Entrée de carnet

Bientôt dans une librairie près de chez vous

Gabriel Tremblay-Gaudette
couverture
Article paru dans Délinéaires (2008), sous la responsabilité de Laboratoire NT2 (2008)

La bande-annonce est un outil promotionnel dont le cinéma se sert abondamment afin de tenter de susciter l’intérêt du public avant la sortie d’un film sur les écrans. Originellement présentées avant le début de la projection principale dans les salles de cinéma, les bandes-annonces ont par la suite été montées en deux versions, dont une plus courte pour accommoder leur diffusion pendant les blocs de publicités à la télévision. Maintenant, elles se déploient également sur le Web. À preuve, le site de la compagnie Apple (qui n’a pourtant rien à voir avec le cinéma) est une source prisée par les internautes-cinéphiles, qui peuvent y visionner des dizaines et des dizaines d’extraits de films en ligne. Il n’est donc pas étonnant (mais tout de même un peu curieux) que certains éditeurs de bande dessinée aient tenté d’utiliser le format de la bande-annonce pour faire la promotion de la sortie éventuelle d’un album, avec des résultats tantôt comiques, tantôt déplorables.

La maison d’éditions américaine First Second Books emploie la bande-annonce de manière tout à fait parodique afin de préparer le lancement de ses romans graphiques. Celle qui a été réalisée pour la sortie de The Black Diamond Detective Agency de Eddie Campbell exploite tous les clichés de cette pratique: la narration est assurée par une voix grave aux accents dramatiques qui lance des formules surannées afin de décrire l’oeuvre, les extraits les plus sanglants du récit sont mis de l’avant et le clip se termine par l’apparition à l’écran d’une date de sortie à noter au calendrier. Cette bande-annonce transpire l’ironie, ne serait-ce que par la reprise du logo de la maison d’édition en ouverture du clip et par la déformation du récit afin de le rendre beaucoup plus croustillant qu’il ne l’est dans l’oeuvre. La vaine tentative d’animer les images en les agitant est également fort cocasse, puisqu’au final les dessins de l’album entre les mains du lecteur ne présenteront pas un tel mouvement lors de sa lecture.

De la même manière, l’éditeur Dupuis a préparé une bande-annonce pour le lancement de Spirou, le journal d’un ingénu de Émile Bravo. Ce récit reprend le héros au costume de groom dès le début de ses aventures et sa rencontre avec son acolyte Fantasio au moment où la Seconde Guerre mondiale s’enclenche en Europe. Le début de la bande-annonce utilise d’ailleurs des extraits vidéos et une bande sonore de l’époque afin d’introduire le contexte politique et culturel du récit. La sélection de quelques cases importantes permet d’introduire les personnages principaux de l’histoire et l’inclusion de textes en blanc sur fond noir rappelle l’utilisation d’intertitres qui précéda l’apparition de la bande-son dans l’histoire du cinéma.

La pratique est amusante et le ton parodique de ces bandes-annonces suscite à la fois la curiosité et la plaisanterie. L’aspect ludique de cette tactique commerciale est doublé d’un paradoxe relatif à l’emploi d’un médium d’accueil animé face à un médium originel par définition statique. Alors qu’un film a une durée fixe dans le temps, la bande dessinée nécessite un acte de lecture dont le rythme varie grandement de lecteur en lecteur. Les images immobiles des bandes dessinées suggèrent des actions que le lecteur devra s’imaginer alors que le cinéma assure le mouvement de ses personnages soi-même. La volonté de faire bouger les images dans la bande-annonce de The Black Diamond Detective Agency a d’ailleurs quelque chose de grotesque, et souligne bien l’écart important entre les deux médiums.

Il est toutefois un peu malhabile de vouloir employer la bande-annonce avec sérieux pour faire la promotion d’une sortie d’album, comme le prouve l’exemple des “VidéoBD” réalisés pour les sorties des tomes de la série Mégalex par Alexandro Jodorovsky (textes) et Fred Beltran (dessins). Ici, plutôt que des extraits, ce sont les premières planches qui sont présentées case par case, avec des voix qui lisent les textes des phylactères retirés des images.La durée du visionnement est donc figée et le lecteur n’a plus de prise sur sa progression. Certains détails des cases sont agrandis pour le « bien » du lecteur, et leur taille est uniformisée par la grandeur de l’écran de diffusion. Cette tentative de la part des Humanoïdes Associés de présenter une bande dessinée d’une manière peu conventionnelle est peut-être innovatrice, mais elle parvient surtout à dépouiller le médium de la bande dessinée de certaines de ses caractéristiques les plus particulières. La bande-son, qui contient bruitages et interprétation des textes par des acteurs, suppléé à celle qui aurait été constituée par le lecteur selon son imagination. L’impossibilité de contempler une image au-delà du temps de sa présence à l’écran contraint l’auditeur à un temps de lecture qui n’est pas le sien. L’impact d’une splash page ou d’une succession de petites cases muettes est perdue par l’uniformisation du format des images à l’écran. En somme, le contrôle qu’exerce le lecteur sur sa progression dans l’oeuvre lui est retiré quand la BD passe à l’écran et le format de la case est standardisé par la taille de l’écran, ce qui empêche de profiter des variations infinies des mise en pages que peut nous offrir le neuvième art.

La tactique commerciale de la bande-annonce est une option innovatrice pour les éditeurs de bande dessinée, qui peuvent ainsi faire la promotion de leurs oeuvres autrement qu’en en affichant la couverture ou des extraits sur leurs sites. Quand elle est employée de manière originale, elle donne des résultats forts intéressants, mais quand elle cherche à prendre le contrôle de la lecture, elle nuit. Si la pratique se généralise, il y a fort à parier que la fraîcheur et l’originalité de cette idée vont aller en s’amenuisant, mais le concept peut encore faire rigoler pour un certain temps.

Type d'article:
Ce site fait partie de l'outil Encodage.