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Dents de lait et bedons ronds. Le corps gros présenté aux enfants (2010-2022)

Mathilde Larouche
couverture
Article paru dans Présence de l’album jeunesse au Québec, sous la responsabilité de Geneviève Lafrance (2024)

   

Hansel et Gretel se régalent d’une maison de pain d’épices appartenant à une sorcière anthropophage. Obélix, enfant, tombe dans la potion. Augustus Gloop agonise dans une mer de chocolat fondu, sur la mélodie des Oompa Loompas réjouis. Dudley Dursley se voit affublé d’une queue de cochon, châtié pour avoir englouti le gâteau d’anniversaire de son fameux cousin1Les quatre références sont tirées, respectivement et en ordre d’apparition, des œuvres suivantes: le conte Hansel et Gretel des frères Grimm, la bande-dessinée Astérix de René Goscinny et Albert Uderzo, le roman Charlie et la chocolaterie de Roald Dahl et la série Harry Potter de J.K. Rowling.. Force est de constater que, si la gourmandise est débilitante en littérature jeunesse, elle est toutefois précieuse pour son aspect comique; les personnages gros, premiers perpétrateurs d’épisodes hyperphagiques, semblent irrésistiblement cocasses. La représentation, maintes fois reprise, de l’enfant gros comme glouton et inintelligent, paresseux et poltron (Wedwick: 20) participe à l’établissement d’un discours populaire, partagé et partageable, autour du corps gros:

The portrayal of fat characters in children’s literature, while interacting with other common experiences, helps perpetuate the what Stuart Hall calls «social process: the giving and taking of meanings, and the slow development of “common” meanings – a common culture», which develops into an acceptable prejudice against fat people. (Wedwick: 19, cite Stuart Hall: 612)

Ainsi, lorsque la protagoniste de l’album jeunesse Gloria sort du moule se demande «si être grosse, c’est drôle» (Guay et Bach, 2022: 28), son interrogation convoque un héritage de représentation grossophobe, une série d’aprioris voulant que son corps et ceux qui lui ressemblent n’aient d’estimable que leur disposition à être dégradés.

Cette étude se penchera sur la représentation du corps gros dans l’album jeunesse québécois contemporain. Le corpus primaire sera composé de cinq ouvrages parus au Québec de 2010 à 2022 dont les univers iconotextuels mettent de l’avant un protagoniste-enfant gros: Le bedon tout rond de Brigitte Marleau; Le tragique destin de Pépito de Catherine Lepage, d’après un conte de Pierre Lapointe; Emma n’aime pas les moqueries de Marie-Michèle Ricard et Audrey St-Arneauld; Le joli bedon rond de Marion de Renee Wilkin et Annie Boulanger et Gloria sort du moule de Guylaine Guay et Bach. Ces cinq albums sont au nombre des rares albums québécois à présenter, dans le texte comme dans l’image, des protagonistes-enfants humains habitant un corps gros2Nous avons procédé au repérage et à la sélection d’albums jeunesse québécois qui traitent du corps gros à partir du catalogue de Bibliothèque et Archives nationales du Québec ainsi que de sites spécialisés en littérature jeunesse tel Kaléidoscope (kaleidoscope.quebec, en particulier sa rubrique «Diversité corporelle»). Nous avons utilisé divers mots-clés («obésité», «gros», «grosse», «diversité corporelle», «surpoids», «différence corporelle») afin de repérer les albums catalogués susceptibles d’offrir une représentation de corps gros. Il est possible que ce processus de sélection ait eu pour conséquence d’écarter des albums où un corps gros serait présent dans le texte et/ou dans les illustrations sans pour autant être thématisé. C’est que nous ne souhaitions pas participer à une rhétorique grossophobe en sélectionnant des personnages-enfants qui, selon des critères subjectifs et culturellement conditionnés, nous seraient apparus en situation d’embonpoint sans que cela soit explicité par le texte. Les albums dont les personnages sont des animaux anthropomorphisés ont été exclus du cadre de cette recherche compte tenu des connotations divergentes associées au corps gros au sein du règne animal (la corpulence chez les animaux pouvant être, par exemple, un signe de puissance)..

En nous intéressant à ce corps historiquement invisibilisé, nous faisons nôtre l’objectif formulé par Jana Evans Braziel et Kathleen LeBesco dans leur ouvrage fondateur Bodies Out of Bounds: Fatness and Transgression: «One of our objectives […] is unmasking the fat body, rendering it visible and present, rather than invisible and absent: seen, rather than unsightly.» (Braziel et al.: 1) Les fat studies, un domaine d’étude qui s’intéresse aux discours autour du corps gros et des personnes grosses, éclairent la manière dont les enfants gros sont mis en scène dans la littérature qui leur est en partie adressée et qui se donne à lire comme un reflet de leurs expériences. Dans la mesure où la littérature jeunesse «belongs to the signifying systems that enable the young to take on identities» (O’Sullivan et al.: 7) et où elle fournit, autrement dit, des outils de construction identitaire, l’analyse de son offre de modèles s’impose, que ceux-ci soient familiaux, culturels, relatifs à l’identité de genre ou corporels. Cette contribution vise ainsi à faire se rencontrer les fat studies et l’étude des productions littéraires pour la jeunesse au Québec.

Dans les cinq albums de notre corpus, texte et images coopèrent à la présentation d’un personnage-enfant gros confronté à un discours grossophobe3Selon Le Robert, la grossophobie désigne «l’ensemble des attitudes et des comportements hostiles qui stigmatisent et discriminent les personnes grosses, en surpoids ou obèses» («Grossophobie», Le Robert, https://dictionnaire.lerobert.com/definition/grossophobie [consulté le 16 avril 2023]).. La diégèse de chaque œuvre gravite autour d’un épisode de discrimination vécu par ce personnage. La stigmatisation fait en effet partie de l’expérience du corps gros dans ce corpus: elle influe sur le déroulement des scènes et sur les mouvements physiques et psychologiques des protagonistes. Chaque récit raconte l’évolution d’une grossophobie qui se manifeste d’abord dans un discours extérieur, puis qui est ensuite assimilée, à différentes intensités, par le ou la protagoniste. Ce fil narratif commun aux cinq albums sera analysé en trois temps: la présentation du personnage principal, la scène d’intimidation de celui-ci et la tentative de réconciliation qui s’ensuit.

Figure 1: Pages couverture de cinq albums jeunesse: Le bedon tout rond de Brigitte Marleau (2010); Emma n’aime pas les moqueries de Marie-Michèle Ricard et Audrey St-Arneauld (2019); Gloria sort du moule de Guylaine Guay et Bach (2022); Le joli bedon rond de Marion de Renee Wilkin et Annie Boulanger (2022) et Le tragique destin de Pépito de Catherine Lepage (2016).

Les albums étudiés, dès leur page de couverture, insistent sur les caractéristiques physiques de leur personnage principal. Le héros ou l’héroïne du récit figure sur tous les albums retenus au moyen d’un portrait (figure 1). Les couvertures du Joli bedon rond de Marion et de Gloria sort du moule suggèrent un rapport positif au corps: les fillettes tout sourire et les titres laissent à entendre que «sort[ir] du moule» est une perspective réjouissante et qu’un bedon rond peut être qualifié de «joli». Au contraire, tant au niveau visuel que textuel, l’entrée dans l’univers du Bedon tout rond, d’Emma n’aime pas les moqueries et du Tragique destin de Pépito laisse présager la discrimination que subiront les personnages et ses effets dévastateurs. Les couvertures du Bedon tout rond et d’Emma n’aime pas les moqueries reproduisent la scène d’intimidation (les visages des jeunes filles sont attristés), alors que Le tragique destin de Pépito annonce dès le titre la déchéance certaine de son protagoniste. Marion et Gloria sont par ailleurs accompagnées d’accessoires qui insufflent aux fillettes une personnalité qui leur est propre: Marion tient dans ses mains une serviette de piscine et une paire de lunettes d’eau, signes visuels de sa passion pour le plongeon, et Gloria porte un boa à plumes et des lunettes en forme d’étoiles qui témoignent de sa vision joyeuse et ludique de la vie.

Figure 2: RICARD, Marie-Michèle et Audrey St-Arneauld. 2019. Emma n’aime pas les moqueries. Prévenir la stigmatisation liée à l’apparence chez les enfants. Québec: Midi Trente, coll. «Grandir».

À l’instar des pages de couverture et des titres, les ouvertures diégétiques des cinq albums présentent au lectorat le personnage principal d’enfant gros. Dans ces ouvertures, le ou la protagoniste entretient une relation somme toute positive au monde qui l’entoure. Son corps est un instrument de mouvement et de plaisir. Dans Le tragique destin de Pépito et Emma n’aime pas les moqueries, Pépito et Emma doivent s’adapter à une nouvelle école. L’intégration se fait, de prime abord, «pas si mal» (Lepage: s.p.). Emma arrive même à avoir du plaisir dans son cours d’éducation physique, à l’occasion duquel elle danse et saute librement (Ricard et St-Arneauld: 8, figure 2). Cette esthétique du corps en mouvement se remarque aussi dans Le joli bedon rond de Marion, où la présentation du personnage est basée sur sa passion pour le plongeon, un sport pour lequel elle semble destinée: «Elle nage très bien, flotte à merveille, et semble ne jamais s’essouffler.» Sa posture droite et fière lorsqu’elle se tient devant la piscine et devant sa classe (Wilkin et Boulanger: s.p., figure 3), témoigne de la confiance en soi initiale de Marion, dont le corps est l’instrument grâce auquel elle peut espérer atteindre ses buts. L’ouverture de Gloria sort du moule prend la forme d’une série de listes: les choses que Gloria aime, les choses qu’elle n’aime pas, ce qui la fait rire, ce qui la fait sourire, autant d’éléments qui la définissent comme une jeune fille «sourieuse», prénommée «Gloria la joyeuse». (8, 11) Dans les cinq incipit, le corps est soit ignoré par la narration, soit mentionné de manière positive, comme un outil de dépassement et un moteur de plaisir.

Figure 3: WILKIN, Renee et Annie Boulanger. 2022. Le joli bedon rond de Marion. Montréal: Boomerang.

Le rôle qui se trouve ainsi confié initialement au personnage-enfant gros, celui d’un héros joyeux et dynamique, contrevient à l’historique de représentation du corps gros en littérature jeunesse: «[…] as a rule they [les personnages gros] are subsidiary characters depicted in a negative and stereotypical way, usually used to ridicule, offer comic relief or caution within a health discourse where fatness is connected to different kinds of moral failures.» (Warnqvist et al.: 8) Les jeunes filles grosses sont généralement représentées comme lâches, paresseuses, obsédées par la nourriture, insécures et solitaires. (Wedwick: 20) À l’opposé de ces stéréotypes, Gloria, Emma et Marion existent et bougent dans un monde avec lequel elles entretiennent des liens étroits. Elles font partie d’une famille, tissent des amitiés, font parfois même preuve de «courage», un mot souligné par des lettres grasses lorsqu’il apparaît dans Le joli bedon rond de Marion. En refusant de se conformer aux aprioris concernant le corps gros, les albums montrent ce qui rend chaque personnage unique, mais aussi ce qui lui permet de s’identifier plus largement à une communauté d’enfants. Par ricochet, la reconnaissance des jeunes lecteurs dans le protagoniste s’en trouvera facilitée.

Empruntant la voix de Gloria, l’instance narratrice de Gloria sort du moule pose d’ailleurs une question au lectorat, lui donnant l’occasion de prendre la parole: «Vive la danse! Toi, tu aimes danser?» (13) Cette adresse invite les enfants à s’identifier à Gloria, à reconnaître chez elle des aspirations partagées4Rappelons avec Paul Ricœur que les personnages littéraires peuvent permettre une série d’«identifications-à des valeurs, des normes, des idéaux, des modèles, des héros» susceptibles de participer au développement identitaire du lectorat (Ricœur: 146, l’auteur souligne).. Par le fait même, le personnage pourra devenir pour le jeune lectorat un double de papier, à travers lequel l’enfant vivra l’expérience des violences subies par les personnes grosses. En optant pour une présentation immédiate et positive de leur protagoniste, les créatrices des albums s’assurent de rejoindre un lectorat varié, composé d’enfants n’ayant pas nécessairement un corps similaire à celui du protagoniste.

Figure 4: GUAY, Guylaine et Bach. 2022. Gloria sort du moule. Montréal: La Bagnole.

La diégèse des cinq albums relate par la suite une scène d’intimidation, moment charnière de la confrontation au discours grossophobe. Le corps gros se manifeste au lectorat comme une injure et une condamnation. Dans quatre des cinq albums, l’insulte est reproduite à l’aide du discours direct, entre guillemets, les paroles violentes d’un autre personnage faisant irruption dans une narration jusque là vouée à traduire la perspective et la voix du protagoniste. L’insulte portée contre le corps du personnage-enfant gros s’accompagne systématiquement d’un rire: «Ha! Ha! Ton ventre tremble quand tu danses! Et quand tu sautes, je le vois bouger de haut en bas! Ce n’est pas très beau! Je pense que tu ne devrais pas faire l’activité!» (Ricard et St-Arneauld: 9) Le corps gros, «with its soft, loose, excessive flesh»  (Stukator: 199), résiste à la norme, à l’idéal de minceur intériorisé dès l’enfance. Le rire de l’intimidateur s’impose alors comme «inherently conservative» (Stukator: 199) en ce qu’il tente de ramener la jeune fille à cet idéal ou, à tout le moins, de dénoncer sa non-adhésion à celui-ci, c’est-à-dire son atypisme. Alors que Milène, la protagoniste du Bedon tout rond, et Marion affirment avoir été victimes d’intimidation auparavant, Gloria s’interroge quant au rire que provoque son corps: «J’ai le même corps qu’hier ou avant-hier. Pourquoi aujourd’hui je suis grosse? C’est mal d’être grosse et je ne le savais pas?» (Guay et Bach, 2022: 19) Les marques d’interrogation autour de sa tête et sa façon de tenir son ventre en réaction à cette remarque (19, figure 4) laissent présager une remise en cause de son monde et de la place qu’elle occupe dans celui-ci.

Figure 5: LEPAGE, Catherine, d’après un conte de Pierre Lapointe. 2016. Le tragique destin de Pépito. Montréal: Comme des géants.

Lorsque l’intimidateur de Marion se dit étonné «qu’elle n’ait pas mangé tous les beignes sur sa serviette!» (Wilkin et Boulanger: s.p.), il convoque le stéréotype évoqué plus tôt des personnes grosses comme étant forcément gloutonnes5L’album jeunesse Les enfants à colorier, écrit par Simon Boulerice et illustré par Paule Thibault, présente une série de portraits d’enfants uniques et «atypiques». L’album contient une représentation d’un jeune garçon nommé Anas qui «adore le chocolat» malgré la tendance de celui-ci à faire «grossir [s]on tour de taille!». (12) Le portrait qui accompagne le texte présente Anas, une tartine au chocolat dans une main, les doigts de l’autre dans la bouche, devant un arrière-plan où sont disposés des pots de miel, des ananas et des éclats de chocolat fondu. Alors que les cinq albums du corpus étudié ici réfutent le lien entre le corps gros et la gloutonnerie, Les enfants à colorier donne à lire et à voir un personnage qui assume sa gourmandise avec confiance et humour: «Pour faire rire mes amis, je leur dis que je suis léger comme une plume très, très grosse. Une plume trempée dans le Nutella!» (12). Elles seraient comiques en raison de leur incapacité à contrôler leur appétit et, plus généralement, à se maîtriser elles-mêmes. L’objet précis de la discrimination est le ventre, le «bedon» pointé du doigt par l’intimidateur et visé par ses paroles blessantes. Pour Milène, la violence verbale s’accompagne de coups physiques, assénés eux aussi en direction du ventre. (Marleau: 4) Dans Le tragique destin de Pépito, les illustrations de Catherine Lepage situent la rondeur du personnage uniquement au niveau du ventre; ses jambes et ses bras sont minces en comparaison. (s.p., figure 5) Cette forme particulière de corps, jointe aux écailles sur son ventre, isole visuellement le personnage du reste des enfants de son école, tandis que les insultes grossophobes proférées à son égard cimentent son exclusion. Le ventre est le lieu précis de la condamnation. Le discours grossophobe intégré par les personnages prendra racine en eux, l’hostilité dont ils sont victimes étant apte à les fracturer de l’intérieur.

Figure 6: RICARD, Marie-Michèle et Audrey St-Arneauld. 2019. Emma n’aime pas les moqueries. Prévenir la stigmatisation liée à l’apparence chez les enfants. Québec: Midi Trente, coll. «Grandir».

La fracture identitaire causée par la violence de la grossophobie peut se lire en filiation avec une idée formulée par Le’a Kent: le sous-texte, résolument tenace, de la grossophobie consiste en la croyance que «the self is never fat». (135) Le corps gros et l’identité seraient irréconciliables, le premier étant «that which must be cast aside for the self to truly come into being». (Kent: 135) Chaque corps gros en contiendrait un second, mince, qu’il faudrait atteindre par réduction, voire par effacement, afin de se réaliser sur le plan identitaire. Dans Emma n’aime pas les moqueries, la protagoniste exprime comme suit le sentiment d’une scission entre son corps et son identité causé par l’intériorisation du discours grossophobe: «Je suis trop grosse pour jouer. Je suis trop grosse pour faire partie d’une équipe. Je suis trop grosse pour avoir des amis. […] Je ne suis pas Emma. Je ne suis pas une amie gentille. Je suis…trop grosse. C’est ce que je suis.» (15) En plus d’être répétée à de nombreuses reprises, la phrase «je suis trop grosse» est graphiquement accentuée par un changement de typographie. Ces mots dévastateurs prennent une place grandissante dans l’espace de la page à mesure qu’ils envahissent l’esprit d’Emma. (Ricard et St-Arneauld: 24, figure 6) En affirmant qu’elle ne peut pas être elle-même en raison de son corps, la jeune fille rend explicite l’incompatibilité supposée de la corpulence et de l’identité; elle attire l’attention sur la difficulté de vivre pleinement pour qui habite un corps gros.

Figure 7: LEPAGE, Catherine, d’après un conte de Pierre Lapointe. 2016. Le tragique destin de Pépito. Montréal: Comme des géants.

La persécution subie par les personnages-enfants gros crée en eux le sentiment d’être étranger à soi. La voix narrative du Tragique destin de Pépito souligne la division identitaire ressentie par Pépito après qu’il a échappé pour une énième fois à ses intimidateurs: «Pépito était déchiré.» (s.p.) Dans cette fable imaginée par Pierre Lapointe et Catherine Lepage, Pépito est en fait un enfant de papier, un petit garçon qui doit éviter l’activité physique à tout prix, en particulier la nage, et qui cache sa vraie nature. Il est un garçon piñata, rempli de bonbons et à la peau immensément fragile, car conçue pour être fracassée. Son enveloppe corporelle délicate rend manifeste son identité fragile, tout aussi friable que son corps, et annonce le déchirement que causera l’intimidation dont il sera victime. Forcé à intégrer une nouvelle école, Pépito tentera de tisser des liens d’amitié en donnant de ses bonbons à une jeune fille de sa classe. Ce faisant, c’est à une partie de lui-même, de son propre corps, qu’il renoncera. Dans une scène comparable à un épisode de boulimie, Pépito, après s’être nourri de sachets de sucre, insère ses doigts dans sa bouche, d’où ressort une collection de friandises (figure 7). Sur la page de gauche, son visage attristé, provoqué par son reflet dans le miroir, contraste avec le sourire qu’il arbore sur la belle page, une fois fait le geste qui (tout dommageable soit-il) le soulagera temporairement de sa solitude.

Figure 8: WILKIN, Renee et Annie Boulanger. 2022. Le joli bedon rond de Marion. Montréal: Boomerang.

Figure 9: MARLEAU, Brigitte. 2010. Le bedon tout rond. Montréal: Boomerang, coll. «Au cœur des différences».

Pour Milène et Marion, l’intériorisation du discours grossophobe prend plutôt la forme d’un refus de manger. Lorsque Marion revient de l’école le jour où elle a été intimidée, son rejet de toute nourriture informe sa mère de sa disposition émotionnelle. Il sonne l’alerte: «Au souper, maman remarque que Marion mange très peu et qu’elle refuse même un bol de son yogourt au citron préféré pour dessert. Sans compter qu’elle a prétendu ne pas avoir faim pour une collation au retour de la piscine.» (Wilkin et boulanger: s.p., figure 8) Cette scène se retrouve presque à l’identique dans Le bedon tout rond (figure 9). La douleur provoquée par la grossophobie incite les deux jeunes filles à devenir hostiles à l’égard de leur enveloppe corporelle, qui a été l’objet d’injures. Le discours grossophobe, qui attaquait spécifiquement le ventre, a été assimilé: les protagonistes refusent de se nourrir. Comme l’observent Dina Giovanelli et Stephen Ostertag, le développement de troubles alimentaires est étroitement lié aux pressions exercées par l’idéal du corps mince:

[…] dangerous health behaviors often reflect cosmetic concerns like body image and are grounded on assumptions and expectations of being judged by others. Females who stray will be stigmatized, scorned, and constantly pressured and coerced to adhere to specific body expectations. For many women, achieving such body expectations requires exercising extreme control over their emotional, psychological, and physical self.  (Giovanelli et Ostertag, 294-295)

Il en va ainsi de Milène et de Marion, qui étouffent en elles-mêmes les signaux de la faim afin d’éviter de creuser davantage l’écart entre leur corps réel et le corps idéal que la société leur impose. L’histoire de Pépito, seul protagoniste masculin de notre corpus, rappelle par ailleurs que le fardeau accablant du culte de la minceur n’est pas l’apanage du genre féminin6Le Grand Antonio d’Élise Gravel offre une autre représentation d’un protagoniste masculin gros. Dans cet album inspiré de la vie de l’homme fort Antonio Barichievich, la corpulence du personnage est cependant associée positivement à sa force exceptionnelle. Même enfant, son poids et sa taille impressionnante (mentionnés à répétition dans l’album) sont représentés comme des signes d’un destin remarquable. Le corps gros est, dans ce cas précis, un vecteur de succès..

Figure 10: LEPAGE, Catherine, d’après un conte de Pierre Lapointe. 2016. Le tragique destin de Pépito. Montréal: Comme des géants.

Dans l’ensemble des œuvres de notre corpus, la grossophobie ébranle, ou du moins remet en question, le lien non seulement entre le corps gros et l’identité individuelle, mais aussi entre le corps gros et le corps social. Le discours grossophobe s’immisce entre les personnages-enfants gros et le monde extérieur; il gruge le tissu social et isole les protagonistes de la collectivité. Textes et illustrations traduisent le sentiment d’isolement de chaque personnage principal à la suite de l’épisode d’intimidation. Dans Emma n’aime pas les moqueries, la jeune fille concrétise son sentiment d’exclusion en s’écartant physiquement des autres: «C’est l’heure de la récréation, mais Emma ne veut pas y aller. Elle n’a pas envie de jouer. Elle préférerait rester seule mais, comme c’est la règle, elle sort dehors et va se réfugier dans un coin retiré de la cour.» (11) La recherche d’un refuge, d’un lieu éloigné des autres enfants et susceptible d’agir comme un baume en apaisant la douleur, nourrit également la trame narrative du Tragique destin de Pépito. Pour le jeune garçon, ce refuge est un petit banc parmi les arbres, face au ruisseau: «Pépito se sentait bien, seul. La nature apaisait ses inquiétudes.» (figure 10) Le mot «seul», accentué par la ponctuation (qui invite à faire une pause), isolé par rapport à ce qui le précède et à ce qui le suit, dit à la fois le sentiment d’exclusion de Pépito et son apaisement momentané, traduit par le souffle même du texte. Le refuge n’a cependant pas besoin d’être un lieu reculé du monde; il peut se construire à même le corps du personnage. Alors qu’elle adoptait auparavant une posture droite et fière devant sa classe (figure 3), Marion s’empresse, à la suite des propos violents adressés à son égard, de couvrir son corps de sa serviette de piscine, seule parmi les enfants à ne plus arborer son costume de bain (figure 11). Les illustrations d’Annie Boulanger donnent à voir les barrières, symbolisées par la serviette de plage, qu’érige la grossophobie entre les personnes grosses et le monde.

Figure 11: WILKIN, Renee et Annie Boulanger. 2022. Le joli bedon rond de Marion. Montréal: Boomerang.

Dans Gloria sort du moule, Guylaine Guay et Bach exposent aussi les difficultés d’appartenance d’un personnage-enfant gros à lui-même et à la collectivité, mais l’ostracisme, cette fois, conduit rapidement la jeune protagoniste à former de nouveaux liens. Sans être insensible au discours grossophobe (le tourbillon noir au-dessus de sa tête, lorsqu’elle est l’objet de moqueries, signale son inconfort [25, figure 12]), Gloria considère néanmoins les propos moqueurs de son entourage davantage comme un «mystère» (27) à résoudre que comme une réelle atteinte à sa personne. Elle part donc en quête de réponses chez Églantine, une femme du quartier qui habite une maison dont Gloria n’avait jamais remarqué la présence, une demeure «vraiment pas comme les autres maisons de la rue». (26) La maison d’Églantine semble en effet être apparue par magie. Un petit monde en soi, couvert de nature verdoyante, aux odeurs de poussière et de vanille, apparait soudainement aux yeux de la jeune fille ébahie. (33) Le discours grossophobe incite Gloria à quitter son monde et ses repères. L’univers merveilleux qu’elle découvre à travers la figure d’Églantine, une femme vivant, elle aussi, à l’écart du monde, apportera des réponses à ses questions; l’héroïne y trouvera une nouvelle histoire à propager, socle d’une réconciliation possible (nous y reviendrons).

Figure 12: GUAY, Guylaine et Bach. 2022. Gloria sort du moule. Montréal: La Bagnole.

Après la présentation du personnage principal et la mise en scène de sa stigmatisation et des effets de celle-ci, Le bedon tout rond, Emma n’aime pas les moqueries, Le joli bedon rond de Marion et Gloria sort du moule relatent la guérison de la protagoniste et le rétablissement de son lien au monde. La réconciliation, tout comme la violence d’ailleurs, passe par la parole. Les albums montrent que le contact avec l’autre n’est pas seulement porteur d’abus, mais qu’il peut aussi devenir la fondation d’une reconstruction identitaire. En se confiant à une figure en laquelle elles ont confiance – un parent, une amie ou une «spécialiste» (Guay et Bach, 2022: 24) –, les protagonistes se libèrent d’une partie du fardeau de la discrimination et se soustraient à l’aphasie qu’elle peut provoquer. Ce moment de partage par la parole est parfois accompagné d’un contact physique: la jeune fille est enlacée (Ricard et St-Arneauld: 22, figure 13); des amies se tiennent la main (Wilkin et Boulanger: s.p., figure 14). Milène, quant à elle, exprime sa tristesse par mégarde, les mots s’échappant de sa bouche de façon involontaire: «Qu’est-ce qui n’est pas juste ? demande maman. Zut! J’ai parlé à voix haute! […] – Ce n’est pas juste d’être aussi grosse.» (7) Les souffrances et les inquiétudes créées par l’exposition au discours grossophobe demandent à être libérées par la parole.

Figure 13: RICARD, Marie-Michèle et Audrey St-Arneauld. 2019. Emma n’aime pas les moqueries. Prévenir la stigmatisation liée à l’apparence chez les enfants. Québec: Midi Trente, coll. «Grandir».

Figure 14: WILKIN, Renee et Annie Boulanger. 2022. Le joli bedon rond de Marion. Montréal: Boomerang.

La guérison nécessite de plus une oreille tendue vers de nouveaux récits. Tous les albums de notre corpus, à l’exception du Tragique destin de Pépito, offrent une réécriture de l’histoire du corps gros et mettent en scène la possibilité d’un monde inclusif. Grâce à des procédés graphiques et textuels, Le joli bedon rond de Marion met en valeur la diversité corporelle dans une page où l’illustration, disposée au-dessus des paroles rassurantes de la mère, fait cohabiter de «petits carrés, des trapèzes, des cœurs, des ovales et toutes sortes de combinaisons!» (Wilkin et Boulanger: s.p., figure 15) Emma «écoute attentivement ce que raconte maman» sur le lien entre l’identité et le corps, qui fait «partie de qui nous sommes» sans toutefois être entièrement constitutif de notre identité. (Ricard et St-Arneauld: 23) Dans Gloria sort du moule, Églantine réinvente pour Gloria l’histoire de l’humanité et résout, ce faisant, le mystère de la différence corporelle: au tout début des temps, des géants auraient créé mille trois cent quarante-quatre moules «pour créer des humains de toutes les formes et de tous les formats. Des grands, des gros, des petits, des minces, des musclés.» (39) Lorsqu’elle retourne à l’école le jour suivant, Gloria s’empresse de raconter à son intimidateur Rodrigue le récit des moules à humains. Son passage hors du monde, dans le petit univers merveilleux d’Églantine, lui a permis d’acquérir un nouveau discours sur l’unicité et sur la valeur de chaque corps, qu’elle prend soin de diffuser à son tour. La réconciliation entre le corps gros et l’identité se fait donc au moyen de la parole et de l’écoute7Rappelons à ce propos que la littérature d’enfance est une «écriture pour l’oreille» (Nières-Chevrel: 8), puisque le premier contact avec celle-ci passe le plus souvent par la voix d’un adulte faisant la lecture à l’enfant. La diégèse des albums étudiés renvoie donc à la situation du jeune lectorat lui-même, qui, à l’instar des personnages dont l’histoire est contée, se trouve dans une position d’écoute et d’assimilation d’un récit sur l’acceptation de la différence., le discours grossophobe laissant place à un éloge de la diversité et de l’inclusion.

Figure 15: WILKIN, Renee et Annie Boulanger. 2022. Le joli bedon rond de Marion. Montréal: Boomerang.

Les discours alternatifs auxquels les jeunes héroïnes sont exposées participent à la reconstruction identitaire de celles-ci en s’opposant au «mind-body split» (Kent: 137) qui est au cœur du message grossophobe. Le joli bedon rond de Marion va cependant plus loin: l’album témoigne d’une esthétique de la «counterabjection» (Kent: 141) en s’appropriant le discours grossophobe afin de le détourner et de le tourner en ridicule. Les dernières scènes de la diégèse illustrent le retour de Marion à la piscine de son école, à nouveau confiante en ses capacités et déterminée à sauter du plus haut plongeoir. Lorsqu’elle prend place sur le tremplin, les bras étirés de part et d’autre de son tronc, libre d’occuper toute la place sur le plongeoir et sur la page, elle porte un costume de bain avec une baleine imprimée sur son dos et un grand soleil jaune sur son ventre. (Wilkin et Boulanger: s.p., figure 16) Avec ce geste, Marion récupère l’insulte d’une comparaison au corps d’une baleine et la tourne à son avantage: «Je suis intelligente, comme les baleines! clame haut et fort Marion». Le corps gros se transforme d’objet à sujet, de passif à actif, en devenant le lieu précis où «the narrative of abjection is replaced by a narrative of attack.» (Kent: 142) Le titre Le joli bedon rond de Marion participe également à cette esthétique de la counterabjection, l’adjectif «joli» se voyant confié le même rôle que le soleil affiché sur le bedon de la fillette à la toute fin du récit.

Figure 16: WILKIN, Renee et Annie Boulanger. 2022. Le joli bedon rond de Marion. Montréal: Boomerang.

La résolution du Tragique destin de Pépito imaginée par Catherine Lepage et Pierre Lapointe constitue un cas à part dans les cinq albums du corpus. En effet, s’il comporte les deux mêmes premières séquences que les autres, celles de la présentation du personnage et de l’intimidation, Le tragique destin de Pépito est dépourvu d’un épisode de guérison. La fracture est au contraire poussée à son paroxysme: les intimidateurs de Pépito l’accrochent à un arbre et fracassent le garçon, qui se scinde en deux et se vide de ses bonbons (figure 17). La finale révèle l’identité réelle du personnage, celle d’un garçon piñata fragilisé par la brutalité du monde. Les écailles sur son ventre sont rappelées par la couleur et par l’ondulation des vagues qui l’engloutissent et qui l’assimilent aux poissons de la rivière (figure 18). L’ultime sourire de Pépito suggère l’idée d’une délivrance au moment où il se laisse emporter par les flots.

Figure 17: LEPAGE, Catherine, d’après un conte de Pierre Lapointe. 2016. Le tragique destin de Pépito. Montréal: Comme des géants.

Figure 18: LEPAGE, Catherine, d’après un conte de Pierre Lapointe. 2016. Le tragique destin de Pépito. Montréal: Comme des géants.

La longueur du livre (quatre-vingt-douze pages) et cette finale tragique, annoncée dès le départ par le titre, motivent certaines institutions à le catégoriser comme un premier roman graphique, voire comme un roman pour adolescents8Les différentes bibliothèques de Montréal classent Le tragique destin de Pépito parmi les albums jeunesse, les premiers romans, les bandes-dessinées et les romans pour adolescents. Voir https://nelligandecouverte.ville.montreal.qc.ca [consulté le 18 avril 2023].. La maison d’édition Comme des géants en recommande la lecture aux enfants âgés de douze ans et plus9https://www.commedesgeants.com/product-page/le-tragique-destin-de-pépito [consulté le 18 avril 2023]. et Bibliothèque et Archives nationales du Québec le classe parmi les «textes illustrés10https://capjeunes.banq.qc.ca [consulté le 18 avril 2023].». De toute évidence, l’album jeunesse s’accorde difficilement avec une finale qui laisse le lectorat sur un sentiment de peine et de perte. La conclusion du Tragique destin de Pépito est néanmoins révélatrice des conséquences dramatiques qu’est susceptible d’entraîner l’intimidation des enfants gros : faible estime de soi, anxiété, dépression, etc.11Au nombre des maux que sont susceptibles de développer les enfants victimes d’intimidation, Jacqueline Weinstock et Michelle Krehbiel mentionnent «[a] lower self-esteem; increased risk for depression, loneliness, anxiety, and behavior problems». (Weinstock et al.: 121) Le style épuré des illustrations de Catherine Lepage, qui n’utilise que trois couleurs (noir, bleu et rouge) et qui opte pour un trait de crayon simple, voire enfantin, contraste avec la brutalité des scènes relatées. Alors même que la stigmatisation subie par Pépito est émotionnellement envahissante, Catherine Lepage se fait économe sur la page blanche, laissant ainsi de l’espace à l’interprétation et à l’imagination du lectorat.

Les cinq albums jeunesse sur lesquels nous nous sommes penchée mettent en scène la scission entre le corps et l’identité chez les personnes grosses. Textes et images présentent un personnage d’enfant gros d’une manière propre à favoriser l’identification du lectorat à celui-ci, puis le confrontent à un discours grossophobe; dans la plupart des cas, le dénouement montre une réconciliation possible entre le corps gros et l’identité individuelle, ainsi qu’entre le corps gros et le corps social. Gloria sort du moule insiste ainsi sur la possibilité d’habiter un corps gros tout en faisant l’expérience d’une pleine existence: «Je vais danser, nager, rire avec mes amis, saluer ma voisine Pétunia chaque jour, manger la délicieuse lasagne de ma mère […] et être grosse comme des millions de personnes l’ont été avant moi.» (47) Bien que la majorité de ces œuvres se concluent sur l’image joyeuse d’un personnage en paix avec son fameux «bedon rond», le corps gros y demeure un corps victimisé; il existe, à un moment ou à un autre, dans la souffrance. La parution d’une suite à Gloria sort du moule, intitulée Gloria sème la joie, ouvre la voie à une représentation plus diversifiée des personnes grosses dans les albums jeunesse québécois. Dans une adresse au lectorat, l’autrice met l’accent sur l’importance de varier les représentations de corps gros en littérature d’enfance et de jeunesse: «Moi, Guylaine, autrice, j’aurais aimé lire ce livre quand j’étais enfant. Petite et grosse. Mais pas que. Persévérante, créatrice et libre aussi.» (Guay et Bach, 2023: 3). Dans cette nouvelle aventure imaginée par Guylaine Guay et Bach, le physique de Gloria n’est mentionné qu’à l’occasion de cette adresse et dans l’incipit : « En fait, j’adore tout de moi. Mes cheveux blonds comme le soleil. Mon corps rond comme une pomme. Mes joues roses et ma flexibilité. » (5) Par la suite, le corps gros demeure présent dans les illustrations, mais ce sont les qualités de Gloria, sa détermination, sa générosité et sa force de caractère, qui portent le récit. En ce sens, Gloria sème la joie s’éloigne considérablement des cinq albums étudiés ici, qui font du corps gros «the very precondition for the plot and its development» (Warnqvist et Osterlund: 12), c’est-à-dire ce sans quoi il n’y aurait pas d’histoire à raconter. Gloria sème la joie ouvre ainsi la voie à une représentation davantage positive d’enfants aux bedons ronds.

         

Bibliographie

Corpus primaire

GUAY, Guylaine et Bach. 2022. Gloria sort du moule.  Montréal: La Bagnole, 50p.

LEPAGE, Catherine, d’après un conte de Pierre Lapointe. 2016. Le tragique destin de Pépito. Montréal: Comme des géants, 92p.

MARLEAU, Brigitte. 2010. Le bedon tout rond. Montréal: Boomerang, coll. «Au cœur des différences», 24p.

RICARD, Marie-Michèle et Audrey St-Arneauld. 2019. Emma n’aime pas les moqueries. Prévenir la stigmatisation liée à l’apparence chez les enfants. Québec: Midi Trente, coll. «Grandir», 40p.

WILKIN, Renee et Annie Boulanger. 2022. Le joli bedon rond de Marion. Montréal: Boomerang, 32p.

Corpus secondaire

BOULERICE, Simon et Paule Thibault. 2020. Les enfants à colorier. Montréal: Fonfon, 32p.

GRAVEL, Élise. 2014. Le Grand Antonio. Montréal: La Pastèque, 56p.

GUAY, Guylaine et Bach. 2023. Gloria sème la joie. Montréal: La Bagnole, 48p.

Corpus critique

BRAZIEL, Jana Evans et Kathleen LeBesco. 2001. «Editor’s Introduction.» In Jana Evans Braziel et Kathleen LeBesco (dir.) Bodies Out of Bounds: Fatness and Transgression. Berkeley: University of California Press, p.1-18.

GIOVANELLI, Dina et Stephen Ostertag. 2009. «Controlling the Body: Representations, Body Size, and Self-Discipline.» In Esther Rothblum et Sondra Solovay (dir.) The Fat Studies Reader. New York: New York University Press, p.289-296.

HALL, Stuart. 1994. «Cultural Studies: Two Paradigms.» In Robert Con Davis et Ronald Schleifer (dir.) Contemporary Literary Criticism: Literary and Cultural Studies. New York: Longman, p.609-625.

KENT, Le’a. 2001. «Fighting Abjection: Representing Fat Women.» In Jana Evans Braziel et Kathleen LeBesco (dir.) Bodies Out of Bounds: Fatness and Transgression. Berkeley: University of California Press, p.130-152.

NIÈRES-CHEVREL, Isabelle. 2011. «La littérature d’enfance et de jeunesse entre la voix, l’image et l’écrit» SFLGC. En ligne.  https://sflgc.org/bibliotheque/nieres-chevrel-isabelle-la-litterature-denfance-et-de-jeunesse-entre-la-voix-limage-et-lecrit/

O’SULLIVAN, Emer et Andrea Immel. 2017. «An introduction.» In Emer O’Sullivan et Andrea Immel (dir.) Imagining Sameness and Difference in Children’s Literature: From the Enlightenment to the Present Day. Londres: Palgrave Macmillan, p.1-25.

RICŒUR, Paul. 1990. Soi-même comme un autre. Paris: Le Seuil, 424p.

STUKATOR, Angela. 2001. «“It’s not over until the fat lady sings”. Comedy, the Carnivalesque, and Body Politics.» In Jana Evans Braziel et Kathleen LeBesco (dir.) Bodies Out of Bounds: Fatness and Transgression. Berkeley: University of California Press, p.197-213.

WARNQVIST, Asa et Mia Osterlund. 2021. «Depicting Fatness in Picturebooks: Fat Temporality in Malin Kivela’s and Linda Bondestam’s Den ofantlinga Rosabel and Anete Melece’s Kiosks.» Journal of Gender and Feminist Studies. Vol. 30, no 16, p.7-28.

WEDWICK, Linda. 1998. «“The Last Accepted Prejudice: Fat Characters in Children’s Series Fiction.» Studies in Popular Culture. Vol. 20, no 3, p.19-31.

WEINSTOCK, Jacqueline et Michelle Krehbiel. 2009. «Fat Youth as Common Targets for Bullying.» In Esther Rothblum et Sondra Solovay (dir.) The Fat Studies Reader. New York: NYU Press, p.120-126.

  • 1
    Les quatre références sont tirées, respectivement et en ordre d’apparition, des œuvres suivantes: le conte Hansel et Gretel des frères Grimm, la bande-dessinée Astérix de René Goscinny et Albert Uderzo, le roman Charlie et la chocolaterie de Roald Dahl et la série Harry Potter de J.K. Rowling.
  • 2
    Nous avons procédé au repérage et à la sélection d’albums jeunesse québécois qui traitent du corps gros à partir du catalogue de Bibliothèque et Archives nationales du Québec ainsi que de sites spécialisés en littérature jeunesse tel Kaléidoscope (kaleidoscope.quebec, en particulier sa rubrique «Diversité corporelle»). Nous avons utilisé divers mots-clés («obésité», «gros», «grosse», «diversité corporelle», «surpoids», «différence corporelle») afin de repérer les albums catalogués susceptibles d’offrir une représentation de corps gros. Il est possible que ce processus de sélection ait eu pour conséquence d’écarter des albums où un corps gros serait présent dans le texte et/ou dans les illustrations sans pour autant être thématisé. C’est que nous ne souhaitions pas participer à une rhétorique grossophobe en sélectionnant des personnages-enfants qui, selon des critères subjectifs et culturellement conditionnés, nous seraient apparus en situation d’embonpoint sans que cela soit explicité par le texte. Les albums dont les personnages sont des animaux anthropomorphisés ont été exclus du cadre de cette recherche compte tenu des connotations divergentes associées au corps gros au sein du règne animal (la corpulence chez les animaux pouvant être, par exemple, un signe de puissance).
  • 3
    Selon Le Robert, la grossophobie désigne «l’ensemble des attitudes et des comportements hostiles qui stigmatisent et discriminent les personnes grosses, en surpoids ou obèses» («Grossophobie», Le Robert, https://dictionnaire.lerobert.com/definition/grossophobie [consulté le 16 avril 2023]).
  • 4
    Rappelons avec Paul Ricœur que les personnages littéraires peuvent permettre une série d’«identifications-à des valeurs, des normes, des idéaux, des modèles, des héros» susceptibles de participer au développement identitaire du lectorat (Ricœur: 146, l’auteur souligne).
  • 5
    L’album jeunesse Les enfants à colorier, écrit par Simon Boulerice et illustré par Paule Thibault, présente une série de portraits d’enfants uniques et «atypiques». L’album contient une représentation d’un jeune garçon nommé Anas qui «adore le chocolat» malgré la tendance de celui-ci à faire «grossir [s]on tour de taille!». (12) Le portrait qui accompagne le texte présente Anas, une tartine au chocolat dans une main, les doigts de l’autre dans la bouche, devant un arrière-plan où sont disposés des pots de miel, des ananas et des éclats de chocolat fondu. Alors que les cinq albums du corpus étudié ici réfutent le lien entre le corps gros et la gloutonnerie, Les enfants à colorier donne à lire et à voir un personnage qui assume sa gourmandise avec confiance et humour: «Pour faire rire mes amis, je leur dis que je suis léger comme une plume très, très grosse. Une plume trempée dans le Nutella!» (12)
  • 6
    Le Grand Antonio d’Élise Gravel offre une autre représentation d’un protagoniste masculin gros. Dans cet album inspiré de la vie de l’homme fort Antonio Barichievich, la corpulence du personnage est cependant associée positivement à sa force exceptionnelle. Même enfant, son poids et sa taille impressionnante (mentionnés à répétition dans l’album) sont représentés comme des signes d’un destin remarquable. Le corps gros est, dans ce cas précis, un vecteur de succès.
  • 7
    Rappelons à ce propos que la littérature d’enfance est une «écriture pour l’oreille» (Nières-Chevrel: 8), puisque le premier contact avec celle-ci passe le plus souvent par la voix d’un adulte faisant la lecture à l’enfant. La diégèse des albums étudiés renvoie donc à la situation du jeune lectorat lui-même, qui, à l’instar des personnages dont l’histoire est contée, se trouve dans une position d’écoute et d’assimilation d’un récit sur l’acceptation de la différence.
  • 8
    Les différentes bibliothèques de Montréal classent Le tragique destin de Pépito parmi les albums jeunesse, les premiers romans, les bandes-dessinées et les romans pour adolescents. Voir https://nelligandecouverte.ville.montreal.qc.ca [consulté le 18 avril 2023].
  • 9
  • 10
    https://capjeunes.banq.qc.ca [consulté le 18 avril 2023].
  • 11
    Au nombre des maux que sont susceptibles de développer les enfants victimes d’intimidation, Jacqueline Weinstock et Michelle Krehbiel mentionnent «[a] lower self-esteem; increased risk for depression, loneliness, anxiety, and behavior problems». (Weinstock et al.: 121)
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