Entrée de carnet

Information 2.0

Gabriel Tremblay-Gaudette
couverture
Article paru dans Délinéaires (2008), sous la responsabilité de Laboratoire NT2 (2008)

Pendant que les grands quotidiens accomplissent leur transition du format papier vers une version en ligne en référant deux fois par page à leur site Web, une autre forme de journalisme émerge peu à peu. Que ce soit par l’incitation au lectorat à collaborer aux sites où en profitant de l’absence de contraintes temporelles et éditoriales pour favoriser le journalisme d’enquête à conscience sociale, les pratiques du métier d’information sont bouleversées par cette nouvelle donne que constitue le Web. Est-ce pour le meilleur ou pour le pire?

Avec la plus grande facilité d’hébergement de sites et la simplification des logiciels de design de pages Web, tout le monde et sa mère peut mettre en ligne des informations, de qualité ou non, véridiques ou non. Il va sans dire que pour trouver les infos quotidiennes, l’internaute moyen va donc préférer consulter des sites de médias reconnus. Cependant, l’apport de tous et chacun peut améliorer le volume et la qualité d’un site journalistique, comme certains exemples l’ont prouvé.

En France, le site rue89 est un exemple de la révolution des informations. Fondé par des ex-journalistes de Libération, le site invite dès la page d’accueil (sous la rubrique «la rue est à vous») à collaborer au contenu, non seulement en écrivant des commentaires mais aussi en soumettant des articles pour publication. Il est précisé qu’une partie seulement des articles soumis seront mis en ligne et qu’il est espéré qu’une certaine spécialisation des auteurs permette d’offrir des points de vue diversifiés et bien informés de chaque sujet (sauf le sport, seul absent des sections du site!

Le processus éditorial de rue89 permet un certain contrôle de la qualité et une rigueur journalistique au contenu du site. La possibilité de donner une note aux articles et commentaires est cependant un peu curieuse : quels critères dictent l’évaluation des articles et des commentaires par l’internaute? Un tel qui aura apprécié la pertinence du contenu d’un article évaluera favorablement celui-ci, alors que le visiteur suivant qui aura déploré l’écriture malhabile du même article va l’évaluer à la baisse. De plus, la lecture des commentaires permet rapidement de constater que cet espace de forum est plutôt un champ de bataille pour des guerres d’opinion pas forcément en lien avec les informations qui en étaient à la base. Résultat, les articles les mieux cotés ne sont pas nécessairement les plus pertinents.

Les sites « ouverts au public » côtoieront donc bientôt les sites plus officiels des grands quotidiens. Il est évident que les journalistes professionnels vont être davantage portés à vérifier leurs sources et à observer un code déontologique strict. En revanche, il est probable que l’opinion du peuple est plus facile à percevoir à la lecture des articles et des commentaires des sites à participation publique.

Un autre exemple de l’utilisation de la toile afin de présenter un journalisme différent est Propublica. Ce site lancé il y a quelques semaines a pour but d’offrir au public du journalisme d’intérêt public avec une charge morale puissante. L’initiative a été lancée par des journalistes d’enquête frustrés de voir leur espace de publication rétrécir constamment et de sentir que les éditeurs considèrent les reportages journalistiques comme un mauvais investissement – il est vrai que chaque idée de sujet ne débouche pas nécessairement sur une résultat satisfaisant. Grâce à un financement sur plusieurs années de la fondation Sandler et une structure d’organisme à but non lucratif, Propublica peut donc se concentrer sur le journalisme d’enquête sans être préoccupé par des facteurs de rentabilité qui ont généralement eu comme effet de délaisser cette pratique. La traque aux scandales et la dénonciation des opprimés sont les principaux centres d’intérêt du comité de rédaction de Propublica, qui, un peu comme pour Rue89, a été fondé par d’anciens journalistes et éditeurs de grands quotidiens américains s’étant lassé de l’obsession du profit par les gestionnaires qui a amené une détérioration de la qualité d’information. Il est en effet impressionnant de constater la longueur des articles. Alors qu’on nous a habitués à des pages de quelques paragraphes tout au plus, les articles dans Propublica rempliraient une dizaine de pages de journaux traditionnels.

D’un côté, un journalisme démocratique qui permet de faire entendre plusieurs voix parfois contradictoires, mais dont on peut douter de la rigueur informative. D’un autre côté, un journalisme professionnel épris de justice et concentre ses efforts à vouloir dénoncer plutôt qu’informer. Entre les deux, des sites de quotidiens qui essaient de ne pas se faire voler leur place par ces initiatives du Web 2.0. Et vous, où allez-vous chercher vos nouvelles?

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