Entrée de carnet

En quoi l’étude du deuil peut-elle contribuer à nourrir une intention de «désanthropologisation» de notre rapport aux végétaux?

Cat Alexis Blanchette
couverture
Article paru dans Écodramaturgies: questions, repères, dispositifs, sous la responsabilité de Catherine Cyr (2022)

«Nous nous servons du champignon comme méthode», déclare Catherine Lavoie-Marcus, venue en compagnie de Zoey Gauld à la journée d’étude «Avec l’autre qu’humain. Penser, agir et écrire les coprésences» pour présenter le projet de danse performative que celles-ci portent depuis deux ans avec Audrée Juteau et Ellen Furey. Mêlant danse, mycologie et technologies numériques, Mystic-Informatic trouve dans l’univers des mycéliums matière à reconcevoir le rôle de la danse à l’ère des tournants technologiques et de l’effondrement du vivant.

Ne cédant ni tout à fait au mimétisme aristotélicien (représentation de la nature par l’art) ni à l’appropriationnisme postmoderne (présence de phénomènes naturels dans l’art), l’utilisation du végétal dans le cadre de ce projet se fait surtout sous le signe de la métaphore, d’où l’idée d’une «méthode» inspirée par le mycélium. Pour autant, les phénomènes fongiques n’y endossent pas la simple fonction de supports chorégraphiques. À travers une sorte de réciprocité virulente, les champignons bouleversent les manières de faire art des danseuses en même temps qu’ils se voient eux aussi investis matériellement, épistémologiquement et ontologiquement par leurs créations. C’est ainsi que la page Internet Post-Mycelium-Mystique, une fois mise sous tension avec la communication racinaire assurée dans les forêts par les champignons mycorhiziens, peut conduire à une réflexion sur le concept de «Wood Wide Web», cet immense réseau végétal découvert au tournant du siècle et nommé en référence au «World Wide Web».

Réflexion éthique à partir de l’atelier « Tous du lichen », tenu lors des journées d’études Avec l’autre qu’humain: penser, agir et écrire les coprésences à l’UQAM

Chaque deuil est unique; il peut être écologique, personnel, partagé… Il s’agit de l’empreinte laissée en nous par la perte d’un amour dont la présence est révélée par l’absence. Il est ainsi spectral. Pendant l’atelier «Tous du lichen», Mélanie Binette et Alain Joule partagent les formes de mise en présence de l’autre qu’humain dans leurs pratiques artistiques.

Binette, dont l’œuvre est notamment traversée par la question du deuil, explique son désir de redonner de l’agentivité aux fantômes dans son art. Joule avance que pour lui, cette expression, « fantôme », se lit en fait «fente / Homme». Cette image me renvoie tout de suite au questionnement éthique qui m’habite ces temps-ci, soit l’importance de la «désanthropologisation» dans ma posture de chercheur dans un cadre d’analyse écopoétique.

Ce que j’y lis, dans cette nouvelle expression, c’est que dans la mort, le «fente / Homme» voit son «Humanité» rompue, il re/devient quelque chose d’autre, d’autre qu’humain. Puisque mes recherches concernent le deuil en relation avec la figure du jardin, je me méfie du «chauvinisme humain» (pour reprendre l’expression d’Una Chaudhuri) dont il est possible faire preuve lorsque l’on s’intéresse à la place des plantes dans la littérature. Je crois cependant qu’à l’aide d’une méthode de recherche dont l’éthique est rigoureuse, je peux me décentrer humblement et étudier le deuil dans sa qualité de phénomène rhizomatique.

Donna Haraway dans Vivre avec le trouble (2020) stipule que «[…] les êtres humains sont avec et de la Terre […]» (p. 108-109). L’étude du deuil me permet de considérer les morts dans un devenir-avec les autres êtres vivants, un devenir terre, un devenir humus.

Type d'article:
Ce site fait partie de l'outil Encodage.