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Deux femmes célibataires du Sud: L’amour, le mariage et l’élite esclavagiste
Les femmes célibataires, communément appelées «vieilles filles», sont des demi-sœurs de l’histoire des femmes, pour reprendre une analogie de l’historienne Catherine Clinton au sujet des femmes du Sud dans l’histoire des femmes des États-Unis (Clinton, 1994: 6). En effet, jusqu’à tout récemment, on s’est peu interrogé sur ces femmes et, de ce fait, les ouvrages historiques ne leur consacrent souvent que quelques pages, voire quelques lignes. De surcroît, on conçoit généralement leur célibat comme n’étant pas un choix. Elles sembleraient, en outre, avoir intériorisé la conception sociale péjorative de la «vieille fille». La centralité, pour les femmes du passé, de l’institution du mariage, conjuguée à l’aspect ringard et vieillot qui entoure l’image stéréotypée de la «vieille fille» sont sans doute des facteurs qui contribuent à cet oubli1 Voir les études de Judith M. Bennett et Amy Froide (dir. publ.), Singlewomen in the European Past (1999), Rita S. Kranidis, TheVictorian Spinster (1999) et Mary Elizabeth Beattie, Obligation and Opportunity (2000).. Notre objectif est ici de combler, en partie, cette lacune historiographique et, ce faisant, de nuancer cette image réductrice en explorant le célibat féminin de la première moitié du dix-neuvième siècle aux États-Unis. Plus spécifiquement, nous nous proposons d’explorer le rapport au célibat de deux femmes célibataires blanches provenant de la classe nantie et esclavagiste du Sud des États-Unis dans la période antebellum: Ellen Mordecai de la Virginie, née en 1790, et Lizzie Graves de la Géorgie, qui voit le jour en 1820 2 Les sources manuscrites pour cette étude proviennent de deux fonds d’archives. Pour Ellen Modecai: Jacob Mordecai Papers, boîtes 4-6, William R. Perkins Library, Duke University, Caroline du Nord (à partir d’ici identifiée par les initiales EM); pour Lizzie Graves: Lenoir Family Papers, Southern Historical Collection, University of North Carolina at Chapel Hill, Caroline du Nord (identifiée par les initiales LG)..
Cette exploration du célibat au sein de l’élite sociale du Sud avant la guerre de Sécession est doublement instructive. D’une part, rappelons que cette période est caractérisée par une redéfinition du mariage. En effet, la première moitié du dix-neuvième siècle voit le développement d’un nouvel idéal du mariage où la mutualité et l’amour entre les conjoints sont au cœur même de sa définition —ce que les historiens et les historiennes vont nommer l’idéal du «companionate marriage» ou mariage d’estime3 Ce mouvement, aux États-Unis, émerge dans les dernières décennies du dix-huitième siècle, voir notamment Carl Degler, At Odds : Women and the Family (1980: 3-25). La traduction par «mariage d’estime» apparaît dans Sara Evans, Les Américaines, p. 105.— et, en même temps l’exacerbation d’une glorification de l’amour (hétérosexuel) romantique. Comme le maintient Peter Stearns, l’amour entre les hommes et les femmes devient au fil du dix-neuvième siècle presque un idéal religieux (1994: 234). Dans ce contexte donc, l’étude de la transgression de la norme du mariage, que celle-ci soit volontaire ou non, est particulièrement riche pour notre compréhension des émotions, du genre, de la sexualité ainsi que de l’agency ou de la capacité d’agir des individus. D’autre part, en apportant un éclairage sur l’expérience des femmes célibataires du Sud, notre exploration permet de mieux comprendre et conceptualiser la société sudiste. Dans ce sens, elle contribue à élucider la question du caractère distinct de la société sudisteesclavagiste, de ses pratiques, ses valeurs et idéologies et, de ce fait, de son rapport avec la société américaine dans son ensemble.
Le premier ouvrage à s’intéresser aux femmes célibataires des États-Unis paraît en 1984: Liberty a Better Husband de Lee Virginia Chambers-Schiller. L’historienne y trace un portrait de deux générations de femmes célibataires américaines du Nord-Est, soit des États de la Nouvelle-Angleterre et des États du MoyenAtlantique. Celles-ci, nées à la fin du dix-huitième siècle et dans la première moitié du dix-neuvième siècle, refusent le mariage pour des raisons dites modernes, c’est-à-dire afin de se réaliser, le mariage étant perçu par ces femmes comme incompatible avec leurs aspirations d’autonomie et de réalisation de soi. Parmi elles, selon Chambers-Schiller, se trouvent des femmes ayant aussi intériorisé un idéal amoureux, ce qu’elle appelle «a beau ideal». Cet idéal amoureux et la glorification de l’amour romantique qui l’accompagne, ainsi que l’idéal du mariage d’estime qui les soutient leur permettent alors de refuser le mariage si elles ne trouvent pas une personne qui réponde à leurs attentes romantiques. Le concept voulant qu’il vaille mieux être célibataire que mariée et misérable fait foi de cette convention culturelle (Chambers-Schiller, 1984: 18).
Chambers-Schiller croit toutefois que ce dernier phénomène ainsi que le refus du mariage pour des raisons d’autoréalisation ne sont présents dans le Sud des États-Unis qu’après 1865, c’est-à-dire après la guerre de Sécession. Comme plusieurs historiennes des femmes du Sud, elle juge que la structure hiérarchique de cette société esclavagiste et patriarcale agit comme un obstacle incontournable à toute tentative des femmes du Sud, particulièrement les femmes des classes sociales dominantes, de remettre en question leur statut traditionnel (1984: 5-7). À ce sujet, les historiennes Joan Cashin et Anya Jabour ont chacune offert des portraits de femmes blanches sudistes de l’élite sociale qui, en dépit de leur désir précédemment avoué derester célibataires, vont se marier (Cashin, 1994: 735-759; Jabour, 1997: 193- 234). Cependant, on estime que de 20 à 25% des femmes du Sud d’avant-guerre sont restées célibataires toute leur vie (O’Brien, 1993: 2).
Par ailleurs, Chambers-Schiller est également d’avis que le modèle du mariage d’estime n’est pas adopté par les Sudistes blancs et qu’il est, dans ce sens, étranger aux femmes blanches du Sud, bien qu’elles puissent le désirer. Quoiqu’il n’y ait pas de consensus sur cette question parmi les historiennes travaillant sur la société du Sud4 Pour une analyse originale de la contradiction entre l’idéal de la mutualité et la teneur même dumariage des Sudistes blancs, voir Suzanne Lebsock, The Free Women of Petersburg (1984)., la plupart sont d’avis que l’amour romantique est un élément central dans les relations amoureuses entre les hommes et les femmes. Or, si nous savons qu’il peut être difficile pour certaines femmes du Sud de ne pas se marier, en contrepartie, nous avons peu d’informations sur ce qui motive celles qui sont célibataires. Dans une étude récente des femmes célibataires de l’élite urbaine sudiste de Savannah, en Géorgie, et de Charleston, en Caroline du Sud, Christine Jacobson Carter indique que les femmes célibataires étaient loin d’être des rebelles (2000: 111-113). Quoique parfois qualifiées d’excentriques par leurs neveux et nièces, les célibataires restaient au service de leurs proches et consolidaient leur place dans les réseaux familiaux et sociaux, sans remettre en question les valeurs de leur société et la culture sudiste. Selon Carter, les femmes sudistes ont emprunté la rhétorique du «Cult of Single Blessedness» ou culte de la béatitude célibataire que Lee Chambers-Schiller a identifié comme une vocation de service aux autres, laquelle s’est développée parallèlement au culte de la domesticité chez les femmes de Nouvelle Angleterre entre 1780 et 1840 (Carter, 2000: 111; Chambers-Schiller, 1984: 22-28). Mais contrairement à leurs consœurs nordistes dont les aspirations étaient compromises par leurs besoins de sécurité économique, les femmes de l’élite urbaine du Sud étaient assurées d’un confort matériel au sein de leur famille. Elles pouvaient alors se consacrer aux autres sans se marier, et leur identité était façonnée par leur place au sein de la famille et leur perception d’elles-mêmes en tant que filles, sœurs et tantes, ainsi que par leurs activités caritatives dans la ville et les relations qu’elles entretiennent entre célibataires (Carter: 2006: 6-7).
Cependant, toutes les célibataires de l’élite sudiste ne sont pas conformes à ce schéma explicatif, même si la famille joue un rôle important dans leurs décisions. Ainsi, à partir de la correspondance personnelle de Ellen Mordecai de la Virginie et celle de Lizzie (ou Elizabeth) Graves de la Géorgie, nous proposons d’explorer lesens de leur célibat. Notre choix méthodologique, soit notre parti pris biographique et microscopique, est motivé par notre désir de réintégrer l’individu dans le collectif5 La lettre, selon Mireille Bossis, «est énoncé[e] sur un mode individuel elle est [aussi] tributaire des représentations collectives conscientes et inconscientes de son époque» (1994: 10).. Bien sûr, il va de soi que cette correspondance ne nous livre que des fragments de l’expérience de ces deux femmes, puisque nous ne saurions les réduire à ce qu’elles ont bien voulu ou bien pu consigner sur papier. Les conventions du genre épistolaire, la relation avec le ou la destinataire, l’objectif explicite de la missive, l’humour même de l’épistolaire et, enfin, le caractère équivoque de certains propos qui peuvent nous paraître opaques sont autant d’éléments qui concourent à entrouvrir partiellement cette fenêtre sur leur expérience. Mais, n’est-ce pas là un, sinon «le» défi central de la pratique historienne, c’est-à-dire interroger des parcelles très fragmentaires du passé? S’il est vrai, par ailleurs, que notre étude laisse dans l’ombre les femmes des classes sociales inférieures, soit les femmes afro-américaines, libres et esclaves, ainsi que les femmes blanches pauvres et celles de la classe des fermiers, elle nous donne toutefois à voir les possibilités qu’offre cette société à certaines femmes, dans ce cas-ci des femmes de l’élite sociale. En cela, elle contribue à une meilleure compréhension du Sud antebellum, entre autres en identifiant les limites du possible pour ces femmes.
Or, comme notre interrogation le démontre, l’idéal de l’amour romantique, au cœur de l’idéal de la mutualité etde l’amour au sein du mariage, semble être un élément central dans les attentes conjugales des femmes sudistes blanches des classes sociales supérieures. Elle suggère également que le célibat féminin pour ces femmes puisse être un choix, voire un refus du mariage basé sur des motivations dites modernes, c’est-à-dire que l’on conçoit le mariage comme étant incompatible avec ses ambitions intellectuelles tout comme ses aspirations affectives. Enfin, elle donne à voir l’importance des relations intimes entre femmes, ce que Carroll Smith- Rosenberg a appelé «the female world of love and ritual» (1985: 11-52)6 L’article de Carroll Smith-Rosenberg «The Female World of Love and Ritual» a été d’abord publié en 1975 et réédité dans son ouvrage Disorderly Conduct en 1985. Pour une traduction en français, voir «Amours et rites» (1978)., et, surtout, le rôle que ces relations peuvent jouer dans le célibat féminin.
Ellen Mordecai (1790-1884)
«I wish all except me had their homes too, and why not me? because [sic] I am too undecided about thehappiness of married folk to wish to prove it to myself / Je souhaite que tous sauf moi aient un foyer, et pourquoi pas moi? Parce que je suis trop indécise quant au bonheur des gens mariés pour avoir envie de m’en faire moi-même la preuve», écrit en 1832 Ellen Mordecai, une enseignante alors âgée de quarante-deux ans et vivant à Richmond en Virginie. Cette femme juive qui, ultérieurement, se convertira au protestantisme et publiera deux ouvrages autobiographiques (Past Days en 1841 et, quatre ans plus tard, The History of the Heart, qui décrit sa conversion), provient d’une famille originaire de Philadelphie installée dans le Sud à la fin du dix-huitième siècle (Bingham, 2006). Son père, Jacob Mordecai, un marchand, avait fondé en 1809 la «Warrenton Female Academy» (Hanft, 1989) près de la ville de Raleigh en Caroline du Nord. Cette institution était l’une des premières académies féminines du Sud qui offraient aux jeunes femmes sudistes une éducation dont le contenu, bien qu’il ne soit pas identique à celui enseigné aux jeunes hommes, était plus rigoureux que ce qui prévalait alors (Farnham, 1994: 28-32, 44-47)7 Les académies féminines qui mettent en place un curriculum de nature plus scientifique et moins ornementale qu’auparavant voient le jour aux États-Unis au début du XIXe siècle. On soutient alors qu’une éducation plus rigoureuse pour les filles fera d’elles de meilleures mères, contribuant en cela à faire de meilleurs citoyens de leursenfants. Toutefois, selon Farnham, l’éducation des filles des classes sociales supérieures du Sud, contrairement au Nord, ne devient pas un moyen leur permettant de subvenir à leurs besoins, avant le mariage ou lorsqu’elles seront veuves, ni même d’accéder à une profession, ce qui menacerait le statu quo. N’étant accessible qu’aux familles bien nanties, cette éducation est plutôt un signe de classe, la place qu’occupe un curriculum dit classique en étant une preuve manifeste. L’éducation des filles du Sud ne remet donc pas en questionle statu quo, mais plutôt le soutient. Pour cette raison, les académies féminines sudistes reçoivent, de façon générale, l’assentiment des classes sociales dominantes. C’est ce qui explique que le Sud affiche un leadership dans la mise sur pied de ces institutions (Farnham, 1994: 28-32).. C’est d’ailleurs à l’académie de son père qu’Ellen Mordecai commence à enseigner. Mais en 1819, Jacob Mordecai vend l’académie et s’installe sur une plantation en Virginie; puis des problèmes financiers vont le conduire à vendre sa plantation en 1831.
À la suite des pressions de sa famille, Ellen est contrainte, en 1823, de refuser la demande en mariage de John D. Plunkett, catholique et frère de l’époux de sa sœur aînée (Murray, 1993: 313-314). En 1832, Ellen Mordecai habite avec son père, sa belle-mère8 Sa belle-mère, Rebecca Myers Mordecai, est en fait sa tante, c’est-à-direla demi-sœur de sa mère décédée en 1796., trois sœurs cadettes, également célibataires, et d’autres membres de la famille élargie ainsi qu’un nombre indéterminé d’esclaves domestiques9 À la suite du décès de son père, ainsique de sa sœur aînée, en 1838, Ellen sera «sous l’autorité» de son frère Samuel.. Ses autres frères et sœurs ainsi que leur famille sont disséminés dans le Sud, en Caroline du Nord, en Virginie et en Alabama, et tout comme leurs contemporains, les membres de cette famille nombreuse entretiennent une correspondance systématique les uns avec les autres10 Cette famille entretient une correspondance avec une grande diversité de gens; en revanche, ne sera archivée que la correspondance de la famille immédiate. Voir la description de Mordecai Family Papers, Southern Historical Collection, à: http://www.lib.unc.edu/mss/inv/m/Mordecai_Family.html.. Nous nous basons sur une partie des lettres qu’EllenMordecai écrit à ses frères et sœurs et qui datent de 1830 à 1832 et de 1845 à 1849, donc au début de sa quarantaine jusqu’à à sa mi-cinquantaine, pour explorer dans les pages qui suivent ce qui a pu motiver son scepticisme face au mariage.
Ainsi nous constatons que le travail d’enseignement d’Ellen Mordecai joue un rôle important dans l’économie familiale ainsi que dans sa propre autonomie financière. En 1830, elle écrit à son frère Solomon: «If we could afford it believe me I would not await the term of three years when these little girls are to go… [but] if they weretaken away, both Julia & herself & papa would suffer in some degree11 EM à [Samuel Mordecai], 17 oct. 1830. Ici, Ellen fait référence à ses deux sœurs cadettes. / Si on pouvait se le permettre, crois-moi, je n’attendrais pas l’échéance de trois ans, alors que ces petites filles doivent partir … [mais] si elles nous étaient enlevées, Julia et elle et papa souffriraient jusqu’à un certain degré». L’importance de ce travail pour son indépendance apparaît d’autant plus clairement quinze ans plus tard, alors qu’elle défie ses frères lorsque ceux-ci s’objectent à son projet d’aller enseigner à la Nouvelle-Orléans:
I saw grandma, an old woman and evidently burthen —I see Miss C.H. … a burthen also, then do not think me headstrong if I feel every disposition so to use myself, as not to be a weight when my time comes to be sustained12 EM à [Samuel Mordecai], 13décembre 1845..
Je regarde grand-mère, une femme âgée et évidemment un fardeau —je regarde Mlle C.H., elle aussi un fardeau, alors ne me considère pas têtue parce que je me sens entièrement disposée à me rendre utile, afin de ne pas être un poids quand mon tour sera venu d’avoir besoin de soutien.
Toutefois, elle ne semble pas du tout apprécier ce travail, comme elle l’affirme dès 1830: «I am very willing to do it while it is necessary … but for the pleasure of it never would I hear a daily lesson —sometimes it is agreeable to impart information, but oft time anything else13 EM à Caroline Plunkett, 30 mai 1830. / Je veux bien le faire tant que c’est nécessaire… mais mon plaisir serait de ne plus jamais entendre de leçon quotidienne —parfois il est agréable de transmettre de l’information, mais la plupart du temps, je ferais n’importe quoi d’autre». D’ailleurs, elle perçoit ce travail comme une entrave à son désir de se réaliser. Comme elle l’écrit:
I am willing to give up the instructive occupations and never resume it again (unless it be to relieve my brother or sisters from the task). I want to improve myself and really when your mornings are not at your disposal it seems to me the rest of the day has continual interruptions if not occupation[fn] EM à [Caroline Plunkett] 18 juillet 1832.[/fn].
Je suis disposée à abandonner toute fonction liée à l’éducation et à ne plus jamais y retourner (à moins que ce ne soit pour soulager mon frère et mes sœurs de cette charge de travail). Je veux me perfectionner moi-même et, vraiment, quand on ne dispose pas de ses matinées, il me semble que le reste de la journée est truffé d’interruptions, voire d’occupations.
Il n’est peut-être alors pas surprenant de constater que le rôle et les responsabilités de mère et d’épouse semblent également être perçus négativement. Notamment, nous découvrons qu’elle est critique à l’égard de la charge de travail qu’imposent les enfants. Ainsi, elle déplore qu’un membre de la famille soit de nouveau enceinte:
I am sorry for it, and wished sincerely Ellen might be the last —four children is plenty (…) but (…) you are not one to join me in a regret of this kind or have you changed your opinion about the happiness of a multitude of children14 EM à [Caroline Plunkett], 18 juillet 1832. Voir aussiEM à [Solomon Mordecai], 9 mai 1830.?
J’en suis désolée et souhaite sincèrement qu’Ellen soit la dernière —quatre enfants, c’est beaucoup […] mais […] tu n’es pas de celles, comme moi, qui déplorent ce genre de choses, à moins que tu n’aies changé d’opinion en ce qui a trait au bonheur d’avoir une multitude d’enfants?
Elle parlera d’ailleurs du tort qu’elle subit elle-même lorsqu’il est question de la prise en charge de l’éducation et des soins des enfants:
I should have to reason with myself on the injustice I was doing to myself to prevent me from undertaking the task for any child, thus thrown inmy way —yet tho I would do all in my power for my brothers’ or sisters’ children I do confess I would rather that the interesting duty devolve on them, their natural instructors15 EM à Caroline Plunkett, 19 septembre 1832. (Souligné dans le texte).
Je devrais raisonner au sujet de l’injustice que je me faisais à moi-même en acceptant d’assumer la responsabilité de n’importe quel enfant mis en travers de mon chemin —même si je ferais tout pour les enfants de mes frères et sœurs, je confesse que je préférerais que cette intéressante charge de travail leur revienne à eux, leurs enseignants naturels.
Ce n’est pas seulement la charge de travail elle-même qui semble poser problème, mais aussi le manque de reconnaissance concomitante. Ainsi, en 1845, réfléchissant à la proposition qu’elle avait faite quinze ans auparavant à son frère bien-aimé Solomon de prendre en charge l’éducation (au sens large du terme) de ses deux neveux, elle écrit, alors qu’elle a maintenant 55 ans, à son frère Samuel:
Believe me (…) there never yet was a task of more solicitude probing as it does the nicest feelings, the tranquility of which is at the mercy and in the power of a child and after years have been devoted with all care, and love, and self- sacrifice what is the return? a consciousness that you have endeavoured to benefit the being who does not thank you for it 16 EM à Samuel Mordecai, 26 avril [1845]..
Crois-moi […], il n’y a encore jamais eu de tâche d’une plus grande sollicitude permettant d’explorer, comme elle le fait, de beaux sentiments, et dont la tranquillité est à la merci et en le pouvoir d’un enfant mais, après des années de soins, d’amour, d’autosacrifice, qu’obtient-on en retour? La conscience d’avoir tenté d’en faire profiter un être qui ne nous en remercie pas.
Bien entendu, la conjoncture immédiate explique ces propos à un premier degré: un neveu pose maintenant problème à ses parents, et la famille élargie en est préoccupée. Il ne faudrait cependant pas se limiter à ce constat, comme elle-même le maintient: «You must not think that the tone of your letter has had any influence in producing the tone of mine, I have often expressed the same and much oftener, frominference, felt it17 Ibid. / Tu ne dois pas croire que le ton de ta lettre ait contribué à produire le ton de la mienne: j’ai souvent exprimé la même chose et le plus souvent, par inférence, je le ressentais».
Elle semble également poser un jugement critique à l’endroit des hommes, ou tout au moins elle fait preuve d’une certaine ambivalence, particulièrement lorsqu’il s’agit de leur rôle en tant qu’époux. Prenons, à titre d’exemple, les louanges qu’elle fait au début des années 1830 à propos de l’époux d’une certaine Mrs. Goches. Ainsi, elle dit trouver cet homme accueillant et pourvu d’un bon caractère. Il semble être un époux très gentil. Or, c’est ce genre d’homme qu’elle aime particulièrement, ajoute-t- elle18 EM à Caroline Plunkett, 8août 1830.. Implicitement n’indique-t-elle pas alors qu’elle conçoit que ce ne sont pas tous les époux qui remplissent ce critère?
Les conseils qu’elle prodigue à son frère Solomon au cours de cette même période en ce qui a trait à l’éducation de son fils révèlent un peu plus clairement ses inquiétudes à ce propos. Elle écrit:
Men have so few restraints and are so entirely accustomed to being yielded to by our sex, that unless checked and subdued when young it will become ungovernable —and for a want of a little care and firmness now […] your son may after years make his wife and children less happy than your own19 EM à Doctor [Solomon] Mordecai, 11 avril 1830..
Les hommes ont si peu de restrictions et sont si habitués que notre sexe leur cède la place qu’à moins d’être maîtrisés et contenus dès leur jeune âge, ils deviennent incontrôlables —et par manque de soins et de fermeté aujourd’hui […] votre fils pourrait, plus tard, rendre sa femme et ses enfants moins heureux que les vôtres.
Il est sûrement significatif qu’elle articule cette réserve au sujet du tempérament de son neveu autour du rôle d’époux et de père.
Or, plus de quinze ans plus tard, elle livrera, ce qui apparaît être une source de cette réserve, à savoir son inquiétude à trop donner émotionnellement pour ce qu’elle aura en retour, c’est-à-dire l’abnégation. Cette abnégation est, rappelons-le, au cœur de l’idéologie dominante de la domesticité qui, schématiquement, accorde aux femmes l’espace domestique, la moralité, le don de soi et les sentiments. Ainsi, en 1845, elle se dit très reconnaissante de ne pas être mariée car son époux, écrit-elle à son frère, «would have sacrificed my heart and taught my children to dance round the altar20 EM à Samuel Mordecai, 26 avril [1845]. / aurait sacrifié mon cœur et aurait appris à mes enfants à danser autour de l’autel». Ellen Mordecai semble donc concevoir qu’un époux ne puisse combler ses besoins affectifs, signifiant en cela, d’une part, que sa vision du mariage est une conception romantique et, d’autre part, qu’elle est critique face à cette abnégation. Une remarque faite à son frère quinze ans plus tôt suggère d’ailleurs qu’elle portait déjà un jugement négatif sur ces normes sexuées qui assignent aux femmes seulement le domaine des sentiments. Ainsi, en 1830, elle reproche àson frère de ne pas lui écrire assez souvent dans ces termes: «It does not appear to me I could be placed in a situation that would have this effect upon me but men and women I am often told, and have frequently read, do not feel alike, and if it is nature I ought not to complain21 EM à Doctor [Solomon] Mordecai, 7 février 1830. / Il ne me semble pas que je puisse être placée dans une situation qui aurait cet effet sur moi, mais les hommes et les femmes, comme on me l’a dit souvent et comme je l’ai lu fréquemment, ne ressentent pas les choses de la même manière, et s’il s’agit de lanature, il ne faut pas que je me plaigne». En formulant ces propos ainsi, soit au conditionnel, ne remet-elle pas en question cette façon d’être sexuée, genrée? Nous l’estimons.
Le désir d’Ellen Mordecai de se réaliser et d’améliorer son sort explique fort plausiblement son regard critiqueà l’endroit du rôle et de la responsabilité de mère et d’épouse, tout comme son sentiment qu’un époux n’aurait pu combler ses besoins affectifs. Bien qu’elle livre ce jugement alors qu’elle est âgée de 55 ans, c’est-à-dire a posteriori, sa critique, quinze ans auparavant, des normes sexuées quant aux besoins affectifs suggère qu’il n’a pas été fait uniquement de façon rétrospective. Ces deux éléments nous font penser que le célibat d’Ellen Mordecai est sans doute un refus du mariage dans la mesure où ce dernier est perçu comme ne pouvant combler ses attentes d’affirmation et d’actualisation de soi émotionnelles et intellectuelles, preuve d’une conception moderne de soi, à l’instar des femmes du Nord-Est dépeintes par Chambers-Schiller. Comme chezcertaines de ces femmes, son idéal de mutualité romantique contribue possiblement à ce refus, puisqu’elle n’a pas rencontré quelqu’un qui puisse satisfaire ses attentes affectives, outre John D. Plunkett, témoignant en cela, encore une fois, de sa conception moderne de soi. Le fait qu’Ellen Mordecai soit issue d’une famille provenant de Philadelphie, un lieu d’effervescence intellectuelle et culturelle, et qu’elle soit de confession et de culture juives sont, on peut le croire, des facteurs qui contribuent aussi à cette conception moderne de soi.
Lizzie Graves (1820-date de décès inconnue)
Au contraire d’Ellen Mordecai, le célibat de Lizzie Graves, de la Géorgie, ne semble pas motivé par un désir d’actualisation ou d’affirmation intellectuelle. Plutôt, il apparaît être engendré par sa conception romantique du mariage, son ambivalence face à cette institution ainsi que par l’importance qu’elle attache à sa relation avec sa correspondante, Sallie Lenoir, également célibataire. À tout le moins, c’est ce que nous permettent de constater ses lettres à cette ancienne camarade de classe, échangées pendant une période de quinze ans, de 1843 à 185822 Cette correspondance est volumineuse et presque constante au fil de ces années (4 à 6 lettres par année). La dernière lettre, en date du 28 août 1858, après un silence de deux ans dont nous ne connaissons pas les motifs, annonce le décès de son frère deux jours auparavant..
Nous connaissons peu de choses sur Lizzie Graves. Nous savons toutefois qu’elle fréquente la «Salem Academy»23 Cette institution fut fondée par les Moraviens en 1772 à Winston-Salem, Caroline du Nord. Cette école pour filles acquiert rapidement une réputation dans la région et, en 1802, elle reçoit ses premières pensionnaires. L’académie continue de croître au XIXe siècle, ajoutant des cours de niveau collégial à partir des années 1860. en Caroline du Nord à la fin des années 1830. Cette institution, desservant l’élite sociale du Sud, avait vu le jour au début du siècle, à l’instar de la «Warrenton Female Academy». Les lettres de Graves nous permettent également de savoir que son père est propriétaire d’auberges, travaille pour ce qu’elle appelle la «GRR», sans doute la Georgia Pacific Railroad Company24 Toutefois, l’acronyme GRR fait référence au Georgetown Railroad au Texas., et est vraisemblablement propriétaire d’une plantation, puisqu’il emploie un surveillant et contremaître d’esclaves25 LG à Sallie Lenoir (à partir d’ici identifiée par les initiales SL), 4mars 1846.. Lizzie l’assiste d’ailleurs, en effectuant du travail de bureau, ou encore en prodiguant des soins à une aubergiste à son emploi26 LG à SL, 17 octobre 1844 et 4 mars 1846.. Le décès de son père, en 1847, alors qu’elle est âgée de 27 ans, entraîne toutefois un revirement de fortune pour sa famille, qui s’installe dans la ville d’Augusta. Elle y habite alors avec sa mère, des frères cadets ainsi que des esclaves de maison. Là, elle continue d’assumer des tâches domestiques et de soutien auprès de sa famille immédiate et élargie. Elle s’implique également dans l’enseignement du catéchisme à l’école dite du Sabbat, «Sabbath school». Dans une de ses lettres de 1855, elle évoque la possibilité d’aller enseigner en Alabama, projet qui ne semble pas se concrétiser27 Nous ne savons pas si ce sont des besoins financiers qui motivent ce projet. Toutefois, nous savons qu’il était conditionnel à son rétablissement, comme elle l’écrit: «My health is better than usual now and if I continue to improve I know I’ll be able to teach / Ma santé est meilleure que d’habitude en ce moment et si je continue à prendre du mieux, je sais que je serai capable d’enseigner». LG à SL, 1er octobre 1855..
En 1845, âgée de 25 ans, Lizzie Graves écrit à Sallie Lenoir: «I find that I am becoming more and more indifferent about the beaux, although I receive some attention28 LG à SL, 28 juin 1845. / Je découvre que je suis de plus en plus indifférente aux prétendants, même si j’en reçois quelque attention». Deux mois plus tard, elle révèle pourtant qu’elle désire un jour se marier ou, pour reprendre ses mots: « … to have some one love me whose attachment I expect to prize more highly than that of all others on earth29 LG à SL, 23 août 1845. / que quelqu’un m’aime, quelqu’un dont je m’attends à priser l’attachement plus que celui de tout autre sur terre». Si Lizzie Graves a une conception romantique du mariage comme ces derniers propos l’attestent, les premières remarques laissent croire qu’elle fait également preuve d’une certaine ambivalence à son égard, ou tout au moins d’un certain désintérêt à l’endroit des hommes ou des rituels amoureux.
Cette ambiguïté se manifestera au fil de ses lettres : en même temps qu’elle s’y dit désintéressée par le mariage, elle ne semble pas y avoir renoncé de façon absolue pour autant. Ainsi, l’année suivante, elle explique son état de bonheur par le fait qu’elle ne soit pas mariée, ses convictions religieuses et son âge avancé, vingt-six ans, lui permettant alors d’expliquer, voire de justifier son célibat30 LG à SL, 4 mars 1846.. Quelques années plus tard, elle donne plus de précisions sur les raisons l’incitant à ne pas se marier:
I feel more like being always an old maid […] than ever before in my life […]. In the first place, I am equally as hard to please as ever heretofore and in the second, there are but few gentlemen old enough and clear enough for me who wish good wives that have not had wive and I will not marry a widower. The next reason is, there are but few who want only a wife without much of the needful in the purse; and you know that I haven’t got31 LG à SL, 6 juillet 1848..
Je ressens l’envie de demeurer vieille fille […] plus que jamais dans ma vie. En premier lieu, je suis aussi difficile à contenter qu’avant ; en deuxième lieu, il y a peu de gentlemen suffisamment âgés et nets à mon goût, qui souhaitent se marier mais n’ont jamais eu d’épouse, car je ne vais pas épouser un veuf. La prochaine raison est que peu veulent uniquement une femme, sans le nécessaire contenu dans sa bourse, et tu sais que je ne l’ai pas.
Lizzie Graves explique son désintérêt pour le mariage par la frustration entourant son idéal romantique, ce qui ne signifie pas qu’elle n’ait jamais rencontré cet idéal: quelques années auparavant, il semble qu’elle entretenait des espoirs à l’égard d’un des frères de Sallie, quoique ses sentiments n’apparaissent pas avoir été réciproques32LG à SL, 4 mars 1846.. Elle explique aussi son célibat par un autre genre de contrainte hors de son contrôle, à savoir sa situation financière. Il est fort plausible que le revirement de fortune de sa famille à la suite du décès de son père a eu comme conséquence de diminuer ses chances d’être considérée comme une épouse potentielle par les hommes de sa classe sociale. Bien qu’elle identifie des éléments extérieurs pour expliquer son célibat,ainsi que ses propres attentes romantiques, elle se dit également indifférente au mariage33 LG à SL, 6 juillet 1848.. Les propos qui suivent nous autorisent à penser, toutefois, que le regard péjoratif de la société à l’endroit des femmes célibataires agit comme un obstacle à son désir de célibat.
If I could feel that I was a lovely old maid I would love to be one (for today). I am getting to adopt public opinion about old maids, in thinking lovely ones are far and few between and as a general thing they are in the way : occasionally, you see one fill the place of mother admirably and a wandering one sometimes is sought after by housekeepers and those who are lonely ; but takemaiden ladies out of their families and ninety nine times in 100 you will hear them spoken of as ‘that cross old maid’34 LG àSL, 19 décembre 1848..
Si je pouvais sentir que je suis une charmante vieille fille, j’aimerais en être une (pour le moment). Je vais adopter l’opinion publique en ce qui concerne les vieilles filles, en pensant que celles qui sont charmantes sont des exceptions et que, règle générale, elles sont encombrantes : occasionnellement, on en voit une prendre admirablement la place d’une mère, alors que la présence d’une autre, sans domicile, est parfois désirée par des gouvernantes et ceux qui sont seuls. Mais lorsqu’une une vieillefille se retrouve hors de la famille, 99 % du temps on entendra parler d’elle comme de ‘cette méchante vieille fille’.
Ces remarques soulignent tout d’abord l’importance du rôle des femmes célibataires au sein de leur famille, ce qui rejoint l’argument de Christine Jacobson Carter, laquelle décrit des tantes au service des familles de leurs frères et sœurs, s’occupant de leurs neveux et nièces, de leur éducation ou de leurs sorties (2006: 82-94). Mais les propos de Lizzie Graves laissent aussi soupçonner que c’est ce regard social péjoratif qui constitue une entrave à son désir de célibat, et non pas sa propre intériorisation d’une telle perception.
Or, quoiqu’elle se dise indifférente au mariage, elle n’apparaît pas y avoir renoncé. Il semble notamment qu’elle soit courtisée par un veuf alors qu’elle est âgée de 31 ans. Un autre exemple nous est donné quelques années plus tard, lorsqu’elle demande à Sallie de rappeler à son père la promesse qu’il lui a faite de lui accorder un de ses fils en mariage35 LG à SL, 10 mars, 1856.. Peut-être ne s’attend-elle pas à ce qu’il exécute sa promesse, mais qu’elle le demande est en soi significatif. Ses propos nous permettent également de constater qu’elle estime que le mariage est l’idéal: «Well married all are happier36 LG à SL, 10 mars 1856. / Ceux qui sont bien mariés sont tous plus heureux». Ils nous laissent voir toutefois qu’elle conçoit qu’il n’est pas suffisant d’être marié, mais qu’il faut aussi être «bien marié». La nature de la relation conjugale est donc importante pour Lizzie Graves, ce qui nous donne à voir son adoption de l’idéal de la mutualité entre les conjoints. Il en va de même lorsqu’elle affirme qu’il est préférable que les hommes se marient tôt ou pour reprendre ses mots: «I’m a great advocate for gentlemen marrying early. Well married, they are generally safe I think37 LG à SL, 10 mars 1856. / Je suis grandement en faveur du fait que les gentlemen se marient tôt. Bien mariés, ils sont généralement sans danger, je crois». Rappelons que selon les concepts traditionnels, le mariage est une alliance basée surtout sur des considérations économiques et de statut social; en conséquence, les hommes se marient plus tardivement, soit lorsqu’ils sont établis financièrement et professionnellement, donc lorsqu’ils sont plus âgés. Étant donné que Lizzie Graves croit que seul le mariage permet aux hommes de vraiment comprendre les femmes, elle est sans doute d’avis qu’un mariage tardif pour un homme risque de creuser le fossé entre les conjoints38 LG à SL, 31janvier 1856..
Incidemment, si l’harmonie conjugale est importante, Lizzie Graves est peut-être ambivalente face au mariage, ou dans ses mots, indifférente, parce qu’elle est consciente que cette harmonie peut être difficile à atteindre, et plus précisément que ce puisse être davantage problématique pour les femmes. Ainsi,discutant de la «dépression» d’un des frères de Sallie (ce qu’elle appelle «the blues»), elle écrit: «I’m inclined to think some wives have worse failings to worry about in their husbands than the blues39 LG à SL,31 janvier 1856. / Je suis tentée de croire que certaines épouses ont des échecs bien pires à redouter chez leurs maris que la dépression». Il est sûrement significatif que ce ne soit qu’ultérieurement qu’elle rajoute «some» dans cette phrase.
Jusqu’à maintenant, nous avons vu que Graves explique son célibat par son idéal amoureux, néanmoins dynamique, ainsi que par des contraintes hors de son contrôle. En effet, elle ne donne aucune raison pour expliquer son indifférence au mariage, outre quelques commentaires qui nous portent à croire qu’elle fait preuve d’une certaine ambivalence face à cette institution. En conséquence, on peut penser que son indifférence est essentiellement le résultat de la frustration qu’elle éprouve quant à son idéal romantique. Or, nous estimons que cela n’est qu’une explication partielle et que son indifférence est aussi tributaire du lien privilégié qu’elle entretient avec son amie et correspondante Sallie Lenoir.
Ses lettres, dans l’ensemble, témoignent amplement de l’importance qu’elle accorde à cette relation. Ses nombreuses déclarations d’amour à Sallie et ses demandes, presque aussi nombreuses, pour qu’elle vienne la visiter en sont des manifestations explicites. Citons ici Lizzie, alors qu’elle est âgée de vingt-six ans, et qu’elle fait part à Sallie de ses sentiments:
I feel as if the cords of that strong attachment that has so long existed between us had been greatly tightened and if I know my own heart […] I love my dear Sally more this evening, by a great deal, than I have ever done before. I love to think of you, to dwell on many points of your character that I admire and esteem, to recall the pleasant hours passed together in former days […] I feel like telling you I love you and how sincerely I love you, and at the same time any language I can muster is too cold to express my feelings40 LG à SL, 22 octobre 1846..
Je sens que les liens de cet attachement solide qui existe depuis si longtemps entre nous ont été grandement resserrés et si je connais mon propre cœur […,] j’aime ce soir ma chère Sally plus, et de beaucoup, que jamais. J’aime penser à toi, m’attarder sur plusieurs aspects de ta personnalité que j’admire et estime, me rappeler les heures plaisantes passées ensemble auparavant […] J’ai envie de te dire que je t’aime et à quel point cet amour est sincère, et pourtant tous les mots que je pourrais rassembler sont trop froids pour exprimer mes sentiments.
Nous pourrions multiplier les exemples comme celui-ci, lesquels mettent en relief la nature et l’intensité des sentiments de Lizzie pour Sallie. Contentons-nous de ce témoignage livré six ans plus tard, soit en 1852: «Write soon for there’s no living without you41 LG à SL, 25 octobre 1852. / Écris-moi vite car sans toi, il n’y a pas de vie» ; ou encore de celui-ci, datant de 1855: «I want to know more about you. What you read. What you do and how you feel42 LG à SL, 3 janvier 1855. / Je veux en savoir davantage à ton sujet. Ce que tu lis. Ce que tu fais et comment tu te sens».
Les lettres qu’elle écrit à Sallie lui sont aussi inestimables, constituant un espace d’expression et de liberté, tout comme un refuge, ainsi qu’elle le lui confie: «I feel when I commence writing to you that ‘now I am free to express every feeling, for I’m writing to one that loves me and will like to hear all my sorrows and will comfort me43 LG àSL, 17 juin, 1850. / Quand je commence à t’écrire, je me sens comme si, à ce moment-là, j’étais libre d’exprimer chacun de mes sentiments, parce que j’écris à quelqu’un qui m’aime, qui appréciera écouter mes chagrins et me réconfortera». Quant aux lettres qu’elle reçoit de Sallie, elles lui sont aussi d’une importance capitale: elle les qualifie à plusieurs reprises de lettres d’amour.
Comme les propos qui suivent nous le font comprendre, son entourage est conscient de la valeur de cette relation pour Lizzie, ainsi que de son intensité.
One day, Mrs Hill the dear aunt said she wished she could hear something in that letter for I seemed to love to read it very much […] so I read about half to her. Since then whenever I see any of them they enquire of [illegible] Miss Lenoir. Every body that loves me takes an interest in you dear Sallie because I love you so much44 LG à SL, 8 septembre 1855..
Un jour, Mme Hill, la chère tante, a dit qu’elle aimerait bien entendre quelque chose de cette lettre parce que j’avais l’air de prendre beaucoup de plaisir à la lire […] alors je lui en ai lu la moitié. Depuis, chaque fois que je vois n’importe lequel d’entre eux, ils s’informent au sujet de [illisible] Mlle Lenoir. Tous ceux qui m’aiment s’intéressent à toi parce que je t’aime tant.
L’historienne Carroll Smith-Rosenberg a fait valoir que la nature même de la division sexuelle au dix-neuvième siècle explique que les relations entre les femmes à cette période soient caractérisées par une intensité émotionnelle et une intimité affective, voire physique (1985: 11-52). Selon l’historienne, ces relations, approuvées par la société, sont compatibles avec les relations hétérosexuelles. Elle estime qu’elles préparent les jeunes au mariage en leur permettant de développer des relations intimes hors du cercle familial. Il faut cependant souligner que Carroll Smith-Rosenberg a basé son étude essentiellement sur la correspondance de femmes du Nord et, dans une moindre mesure, de l’Ouest. Au sujet des jeunes femmes blanches du Sud, l’historienne Christie Farnham a soutenu que même si les amitiés que ces dernières développent entre elles dans les académies féminines prennent modèle sur les relations hétérosexuelles, elles ne sont pas désapprouvées puisqu’elles ne constituent pas une entrave à un mariage ultérieur. Farnham conclut que les filles du Sud ne maintiennent pas ces relations lorsqu’elles quittent ces institutions (1994: 155-163).
Or, les deux fois où Lizzie Graves donne une explication de son célibat, c’est pour rassurer Sallie. En 1846, par exemple, elle écrit: « So you may be assured, I have no idea who I will marry if I ever should and let me beg you too dear Sally, to feel satisfied in the belief that there is one heart that beats in unison with yours45LG à SL, 4 mars 1846. / Alors tu peux être assurée que je ne sais pas qui je vais épouser, si cela se produit, et laisse-moi te prier à mon tour, chère Sally, de te sentir comblée en sachant qu’il y au moins un cœur qui bat à l’unisson avec le tien». En 1848, on peut clairement voir que Sallie est inquiète à l’idée que Lizzie puisse se marier, et cette dernière cherche à la rassurer: «So your fears on that very score may be abandoned when I tell you that I really am more indifferent about entering the happy state of wedlock that any one has any idea46 LG à SL, 6 juillet 1848. / Alors tu peux abandonner tes peurs à ce sujet quand je te dis que je suis vraiment plus indifférente à l’idée d’entrer dans l’heureux état du mariage que personne ne peut l’imaginer».
En retour, Lizzie partage aussi ces inquiétudes au sujet du mariage de Sallie et elle lui en fait part à quelques reprises. Prenons, à titre d’exemple, ces remarques:
Sister Ann said suppose you got a letter from her this afternoon telling you she would soon be married […] Before she quite finished I told her that would be mighty distressing news to me, for I never wanted you to marry while I lived […] I just could not give you up and wouldn’t47 LGà SL, février 1850. (Souligné dans le texte).
Sœur Anne a dit: Imagine que tu reçoives cet après-midi une lettre d’elle te disant qu’elle va bientôt se marier […] Avant même qu’elle n’ait terminé, je lui ai dit que ce seraient pour moi des nouvelles très affligeantes, car je ne veux pas que tu te maries de mon vivant. Je ne pourrais tout simplement pas renoncer à toi et je ne le ferais pas.
L’oncle de Lizzie n’avait alors probablement pas tort lorsque, la réprimandant au sujetde son indifférence au mariage, il était d’avis, rapporte-t-elle, que ces deux amies s’encourageaient mutuellement à rester célibataires48 LG à SL, 6 juillet 1848..
La définition que Lizzie Graves donne de sa relation avec Sallie Lenoir atteste par ailleurs non seulement de sa valeur, mais également du sens qu’elle lui donne. Elle écrit en 1850: «There is a unison and congeniality of feeling between us that does not often exist between the married or those similarly situated and the unmarried49 LG à SL, 17 juin 1850. / Il y a un accord et une compatibilité de sentiments entre nous quin’existe pas souvent entre ceux qui sont mariés ou dans une situation similaire et ceux qui sont célibataires». En assimilant cette relation au mariage, elle témoigne de l’importance psychique et émotionnelle qu’elle lui accorde. De surcroît, si cette relation est importante, c’est aussi parce que ces deux femmes sont célibataires. En effet, Lizzie poursuit: «Neither of us has a single sister and I believe there is a degree of attachment and confidence existing between us, that is rarely met with between any individuals in any relation of life50 Ibid. / Aucune de nous deux n’a de sœur et je crois qu’il existe entre nous un degré d’attachement et de confiance que l’on retrouve rarement entre des individus et ce, dans n’importe quelle relation de la vie». On peut mieux saisir l’importance de ce lien noué avec une autre femme célibataire grâce à un commentaire faitquelques années auparavant et par lequel elle faisait voir qu’elle estime que ce n’est qu’entre femmes célibataires que l’on peut se confier sans réserve: «I love Fanny and Aunt Lou dearly, but can’t communicate so freely to them for these wives will tell their husbands every thing and sometimes I am teased by their two husbands about some of my (…) wit and you know I have to be a little guarded51 LG à SL, 4 mars 1846. / J’aime Fanny et tante Lou de tout mon cœur, mais je ne peux communiquer aussi librement avec elles, car ces épouses vont ensuite tout raconter à leurs maris, et parfois leurs deux maris m’embêtent au sujet de mon […] intelligence et tu sais que je dois être un peu prudente».
Le célibat de Lizzie Graves n’est donc pas sans ambiguïté, puisqu’elle veut à la fois se marier et rester célibataire. Les contraintes hors de son contrôle ainsi que sa conception romantique du mariage et ses attentes amoureuses concomitantes expliquent qu’elle ne trouve pas de mari. Cette conception justifie, voire incite les femmes à rester célibataires si elles ne trouvent pas cet idéal. En revanche, ceci n’explique qu’en partie son célibat. En effet, elle craint fort probablement son mariage, ainsi que celui de Sallie, parce qu’elle considère qu’aucune relation conjugale ne pourra être à la hauteur de l’intensité et de l’intimité qui caractérisent son lien avec Sallie et, de façon corollaire, que leur relation souffrirait du mariage de l’une ou de l’autre.
Conclusion
Nos recherches ont permis de combler en partie l’oubli historiographique des femmes célibataires, nuançant ainsi l’image réductrice que l’on a souvent d’elles. Notamment, ces portraits de deux femmes blanches du Sud esclavagiste nous donnent à constater que le célibat des femmes blanches sudistes de l’élite sociale peut être un choix, en tout ou en partie: il n’est pas exclusivement subi52 Pour un exemple similaire d’un célibat qui reflète un choix, voir les lettres de Mary Telfair, célibataire de la haute société de la Géorgie, à Mary Few, célibataire de New York, qui ont étééditées par Betty Wood en 2007, soit après nos propres recherches..
Plus particulièrement, comme semble le suggérer le cas d’Ellen Mordecai, le célibat peut être un refus du mariage, dans la mesure où il est vu comme étant incompatible avec ses aspirations à l’affirmation intellectuelle et ses attentes affectives. Ainsi, comme le font certaines femmes du Nord-Est, Ellen Mordecai semble adopter des valeurs et des pratiques de réalisation de soi, c’est-à-dire des valeurs et pratiques dites modernes. Ceci nous autorise alors à penser que la société du Sud esclavagiste n’est peut-être pas nécessairement réfractaire aux idées ou aux pratiques modernes, contrairement à la distinction trop rapide quis’établit souvent entre un Sud archaïque et un Nord moderne. En dépit, donc, de leurs importantes différences socio-économiques et socioculturelles, le Sud et le Nord sembleraient partager des affinités culturelles, notamment en ce qui a trait à la culture féminine.
L’exemple de Lizzie Graves nous donne d’ailleurs à voir l’adoption manifeste d’une des valeurs de cette culture féminine, soit la rhétorique de l’idéal romantique. Cela suggère que l’idéal amoureux qui sous- tend la nouvelle conception du mariage constitue un élément fondamental dans les attentes des femmes du Sud quant au mariage, et rejoint ainsi ce que plusieurs historiennes du Sud ont avancé.
Le cas de Lizzie Graves nous incite également à revoir la conception et la compréhension qu’ont les historiennes et les historiens des relations intimes entre femmes53 À l’instar de Lizzie Graves et Sallie Lenoir, Mary Telfair et Mary Few craignent qu’un prétendant ne diminue l’intensité de leur relation (Carter, 2006: 103). Quant à la nature de cette relation, Wood révèle que Telfair fait valoir que ses contemporains bavardent (tout comme elle-même d’ailleurs lorsque qu’elle fait référence au «mariage» d’amies) sur des relations entre femmes et sur celles qui les entretiennent. Ses contemporains, voire ses amis, font peut-être la même chose, écrit-elle à Mary Few, au sujet de leur relation (Wood, 2007: xix-xx). D’ailleurs, la plupart des amitiés décrites dans l’ouvrage de Christine Jacobson Carter sont intimes et physiquement démonstratives, tandis qu’une autre était probablement sexuelle. L’historienne remarque que la société sudiste antebellum reconnaissait que les relations entre femmes célibataires pouvaient être intenses et passionnées tout en étant pures spirituellement, mais elle suggère que ce ne sont pas ces relations qui étaient au cœur de l’identité de ces femmes, mais plutôt leur perception d’elles-mêmes en tant que filles, sœurs et tantes (Carter, 2006: 97-98).. En effet, si, comme nous l’avons vu, ces relations peuvent constituer un obstacle aux relations hétérosexuelles, comment pouvons-nous alors les conceptualiser ou les décrire ? Comme plusieurs le soutiennent, ce serait sûrement un anachronisme que de considérer ces relations comme étant lesbiennes, c’est-à-dire d’apposer aux femmes du passé une identité qui nous est contemporaine. Notre objectif n’est pas d’attribuer aux femmes du passé une telle identité, mais plutôt de nous amener à questionner et à faire avancer notre compréhension des manières dont les sociétés et les gens du passéont structuré les émotions, ainsi que le sens et la place de ces émotions dans l’expérience et la subjectivité des individus. Ce faisant, nous constaterons sans doute que la dichotomie contemporaine entre relation platonique/relation sexuelle et entre relation hétérosexuelle/relation homosexuelle ne rend pas pleinementjustice à ces émotions et à leur signification, notamment au lien entretenu par Lizzie Graves et Sallie Lenoir. Le cas de Lizzie Graves nous convie également à explorer plus en détails, afin de l’identifier, la spécificité sudiste des relations intimes féminines du Sud.
Enfin, ces deux exemples nous invitent à explorer la place qu’occupent les femmes sudistes blanches dans l’enseignement. Christie Farnham, dans son étude sur les académies féminines du Sud, maintient que la grande majorité de leurs enseignantes proviennent du Nord-Est (1994: 113). Or, nous avons vu qu’Ellen Mordecai enseigne à l’Académie de son père, chez elle et en tant que gouvernante, tandis que Lizzie Graves entretient un projet d’enseignement (si ce projet ne se concrétise pas, il est néanmoins significatif qu’elle le considère). Notre exploration suggère que les femmes sudistes de la période antebellum ne sont pas nécessairement absentes dans l’enseignement, nous incitant alors à explorer le rôle qu’elles y jouèrent ainsique leur expérience de cet enseignement. Une perspective comparative, par ailleurs, permettrait une meilleure compréhension de leur contribution qui semble avoir été livrée surtout dans des contextes plus informels que les académies féminines, apparemment investies par des enseignantes provenant du Nord-Est54 Pour une étude récente de la place de ces académies dans l’éducation des filles au Nord comme au Sud,voir Mary Kelley, Learning to Stand and Speak (2006)..
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- 1Voir les études de Judith M. Bennett et Amy Froide (dir. publ.), Singlewomen in the European Past (1999), Rita S. Kranidis, TheVictorian Spinster (1999) et Mary Elizabeth Beattie, Obligation and Opportunity (2000).
- 2Les sources manuscrites pour cette étude proviennent de deux fonds d’archives. Pour Ellen Modecai: Jacob Mordecai Papers, boîtes 4-6, William R. Perkins Library, Duke University, Caroline du Nord (à partir d’ici identifiée par les initiales EM); pour Lizzie Graves: Lenoir Family Papers, Southern Historical Collection, University of North Carolina at Chapel Hill, Caroline du Nord (identifiée par les initiales LG).
- 3Ce mouvement, aux États-Unis, émerge dans les dernières décennies du dix-huitième siècle, voir notamment Carl Degler, At Odds : Women and the Family (1980: 3-25). La traduction par «mariage d’estime» apparaît dans Sara Evans, Les Américaines, p. 105.
- 4Pour une analyse originale de la contradiction entre l’idéal de la mutualité et la teneur même dumariage des Sudistes blancs, voir Suzanne Lebsock, The Free Women of Petersburg (1984).
- 5La lettre, selon Mireille Bossis, «est énoncé[e] sur un mode individuel elle est [aussi] tributaire des représentations collectives conscientes et inconscientes de son époque» (1994: 10).
- 6L’article de Carroll Smith-Rosenberg «The Female World of Love and Ritual» a été d’abord publié en 1975 et réédité dans son ouvrage Disorderly Conduct en 1985. Pour une traduction en français, voir «Amours et rites» (1978).
- 7Les académies féminines qui mettent en place un curriculum de nature plus scientifique et moins ornementale qu’auparavant voient le jour aux États-Unis au début du XIXe siècle. On soutient alors qu’une éducation plus rigoureuse pour les filles fera d’elles de meilleures mères, contribuant en cela à faire de meilleurs citoyens de leursenfants. Toutefois, selon Farnham, l’éducation des filles des classes sociales supérieures du Sud, contrairement au Nord, ne devient pas un moyen leur permettant de subvenir à leurs besoins, avant le mariage ou lorsqu’elles seront veuves, ni même d’accéder à une profession, ce qui menacerait le statu quo. N’étant accessible qu’aux familles bien nanties, cette éducation est plutôt un signe de classe, la place qu’occupe un curriculum dit classique en étant une preuve manifeste. L’éducation des filles du Sud ne remet donc pas en questionle statu quo, mais plutôt le soutient. Pour cette raison, les académies féminines sudistes reçoivent, de façon générale, l’assentiment des classes sociales dominantes. C’est ce qui explique que le Sud affiche un leadership dans la mise sur pied de ces institutions (Farnham, 1994: 28-32).
- 8Sa belle-mère, Rebecca Myers Mordecai, est en fait sa tante, c’est-à-direla demi-sœur de sa mère décédée en 1796.
- 9À la suite du décès de son père, ainsique de sa sœur aînée, en 1838, Ellen sera «sous l’autorité» de son frère Samuel.
- 10Cette famille entretient une correspondance avec une grande diversité de gens; en revanche, ne sera archivée que la correspondance de la famille immédiate. Voir la description de Mordecai Family Papers, Southern Historical Collection, à: http://www.lib.unc.edu/mss/inv/m/Mordecai_Family.html.
- 11EM à [Samuel Mordecai], 17 oct. 1830. Ici, Ellen fait référence à ses deux sœurs cadettes.
- 12EM à [Samuel Mordecai], 13décembre 1845.
- 13EM à Caroline Plunkett, 30 mai 1830.
- 14EM à [Caroline Plunkett], 18 juillet 1832. Voir aussiEM à [Solomon Mordecai], 9 mai 1830.
- 15EM à Caroline Plunkett, 19 septembre 1832. (Souligné dans le texte)
- 16EM à Samuel Mordecai, 26 avril [1845].
- 17Ibid.
- 18EM à Caroline Plunkett, 8août 1830.
- 19EM à Doctor [Solomon] Mordecai, 11 avril 1830.
- 20EM à Samuel Mordecai, 26 avril [1845].
- 21EM à Doctor [Solomon] Mordecai, 7 février 1830.
- 22Cette correspondance est volumineuse et presque constante au fil de ces années (4 à 6 lettres par année). La dernière lettre, en date du 28 août 1858, après un silence de deux ans dont nous ne connaissons pas les motifs, annonce le décès de son frère deux jours auparavant.
- 23Cette institution fut fondée par les Moraviens en 1772 à Winston-Salem, Caroline du Nord. Cette école pour filles acquiert rapidement une réputation dans la région et, en 1802, elle reçoit ses premières pensionnaires. L’académie continue de croître au XIXe siècle, ajoutant des cours de niveau collégial à partir des années 1860.
- 24Toutefois, l’acronyme GRR fait référence au Georgetown Railroad au Texas.
- 25LG à Sallie Lenoir (à partir d’ici identifiée par les initiales SL), 4mars 1846.
- 26LG à SL, 17 octobre 1844 et 4 mars 1846.
- 27Nous ne savons pas si ce sont des besoins financiers qui motivent ce projet. Toutefois, nous savons qu’il était conditionnel à son rétablissement, comme elle l’écrit: «My health is better than usual now and if I continue to improve I know I’ll be able to teach / Ma santé est meilleure que d’habitude en ce moment et si je continue à prendre du mieux, je sais que je serai capable d’enseigner». LG à SL, 1er octobre 1855.
- 28LG à SL, 28 juin 1845.
- 29LG à SL, 23 août 1845.
- 30LG à SL, 4 mars 1846.
- 31LG à SL, 6 juillet 1848.
- 32LG à SL, 4 mars 1846.
- 33LG à SL, 6 juillet 1848.
- 34LG àSL, 19 décembre 1848.
- 35LG à SL, 10 mars, 1856.
- 36LG à SL, 10 mars 1856.
- 37LG à SL, 10 mars 1856.
- 38LG à SL, 31janvier 1856.
- 39LG à SL,31 janvier 1856.
- 40LG à SL, 22 octobre 1846.
- 41LG à SL, 25 octobre 1852.
- 42LG à SL, 3 janvier 1855.
- 43LG àSL, 17 juin, 1850.
- 44LG à SL, 8 septembre 1855.
- 45LG à SL, 4 mars 1846.
- 46LG à SL, 6 juillet 1848.
- 47LGà SL, février 1850. (Souligné dans le texte)
- 48LG à SL, 6 juillet 1848.
- 49LG à SL, 17 juin 1850.
- 50Ibid.
- 51LG à SL, 4 mars 1846.
- 52Pour un exemple similaire d’un célibat qui reflète un choix, voir les lettres de Mary Telfair, célibataire de la haute société de la Géorgie, à Mary Few, célibataire de New York, qui ont étééditées par Betty Wood en 2007, soit après nos propres recherches.
- 53À l’instar de Lizzie Graves et Sallie Lenoir, Mary Telfair et Mary Few craignent qu’un prétendant ne diminue l’intensité de leur relation (Carter, 2006: 103). Quant à la nature de cette relation, Wood révèle que Telfair fait valoir que ses contemporains bavardent (tout comme elle-même d’ailleurs lorsque qu’elle fait référence au «mariage» d’amies) sur des relations entre femmes et sur celles qui les entretiennent. Ses contemporains, voire ses amis, font peut-être la même chose, écrit-elle à Mary Few, au sujet de leur relation (Wood, 2007: xix-xx). D’ailleurs, la plupart des amitiés décrites dans l’ouvrage de Christine Jacobson Carter sont intimes et physiquement démonstratives, tandis qu’une autre était probablement sexuelle. L’historienne remarque que la société sudiste antebellum reconnaissait que les relations entre femmes célibataires pouvaient être intenses et passionnées tout en étant pures spirituellement, mais elle suggère que ce ne sont pas ces relations qui étaient au cœur de l’identité de ces femmes, mais plutôt leur perception d’elles-mêmes en tant que filles, sœurs et tantes (Carter, 2006: 97-98).
- 54Pour une étude récente de la place de ces académies dans l’éducation des filles au Nord comme au Sud,voir Mary Kelley, Learning to Stand and Speak (2006).