoin de liquidité, notamment pour des investissements en main d’œuvre servile.

Qu’elles participent à l’exploitation d’une plantation et à la gestion du travail des esclaves comme l’illustre le cas de Juliet Georgiana Elliott, ou qu’elles gèrent des investissements en capitaux et prêtent de l’argent à des hommes et des femmes, comme le fit Ann Timothy, les veuves de l’élite sudiste blanche ont joué un rôle de chefs de famille dans un monde d’hommes et ont opéré pleinement dans la sphère publique. Juridiquement autonomes par le veuvage, elles avaient toute la légitimité pour assumer les responsabilités économiques de leur défunt mari. En cela, leur statut était très différent de celui des femmes mariées.

 

Distinction de genre et favoritisme féminin

Pourtant, d’autres aspects de leur vie de veuves mettent en évidence un comportement féminin, différent de celui de leurs compatriotes masculins, notamment dans la transmission de leurs biens, comportement qui révèle un favoritisme et une prédilection pour le transfert de femme à femme. Elizabeth Frost, née vers 1771 et mariée au Révérend Thomas Frost, fut veuve à l’âge de 33 ans, alors qu’elle avait six enfants. Présentée comme planter dans le bottin municipal de 1809, puis simplement comme veuve de Thomas Frost en 1813 et 1816, elle vécut un veuvage de quarante ans et mourut le 10 février 1844, à l’âge de 73 ans35 Voir la pierre tombale d’Elizabeth Frost dans le cimetière de St. Philips, Charleston, SC, ainsi que South Carolina Historical Magazine, vol. 58 (1957): 258. Thomas Frost meurt le 18 juillet 1804, année où une épidémie de fièvre jaune fit 148 morts à Charleston (Dalcho, 1820 : 207-209, 220-221, 234-236).. Son fils Thomas Frost, Jr., âgé de 10 ans à la mort de son père, entra également dans les ordres et mourut le 16 mai 1819, moins d’un an après avoir épousé Anne Grimké, troisième fille de John F. Grimké, et sœur des deux activistes abolitionnistes Sarah et Angélina Grimké36 Anne Frost eut une fille, Mary Ann Frost, née peu après la mort du Révérend Frost (Lerner, 2004: 52).. Elizabeth Frost n’était pas totalement absente des sources archivistiques avant son veuvage. On peut retrouver sa trace dans des documents juridiques lorsqu’elle renonce à certaines terres en 1804. Mais elle est bien plus visible dans les textes après le décès de son mari. La veuve Frost apparaît dans les archives à l’occasion de différentes transactions, dont la vente d’une esclave mulâtre nommée Kitty le 14 août 181937 Les transactions datent de 1805, 1808, 1809, 1810, 1814, 1819 et 1820. Voir Consolidated Index, Roll no. 7, South Carolina Department of Archives and History. Les renonciations de 1804 ont des dates imprécises..

Il est intéressant de souligner les particularités de son testament, car Elizabeth Frost y mentionne deux fils, une fille et une belle-fille, la veuve de Thomas Frost, Jr. À ses deux fils, elle lègue des sommes de 1 340$et 2 000$ en obligations et argent. Mais elle prévoit une clause particulière pour un legs de 4 740$ destiné à l’éducation des enfants de sa fille, Eleanor L. Parker, ainsi à l’abri des dettes éventuelles de son gendre ou de sa fille, si celle-ci survit à son mari. À sa belle-fille, Anne (Grimké) Frost, elle laisse la somme de 300$ par affection, et non proportionnellement à ses mérites, car elle vient d’une grande famille fortunée et elle bénéficie de l’héritage de sa mère récemment décédée. Outre l’argenterie qu’elle lègue aux uns et aux autres, elle fait don du reste de sa propriété immobilière et personnelle à sa fille pour son usage et celui de ses descendants.

L’exemple d’Elizabeth Frost illustre bien comment les testatrices se souciaient de la sécurité économique de leurs descendants féminins et prenaient en considération ceux ou celles qui étaient dans le plus grand  besoin. Les stratégies successorales  des  femmes montrent donc un «personnalisme», pour emprunter le concept à Suzanne Lebsock, qui a souligné cette distinction de genre dans une étude des testaments à Petersburg, Virginie, et la tendance des femmes à personnaliser la transmission de leur patrimoine, en faisant souvent usage de favoritisme (1985: 136-145).

Comme la veuve du pasteur Frost, la veuve de l’imprimeur Timothy donne aussi dans son testament la mesure de l’importance du réseau familial et social auquel elle appartenait. Ann Timothy lègue la plus grande part de son héritage, 14 000$ et des terres en Caroline et en Géorgie, à son neveu, le Docteur Isaac Telfair de Staunton, Virginie; des terres en Pennsylvanie de même qu’une propriété à Philadelphie reviennent à un autre neveu, le Révérend John Mason Duncan de Baltimore, Maryland. Mis à part ses deux neveux, elle lègue également des sommes importantes à six femmes: deux cousines de Virginie, une amie de Charleston, Caroline Perry, Ann Timothy Cleland, la fille d’une autre amie de Caroline du Sud, et les filles respectives de ses deux neveux, lesquelles, d’ailleurs, se prénomment aussi Ann Timothy38 Les cousines sont Anne D. Holleday et Mrs. Evelina Grayham de Winchester, Virginia; l’amie est Miss Caroline Perry de Charleston, SC; Ann Timothy Cleland, fille de son amie Maria S. Cleland; Ann Timothy Duncan, fille de son neveu le Révérend John M. Duncan de Baltimore et Ann Timothy Telfair, fille de son neveu Dr. Isaac Telfair de Staunton, Virginie. Aux autres parentes, Margaret Ann Telfair, Jane St Clare Telfair, Martha Telfair, elle fait don de bijoux. Elle lègue également 1 000$ à Telfair Morriotte, fils du Général Morriotte.. Chacune de ces femmes devait recevoir un placement de 1 000$, avec usage exclusif des intérêts, selon la volonté de leur père pour les plus jeunes ou encore à leur mariage. Outre les dons aux amies et parentes, Ann Timothy fit des donations substantielles à des institutions: deux legs de 2 500$ chacun au séminaire théologique de Columbia, Caroline du Sud, et au séminaire théologique de Princeton, New Jersey, pour l’établissement de deux bourses d’études portant respectivement les noms de ses fils, Telfair Timothy et Peter Timothy, ainsi que des dons à l’American Bible Society de New York et à la Missionary Society de New York. Par ailleurs, si son neveu, William H. Mason de Charleston, auquel elle fait don d’un placement de 2 000$, devait mourir sans descendant, ledit placement reviendrait à la Charleston Bible Society.

Comme la veuve Timothy, la veuve Elliott inclut des dons à différents organismes dans son testament: cinquante dollars aux Sisters of Charity, association dont elle était membre et qui était liée à l’église épiscopale St. Michael, ainsi que cent dollars à la Ladies Benevolent Society (Bellows, 1993: 166-169). Les registres de la Ladies Benevolent Society, fondée en 1813, indiquent que la veuve Elliott en était membre, de même que ses deux filles (Ravenel, 1907 ; Pease et Pease, 1990: 122-123; Murray, 1995). Il n’est pas étonnant que les veuves soient particulièrement actives dans le mouvement associatif à Charleston, comme c’était le cas dans les associations volontaires des villes du Nord, notamment à Boston et à New York (Boylan, 1984), même si l’historiographie a fait peu de place à cet aspect de l’histoire du Sud, car les associations et les organismes caritatifs y étaient moins présents.

Juliet Elliott fait également preuve de favoritisme dans son testament, du moins pour protéger la situation matérielle de sa fille célibataire, Juliet Georgiana Elliott, qui comme elle-même avait été favorisée par la succession de sa propre mère. Car la veuve Elliott avait reçu plusieurs dons de sa mère, Sarah Gibbes, entre 1818 et 1825, notamment vingt-deux esclaves dont les noms étaient énumérés, et que Sarah Gibbes avait elle-même hérités de sa propre mère39 Les 22 noms sont inscrits en mai 1822, mais déjà en août 1818, sept esclaves sont nommés. Les esclaves avaient été laissés à Sarah Gibbes par sa mère et, à sa mort, aux filles qui lui survivraient. Voir la transcription du testament du 21 août 1821, homologué en 1825, dans Gibbes-Gilchrist Papers, 1769-1945, South Carolina Historical Society, Charleston, South Carolina; Wills, County Library, Charleston.. À l’image de cette transmission féminine de la propriété d’une génération à l’autre, Juliet Elliott réserve une part importante de son héritage à sa fille Juliet Georgiana, notamment la résidence urbaine du 10 George Street et ses dépendances, les meubles du parloir et du salon, une longue liste de miroirs, chandeliers, vaisselle, horloge, un attelage neuf, la somme de 500$ et cinq esclaves de maison. En conclusion du testament, la veuve Elliott demandait expressément à ses enfants d’habiter ensemble dans cette résidence et, aux frères et sœurs de Juliet Georgiana, de lui payer un loyer et de contribuer aux dépenses domestiques s’ils continuaient de vivre avec elle dans la maison familiale40 Will of Juliet G. Elliott, Will Book, vol. 45, p. 705ff. Un autre exemple de sa résistance au patriarcat traditionnel concerne son appui à sa fille Juliet Georgina quand celle-ci est courtisée par William Middleton, un homme beaucoup plus âgé qu’elle et auquel la veuve reproche de ne pas s’être enquis de sa fille en son absence. Finalement, la jeune fille rejeta ce prétendant, tandis que ce dernier attribuait sa propre froideur à sa timidité. Voir Elliott Family, MiscellaneousManuscripts, Charleston Library Society. Pour une discussion des règles de courtship autour de cet exemple, voir Pease & Pease, Ladies, Women & Wenches, p. 18..

On pourrait multiplier les exemples. Ainsi Judith Ladson, veuve du planteur, officier et sénateur James Ladson,et mère de douze enfants, prit soin de spécifier dans son testament que les dons de 1 000$ faits respectivement à deux de ses filles mariées, Mrs. John S. Bee et Mrs. Alexander Barron, leur soient versés exclusivement et ne soient en aucune manière susceptibles de couvrir les dettes présentes ou futures de leurs maris41 Voir son testament du 14 février 1818, homologué le 28 septembre 1820, Will of Judith Ladson, vol. 34, p. 361. Pour l’information biographique, voir Bailey, Biographical Directory, p. 411-413.. Ces pratiques testamentaires montrent donc des veuves, chefs de famille, qui agissent comme femmes et comme mères, avec une tendance à transférer leurs propriétés à leurs filles, ou encore une inclination à émanciper leurs esclaves ou au moins à ne pas séparer les familles.

 

L’esclavage et la sympathie des veuves

Les spécialistes de l’histoire des femmes dans le Sud esclavagiste ont en effet remarqué la tendance, plus fréquente chez les femmes que chez les hommes de la classe possédante, à inclure dans leur testament des clauses concernant leurs esclaves, pour protéger les familles de la vente et donc de la séparation de leurs membres ou, dans des cas plus rares, pour libérer leurs fidèles serviteurs avant de mourir (Kierner, 1998: 206).

Juliet Elliott était une riche propriétaire et, bien que femme, elle était complice du pouvoir des maîtres esclavagistes. Cependant, dans les limites de ce qui est possible pour les femmes de sa classe, prises entre, d’une part, une soumission au patriarcat et aux dictats familiaux et, d’autre part, l’exercice d’un privilège social et racial, quelques-uns de ses gestes confirment une distinction de genre et la relative autonomie d’une veuvede l’élite sociale. Ainsi, dans une procédure de cession avec son neveu, George Gibbes, la veuve Elliott rachète, en février 1827, l’autre part d’un héritage commun d’esclaves (18 noms et cinq enfants et nouveau-nés); en en ayant désormais la propriété absolue, Juliet Elliott évite ainsi de séparer les familles42 Gibbes Family, Gibbes Family Papers, 1769-ca.1935, South Carolina Historical Society, Charleston, SC.. De même, dans son testament de 1850, elle prie ses héritiers de ne pas mettre en vente les esclaves pour procéder à une division des biens. En cela, son comportement de planteur en Caroline du Sud rejoint celui que Suzanne Lebsock a décelé dans les testaments de Petersburg en Virginie (1985: 137). S’il n’était pas possible pour les femmes esclavagistes d’aller jusqu’à émanciper leurs esclaves, un nombre important d’entre elles vont néanmoins tenter de corriger les méfaits de l’institution particulière de l’esclavage en préservant intactes les familles d’esclaves ou en faisant des dons testamentaires à leurs serviteurs, et ce dans une proportion beaucoup plus grande que leurs époux. Dans son testament de 1850, la veuve Elliott ne libère que sa vieille servante, Old Affee, qu’elle confie aux soins de ses héritiers et charge ses exécuteurs de recevoir ses salaires pour subvenir à ses besoins. Mais à sept de ses esclaves, dont Old Affee, elle lègue cinq dollars chacun. Par contre, le testament de Juliet Elliott souligne aussi la dimension économique de ses responsabilités de chef de famille et d’exploitante agricole. Si la vente de ses esclaves s’avérait incontournable pour ses héritiers, elle leur demande à tout le moins de ne pas y procéder pendant la période des récoltes, afin d’assurer le revenu des terres43 Will of Judith Elliott, p. 710..

Le cas d’Ann Timothy est assez différent. Tout d’abord, il faut noter que dans le recensement de 1800, Benjamin Franklin Timothy n’avait aucun esclave; dans celui de 1810, la veuve Timothy n’en avait pas non plus. Toutefois, son testament en mentionne plusieurs, même si pour la plupart, il n’est pas possible de documenter leur provenance. Il est probable cependant que certains de ses esclaves aient été des cautions sur des prêts qu’elle avait accordés. Par exemple, en mai 1834, un acte de vente pour un esclave nommé Joe fut signé entre George H. Hunt et son épouse Catherine M.C. Hunt et la veuve Timothy44 MiscellaneousRecords, Main Series, Bills of Sales, vol. 1773-1840, South Carolina Department of Archives and History, Columbia, SC..

L’examen du testament de la veuve Timothy révèle des instructions très personnalisées dès la deuxième clause, immédiatement après celles concernant ses funérailles. Ann Timothy charge ses exécuteurs testamentaires de libérer sa servante Charlotte et ses enfants Murphy et Ida, ainsi que le mari de Charlotte, Joe, et la fille d’Ida, de même que tous les enfants que Charlotte et Ida auraient au moment où le testament serait homologué. S’ils ne peuvent vivre libres à Charleston, la veuve Timothy déclare qu’ils sont libres d’aller habiter où ils veulent et elle charge ses exécuteurs de payer tous leurs frais de déplacement vers le lieu de leur choix. Elle leur recommande incidemment d’aller en Ohio, son neveu Dr. Telfair de Staunton, Virginie, lui ayant promis de leur donner des terres à cultiver près de Hillsborough, Ohio, terres que la veuve demande explicitement d’attribuer à Charlotte, à sa fille Ida et aux enfants de cette dernière, et cela sur une base définitive. Elle charge ses exécuteurs de faire construire une petite maison pour Charlotte et ses enfants sur cette terre de l’État d’Ohio et de lui fournir des meubles, ainsi que tout le nécessaire pour l’exploitation agricole. Elle stipule également qu’à la mort de Charlotte, la maison, la terre et les meubles iront à Ida et à ses enfants. En outre, la veuve Timothy prévoyait qu’une somme annuelle de 140 dollars devrait être payée à Charlotte en deux ou quatre versements par an, correspondant à l’intérêt comptabilisé sur un placement de 2 000 dollars, pour le bénéfice de sa servante, et ce jusqu’à ce que les arrangements soient pris pour leur installation en Ohio. Si Charlotte devait mourir, ledit intérêt devrait continuer d’être payé à Ida pour lui permettre d’éduquer ses enfants, jusqu’à ce qu’un autre arrangement soit conclu45Will of Ann Timothy, v. 42, p. 204..

Les dernières volontés de la veuve Timothy étaient claires: elle souhaitait non seulement émanciper ses esclaves, mais elle leur permettait aussi l’acquisition de terres libres dans un autre État et leur donnait les moyens financiers de s’y établir, en plus de pourvoir à l’éducation de leurs enfants nés en esclavage. Ces mesures étaient diamétralement opposées aux normes de la société esclavagiste de Caroline du Sud, étant donné que la rébellion de 1822, fomentée par Denmark Vesey, un Noir libre, avait provoqué le renforcement des lois qui interdisaient l’émancipation des esclaves par leurs maîtres et obligeaient tout Noir libre à avoir un gardien blanc, sans quoi il risquait d’être vendu comme esclave46 Une loi de 1820 interdisait l’émancipation et une loi de décembre 1822 exigeait un gardien blanc pour tout Noir libre. Voir Cooper et McCord, The Statutes at Large of South Carolina, vol. 7, p. 459-62 ; Michael Johnson, No Chariot Let Down, p. 87- 88 ; Edward A. Pearson, Designs against Charleston, 1999 ; Michael P. Johnson, «Denmark Vesey and his Co- Conspirators» (2001) et Johnson, «Reading Evidence» (2002).. Le testament d’Ann Timothy faisait également fi de la règlementation qui interdisait l’instruction des esclaves depuis 1740, réglementation qui avait été renforcée après la révolte de Nat Turner en183147 La révolte de Nat Turner à Southampton, Virginie, eut des répercussions dans l’ensemble des États sudistes. Sur les lois d’alphabétisation des États esclavagistes, et plus particulièrement de la Caroline du Sud, voir Isabelle Lehuu, «Femmes blanches et esclaves noirs», p. 114-115.. On peut supposer qu’Ann Timothy avait déjà encouragé l’apprentissage de la lecture auprès de ses esclaves, puisqu’elle était liée à la société évangélique et à la société missionnaire de New York, de même qu’à la Charleston Bible Society qui prônait l’instruction religieuse des esclaves (Cornelius, 1999: 74). Mais la veuve Timothy avait surtout l’originalité de donner tous pouvoirs à sa servante, Charlotte, et non à son mari, Joe, et en deuxième lieu à la fille de Charlotte, Ida, plutôt qu’à son fils Murphy. Dans son projet d’émancipation de ses esclaves, elle faisait là aussi preuve de favoritisme au bénéfice de ses esclaves féminins qui avaient la charge d’une famille.

Bien sûr, de telles instructions dans le testament d’une veuve piquent la curiosité, et on se demande si ses dernières volontés ont été exaucées. Cynthia A. Kierner a montré qu’au XVIIIe siècle, les efforts des femmes blanches pour émanciper leurs esclaves dans leurs testaments ont souvent été annulés par les héritiers et exécuteurs (1998: 206-207). Le détail des décisions de l’exécuteur et neveu de la veuve Timothy, Dr. Isaac Telfair, est absent des archives, mais l’inventaire après décès des biens de la veuve, en date du 23 avril 1841, comprenait six esclaves: Joe, le mari de Charlotte, évalué à 400$, Randolphe évalué à 375$ et Ida et ses trois enfants, évalués à 600$48 Inventaire du 23 avril 1841, Inventories, A (1839-44), p. 155. Le sort de Murphy et Randolphe resteincertain.. Aucun document ne stipule leur émancipation subséquente. En outre, les registres des décès de Charleston incluent le décès d’une esclave de 46 ans nommée Charlotte Timothy, à la suite d’un œdème, en avril 184149 Les esclaves portaient le nom de famille de leur maître.51. Par ailleurs, en avril 1856, les registres indiquent que deux esclaves de la succession Timothy (Estate Timothy), Charlotte et Sarah Anne, âgées respectivement de 19 et 18 ans, sont mortes de la tuberculose50 City of Charleston Health Department, Death Records, January 1838through December 1845, p. 102 ; Death Records, January 1853 through December 1857, n.p.. Il s’agissait probablement de deux des enfants d’Ida, donc des petites filles de Charlotte, ce qui confirmerait que cette famille ne s’est pas installée en Ohio. En 1859, la succession Timothy était taxable de trois dollars pour la propriété de troisesclaves51 List of the Taxpayers of the City of Charleston for 1859, Charleston, 1860, p. 341.. Ainsi, de 1841 à 1859, la propriété personnelle de la succession Timothy est passée de six à trois esclaves, avec deux décès et peut-être une libération. Or, le recensement de 1850 mentionne Ida Timothy, 30 ans, mulâtre, dans la catégorie des Noirs libres des paroisses de St. Philips et St. Michael à Charleston52 1850 United States Federal Census, Roll M432_850, p.103.. Il est possible que les anciens esclaves de la veuve Timothy aient vécu comme Noirs libres à Charleston, mais l’exacerbation de la question de l’esclavage dans les années 1850 laisse plutôt penser que les obstacles à leur émancipation étaient insurmontables, surtout si l’exécuteur dudit testament antiesclavagiste n’était pas un résidant de Charleston. Il est toutefois vraisemblable que le financement prévu dans le testament fut mis à exécution, et l’on est porté à croire que l’intérêt versé à Ida après la mort de sa mère Charlotte lui a permis d’acheter sa liberté, même si le statut de ses enfants survivants reste inconnu.

De par ses origines régionales, ses convictions religieuses et peut-être aussi ses lectures de bibliothèque, la veuve Timothy prit position contre l’institution particulière de l’esclavage. Ses décisions eurent sans doute moins d’impact qu’elle ne l’aurait souhaité au moment de la rédaction de son testament. Mais il faut reconnaître qu’en sa capacité de femme d’affaires, elle assuma une certaine indépendance économique sans compromettre ses convictions, ni participer à l’exploitation des esclaves. Si ses dernières volontés concernant l’émancipation de ses quelques esclaves ne furent pas mises à exécution, c’est qu’elle n’était que femme et qu’aucun de ses enfants ne lui survécut pour défendre ses positions.

 

Conclusion

Au terme du dépouillement de ces fragments de vie du XIXe siècle, on peut conclure que si la visibilité relative des femmes blanches de l’élite possédante de Caroline du Sud est due au décès d’un époux, leur place dans un monde d’hommes ne résultait pas uniquement des biens qui leur étaient assignés en usufruit par les défunts, mais aussi des réseaux familiaux et sociaux qui se maintenaient parmi les survivants. Dans un contexte urbain qui favorisait les entreprises commerciales et la special property en esclaves aussi bien que la propriété foncière, l’avantage masculin lié à la transmission de terres semblait minimisé. Les testaments laissent percevoir une équité grandissante entre filles et garçons, réservant une place toute particulière aux biens meubles et aux immeubles en ville, valorisés au même titre que les plantations.

En se plaçant à l’échelle de quelques femmes de la ville portuaire de Charleston, cette étude a montré que les veuves de la classe possédante représentaient une exception en ce qui a trait à la séparation entre les deux sphères d’activités féminines et masculines, et qu’elles jouaient un rôle économique et social important dans un monde d’hommes. En même temps, elles pouvaient faire preuve d’un comportement genré, particulièrement dans leurs pratiques testamentaires et leurs dons exclusifs à des descendants de sexe féminin. En oubliant pour un instant les stéréotypes de la veuve éplorée ou de la veuve joyeuse, on a pu examiner de près les traces furtives et les indices laissés par ces femmes du passé pour découvrir la visibilité inattendue de femmes sans mari, des mères et des chefs de famille, ainsi que leur pouvoir dans la sphère publique, dont les femmes mariées ou feme covert étaient généralement privées.

Certes, ces veuves de la classe possédante, blanches et esclavagistes, bénéficiaient de réseaux de parenté en Caroline du Sud, ou même dans d’autres régions, lesquels servaient à minimiser les aspects incongrus du veuvage de femmes indépendantes, sans homme dans une société patriarcale53 Kirsten Wood et Cara Anzilotti ontaussi souligné l’appui familial donné aux veuves qui choisissaient de ne pas se remarier.. Elles se distinguaient par une identité de genre atypique, hors des catégories des rôles genrés qui opposaient domesticité féminine et économie masculine, identité qui, à cause de leur appartenance à l’élite sociale, était néanmoins mitigée par une identité de classe typique. Il serait bon de mentionner également le conformisme de la veuve qui, contrairement à la célibataire, est porteuse des vertus associées à sa condition antérieure d’épouse et à sa condition présente de mère, tout en représentant la femme asexuée, du moins si elle reste veuve et ne se remarie pas. Certains historiens ont identifié l’état supérieur de la veuve à une nouvelle virginité (Aubry, 1989).

Les limites d’une telle étude, qui concerne une élite possédante, sont évidentes. De plus, les comportements saisis à partir du dépouillement de testaments et d’inventaires après décès ne donnent pas nécessairement la mesure des sentiments qui animaient ces femmes du passé. D’autres sources comme la correspondance ou les journaux intimes auraient sans doute aidé à comprendre la signification du veuvage féminin et à voir comment les veuves elles-mêmes vivaient la perte de leur conjoint. Cependant, en l’absence de tels «ego-documents», l’analyse genrée des sources traditionnelles que sont testaments et inventaires après décès permet de lire entre les lignes des textes juridiques et économiques et de peindre un portrait nuancé des veuves sudistes du début du XIXe siècle. Ces quelques veuves, dont nous avons retrouvé la trace dans les registres de la bibliothèque sociale de Charleston, négociaient quotidiennement le contrôle de leurs biens, de leur famille et de leur vie. Et leurs actions font écho au traité de domesticité de Caroline Gilman, écrivaine de Charleston et femme de pasteur, intitulé Recollections of a Southern Matron (1838). Gilman débute le premier chapitre avec le portrait d’une veuve de la guerre d’indépendance, veuve inconsolable, qui finit par se ressaisir pour faire la volonté de Dieu et s’occuper de son fils et des vivants. En Caroline du Sud, et tout particulièrement à Charleston, le poids démographique des veuves était loin d’être négligeable. Cependant, l’insistance avec laquelle David Ramsay a souligné la contribution des veuves à la fortune de familles sudistes laisse supposer que la question était polémique et que ladite contribution était sans doute négligée ou ignorée. Au-delà des remarques générales des contemporains, c’est bien en examinant à la loupe comment quelques-unes de ces veuves du XIXe siècle sudiste ont géré les affaires familiales pendant leur veuvage, et aussi pour le bénéfice de leurs descendants et de leurs serviteurs, que l’on peut apprécier la spécificité du pouvoir de ces femmes seules, catégorisées à part des autres femmes, mais qui ont tenu une place importante, quoique constamment négociée, dans un monde d’hommes.

Si l’on regarde plus avant dans le XIXe siècle, il faut noter que la guerre de Sécession va dramatiser la situation des veuves, allant même jusqu’à altérer les habitudes de deuil, étant donné l’omniprésence de la mort qui faucha plus de 620 000 nordistes et sudistes sur le champ de bataille. L’impact démographique et économique de cette guerre devait se faire sentir jusqu’au tournant du siècle, puisqu’en 1890, les anciens États confédérés comprenaient plus de 60 000 veuves de guerre qui devaient subvenir à leurs besoins54 Sur le comportement des veuves pendant la guerre de Sécession, voir Drew Gilpin Faust, Mothers of Invention, p.148-150; Anne Firor Scott, The Southern Lady, conclusion. Sur la transformation des rites funéraires pendant la guerre de Sécession, voir Faust, This Republic of Suffering (2008)..

De plus, l’angle d’approche de cette étude a des implications méthodologiques. À la lumière d’une visibilité non seulement juridique et économique, mais aussi culturelle, familiale et sociale des veuves dans une ville américaine du XIXe siècle, on peut souhaiter que l’histoire des femmes continue de s’enrichir de ces multiples facettes qui permettent de détailler les sous-groupes au sein de l’ensemble des femmes dont on veut faire l’histoire. L’histoire des femmes dans toute leur diversité et l’analyse de genre ne peuvent être masquées par l’étiquette globalisante de «femme». Ainsi, cette étude de veuves sudistes conclut à l’importance de la distinction selon l’état civil, en plus des distinctions de race, de classe, d’âge, de religion et de région. Cela rend la tâche d’une synthèse d’autant plus ardue mais, ce faisant, la connaissance que l’on a de l’histoire des femmes s’en trouve enrichie.

 

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WOODWARD, Ruth L. et Wesley Frank CRAVEN. 1991. Princetonians, 1784-1790: A Biographical Dictionary, Princeton: Princeton University Press, 618 p.

  • 1
    En1797, Ramsay devait 97 204$ à son beau-frère, Henry Laurens Jr. et, en 1798, il dut déclarer faillite. Selon le recensement fédéral de 1790, Ramsay était propriétaire de six esclaves, mais il semblait en avoir seize au moment de sa faillite.
  • 2
    Eliza Lucas Pinckneymeurt le 26 mai 1793.
  • 3
    Carol Sue Humphrey, «Timothy, Ann» v. 21, p. 688-689 et Elizabeth E. Dunn, «Timothy, Elizabeth» v. 21, p. 689-690.In American National Biography, sous la dir. de John A. Garraty et Mark C. Carnes. New York: Oxford University Press.
  • 4
    Le changement est analogue à la distinction que Lois Green Carr et Lorena S. Walsch firent entre les premiers colons de la Baie du Chesapeake et les générations postérieures, dont la stabilité démographique est couplée à l’essor du patriarcat. Voir «The Planter’s Wife» (1977).
  • 5
    Pour une critique de ce recensement encomparaison du recensement fédéral de 1850, voir Anne W. Chapman, «Inadequacies of the 1848 Charleston Census».
  • 6
    À partir des données de Dawson et DeSaussure, les Pease ont comptabilisé un total de 4108 femmes blanches âgées de 20 ans ou plus, comprenant 1 173 célibataires, 2 058 femmes mariées et 877 veuves.
  • 7
    Marylynn Salmon a aussi souligné le jeune âge des défunts et des veuves à l’époque coloniale : voir Women and the Law of Property, p. 157.
  • 8
    On notera cependant que les victimes de la fièvre jaune étaient surtout des personnes qui n’étaient pas de la région et qui n’avaient pas l’immunité des habitués de la région. C’est pourquoi la yellow fever est souvent appelée Stranger’s fever. Il y eut vingt-cinq épidémies de fièvre jaune entre 1800 et 1860. Les pages suivantes souligneront la coïncidence des années d’épidémies avec le veuvage de plusieurs femmes de Charleston, même si l’information est insuffisante pour déterminer la cause du décès de leurs maris respectifs.
  • 9
    Pour d’autres données du recensement de 1800, voir Walter J. Fraser, Jr., Charleston! Charleston!, p. 186, 189.
  • 10
    Kirsten Wood a également souligné les limites de ses recherches pour documenter la situation des veuves afro-américaines, voir Masterly Women, p. 4, 200n.
  • 11
    Barnard Elliott était le seul fils du colonel révolutionnaire Barnard Elliott. Il est pertinent de noter que Juliet et Barnard Elliott avaient juste un an de différence et que, donc, la différence d’âge n’était nullement un facteur de veuvage. L’information biographique surJuliet Elliott est tirée de Henry S. Holmes, «Robert Gibbes», p. 84. Holmes donne le 15 mai 1798 comme date de mariage, mais l’annonce étant faite le 24 mars 1798 pour le 15 du mois, il faut vraisemblablement lire le 15 mars 1798. Voir Register, «Marriage and Death Notices», p. 41.
  • 12
    Letestament de Barnard Elliott fait référence à l’enfant que portait son épouse: voir Wills, vol. 30, 1016-17. En effet, Lewis Gibbes Elliott naît le 9 janvier 1807. Deux enfants sont morts en bas âge (en 1800 et 1804) et quatre sont mentionnés dans son testament (Barnard Smith, né en 1804, Adelaide née en 1801 et Juliet Georgina née en 1805 et Gibbes L. Elliott). Voir Elliott Family, Miscellaneous Manuscripts, Charleston Library Society; Will of Juliet G. Elliott, Will Book, vol. 45, p. 705.
  • 13
    C’est à l’occasion de son séjour en Angleterre en 1803 que John Russell fit son portrait (McInnis, 1999: 178; Severens, 1977: 73).
  • 14
    Will of Juliet G. Elliott, Will Book, vol. 45, p. 705. Le testament est homologué le 15 juin 1850. Son fils Barnard Smith Elliott et sa fille Adelaide Elliott Gibbes étaient les exécuteurs de son testament, mais à la suite de la mort de Barnard S. Elliott le 2 décembre 1850, Adelaide Gibbes devient la seule exécutrice le 11 décembre 1850 : voir Richard J. Bryan, «Epitaphs», p. 70.
  • 15
    Pour le contrat de mariage, voir Marriage Settlement, 15 Mars 1798, Book 3, p. 254-257. En 1798, seulement onze noms d’esclaves étaient inscrits. Par contre, en 1800, une liste de 51 esclaves est incluse. Voir Barnard Elliott, Juliet Georgiana Elliott, Robert Gibbes & Lewis Gibbes (April 7, 1800), Marriage Settlements, South Carolina Department of Archives and History, Book 5, p. 432-433.
  • 16
    Testament de Barnard Elliott, dans Wills, vol. 30, p.1016.
  • 17
    Marriage Settlement, 28 janvier 1817, Book 7, p. 13.
  • 18
    Voir Minute Books, 1815-1841, Charleston Library Society. Outre les veuves, d’autresfemmes pouvaient être membres, car les règlements permettaient qu’un père transmette les actions qu’il détenait dans la bibliothèque à sa fille ou sa nièce. Mais deux membres d’une même famille ne pouvaient être simultanément actionnaires de la bibliothèque, d’où l’absence de la plupart des femmes. Pour les années qui nous concernent, toutes les femmes mentionnées dans les registres de la bibliothèque étaient des veuves.
  • 19
    Plus récemment, Bettina Bradbury a souligné les différences des pratiques testamentaires entre francophones et anglophones, Catholiques et Protestants: voir «Widows Negotiate the Law» (2005). Voir aussi Josette Brun, Le veuvage en Nouvelle-France (2001).
  • 20
    Sur le veuvage des femmes de l’élite sociale, voir Yme Kuiper,«Noble Widows Between Fortune and Family» (1995).
  • 21
    Inventory of the Goods and Chattels of the Estate of Mrs. J.G. Elliott, 9 août 1850 et Inventory and Appraisement of the Negroes, Furniture and Other Chattels & Effects of the Estate of Mrs. Juliet G. Elliot made at Rosemont Plantation on the 1st February 1851, Estate Files 59-3 to 62-13, Probate Court, Charleston, C. S. Voir aussi les états de comptes de la succession de Juliet G. Elliott du 26 février 1851 et du 29 novembre 1851, également dans les fichiers de la Probate Court.
  • 22
    Slave Schedule, South Carolina Census 1850, 29 novembre 1850, p. 645-649.
  • 23
    En 1809 et 1813, elle apparaît comme planter, mais en 1816, elle est simplement «veuve de Barnard» (Hagy, 1995: 103, 145; Hagy, 1996: 8).
  • 24
    American Husbandry Containing an Account of the Soil, Climate, Productions of the Britisth Colonies in North America and the West Indies, by an American, London, 1775, 2 vol.
  • 25
    Circulation Records, 1811-1817, Charleston Library Society. C’est seulement en 1838 que son fils Gibbes Elliott hérite de son titre auprès de la Charleston Library Society. Voir Minute Books (1815-1841), Charleston Library Society, Charleston, SC.
  • 26
    Né en 1771 et diplômé de Princeton en 1790, Benjamin Franklin Timothy était le fils de Peter et Ann Timothy, et le petit- fils de Lewis et Elizabeth Timothy, imprimeurs officiels à Charleston pendant la période coloniale. Les Timothy étaient amis et partenaires de Benjamin Franklin, l’homme des Lumières, imprimeur, savant, diplomate et père fondateur de la république américaine.
  • 27
    Selon le testament de Ann Timothy, décédée le 11 septembre 1792, citédans Martha Joanne King, «Making an Impression», p. 271. Voir également Martha J. King, «‘What Providence Has Brought Them to Be’» (1997).
  • 28
    William Mason épousa Sarah Timothy, sœur de Benjamin Franklin Timothy, le 24 mars 1793 (Smith et Salley, 1971: 254). William Mason, un diplômé de Harvard, originaire du Massachusetts, enseignait au College of Charleston et à la Parsonage Academy. Il renonce au partenariat en 1798.[/fn].

    Finalement, Timothy devint directeur de l’école de la South Carolina Society à Charleston, et le resta jusqu’à sa mort à l’âge de trente-six ans le 20 octobre 1807 (Jervey, 1930: 264)28 La cause du décès de Benjamin Franklin Timothy est inconnue, car les Death records de la ville de Charleston ne sont disponibles qu’à partir de 1819. On notera cependant que l’année 1807 est marquée par une épidémie de la fièvre jaune à Charleston qui fait 162 morts.
  • 29
    Elizabeth Timothy est décédée en mai 1802 à l’âge de six ans et dix mois (Holcomb, 1979 : 38). Son dernier fils, Peter Timothy, meurt de la jaunisse le 9 septembre 1822 à l’âge de 28 ans.
  • 30
    Il est possible qu’elle ait été enterrée en Pennsylvanie ou en Virginie si elle est décédée lors d’une visite chez des parents. Son nom n’apparaît pas dans les registres funéraires de St. Philips, mais tous n’ont pas survécu aux incendies. Tout porte à croire cependant qu’elle n’a pas été enterrée à Charleston, car elle ne figure pas dans l’index des cimetières préparé par la Works Progress Administration dans les années 1930.
  • 31
    Ce total compilé à partir des registres d’emprunts de la bibliothèque de Charleston comprend les ouvrages qu’elle commande elle-même ou qui sont sortis à son nom. Un bon nombre de ces emprunts sont faits par son fils, Peter Timothy, qui termine ses études à Princeton en 1813, puis exerce comme avocat à Charleston et réside avec elle au 13 Water Street. Voir Circulation Records, Charleston Library Society, Charleston, SC.
  • 32
    Son testament est certifié le 18 novembre 1840 et le 23 février 1841 et l’inventaire après décès date du 23 avril 1841. Will of Ann Timothy, vol. 42 (1839-45); Inventory of Personal Estate of Ann Timothy, Deposited 23d April 1841, Inventories, A (1839-44): 154-55.
  • 33
    Miscellaneous Records, Register Mesne Conveyance,County of Charleston, G 10, p. 348, 350.
  • 34
    Miscellaneous Records, mai 1835, I 10, p. 221-222.
  • 35
    Voir la pierre tombale d’Elizabeth Frost dans le cimetière de St. Philips, Charleston, SC, ainsi que South Carolina Historical Magazine, vol. 58 (1957): 258. Thomas Frost meurt le 18 juillet 1804, année où une épidémie de fièvre jaune fit 148 morts à Charleston (Dalcho, 1820 : 207-209, 220-221, 234-236).
  • 36
    Anne Frost eut une fille, Mary Ann Frost, née peu après la mort du Révérend Frost (Lerner, 2004: 52).
  • 37
    Les transactions datent de 1805, 1808, 1809, 1810, 1814, 1819 et 1820. Voir Consolidated Index, Roll no. 7, South Carolina Department of Archives and History. Les renonciations de 1804 ont des dates imprécises.
  • 38
    Les cousines sont Anne D. Holleday et Mrs. Evelina Grayham de Winchester, Virginia; l’amie est Miss Caroline Perry de Charleston, SC; Ann Timothy Cleland, fille de son amie Maria S. Cleland; Ann Timothy Duncan, fille de son neveu le Révérend John M. Duncan de Baltimore et Ann Timothy Telfair, fille de son neveu Dr. Isaac Telfair de Staunton, Virginie. Aux autres parentes, Margaret Ann Telfair, Jane St Clare Telfair, Martha Telfair, elle fait don de bijoux. Elle lègue également 1 000$ à Telfair Morriotte, fils du Général Morriotte.
  • 39
    Les 22 noms sont inscrits en mai 1822, mais déjà en août 1818, sept esclaves sont nommés. Les esclaves avaient été laissés à Sarah Gibbes par sa mère et, à sa mort, aux filles qui lui survivraient. Voir la transcription du testament du 21 août 1821, homologué en 1825, dans Gibbes-Gilchrist Papers, 1769-1945, South Carolina Historical Society, Charleston, South Carolina; Wills, County Library, Charleston.
  • 40
    Will of Juliet G. Elliott, Will Book, vol. 45, p. 705ff. Un autre exemple de sa résistance au patriarcat traditionnel concerne son appui à sa fille Juliet Georgina quand celle-ci est courtisée par William Middleton, un homme beaucoup plus âgé qu’elle et auquel la veuve reproche de ne pas s’être enquis de sa fille en son absence. Finalement, la jeune fille rejeta ce prétendant, tandis que ce dernier attribuait sa propre froideur à sa timidité. Voir Elliott Family, MiscellaneousManuscripts, Charleston Library Society. Pour une discussion des règles de courtship autour de cet exemple, voir Pease & Pease, Ladies, Women & Wenches, p. 18.
  • 41
    Voir son testament du 14 février 1818, homologué le 28 septembre 1820, Will of Judith Ladson, vol. 34, p. 361. Pour l’information biographique, voir Bailey, Biographical Directory, p. 411-413.
  • 42
    Gibbes Family, Gibbes Family Papers, 1769-ca.1935, South Carolina Historical Society, Charleston, SC.
  • 43
    Will of Judith Elliott, p. 710.
  • 44
    MiscellaneousRecords, Main Series, Bills of Sales, vol. 1773-1840, South Carolina Department of Archives and History, Columbia, SC.
  • 45
    Will of Ann Timothy, v. 42, p. 204.
  • 46
    Une loi de 1820 interdisait l’émancipation et une loi de décembre 1822 exigeait un gardien blanc pour tout Noir libre. Voir Cooper et McCord, The Statutes at Large of South Carolina, vol. 7, p. 459-62 ; Michael Johnson, No Chariot Let Down, p. 87- 88 ; Edward A. Pearson, Designs against Charleston, 1999 ; Michael P. Johnson, «Denmark Vesey and his Co- Conspirators» (2001) et Johnson, «Reading Evidence» (2002).
  • 47
    La révolte de Nat Turner à Southampton, Virginie, eut des répercussions dans l’ensemble des États sudistes. Sur les lois d’alphabétisation des États esclavagistes, et plus particulièrement de la Caroline du Sud, voir Isabelle Lehuu, «Femmes blanches et esclaves noirs», p. 114-115.
  • 48
    Inventaire du 23 avril 1841, Inventories, A (1839-44), p. 155. Le sort de Murphy et Randolphe resteincertain.
  • 49
    Les esclaves portaient le nom de famille de leur maître.
  • 50
    City of Charleston Health Department, Death Records, January 1838through December 1845, p. 102 ; Death Records, January 1853 through December 1857, n.p.
  • 51
    List of the Taxpayers of the City of Charleston for 1859, Charleston, 1860, p. 341.
  • 52
    1850 United States Federal Census, Roll M432_850, p.103.
  • 53
    Kirsten Wood et Cara Anzilotti ontaussi souligné l’appui familial donné aux veuves qui choisissaient de ne pas se remarier.
  • 54
    Sur le comportement des veuves pendant la guerre de Sécession, voir Drew Gilpin Faust, Mothers of Invention, p.148-150; Anne Firor Scott, The Southern Lady, conclusion. Sur la transformation des rites funéraires pendant la guerre de Sécession, voir Faust, This Republic of Suffering (2008).
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