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Écrire l’histoire des femmes au pluriel

Isabelle Lehuu
couverture
Article paru dans Blanches et Noires: Histoire(s) des Américaines au XIXe siècle, sous la responsabilité de Isabelle Lehuu (2011)

«J’ai souvent été étonnée et affligée de la servitude des femmes et de la piètre idée qu’elles ont de leur personnalité morale et de leur responsabilité. Une femme à qui on demande de signer une pétition pour l’abolition de l’esclavage dans le district de Colombie, ou de rejoindre une association ayant le projet de faire adopter l’abolition de l’esclavage en Amérique répond: ‘Mon mari n’y est pas favorable’. En ce qui concerne ses droits et ses devoirs elle ne fait qu’un avec son mari»1 Extrait traduit dans Paulette Bascou-Bance, La mémoire des femmes, p. 321..

De l’égalité des sexes ou la pensée féministe de Sarah M. Grimké

C’est en 1837 que Sarah Moore Grimké faisait ce constat sur la servitude des femmes et l’institution du mariage. L’activiste originaire de Caroline du Sud effectuait alors une tournée en Nouvelle Angleterre en compagnie de sa jeune sœur Angelina2 Pour une biographie de Sarah Moore Grimké (1792-1873) et Angelina Grimké Weld (1805-1879), voir Gerda Lerner, The Grimké Sisters from South Carolina, c1967, 2004. L’historienne souligne la difficulté de distinguer une sœur de l’autre, car elles ont vécu la majeure partie de leurs vies ensemble, ont lu les mêmes livres, ont partagé et discuté de leurs écrits entre elles.. Prenant conscience des multiples interdits contre la prise de parole des femmes en public, Sarah et Angelina Grimké se sont engagées à défendre à la fois la cause des Noirs en esclavage et les droits des femmes. Cette collaboration des deux sœurs facilita la convergence des mouvements abolitionniste et féministe (Sklar, 2000; Yellin, 1989). Angelina Grimké devenait un des porte-parole les plus éloquents pour l’abolition de l’esclavage et rejetait les critiques de la réformatrice Catherine Beecher, qui voulait limiter l’influence des femmes au cercle domestique3 Angelina Grimké, Letters to CatherineE. Beecher, in Reply to an Essay on Slavery and Abolitionism, Boston, 1838.. De son côté, Sarah Grimké se faisait l’avocate de la cause des femmes et publiait en 1838 Letters on the Equality of the Sexes4  Pour une édition récente des lettres, voir Sarah Grimké, Letters on the Equality of the Sexes and Other Essays, éditées par Elizabeth Ann Bartlett, New Haven, Yale University Press, 1988. Pour la tradition mystique dans laquelle s’inscrit la pensée féministe de Sarah Grimké, voir Gerda Lerner, The Feminist Thought of Sarah Grimké, p. 21-26..

Son expérience de femme sudiste, née dans une famille de la haute société esclavagiste de Charleston, Caroline du Sud, mais privée de l’éducation classique dont bénéficiaient ses frères (Winterer, 2007), lui permettait de comparer les deux systèmes d’oppression qui subordonnaient les esclaves aux maîtres et les femmes aux hommes, et de dénoncer par analogie le pouvoir esclavagiste et le pouvoir patriarcal, le racisme et le sexisme. Prenant soin toutefois de ne pas confondre la condition des femmes blanches et celle des esclaves, elle soulignait tout particulièrement la souffrance des femmes noires et leur exploitation sexuelle: «Des femmes sont achetées et vendues dans nos marchés d’esclaves pour satisfaire l’appétit bestial de ceux qui portent le nom de chrétiens»5 Lettre VIII, dans Grimké, Letters on the Equality of the Sexes, p. 59.. Ce faisant, Sarah Grimké a élaboré une critique féministe de la religion patriarcale et de la misogynie des commentateurs ecclésiastiques. Selon elle, les traductions erronées des Écritures saintes n’existeraient plus si les femmes étaient autorisées à apprendre l’hébreu et le grec. En même temps, cette femme quaker a su préserver les fondements religieux de son féminisme et défendre l’existence spirituelle des femmes. Aux pasteurs qui condamnaient les interventions publiques des femmes, elle répond en juillet 1837 par une analyse biblique de l’autonomie morale des femmes et une déclaration de l’égalité des hommes et des femmes: «Je lui obéis [au Seigneur Jésus] dans tous ses préceptes et découvre qu’il donne les mêmes directives aux femmes et aux hommes, que jamais il ne se réfère à la distinction sur laquelle on insiste tant à présent, entre vertusmasculines et vertus féminines; c’est là une de ces traditions forgées par les hommes, antichrétiennes, que l’on enseigne à la place des commandements de Dieu. Hommes et femmes ont été CRÉÉS ÉGAUX; les uns et les autres sont des êtres moraux et responsables de leurs actes, et ce qui est juste pour l’homme est juste pour la femme»6 Lettre III de juillet 1837 en réponse à la Pastoral Letter of the General Association of Congregational Ministers of Massachusetts, dans Grimké, Letters on the Equality of the Sexes, p. 38. La traductionde cet extrait est tirée de Sara Evans, Les Américaines, p. 133..

Sarah Grimké a laissé dans Letters on the Equality of the Sexes un témoignage percutant du début du féminisme aux États-Unis, et ce six ans avant que Margaret Fuller publie Woman in the Nineteenth Century7 L’ouvrage de Margaret Fuller paraît en 1845 et fut traduit sous le titre La femme au 19e siècle., et dix ans avant la convention des droits de la femme de l’été 1848 à Seneca Falls dans l’État de New York, où furent énoncées les revendications des femmes et rédigée la Déclaration des sentiments sous le leadership d’Elizabeth Cady Stanton (Wellman, 2004; DuBois, 1978). Tout en faisant écho aux écrits de l’Anglaise Mary Wollstonecraft, The Vindication of the Rights of Woman8 Publié en 1792, The Vindication of the Rights ofWoman fut traduit sous le titre Défense des droits de la femme., publiés à la fin du XVIIIe siècle, les lettres de Sarah Grimké représentaient le premier essai philosophique écrit par une Américaine sur les droits de la femme. S’il a été longtemps oublié jusqu’à sa réédition en 1970, ce texte précurseur a inspiré les contemporaines du XIXe siècle comme Lucy Stone, Abby Kelley, Elizabeth Cady Stanton et Lucretia Mott (Lerner, 2004: 139; Grimké, 1988: 4-5; Flexner, 1959: 344)9 Lors de leur visite à Londres en 1840 pour le congrès mondial du mouvement antiesclavagiste, Lucretia Mott et Elizabeth Cady Stanton ont également noté que les Anglaises connaissaient aussi les écrits de S. Grimké. Les Letters on the Equality of the Sexes n’ont jamais été traduites en français, même si Sarah Grimké correspondait avec des féministes et socialistes françaises comme Jeanne Deroin et Pauline Roland, ainsi que d’autres Européennes comme Barbara Bodichon et Fredrika Bremer. Pour la correspondance transatlantique, voir Gerda Lerner, The Feminist Thought of Sarah Grimké, p. 119-122, 149-151; Margaret H. McFadden, Golden Cables of Sympathy, p. 112..

Outre son appui à l’égalité des sexes et sa critique de la distinction entre les rôles genrés, «entre vertus masculines et vertus féminines», Sarah Grimké a aussi défendu la spécificité de l’expérience féminine et l’existence d’une culture féminine, entretenue par des liens propres aux femmes. D’ailleurs, la formule épistolaire des Letters on the Equality of the Sexes, «Thine in the bonds of womanhood»10 La plupart des lettres étaientadressées à Mary Parker, présidente de la Boston Female Anti-Slavery Society., que l’on traduit par «Bien à toi, par les liens de la féminité», témoigne aussi bien de l’existence de réseaux de correspondance entre les militantes que de la création d’une culture féminine propre, née de la solidarité des femmes face à l’oppression patriarcale. Refusant les chaînes du mariage et optant pour le célibat, même si elle a joué le rôle de mère suppléante pour sa cadette Angelina, Sarah Grimké n’en est pas moins partisane de ce que l’on qualifiera d’approche maternaliste à la fin du XXe siècle; autrement dit, elle considère que l’expérience de la maternité et des relations affectives confère aux femmes une supériorité morale et, par conséquent, justifie leur participation aux institutions de la vie publique (Grimké, 1988: 5, 12).

C’est donc dans le sillage de cette pionnière de la pensée féministe aux États-Unis, qui revendiquait l’égalité des sexes et célébrait l’existence d’une culture féminine, que se situent les recherches historiques présentées dans cet ouvrage collectif. Les chapitres qui suivent mettent en lumière tant la parole des femmes que le discours sur les femmes, les actions et les représentations. Ils explorent la réalité quotidienne de femmes ordinaires du XIXe, jeunes et moins jeunes, mariées et célibataires, blanches et noires, au Nord comme au Sud, qui sont restées silencieuses, souvent dans l’ombre d’un mari, d’un père ou d’un maître. Leurs témoignages, les mots qu’elles ont laissés dans les sources publiques et privées, les gestes qu’elles ont posés aussi bien dans le cadre de leurs relations affectives qu’au sein de leur exploitation familiale, leur réseau social, leur travail, leur église, leur communauté urbaine ou villageoise, leur région, sont autant d’indices à décoder pour dresser un portrait nuancé et documenter la condition des femmes aux États-Unis dans toute sa diversité sociale et culturelle.

Les contributions rassemblées ci-après s’inscrivent dans le sens de l’évolution récente de la discipline historique et sont enrichies par les débats qui ont contribué à la maturité du champ de recherches en histoire des femmes aux États-Unis au cours des trente dernières années. Alors que les premières praticiennes ont d’abord cherché à peindre un portrait des femmes célèbres, les historiennes des générations suivantes ont étudié le rôle public des femmes moins célèbres, activistes syndicalistes, écrivaines, réformatrices, leaders religieux, éducatrices et autres professionnelles. Certes, quelques pionnières des années 1930 et 1940 se sont déjà intéressées à l’histoire sociale des femmes: Julia Cherry Spruill s’est penchée très tôt sur le travail domestique des sudistes de l’époque coloniale, tandis qu’Alice Felt Tyler a situé les femmes au cœur du mouvement pour l’abolition de l’esclavage (Spruill, 1938; Tyler, 1944). Toutefois, c’est à partir des années 1960 et 1970 que se sont développées les recherches sur l’expérience concrète des femmes du passé, particulièrement au cours de la première moitié du XIXe siècle, à l’heure des changements politiques, économiques et sociaux liés à la révolution industrielle et à l’avènement de la démocratie. Dans la foulée d’une réécriture de l’histoire from the bottom up ou de l’histoire des oubliés, les femmes ordinaires, subordonnées à l’autorité patriarcale, souvent confinées à l’espace domestique, ont commencé à retenir l’attention des historiens et des historiennes.

Il faut évidemment souligner que le XIXe siècle représente une période charnière dans l’histoire des femmes aux États-Unis. C’est «un siècle de luttes», pour reprendre l’image dominante de l’ouvrage d’Eleanor Flexner (1959), qui décrit la longue marche vers l’obtention du suffrage des femmes, octroyé finalement en 1920 grâce au dix-neuvième amendement à la constitution. Mais les revendications politiques ne constituent qu’un aspect de l’histoire des femmes du XIXe siècle: les Américaines se sont aussi engagées dans de multiples associations de bienfaisance et des mouvements de réformes sociales, au moment précis où l’on assiste àune redéfinition des rôles genrés. Loin d’être unilatérale, leur histoire est à l’image du XIXe siècle américain, qui comprend aussi bien l’expansion territoriale de l’Atlantique au Pacifique que la rupture entre le Nord et le Sud et la guerre de Sécession, et autant la croissance économique et démographique que les conflits sociaux. De même, l’histoire des femmes du XIXe siècle est riche en transformations sociales et en nouvelles aspirations pour l’ensemble des femmes. Cependant, cette histoire est aussi marquée par les divisions de classe et de race, qui ont été parfois, bien que trop rarement, surmontées pour déboucher vers des alliances et des coalitions de femmes de diverses origines. Un bref survol des thèmes dominants de ce XIXe siècle, qui ont constitué les points d’ancrage de l’historiographie des dernières décennies, permettra d’évaluer le contexte dans lequel se place ce projet d’écrire l’histoire des femmes au pluriel.

 

L’idéologie de la séparation des deux sphères

La subordination des femmes était partie intégrante de la conception patriarcale de la société coloniale des XVIIe et XVIIIe siècles. Mais après l’indépendance des États-Unis en 1776 et l’élaboration d’une république vertueuse basée sur un nouveau régime économique, les rapports sociaux de sexe ont commencé à se transformer. Au début du XIXe siècle, la convergence de l’économie de marché et de la conception genrée de la citoyenneté ont relégué dans la sphère privée les femmes et les mères des futurs citoyens, tandis que la sphère publique du travail et de la politique restait l’apanage des hommes. En séparant le lieu d’habitation du lieu de travail, l’idéologie sous-jacente des deux sphères distinctes a permis de camoufler la subordination des femmes sous la bannière de la domesticité. La sphère féminine a été décrite dans la littérature populaire de l’époque comme un havre de paix, un refuge face au monde extérieur régi par la compétition économique et les conflits sociaux. C’est au sein du foyer familial qu’étaient préservées les valeurs traditionnelles et le pouvoir des sentiments, à l’abri de l’immoralité du capitalisme industriel et de la politique.

Le concept de séparation des sphères publique et privée, qui distinguait d’une part les activités économiques et politiques des hommes et, d’autre part, les activités domestiques, préindustrielles et non rémunérées des femmes dans l’espace familial, trouvait son origine dans les textes de l’époque, comme De la démocratie en Amérique d’Alexis de Tocqueville, un des visiteurs européens venus observer le fonctionnement de ladémocratie aux États-Unis dans les années 1830. Pour Tocqueville, «L’Amérique est le pays au monde où l’on a pris le soin le plus continuel de tracer aux deux sexes des lignes d’action nettement séparées, et où l’on a voulu que tous deux marchassent d’un pas égal, mais dans deschemins toujours différents» (1961: II, 292). C’est exclusivement au chapitre 12, intitulé «Comment les Américains comprennent l’égalité de l’homme et de la femme», qu’Alexis de Tocqueville examine la condition des femmes dans la société américaine. Il admet que l’Américaine ne peut «s’échapper du cercle paisible des occupations domestiques», mais il ne voit là qu’un avantage pour les femmes: «Vous ne voyez point d’Américaines diriger les affaires extérieures de la famille, conduire un négoce, ni pénétrer enfin dans la sphère politique; mais on n’en rencontre point non plus qui soient obligées de se livrer aux rudes travaux de labourage, ni à aucun des exercices pénibles qui exigent le développement de la force physique». Ces remarques soulignent bien qu’au cours de son voyage de neuf mois aux États-Unis, Alexis de Tocqueville n’a rencontré ni veuve, ni ouvrière, ni femme noire en esclavage. Finalement, l’observateur français ne tarit pas d’éloges sur la supériorité des femmes à laquelle il attribue la prospérité du peuple américain et il conclut ainsi: «Quoique aux États-Unis la femme ne sorte guère du cercle domestique, et qu’elle y soit, à certains égards, fort dépendante, nulle part sa position ne m’a semblé plus haute» (Tocqueville, 1961: II, 295-296).

Le culte de la domesticité ou «culte de la véritable féminité» attribuait une supériorité morale aux femmes (Welter, 1966). Mais si leur piété, leur pureté et leur humilité élevaient les femmes sur un piédestal, elles restaient isolées dans cette position supérieure sans bénéficier de droits égaux dans la sphère publique. La métaphore des deux sphères, publique et privée, masculine et féminine, a été largement utilisée pour la simplicité de son analyse binaire et reprise comme schéma explicatif dominant par les historiens et les historiennes du XIXe siècle américain. Par contre, les implications pouvaient varier. Par exemple, dans les années 1960, Barbara Welter a décrit le culte de la domesticité de la première moitié du XIXe siècle comme un carcan imposé aux femmes, une prescription pour toutes les femmes, tandis que Gerda Lerner a décelé dans cette idéologie de la classe moyenne une façon de polariser les différences entre les femmes au foyer et les femmes à l’usine, et donc un moyen d’accentuer la distinction sociale entre femmes de classes sociales différentes (Welter, 1966; Lerner, 1969).

D’autres historiennes des années 1970 ont plutôt cherché à voir comment les femmes elles-mêmes ont vécu cet enfermement dans une sphère séparée. Dans The Bonds of Womanhood, dont le titre reprend la formule épistolaire de Sarah Grimké, Nancy Cott (1977) a étudié le cas des femmes de Nouvelle Angleterre de la fin du XVIIIe et du début du XIXe; elle souligne que la séparation des deux sphères n’a pas été simplement imposée aux femmes, mais que ces dernières se la sont appropriée, cherchant ainsi à valoriser leur différence. De son côté, Carroll Smith-Rosenberg[fn] Publié en 1975, son article intitulé «The Female World of Love and Ritual» a été traduit en français en 1978; voir Smith- Rosenberg, «Amours et rites».[/fn] a montré que les liens de l’assujettissement des femmes pouvaient aussi créer les liens de la solidarité entre femmes. C’est donc dans un monde à part, permettant la formation d’une culture féminine distincte et une expérience commune des femmes que s’est développé le sentiment d’appartenance à une sororité, avec ses rites, ses réseaux familiaux et amicaux, ses valeurs et ses symboles. Un débat historiographique s’en est suivi: pour Ellen Dubois, l’intérêt pour la culture féminine risquait de remplacer celui pour l’histoire politique du féminisme et les questions de culture se substituaient aux questions politiques telles que l’oppression des femmes et la lutte des femmes pour le droitde vote. En revanche, pour Carroll Smith-Rosenberg l’histoire du mouvement féministe passait impérativement par une compréhension du monde des femmes, de leur expérience initiale dans une communauté de femmes, dans des écoles de filles, des associations bénévoles, des settlement houses ou maisons sociales, où des femmes se sont associées et identifiées à d’autres femmes (Dubois et al., 1980). Cependant, d’autres historiennes ont rappelé qu’il n’y avait pas un seul monde féminin, mais plusieurs mondes habités par des femmes de différentes classes sociales, de différentes origines ethniques. De plus en plus, le concept de culture féminine a alors fait place à la notion de communauté de femmes (Muncy, 1991).

 

Les réformatrices et les associations féminines

À partir des années 1980, plusieurs historiennes ont suggéré que la séparation idéologique des deux sphères était loin d’être hermétique. Au contraire, les réformes sociales et le mouvement associatif de la première moitié du XIXe siècle étaient fondés sur une participation importante des femmes de la classe moyenne, qui ont ainsi joué un rôle non négligeable dans la sphère publique. Karen Hansen (1994) ira même jusqu’à parler d’une troisième sphère, celle du social où hommes et femmes interagissaient. Bien sûr, alors que certaines portes étaient ouvertes aux femmes, avec l’approbation des ministres religieux, d’autres leur étaient strictement fermées. Mais dans les limites imposées à leur sexe, les femmes et leurs associations féminines ont contribué largement au mouvement de réformes sociales de la première moitié du XIXe siècle. Plutôt qu’une analyse dichotomique et caricaturale de deux sphères séparées, c’est une interdépendance, une réciprocité entre la sphère privée et la sphère publique qui est ressortie des études historiques des années 1980. Après les interprétations, somme toute irréconciliables, d’une sphère féminine comme cadre de l’oppression et de l’enfermement des femmes et d’une sphère féminine comme berceau d’une culture propre aux femmes et de leur émancipation, les historiennes ont proposé des approches plus nuancées et analysé la formation de la sphère privée non seulement pour les femmes, mais aussi par les femmes. C’est dans cette veine qu’ont été publiées plusieurs monographies importantes sur le rôle public des associations féminines dont l’impulsion réformatrice trouvait son origine dans l’espace domestique de la classe moyenne.

Dans Cradle of the Middle Class, Mary P. Ryan offre une étude détaillée d’un comté de l’État de New York et démontre qu’au début du XIXe siècle, la classe moyenne américaine s’est forgé une identité distincte autour des valeurs domestiques et des pratiques familiales (1981). La famille elle-même est devenue le berceau d’une nouvelle classe moyenne dans un contexte de compétition économique qui touchait les fermiers, les artisans, les commerçants, les salariés, les cols blancs et les employés de bureau. Ce faisant, la famille a joué un rôle d’agent de changement social. Les associations bénévoles et les institutions de charité ont ainsi tissé des liens entre le cercle familial et la sphère publique, créant un espace intermédiaire consolidé par l’intimité et la cohésion de la vie familiale, embrigadant hommes et femmes et canalisant les ressources réformatrices des femmes de la classe moyenne. Dans cette étude de cas, Ryan fait ressortir la mise à contribution de l’idéologie domestique au service de la mobilité sociale et les liens étroits entre l’activisme féminin et la mobilisation familiale.

Dans une étude similaire portant sur une autre communauté de l’État de New York ou burned-over district (Cross, 1982), cette région enflammée par le réveil religieux et l’enthousiasme réformateur du début du XIXesiècle, Nancy Hewitt a examiné les femmes de Rochester et leurs organisations charitables (1984). Elle conclut que l’activisme féminin a pris des formes diverses, reflétant la panoplie des opinions et des valeurs de femmes de différents milieux sociaux. Les associations de bienfaisance sont demeurées dans la tradition du travail missionnaire, sans remettre en question le statut subordonné des femmes dans la famille et la société, tandis que les réformes plus radicales qui s’attaquaient à l’esclavage ou à la prostitution ont attiré d’autres femmes, créé d’autres réseaux et d’autres organisations sociales.

Les études historiques sur le rôle des femmes dans le mouvement abolitionniste sont multiples. Outre quelques biographies des leaders féminins de la lutte contre l’esclavage comme la conférencière quaker Abby Kelley, la romancière et essayiste Lydia Maria Child et la militante noire Sojourner Truth (Sterling, 1991; Karcher, 1994; Painter, 1996), on compte plusieurs ouvrages sur les rapports entre les mouvements abolitionniste et féministe, particulièrement les études littéraires de Jean Fagan Yellin (1989) et de Karen Sanchez-Eppler (1993). L’étude de la sororité a favorisé les regards croisés sur les femmes blanches et noires (Yellin et Van Horne, 1994), tandis que l’on cherche à documenter l’activisme des abolitionnistes afro-américaines, aussi bien du point de vue des représentantes de la communauté afro-américaine, très minoritaires dans les associations comme la Boston Female Anti-Slavery Society (Hansen, 1993: 64), que par le biais des clubs de lecture et des associations caritatives de femmes noires de la classe moyenne (Yee, 1992: 51).

En outre, on assiste à un déplacement de l’histoire des abolitionnistes radicales et féministes vers l’histoire de femmes effacées qui se sont opposées à l’institution particulière de l’esclavage. Par exemple, dans The Great Silent Army of Abolitionism, Julie Jeffrey a exploré le grand nombre de femmes anonymes qui ont constitué la masse silencieuse et travaillé à la destruction de l’institution de l’esclavage (1998). Elle a dépouillé des centaines de lettres inédites de femmes ordinaires, des femmes blanches de la classe moyenne, qui sont conservées dans les archives de leaders abolitionnistes, dans la correspondance publiée par les journaux abolitionnistes, ou encore dans les fonds d’archives de quelques associations antiesclavagistes féminines. Jeffrey souligne que l’abolition de l’esclavage a été le premier mouvement de réformes sociales à impliquer des femmes de tous les milieux. Mais sa démarche ne consiste pas à simplement ajouter des preuves de l’implication des femmes de dénominations protestantes et quakers de Nouvelle Angleterre, de New York, de Pennsylvanie et du Midwest. Elle souligne que les leaders abolitionnistes du début du XIXe siècle ont pris conscience de l’importance de ces femmes activistes; sans les femmes, l’abolitionnisme aurait donc été unmouvement beaucoup plus marginal qu’il ne le fut. Jeffrey étudie non seulement les associations féminines et le réseau de communications qui s’est mis en place à partir des années 1830 et a permis de relier les femmes entre elles et de les relier au mouvement abolitionniste, mais aussi les foires antiesclavagistes des années 1840 et 1850, et la place des travaux manuels de ces femmes bénévoles qui ont frayé avec le monde du commerce pour servir la cause abolitionniste. L’historienne explore également la participation des femmes aux conférences publiques contre l’esclavage, ainsi que l’importance centrale des pétitions, le seul droit politique des femmes.

L’activisme féminin a certes gagné une plus grande visibilité au moment de la lutte pour l’abolition de l’esclavage dans la première moitié du XIXe siècle. Mais si l’on considère la longue durée, on peut dégager une évolution dans les formes et les enjeux de l’activisme des femmes. Dans Women and the Work of Benevolence, publié en 1990, Lori Ginzberg a offert une nouvelle interprétation des changements qu’a connus l’activisme féminin tout au long du XIXe siècle. En explorant les œuvres de bienfaisance des Américaines des classes moyennes et des classes supérieures de 1820 à 1885, Ginzberg a découvert que le mouvement associatif qui était initialement basé sur une identité de genre a fait place, dans la deuxième moitié du siècle, à un mouvement qui était basé sur une identité de classe11 Plus récemment Lori Ginzberg s’est intéressée à six femmes ordinaires de l’État de New York qui se sont organisées deux ans avant la convention de Seneca Falls en 1848 pour revendiquer des droits civiques et politiques égaux à ceux des hommes; voir Untidy Origins.. Le travail des femmes au sein des associations féminines se situe donc à l’intersection des notions de genre, de classe, de politique et de moralité. Finalement en 2002, Anne M. Boylan confirma l’argument en faveur d’un portrait complexe, multidimensionnel des associations féminines du XIXe siècle, au lieu d’une interprétation linéaire qui passait progressivement des institutions caritatives aux réformes radicales, des petites associations aux organisations nationales et des idéologies du XVIIIe à celles du XIXe. Dans une étude détaillée et comparée de plus de 70 organisations féminines et de leurs leaders à New York et Boston entre 1797 et 1840, basée sur les récits de vie de 722 femmes activistes à New York et 420 à Boston, Boylan a analysé comment des femmes se sont engagées individuellement et collectivement dans des associations de bienfaisance et de réformes sociales (200212 Pour une introduction, voir son article «Women in Groups».). En étudiant des groupes de femmes et des femmes en groupes de la fin du XVIIIau milieu du XIXe, l’historienne a d’abord réussi à documenter la transition des idées républicaines de la féminité et de la maternité des années 1790 au culte de la domesticité des années 1820 et 1830 en soulignant le contexte évangélique dans lequel des femmes ont participé à des associations bénévoles sans créer de conflit avec leurs responsabilités familiales, ni contester leur statut de subordonnées dans une société patriarcale. Mais Boylan a surtout démontré que par leur engagement social, les femmes blanches, protestantes, de la classe moyenne des communautés urbaines de New York et Boston ont avant tout reproduit les inégalités sociales et économiques qui marquaient la société contemporaine et défendu les intérêts de leur classe. Ces activistes n’ont pas agi au nom d’une identité de genre qu’elles partageaient avec d’autres femmes, mais ont voulu se démarquer de celles-ci au nom des valeurs morales qui leur étaient chères et de la respectabilité à laquelle elles aspiraient.

L’historiographie récente de l’histoire des femmes du XIXe siècle a donc largement dépassé le débat sur la séparation des deux sphères pour s’intéresser aux groupes de femmes et au fonctionnement des organisations féminines qui ont permis d’incorporer le bénévolat et le travail associatif à la nouvelle définition des rôles genrés dans la société capitaliste, industrielle et patriarcale du milieu du XIXe siècle. Ce faisant, le portrait collectif de femmes unies pour une cause morale et sociale s’est effrité pour faire place à une fracture désormais difficile à ignorer entre femmes de classes et de races différentes13 Les études comparées de l’activisme des femmes dans des associations afro-américaines et des associations blanches sont peu nombreuses. Voir Anne Firor Scott, Natural Allies: Women’s Associations; Linda Gordon, «Black and White Visions of Welfare»; Anne Ruggles Gere et Sarah R. Robbins, «Gendered Literacy in Black and White».. Le concept de la séparation des deux sphères a lui aussi été critiqué et remis en question à partir de la fin des années 1980 pour sa représentation exclusive de l’expérience des femmes blanches, principalement de la classe moyenne, conduisant ainsi à évacuer toute discussion de distinctions de classe et de race (Kerber, 1988). L’histoire multiculturelle des femmes qui a résulté de ces débats n’a peut-être pas permis de dégager une métaphore aussi simple que celle des sphères publique et privée, masculine et féminine, mais elle a largement compensé cette absence de synthèse par la richesse de la diversité des études sur les femmes. À l’image des courtepointes14 Pour une histoire sociale des courtepointes américaines, voir le vidéo Hearts and Hands: The Influence of Women and Quilts on American Society (1988). qui ont servi d’expression artistique et politique aux femmes du XIXe siècle, l’histoire plurielle qui s’est développée depuis une trentaine d’années a coloré et compliqué les schémas et représentations de l’expérience des femmes du passé, contrastant les positions des unes et des autres, enchevêtrant leurs diverses aspirations dans un tableau multicolore.

 

Les distinctions de classe et de race

À l’histoire des femmes blanches de la classe moyenne du Nord-Est des États-Unis, toute une nouvelle génération d’historiennes a ajouté l’histoire des ouvrières, des immigrantes, des Noires en esclavage, des Sudistes, des célibataires et, plus largement, des femmes ordinaires (Dubois et Ruiz, 1990). Il serait vain d’essayer de présenter l’ensemble des aspects de l’expérience et de la vie des femmes que l’explosion du champ de recherche de l’histoire des femmes aux États-Unis a mis en lumière. Néanmoins, il semble important de faire ressortir quelques directions et quelques-uns des acquis de cette historiographie des trente dernières années.

À l’époque coloniale, la plupart des femmes, de toutes les conditions, travaillaient dans le cadre domestique pour produire les biens de consommation comme le savon et les vêtements et pour répondre aux besoins essentiels de la famille. Mais lorsque le filage et le tissage furent transférés de la maison à la fabrique au début du XIXe siècle, les femmes de toutes conditions n’ont plus partagé la même expérience: les plus pauvres ont suivi les machines à tisser pour devenir ouvrières dans les manufactures, tandis que les femmes des classes aisées ont consommé sans produire et ont gagné des loisirs pour se consacrer à leurs enfants au sein du cercle familial. Déjà dans un article de 1969, Gerda Lerner remarquait que les distinctions de classe se sont dès lors accentuées entre les dames oisives à la maison et les jeunes ouvrières qui vivaient la promiscuité de la vie d’usine, loin du foyer familial. Différents statuts sociaux ont affecté les relations entre femmes et leur rapport aux changements économiques. La révolution industrielle a certes favorisé l’entrée massive de jeunes femmes dans la main-d’œuvre non qualifiée et à bon marché. Les filles de fermiers des environs sont allées gonfler les rangs des ouvrières dans les manufactures de Lowell, au Massachusetts, au début du XIXe siècle. Mais ces jeunes Américaines ont vu leur statut décliner à partir des années 1840 avec l’arrivée d’une main-d’œuvre immigrante prête à accepter les salaires les plus bas. À l’augmentation des heures de travail et à la détérioration des conditions de travail, les ouvrières ont répondu par des actions collectives et ont lutté aux côtés des hommes de leur classe (Blewett, 1988; Baron, 1991; Kessler-Harris, 2003), loin des préoccupations des femmes de la classe moyenne qui revendiquaient des droits de propriété, des droits légaux et politiques et ignoraient l’exploitation des ouvrières. Ironiquement, l’avènement de la démocratie au XIXe siècle a été accompagné d’une détérioration du statut des femmes et la rhétorique égalitariste de la démocratie n’a pas empêché la distinction croissante entre ouvrières et femmes des classes moyennes et supérieures.

Néanmoins, l’idéologie de la classe moyenne a aussi influencé les valeurs de la classe ouvrière. Les revendications pour un salaire familial, suffisant pour garder femmes et enfants à la maison, hors de l’usine, ont en effet emprunté et refaçonné la métaphore de la séparation des deux sphères, masculine et féminine, publique et privée. Mais la réalité quotidienne des femmes de la classe ouvrière était bien différente. Comme Christine Stansell l’a souligné pour la ville de New York, où s’est développée une industrie métropolitaine dans la première moitié du XIXe, il n’existait pas d’espace privé, de refuge à l’image de l’idéal domestique des classes moyennes (1982). C’est la rue qui était le prolongement des taudis malsains, nauséabonds, surpeuplés et exigus. Par conséquent, c’est dans l’espace public de la rue des quartiers pauvres qu’évoluaient femmes et enfants de la classe ouvrière, dans la promiscuité et non la séparation entre sphère masculine et sphère féminine. L’histoire des ouvrières a donc exploré le travail des femmes, leur famille, leur logement et leur communauté, mais aussi leurs loisirs et leur culture (Stansell, 1986; Peiss, 1986).

Ces diverses monographies en histoire des femmes, ouvrières, immigrantes, dans les villes et les campagnes, ont permis de conclure que la catégorie «femmes» était loin d’être homogène. Comme pour les hommes, on pouvait distinguer des différences dans l’existence des femmes selon la classe, la race, l’appartenance ethnique, la religion, ou encore la région. La question, bien évidemment, n’est pas juste d’identifier ces différences, mais de les intégrer dans une analyse historique. Pour ce faire, l’historienne Gerda Lerner propose non pas de hiérarchiser les différences de classe, de race et de genre, mais plutôt de conceptualiser les chevauchements de ces trois concepts. Pour Lerner,

Class is genderic, that is it is expressed and institutionalized in terms that are always different for men and women. For men, ‘class’ describes the relationship to the means of production and their power over resources and women and children. Forwomen, ‘class’ describes their relationship to the means of production as mediated through the man on whom they are dependent in their family of origin.

Le concept de classe est genré, c’est-à-dire qu’il s’exprime et s’institutionnalise dans des termes qui sont toujours différents pour les hommes et les femmes. Chez les hommes, la classerenvoie à la relation aux moyens de production et à leur pouvoir sur les ressources, les femmes et les enfants. Chez les femmes, la classerenvoie à leur relation aux moyens de production pour laquelle l’homme dont elles dépendent dans leur famille d’origine sert d’intermédiaire15 Dans ce chapitre et les suivants, toutes les traductions en français ont été placées immédiatement après la citation d’origine en anglais. Sauf indication contraire, les traductions de cet ouvrage ont été faites par l’Institut de recherches et d’études féministes..

De même, elle propose une redéfinition du concept de race en termes de genre dans le paragraphe suivant:

From its inception, ‘race’ as a defining term was created genderically, that is it was applied in a different way to men and women.Men of oppressed races were primarily exploited as workers ; women were always exploited as workers, as providers of sexual services, and as reproducers (Lerner, 1990: 110).

Dès ses origines, le concept de raceen tant que terme explicatif a été conçu de manière genrée, c’est-à-dire qu’il a été appliqué différemment aux hommes et aux femmes. Les hommes des races opprimées ont été principalement exploités en tant que travailleurs; les femmes ont toujours été exploitées en tant que travailleuses, pourvoyeuses de services sexuels et reproductrices.

Parallèlement à l’importance d’une distinction de classe qui est venue caractériser l’histoire des Américaines, la distinction de race s’est retrouvée au cœur de la nouvelle histoire des femmes des années 1980. L’histoire des femmes en esclavage a servi à remettre en question l’idée même de sororité entre femmes, puisque les femmes noires étaient subordonnées à la classe dominante des propriétaires blancs, hommes et femmes, et travaillaient aux côtés des esclaves masculins tout en assumant leurs responsabilités liées à la maternité et à l’éducation des enfants. À la fois productrices et reproductrices, les Noires en esclavage, mais aussi la minorité de Noires libres, ont compliqué le principe de la division sexuelle du travail pour faire ressortir leur double exploitation comme femme et comme Noire, subissant un double préjudice de genre et de race.

De plus, les esclaves et travailleuses afro-américaines ont dû lutter pour être considérées comme femmes, même au sein des conventions féministes. Ce fut notamment le cas en 1851 à la convention pour les droits de la femme de Akron, Ohio, où Sojourner Truth, activiste abolitionniste, femme quaker mesurant six pieds et ancienne esclave de New York, se leva pour témoigner en tant que femme:

Cet homme là-bas dit que les femmes ont besoin qu’on les aide à monter dans leurs attelages, qu’on leur évite de marcher dans les saletés (…) Moi, personne ne m’aide à monter dans un attelage, ni n’essaie de m’éviter de marcher dans la boue, ni ne me donne la meilleure place. Pourtant, ne suis-je pas une femme? Regardez mon bras! J’ai labouré, planté, engrangé, et aucun homme ne me surpasse à cela! Pourtant, ne suis-je pas une femme? Je peux travailler et manger autant qu’un homme, quand c’est possible, etporter le fouet aussi bien que lui. Pourtant, ne suis-je pas une femme? J’ai eu treize enfants, dont la plupart ont été vendus comme esclaves, et lorsque je m’effondrais en larmes en pensant à eux, personne, excepté Jésus, ne m’entendait! Pourtant, ne suis-je pas une femme16 Sojourner Truth, «Ar’n’t I a Woman» (1851), extrait traduit dans Howard Zinn, Une histoire populaire, p. 146-147. Le titre aurait été ajouté par Frances D. Gage, qui présidait la convention de 1851 et a pris en note le discours de Sojourner Truth, qui était d’ailleurs analphabète. Voir Nell Irvin Painter, Sojourner Truth.?

Ar’n’t I a Woman: tels étaient les mots de Sojourner Truth donnés comme titre à son discours de 1851, alors qu’elle attirait l’attention de ses consœurs blanches sur la cause des Afro-américaines dans leur lutte commune contre le pouvoir mâle et pour les droits de toutes les femmes. Ce cri de ralliement a eu un écho symbolique sur les études féministes noires, particulièrement en littérature et en histoire. L’ouvrage de Deborah Gray White, Ar’n’t I a Woman, publié en 1985, marque alors un tournant dans l’historiographie de l’esclavage et le début de nouvelles recherches en histoire des esclaves noires17 Son article «Female Slaves» a paru en 1983. bell hooks publie aussi Ain’t I a Woman en 1981..

White examine le caractère spécifique de l’esclavage féminin, mettant en relief la double charge des femmes noires asservies, ainsi que l’expérience d’une relative égalité avec les hommes noirs sous le joug de l’oppression raciale. Elle souligne en outre l’existence d’un modèle familial distinct de la famille blanche, avec une monoparentalité féminine et une communauté intergénérationnelle de femmes pour suppléer à l’éducation des enfants pendant que les mères esclaves travaillaient dans les champs. L’approche de Deborah Gray White a ouvert une brèche dans l’histoire de l’esclavage et des esclaves, qui jusqu’alors ne s’était penchée que sur l’histoire des esclaves masculins. Certes, le problème des sources demeurait entier, car il semblait difficile de généraliser le statut des femmes en esclavage sans faire de distinction entre villes et campagnes, entre le Sud septentrional et le Sud profond, entre les grandes plantations de riz et de coton à forte concentration afro-américaine et les petites exploitations agricoles avec moins de cinq esclaves. Les exemples les mieux documentés provenaient surtout des années 1840 et 1850, ce qui poussait les historiens et les historiennes à extrapoler à partir d’une période de croissance de l’esclavage et de débats idéologiques intenses entre le Nord et le Sud avant l’abolition définitive de l’esclavage en 186518 Sur le travail des femmes noires pendant l’esclavage et après l’émancipation, voir Jacqueline Jones, Labor of Love, Labor of Sorrow..

D’autres historiennes ont poursuivi dans la lignée tracée par White, tout en recherchant un corpus de sources documentaires. Thelma Jennings a dépouillé les témoignages de 514 anciennes esclaves collectés par la Works Progress Administration des années 1930 pour y décoder les souvenirs de l’exploitation sexuelle qu’elles ont subie ou dont elles ont eu connaissance dans leur enfance (1990). Avec des descriptions dont la cruauté n’a pas diminué dans la mémoire des victimes assez âgées au moment des entrevues, et malgré les réticences à discuter de choses aussi personnelles, surtout avec des interviewers blancs, Jennings montre que l’asservissement des femmes était non seulement différent de celui des hommes, mais encore plus violent en raison de l’exploitation sexuelle. Les femmes noires en esclavage ont souffert physiquement et psychologiquement, et leurs réactions ont varié selon les circonstances, allant de la résistance violente à la soumission pour éviter d’autres punitions pour elles ou leurs proches, ou encore renfermant en elles leur rancœur pour mieux la passer à leurs enfants.

C’est plutôt à partir des sources traditionnelles d’histoire sociale que Brenda Stevenson (1996) a analysé l’impact de l’esclavage sur la communauté blanche et noire du comté de Loudoun, en Virginie, de la guerre d’indépendance à la guerre de Sécession. Loin d’être statique, Stevenson montre que la nature de l’esclavage dans cette région au Nord-Ouest de la Virginie évoluait dans le temps et dans un contexte national de demande croissante avec le boom de la production de coton dans le Sud-Ouest des États- Unis et le commerce interne des esclaves. Le nombre total d’esclaves et la taille des exploitations agricoles variaient d’une décennie à l’autre, l’investissement en hommes étant plus prisé dans les moyennes et grandes exploitations, tandis que les femmes, d’une valeur monétaire inférieure, étaient plus nombreuses dans les petites exploitations agricoles. L’analyse détaillée, nuancée de Stevenson est particulièrement concluante dans le portrait qu’elle brosse de la famille noire en esclavage. Loin de confirmer la structure d’une famille nucléaire, dirigée par deux parents, à l’image de la famille blanche patriarcale, comme l’avait avancé Herbert Gutman (1976), Stevenson énumère une grande variété de schémas familiaux, où les ménages dirigés par des femmes monoparentales sont nombreux, de même que les foyers reconstitués, et où les réseaux de parenté élargie jouent un rôle de soutien important.

Tandis que Stevenson juxtapose les chapitres sur la communauté blanche esclavagiste et ceux sur la communauté noire esclave et libre dans Life in Black & White, plusieurs spécialistes d’histoire des femmes ont pris soin d’approfondir les rapports de pouvoir et les liens d’une existence partagée qui affectaient maîtresses blanches et esclaves noires. Une des premières à fouiller ces relations de classes entre propriétaires et esclaves fut Elizabeth Fox-Genovese. Dans Within the Plantation Household, Fox-Genovese démontre que Blanches et Noires entremêlaient leurs vies au sein de la société esclavagiste, mais sans jamais être des consœurs, car le pouvoir hégémonique des Blancs et l’identité de la classe dominante des propriétaires pénétraient dans toutes les relations sociales et culturelles de ces femmes (1988)19 Voir aussiWeiner, Mistresses and Slaves; Morton, Discovering the Women in Slavery.. Dépouillant la correspondance des femmes blanches esclavagistes aussi bien que les témoignages des anciens esclaves, l’historienne décrit la maisonnée sudiste moins comme un espace privé qu’un lieu de production domestique, où la subordination des femmes au pouvoir masculin, esclavagiste, allait de soi et où aucune remise en question de l’ordre patriarcal n’était permise, a fortiori quand le système esclavagiste fut menacé par les abolitionnistes (Fox-Genovese, 1988).

 

Du Nord au Sud

Elizabeth Fox-Genovese a insisté sur le fait que les modèles explicatifs et les concepts comme la sororité ou la séparation des deux sphères, qui avaient été au cœur des recherches sur les femmes de Nouvelle Angleterre, n’étaient nullement pertinents pour l’analyse historique de la société sudiste. En dépit de son approche quelque peu polémique, ses travaux ont certainement contribué à faire avancer les études sur les femmes du Sud, blanches et noires, et par conséquent à remettre en question la domination du champ de l’histoire des femmes par les Nordistes. Car jusqu’au début des années 1980, l’historiographie florissante qui s’est développée sous l’intitulé American women’s history —histoire des Américaines— était à vrai dire une Northern women’s history —histoire des femmes du Nord des États-Unis. Ironiquement, la visibilité croissante des femmes dans le récit du passé américain avait pour corollaire l’invisibilité des femmes sudistes, blanches ou noires (Clinton, 1994: 2-3). Certes, Anne Firor Scott avait déjà offert une analyse pionnière de la Southern Lady en 1970, rééditée en 1995, qui explorait l’écart entre les représentations de la dame sudiste et la réalité des comportements des femmes et de leur lutte continuelle pour se démarquer de cet idéal et des contraintes que la société leur imposait. Ce faisant, Scott ouvrait la voie à l’inclusion des Sudistes dans le champ des recherches historiques sur les femmes et attirait l’attention sur la richesse des écrits personnels des femmes et autres ressources documentaires dans les collections archivistiques des États du Sud.

Alors qu’Anne Firor Scott avait suivi le parcours de la femme sudiste de son piédestal avant la guerre de Sécession jusqu’à la femme nouvelle après l’obtention du droit de vote en 1920, Catherine Clinton a revisité la vie quotidienne des femmes blanches dans les plantations du Sud antebellum20 La période antebellum correspond aux décennies qui précèdent la guerre de Sécession, c’est-à-dire des années 1830 aux années 1850.. Publié en 1982, The Plantation Mistress suggère que la maîtresse blanche était tout aussi victime du système esclavagiste que les esclaves. Idéalisée pour sa pureté et sa soumission, la Belle sudiste était dépendante de son époux et maître; même si elle était elle-même en position d’autorité face aux esclaves et complice du préjugé de race des esclavagistes, elle restait impuissante, enchaînée par les liens du mariage et victime du patriarcat (Clinton, 1982).

Évidemment, la femme blanche du Sud ne peut entrer dans une seule catégorie. Comme Victoria Bynum l’a montré dans Unruly Women (1992), une étude des femmes atypiques et marginales du Piedmont de la Caroline du Sud, la vie des femmes esclaves, des Noires libres et des Blanches pauvres, avant et pendant la guerre civile, était affectée par le contexte socio-économique de la région, mais leur comportement perçu comme déviant avait également un impact sur le système juridique et les responsabilités paternalistes du gouvernement. En recherchant la trace de femmes inconnues, marginales, mariées et célibataires dans les plaintes pour violence conjugale devant les tribunaux, ou encore dans les archives locales des infractions aux lois des États confédérés pendant la guerre, Bynum complique le portrait dichotomique du pouvoir des Blanches et de l’oppression des Noires. Les femmes pauvres de Caroline du Nord dont elle reconstitue l’existence débridée et illégale apparaissent alors comme les agentes de leur propre histoire, de même que comme une menace contre l’ordre social du Sud esclavagiste et patriarcal, qui reposait sur la coopération de toutes les femmes (Bynum, 1992).

Les nouvelles approches et les nouvelles questions qui ont nuancé l’histoire des Sudistes n’étaient pas complètement étrangères à l’évolution des études sur les femmes du Nord des États-Unis. Par exemple, la séparation des sphères publique et privée n’est pas absente des études sudistes, bien qu’elle se retrouve surtout dans les études de la vie urbaine. Dans le cas des femmes libres de Petersburg en Virginie, Suzanne Lebsock observe que les femmes de la première moitié du XIXe siècle exerçaient de plus en plus de pouvoirs dans la sphère privée comme l’attestent les contrats de mariage, les testaments et les recensements (1984). Dans ce contexte de changements sociaux et familiaux, le discours public a progressivement validé l’idéologie domestique et prôné la soumission des femmes, face à une plus grande indépendance de femmes non mariées, de femmes salariées, ou encore de femmes propriétaires. En retour, les femmes libres de Petersburgse sont souciées des autres femmes et ont créé un système parallèle, une culture féminine distincte (Lebsock, 1984).

De son côté, Cynthia Kierner (1998) remonte à la période coloniale et à la révolution américaine pour terminer par l’élévation de la dame du Sud, chaste et fragile, sur un piédestal. Même au cours des changements majeurs qui ont conduit à une redéfinition des rôles genrés entre 1700 et 1835, Kierner discerne une longue tradition de participation des femmes sudistes aux affaires publiques. De la culture politique de l’époque révolutionnaire à la culture évangélique du début du XIXe, les femmes du Sud ont continué de jouer un rôle au-delà de l’espace familial, au sein de leur communauté rurale ou urbaine, mais sans bousculer les règles de la société patriarcale. Comme les Nordistes, elles ont créé des associations caritatives ou religieuses, ont lutté en faveur de la tempérance, mais sans aller jusqu’à revendiquer l’égalité de genre ou de race. Kierner montre ainsi que les femmes du Sud ont continué de négocier leur accès à la sphère publique tout en défendant parfois des positions antiféministes et en acceptant l’existence de l’esclavage, même si elles en dénonçaient les conséquences immorales (Kierner, 1998).

Ainsi du Nord au Sud, depuis les années 1980, le développement des recherches en histoire des femmes aux États-Unis a multiplié les questions et les approches pour tenter de comprendre l’histoire des Américainesdans toute leur diversité sociale, ethnique, régionale et religieuse. L’ouverture du champ de l’histoire des femmes s’est poursuivie pour inclure les Amérindiennes et les femmes hispanophones (Perdue, 1998; Gonzales, 1999). Mais l’élargissement du champ n’a pas vraiment facilité la représentation de la solidarité intersociale et interraciale. Au contraire, la sororité des femmes de diverses classes et races révélait plus de limites que de succès au fur et à mesure des études historiques qui montraient l’affiliation des ouvrières avec les hommes de leur classe, et celle des femmes noires avec les hommes qui partageaient leur identité de race.

Il y a bien eu des alliances temporaires entre femmes de classes différentes ou de races différentes. Par exemple, Glenda Gilmore a offert une analyse très convaincante de la solidarité des femmes blanches et noires de la classe moyenne de Caroline du Nord à l’époque des lois ségrégationnistes pour contrebalancer la perte de leurs droits politiques par les hommes noirs à la fin du XIXe siècle (1996). Mais au-delà des moments historiques de convergence et d’alliances stratégiques, les historiennes ont cessé de rechercher les preuves d’une sororité illusoire et d’une définition universelle des femmes. Le travail de lecture des sources a été plus modeste, et de fait plus convaincant, récoltant les fragments du dialogue qui s’est établi, laborieusement,entre femmes de conditions différentes. Mais même si ces alliances multiculturelles ont été plus fréquentes chez les femmes que chez les hommes, elles étaient loin d’être la norme.

À l’instar de Sarah Grimké qui invitait ses amies afro-américaines à témoigner de leur expérience personnelle du préjudice de race en 183721 Lettre de Sarah M. Grimké à Anne Warren Weston, de l’Association antiesclavagiste féminine de Boston, citée dans Lerner, Feminist Thought, p. 17-18., les appels à la solidarité entre femmes blanches et femmes noires ont continué de se multiplier au fur et à mesure que la lutte s’est poursuivie pour les droits de toutes les femmes. Ainsi en 1904, c’était Mary Church Terrell, présidente de la Fédération nationale des clubs de femmes de couleur, qui cherchait à rallier les femmes blanches, particulièrement celles du Sud, à la lutte contre le lynchage:

Les hommes qui aujourd’hui lynchent les Noirs sont, en règle générale, les fils de femmes qui, assises au coin du feu, entourées de l’affection de leurs enfants, considéraient sans ombre de pitié, les angoisses de mères esclaves dont on vendait les enfants […] Et c’est peut-être trop demander aux enfants de femmes qui ont assisté pendantdes générations à la dégradation de leurs sœurs au teint sombre sans presque jamais protester, que de se montrer aujourd’hui capables de pitié et de compassion à l’égard des enfants de la race opprimée. Mais quelle force serait donnée à la loi et à l’ordre public, quel ennemi redoutable se dresserait face aux violences des émeutiers, si les femmes blanches du Sud se dressaient, dans toute la pureté et le pouvoir de leur féminité, pour supplier pères, maris et fils de ne plus souiller leurs mains du sang innocent de l’homme noir22 Mary Church Terrell, «Lynching from a Negro’s Point of View», North American Review (juin 1904), cité dans Lerner, De l’esclavage à la ségrégation, 1975: 146-147. Les appels à la solidarité des femmes blanches et noires ont aussi été entendus lors de la deuxième vague du féminisme. Voir par exemple l’approche de Pauli Murray, avocate des droits civiques et une des fondatrices de la National Organization for Women (NOW), qui propose une alliance des femmes de la classe moyenne blanche et noire, cf. «The Liberation of Black Women» (Thompson, 1970: 88-102).!

 

L’histoire au féminin

Alors même que l’histoire des Américaines s’écrit au pluriel, dans la tradition de Sarah Grimké et de Mary Church Terrell, il y a lieu de se demander si cette nouvelle histoire des femmes est restée en marge de l’histoire des États-Unis et des schémas explicatifs de la nation américaine et de son évolution dans le temps. Or, on assiste depuis une dizaine d’années à une réécriture de l’histoire des États-Unis tendant à réviser les conclusions générales à la lumière des nouvelles connaissances que l’on a de l’expérience des femmes du passé et du discours sur les femmes, et ce parallèlement à la perspective pluraliste qui a contribué au renouvellement du champ. Un bilan provisoire de cette tendance est présenté dans l’ouvrage collectif U.S. History as Women’s History sous la direction de Linda Kerber, Alice Kessler-Harris et Kathryn Kish Sklar (1995). Il comprend une quinzaine d’articles qui explorent des champs de la discipline historique comme l’histoire juridique ou l’histoire politique dont les femmes ont été traditionnellement exclues et qui semblaient insensibles aux rapports sociaux de sexe. Pourtant, ces travaux récents offrent une histoire des femmes renouvelée par l’analyse de genre dans les pratiques sociales, les institutions et la formation de l’État, de la révolution américaine à la guerre froide. Au-delà des champs de recherche traditionnellement associés à l’histoire des femmes comme l’histoire de la famille ou l’histoire de la sexualité, ou encore l’histoire ouvrière et l’histoire de l’immigration, d’autres champs jusqu’alors perçus comme neutres, sans identité de genre, ou bien sans femmes, ont été l’objet de nouvelles interrogations sur les rapports de pouvoir dans la construction sociale et l’articulation des distinctions de genre avec les concepts de classe et de race dans les textes juridiques, culturels et politiques. Le résultat a été l’inclusion du facteur femmes et des relations de genre pour investir les champs de l’histoire intellectuelle, l’histoire urbaine, l’histoire politique ou encore l’histoire des conflits militaires.

Un des derniers bastions, l’histoire de la guerre de Sécession, n’avait pas encore fait l’objet d’analyses du rôle des femmes dans les travaux historiques des années 1970 et 1980. Finalement, les années 1990 et 2000 ontété marquées par une riche production d’études novatrices à la croisée de l’histoire militaire et de l’histoire des femmes (Cashin, 2002; Whites, 2005; Edwards, 2000; Clinton et Silver, 1992). À l’instar de la division idéologique, politique et économique entre le Nord et le Sud, on distingue une histoire des femmes yankees et une histoire des femmes confédérées pendant le conflit fratricide. Cependant, la guerre de Sécession a eu un impact d’autant plus grand sur la société sudiste et sa définition des rôles genrés que la cause confédérée cherchait à préserver l’ordre social, esclavagiste et patriarcal, pour finalement déboucher sur l’émancipation des esclaves et des femmes. Le conflit militaire a permis aux femmes du Sud de faire l’expérience de l’indépendance, car en l’absence d’un mari ou d’un fils, ce sont les femmes qui ont supervisé les plantations et exploitations familiales. Et en dépit de la rhétorique patriarcale, en temps de guerre, les femmes du Sud comme du Nord se sont engagées dans des activités publiques pour la survie de leurs familles et pour appuyer les hommes qui étaient au front. Quant aux esclaves noires, elles se sont libérées pendant la guerre en rejoignant les troupes ennemies, ou elles ont été affranchies en 1865 lorsque le treizième amendement à la constitution a aboli l’esclavage et émancipé quatre millions d’esclaves. Mais dans tous les cas, la guerre civile a transformé leur vie. La discipline de l’histoire des femmes ne peut donc se permettre de négliger les conflits militaires qui autorisent et légitiment de nouveaux comportements, même si ce n’est que temporairement. Réciproquement, l’histoire de la guerre de Sécession ne peut être réduite désormais à une affaire d’hommes, puisque les femmes du Nord et du Sud ont joué un rôle important du début à la fin du conflit, encourageant les recrues, levant des fonds, habillant les soldats, soignant les blessés, pleurant les morts, motivant les déserteurs et remplaçant les hommes au travail (Faust, 1996; Attie, 1998).

Finalement, les chapitres qui suivent tâcheront de surmonter la césure entre histoire des femmes et histoire du genre en s’attachant tant à l’expérience individuelle ou collective des femmes qu’à la construction historique du genre qui a encadré et influencé cette expérience au quotidien. Il ne s’agit pas ici de relancer un débat qui a été fait et se poursuit en d’autres lieux (Parr, 1995; Sangster, 1995). Le but est plutôt de présenter le résultat de recherches récentes qui ont exploré les mots et les choses, les discours et les actions, les représentations et les gestes des femmes du XIXe siècle. À l’instar de Joan Scott (1988), le genre est ici reconnu comme une catégorie d’analyse indispensable, mais constamment en interaction avec les concepts de classe et de race (Lerner, 1990; 1997). Alice Kessler-Harris, qui refuse de voir le genre comme une catégorie ou une structure, parle plutôt de processus, continuellement construit et reconstruit. Pour elle, le genre est un phénomène historique, dont la propre dynamique doit être évaluée en relation avec d’autres forces comme la race ou l’ethnie. Et au même titre que la construction sociale de la race, le genre prend une signification différente selon la période et le lieu (Kessler-Harris, 1994: 24-25). L’approche genrée qui traverse l’ensemble du présent ouvrage n’a donc pas pour seul objectif d’ajouter l’expérience des femmes au récit historique traditionnel, qui s’était trop longtemps limité au passé des hommes et avait ignoré les femmes. Après cette phase compensatoire de l’écriture de l’histoire des femmes, l’analyse genrée souhaite remettre en question les fondements mêmes de ce récit ou métarécit. Au lieu d’identifier des zones de féminité et de masculinité, ou encore des sphères séparées, il s’agira de reconnaître que la réalité au quotidien pouvait être autre et que l’idéologie de la séparation de deux sphères publique et privée, masculine et féminine, répondait à un rapport de pouvoir et confirmait la subordination des femmes.

 

L’originalité des sources de l’histoire des Américaines

À propos de la surabondance des discours sur les femmes et, par contraste, de la rareté des sources documentant l’expérience concrète des femmes, l’historienne française Michelle Perrot dressait un bilan bien négatif en 1998: «Entre fugacité des traces et océan de l’oubli, ils sont étroits les chemins de la mémoire des femmes» (1998: 10). Elle renchérit en 2005, lors d’une émission radiophonique qui ouvrait une série de vingt-cinq émissions consacrées à l’histoire des femmes: «Les femmes laissent peu de traces directes, écrites ou matérielles […] Elles-mêmes détruisent, effacent leurs traces parce qu’elles estiment que ces vestiges n’ont pas d’intérêt» (Perrot, 2006: 17). Certes, les mots des femmes se retrouvent en filigrane dans les archives publiques, telles que les enquêtes, les témoignages, les interrogatoires, les faits divers, les plaintes et récriminations, mais l’historienne déplore surtout le silence des sources pour ce qui est des archives privées en France.

La réalité est tout autre aux États-Unis et l’histoire des Américaines peut compter sur des fonds d’archives importants, tant dans les collections spéciales en histoire des femmes comme la Schlesinger Library à Radcliffe College (Cambridge, Massachusetts), la Smith Collection à Smith College (Northampton, Massachusetts), les collections spéciales de la bibliothèque de Duke University (Durham, Caroline du Nord) que dans les bibliothèques universitaires, les archives des États et les collections des sociétés historiques des États, de la côte Est à la Californie. Bien sûr, les écrits des femmes ont été conservés de manière inégale, selon les objectifs des archivistes. Mais même au sein des multiples boîtes d’archives familiales —family papers ou archives privées où se côtoient contrats, registres d’économie familiale, copies de transactions légales et lettres d’affaires—, on retrace les mots de l’intime, l’écriture privée entre mari et femme, entre mère et fille, ou entre sœurs, cousines ou amies.

Outre la tradition archivistique décentralisée qui caractérise le système étatsunien, il y a lieu de mentionner les raisons historiques qui ont permis la production de ces sources et qui touchent à la pratique de l’écrit chez lesfemmes. Dès la période coloniale, les femmes sont éduquées dans la tradition d’une culture protestante qui tend à promouvoir la lecture de dévotion, mais aussi l’introspection et l’examen de soi par la tenue d’un journal intime. L’alphabétisation des femmes reste en deçà de celle des hommes, mais néanmoins supérieure à celle de leurs consœurs européennes (Lehuu, 1997; Monaghan, 1989). De plus, à partir de la fin du XVIIIe siècle, l’éducation des filles est encouragée par l’idéologie républicaine, qui prise le rôle civique, bien que non public, des épouses et des mères des futurs citoyens de la nation (Kerber, 1997; Kerber, 1980; Lewis, 1987). Pour ces raisons à la fois religieuses et politiques, les Américaines du passé ont laissé des traces écrites de leur existence matérielle et spirituelle: journaux intimes, correspondance, réminiscences, voire autobiographies. Il va sans dire que les femmes éduquées, majoritairement blanches et d’origine anglo-saxonne sont mieux représentées dans ces sources privées que les femmes noires illettrées ou les ouvrières d’origine immigrante.

Cependant, l’existence des sources, même si elles sont parfois fragmentaires, contraste avec l’absence de traduction française de la production historienne sur les femmes des États-Unis. Les recherches et les questionnements des Américanistes des trente dernières années ont développé un champ aussi dynamique que diversifié, mais peu d’efforts ont été consacrés à leur diffusion en langue française23 Seul le livre de Sara Evans, Born for Liberty: A History of Women in America (1989) a été traduit en français sous le titre Les Américaines. Histoire des femmes aux États-Unis. Pour un compte rendu en français de la production américaine en histoire des femmes, voir Céline Bessière, «Race, classe, genre».. C’est d’ailleurs ce qui rend la mission de cet ouvrage collectif d’autant plus d’actualité, car outre une mise à jour des connaissances en histoire des femmes du XIXe siècle sur le continent nord-américain, il propose une analyse critique de sources manuscrites et imprimées qui jusqu’alors n’ont pas été accessibles à un public francophone.

La plupart des études qui suivent ont pris naissance dans le cadre de mémoires de maîtrise en histoire étatsunienne au département d’histoire de l’Université du Québec à Montréal. Elles reflètent l’intérêt personnel des différentes auteures, ainsi que la problématique que celles-ci partagent avec les praticiennes de l’histoire des femmes aux États-Unis. Chacune inclut également un compte rendu historiographique des ouvrages pertinents pour le sujet à l’étude.

Rose-Marie Guzzo se penche sur le cas de la Nouvelle-Orléans, ville portuaire importante de la première moitié du XIXe siècle. Elle y étudie l’esclavage urbain, qui est surtout un esclavage féminin, et découvre que dans le périmètre urbain, les esclaves ont une plus grande autonomie, même si celle-ci est mitigée par le double fardeau d’être femme et noire. Elle conclut aussi que la résistance au système esclavagiste, y compris l’évasion, tend à se féminiser. De son côté, Diane Bélanger explore le rapport au célibat de deux femmes blanches de la classe possédante à partir d’un examen minutieux de leur correspondance. À travers l’analyse de l’écriture de soi et de l’intimité que partagent ces femmes, l’auteure conclut que le célibat féminin n’a pas été une prérogative du Nord-Est des États-Unis et qu’il existait bel et bien dans le Sud esclavagiste et patriarcal.

Marise Bachand, quant à elle, nous fait pénétrer dans la Grande Maison de la plantation sudiste, espace hétérosocial où interagissent hommes et femmes, Blancs et Noirs, libres et asservis. Elle montre que l’espace domestique du Sud esclavagiste n’était pas conçu comme une sphère féminine, un havre de paix à l’abri de la sphère publique et commerciale. Il était plutôt le domaine du maître, sa chasse gardée où son autorité était omniprésente. Isabelle Lehuu se penche, au contraire, sur le cas de femmes sans maître, les veuves, dont le statut légal de chef de famille les distinguait de la majorité silencieuse des épouses et mères, sans les élever au rang d’hommes. La visibilité relative de ces femmes blanches de l’élite sudiste suggère une identité de genre atypique et leur permet d’exercer un certain pouvoir dans la sphère publique.

Catherine Pelchat, enfin, a choisi un cadre spatio-temporel différent pour étudier l’histoire des jeunes Américaines dans la métropole du Nord au tournant du siècle. Elle analyse les représentations de la jeune femme dans la ville à travers les récits de prostituées collectés par les réformateurs sociaux de New York du milieu du XIXe siècle au début du XXe siècle. D’abord victime de la ville et de son anonymat, la jeune New-Yorkaise va devenir l’héroïne urbaine dans un chapitre où convergent littérature, journalisme et histoire.

Ensemble, ces cinq études de cas fouillent l’histoire singulière ou les histoires de femmes effacées, inconnues, dont l’expérience concrète ou le vécu a laissé des traces dans les archives, au détour d’un testament, d’un article de journal, d’un procès-verbal d’une association caritative, d’une lettre à une amie ou d’un emprunt de livre à la bibliothèque. Simultanément, ces études construisent l’histoire plurielle des femmes blanches et noires, Nordistes et Sudistes, mariées et célibataires, jeunes et âgées. De New York à la Nouvelle-Orléans et de Charleston à Savannah, plusieurs de ces travaux explorent l’histoire des femmes dans la ville du XIXesiècle, dans l’espace domestique et à l’extérieur, dans la rue, le commerce, l’église. Ils étudient la femme et son rapport aux modèles normatifs de la société, de la famille et de l’institution particulière de l’esclavage. Le projet d’écrire l’histoire des femmes au pluriel permet alors de dégager des parcours individuels dans un contexte spatio-temporel spécifique, tout en soulignant les tensions entre femmes de conditions sociales différentes, mais aussi les moments de solidarité féminine au travail, dans la maison, dans une association et autres lieux de partage.

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  • 1
    Extrait traduit dans Paulette Bascou-Bance, La mémoire des femmes, p. 321.
  • 2
    Pour une biographie de Sarah Moore Grimké (1792-1873) et Angelina Grimké Weld (1805-1879), voir Gerda Lerner, The Grimké Sisters from South Carolina, c1967, 2004. L’historienne souligne la difficulté de distinguer une sœur de l’autre, car elles ont vécu la majeure partie de leurs vies ensemble, ont lu les mêmes livres, ont partagé et discuté de leurs écrits entre elles.
  • 3
    Angelina Grimké, Letters to CatherineE. Beecher, in Reply to an Essay on Slavery and Abolitionism, Boston, 1838.
  • 4
     Pour une édition récente des lettres, voir Sarah Grimké, Letters on the Equality of the Sexes and Other Essays, éditées par Elizabeth Ann Bartlett, New Haven, Yale University Press, 1988. Pour la tradition mystique dans laquelle s’inscrit la pensée féministe de Sarah Grimké, voir Gerda Lerner, The Feminist Thought of Sarah Grimké, p. 21-26.
  • 5
    Lettre VIII, dans Grimké, Letters on the Equality of the Sexes, p. 59.
  • 6
    Lettre III de juillet 1837 en réponse à la Pastoral Letter of the General Association of Congregational Ministers of Massachusetts, dans Grimké, Letters on the Equality of the Sexes, p. 38. La traductionde cet extrait est tirée de Sara Evans, Les Américaines, p. 133.
  • 7
    L’ouvrage de Margaret Fuller paraît en 1845 et fut traduit sous le titre La femme au 19e siècle.
  • 8
    Publié en 1792, The Vindication of the Rights ofWoman fut traduit sous le titre Défense des droits de la femme.
  • 9
    Lors de leur visite à Londres en 1840 pour le congrès mondial du mouvement antiesclavagiste, Lucretia Mott et Elizabeth Cady Stanton ont également noté que les Anglaises connaissaient aussi les écrits de S. Grimké. Les Letters on the Equality of the Sexes n’ont jamais été traduites en français, même si Sarah Grimké correspondait avec des féministes et socialistes françaises comme Jeanne Deroin et Pauline Roland, ainsi que d’autres Européennes comme Barbara Bodichon et Fredrika Bremer. Pour la correspondance transatlantique, voir Gerda Lerner, The Feminist Thought of Sarah Grimké, p. 119-122, 149-151; Margaret H. McFadden, Golden Cables of Sympathy, p. 112.
  • 10
    La plupart des lettres étaientadressées à Mary Parker, présidente de la Boston Female Anti-Slavery Society.
  • 11
    Plus récemment Lori Ginzberg s’est intéressée à six femmes ordinaires de l’État de New York qui se sont organisées deux ans avant la convention de Seneca Falls en 1848 pour revendiquer des droits civiques et politiques égaux à ceux des hommes; voir Untidy Origins.
  • 12
    Pour une introduction, voir son article «Women in Groups».
  • 13
    Les études comparées de l’activisme des femmes dans des associations afro-américaines et des associations blanches sont peu nombreuses. Voir Anne Firor Scott, Natural Allies: Women’s Associations; Linda Gordon, «Black and White Visions of Welfare»; Anne Ruggles Gere et Sarah R. Robbins, «Gendered Literacy in Black and White».
  • 14
    Pour une histoire sociale des courtepointes américaines, voir le vidéo Hearts and Hands: The Influence of Women and Quilts on American Society (1988).
  • 15
    Dans ce chapitre et les suivants, toutes les traductions en français ont été placées immédiatement après la citation d’origine en anglais. Sauf indication contraire, les traductions de cet ouvrage ont été faites par l’Institut de recherches et d’études féministes.
  • 16
    Sojourner Truth, «Ar’n’t I a Woman» (1851), extrait traduit dans Howard Zinn, Une histoire populaire, p. 146-147. Le titre aurait été ajouté par Frances D. Gage, qui présidait la convention de 1851 et a pris en note le discours de Sojourner Truth, qui était d’ailleurs analphabète. Voir Nell Irvin Painter, Sojourner Truth.
  • 17
    Son article «Female Slaves» a paru en 1983. bell hooks publie aussi Ain’t I a Woman en 1981.
  • 18
    Sur le travail des femmes noires pendant l’esclavage et après l’émancipation, voir Jacqueline Jones, Labor of Love, Labor of Sorrow.
  • 19
    Voir aussiWeiner, Mistresses and Slaves; Morton, Discovering the Women in Slavery.
  • 20
    La période antebellum correspond aux décennies qui précèdent la guerre de Sécession, c’est-à-dire des années 1830 aux années 1850.
  • 21
    Lettre de Sarah M. Grimké à Anne Warren Weston, de l’Association antiesclavagiste féminine de Boston, citée dans Lerner, Feminist Thought, p. 17-18.
  • 22
    Mary Church Terrell, «Lynching from a Negro’s Point of View», North American Review (juin 1904), cité dans Lerner, De l’esclavage à la ségrégation, 1975: 146-147. Les appels à la solidarité des femmes blanches et noires ont aussi été entendus lors de la deuxième vague du féminisme. Voir par exemple l’approche de Pauli Murray, avocate des droits civiques et une des fondatrices de la National Organization for Women (NOW), qui propose une alliance des femmes de la classe moyenne blanche et noire, cf. «The Liberation of Black Women» (Thompson, 1970: 88-102).
  • 23
    Seul le livre de Sara Evans, Born for Liberty: A History of Women in America (1989) a été traduit en français sous le titre Les Américaines. Histoire des femmes aux États-Unis. Pour un compte rendu en français de la production américaine en histoire des femmes, voir Céline Bessière, «Race, classe, genre».
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