Entrée de carnet
Éditorial: Perspectives écoféministes
Dans un esprit d’amitié et de solidarité, le comité de FéminÉtudes rend hommage aux Premiers Peuples et reconnaît que ses activités se tiennent en territoires Autochtones non cédés. Le comité tient également à reconnaitre que les terres sur lesquelles l’Université du Québec à Montréal est érigée font partie du territoire traditionnel non cédé de la Nation Kanien’keha:ka, gardienne ancestrale des terres et des eaux de Tiohtià:ke. Dans cet espace qui a longtemps servi et sert encore de lieu de rassemblement et d’échange entre les Nations, nous honorons les relations qui nous unissent les un·es aux autres et à l’ensemble de la création. Nous sommes reconnaissant·es d’habiter ces lieux sacrés et appuyons les Premières Nations, les Inuit et les Métis d’ici et d’ailleurs sur l’Ile de la Tortue dans leurs luttes pour la justice et l’autodétermination.
Éditorial
Offrant une plateforme de diffusion en continu pour des réflexions en lien avec des travaux de recherche ainsi que des démarches artistiques et militantes dans les champs des études et luttes féministes, queer, décoloniales, anti-racistes et intersectionnelles, les Carnets de recherches sont ouverts à une diversité de formes d’expressions et de savoirs. Ils visent à faire rayonner des idées, démarches et créations à la rencontre des milieux académiques, militants et artistiques. En somme, ils se veulent un lieu pour penser ensemble, tisser des solidarités et proposer des dialogues entre une diversité de disciplines et de positionnements. Afin de baliser les pistes de réflexions, les carnets fonctionnent par thématique. Dédié à des contributions centrées sur des questions à la rencontre entre féminismes et environnement, le carnet Perspectives écoféministes se veut un espace de rencontres et de dialogues pluridisciplinaires entre différentes luttes et approches environnementales.
Les écoféminismes regroupent un éventail d’approches réflexives, militantes, spirituelles et artistiques qui examinent les liens entre les systèmes de domination conditionnant la subordination et l’exploitation des fxmmes (femmes cis, personnes trans, non-binaires, two-spirit, etc.) et des personnes racisées et ceux justifiant l’exploitation et la destruction de l’environnement et des autres qu’humain·es. Qu’on pense aux mouvement Chipko en Inde, à l’initiative de la Ceinture verte au Kenya ou aux mobilisations anti-nucléaires aux États-Unis, les écoféminismes sont d’abord nés d’initiatives populaires menées par des personnes vivant à l’intersection de plusieurs systèmes d’oppression (sexisme, capitalisme, racisme et racisme environnemental, colonialisme, patriarcat cishétéronormatif, etc.)
Affirmant que tous les systèmes d’oppression sont intrinsèquement liés en ce qu’ils reposent sur une division binaire du monde de laquelle découle inévitablement l’altérisation et la subordination d’une facette de la dichotomie par rapport à l’autre, les écoféminismes sont animés par un double objectif. D’une part, il s’agit de se réapproprier et de revaloriser tout ce qu’on a historiquement dévalorisé et violemment cherché à effacer (les corps, fonctions et tâches reproductives et de care; les émotions; les spiritualités de la Terre et les religions non monothéistes; les relations intimes et réciproques avec nos environnements et les autres qu’humains; les savoirs et modes de connaissance ancestraux et expérientiels) dans le cadre de nos sociétés cishétéropatriarcales racistes et coloniales, et ce, surtout depuis la modernité. Ainsi, écoféministes de tous horizons et positionnements se retrouvent dans cette entreprise de reclaim, qui «signifie tout à la fois réhabiliter et se réapproprier quelque chose de détruit, de dévalorisé, et le modifier comme être modifié[·e] par cette réappropriation. Il n’y a ici […] aucune idée de retour en arrière, mais bien plutôt celle de réparation, de régénération et d’invention, ici et maintenant.» (Hache 2016: 23
Bien plus qu’un simple renversement des pôles de pouvoir – qui laisserait les binarités intactes – les écoféminismes travaillent d’autre part à ré·inventer nos rapports et manières d’être au monde en recentrant des perspectives ancrées dans la réciprocité, la solidarité, l’empowerment et l’interdépendance autant entre humain·es, qu’entre humain·es et autres qu’humain·es. Au sein de cette «bicoque biscornue» (Burgart Goutal 2020: 67) traversée de tensions et de paradoxes comme d’alliances et de résonances, les revendications politiques s’entrecroisent avec des expérimentations en matière d’agriculture et de modes de vie alternatifs; les spiritualités de la Terre sont réinvesties à l’aune d’initiatives communautaires et de pratiques artistiques pluridisciplinaires; les investigations théoriques se déploient à travers et en parallèle d’explorations langagières, formelles et narratives.
Dans le cadre du Carnet Écoféminismes, les contributeurices sont invité·es à partager leurs expériences, réflexions et créations portant sur des enjeux à teneur à la fois environnementale et sociale. Si les éco·féminismes sont bel et bien centraux à ce dossier, des contributions s’inscrivant dans des champs disciplinaires connexes (écologies queer et décoloniale, écopoétique, plant studies, animal studies, écocritique, etc.) sont elles aussi bienvenues.
Références
Burgart Goutal, Jeanne (2020) Être écoféministe.Théories et pratiques, Paris: Éditions L’Échappée, coll. Versus.
Hache, Émilie (2016) «Introduction. Reclaim Ecofeminism!», dans Hache, Émilie (dir.) Reclaim. Recueil de textes écoféministes, Paris: Cambourakis, coll. Sorcières, pp. 13-57.
Rédaction de l’éditorial
Noémie Dubé
Avec la collaboration de
Em Merlet & Geneviève Proulx-Masson