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Bande-annonce et littérature: au-delà de la nouveauté, quelle originalité?

Laboratoire NT2

Il avait été question, lors d’un délinéaire précédent, des expérimentations de quelques éditeurs de bande dessinée ayant choisi de produire une bande-annonce pour leur prochain titre. Nous avions alors conclu que c’est une parodie de la bande-annonce, avec tout ce que celle-ci suppose de clichés, qui donne les résultats les plus probants.

Les bandes dessinées peuvent être transposées en bande-annonce avec une certaine aisance, considérant qu’il y a du matériel visuel existant pouvant faire l’objet d’une mise à l’écran. Il est donc plus compliqué de produire une bande-annonce pour promouvoir la sortie d’un livre, puisque sauf exception, il n’y a, pour toute information visuelle, que la couverture du livre qui soit employable pour le passage à l’écran. Ce qui serait ajouté relèverait d’une prolongation de l’univers de fiction: est-ce que faire incarner les personnages d’un roman par des acteurs ne risquerait pas d’interférer avec le travail d’imagination du lecteur? Peut-on résumer, ou du moins suggérer efficacement, le propos d’un roman de plusieurs centaines de pages avec une vidéo de quelques minutes? Les questionnements autour de la pratique publicitaire du “book-trailer” peuvent être examinés à l’aune de trois exemples puisés dans la littérature québécoise.

Une vidéo très professionnelle a été produite pour faire la promotion du roman Fol allié de Patrick Dion, lancé le 17 février dernier. La manœuvre lui a valu de faire parler de lui dans les médias traditionnels, ce qui était son objectif avoué:

La littérature n’a aucune place dans les médias de masse. La radio, comme les journaux, lui font de moins en moins de place (parlez-en à Chantal Guy pour le fun). La télé ne s’y intéresse pratiquement plus non plus. Comment fait-on pour promouvoir la sortie d’un livre alors? Quand on sait que la plupart des éditeurs ne peuvent même pas se permettre un petit encart dans La Presse du samedi, on fait quoi? Quand la seule place qu’on fait aux mots sont les potins de magazine, vers où doit-on se tourner? Internet bien sûr. Mais comment on le fait? Blogue? Facebook? Twitter? Comment est-ce qu’on se démarque? Pour moi, la solution était la vidéo. Visiblement, je ne me suis pas trompé, au moins, ça aura eu le mérite de faire jaser dans les chaumières.

Pour le meilleur et pour le pire, quelques magazines culturels télévisuels ont commenté la bande-annonce, mais le gros de l’attention médiatique s’est concentré sur la publicité plutôt que sur le produit. À notre avis, le débat sur l’incursion dans l’imaginaire du lecteur est caduc, puisqu’un texte littéraire laisse bien assez de place au travail de construction du lecteur pour que l’apposition d’un visage sur un personnage ne puisse sérieusement nuire à l’expérience de l’œuvre.

Dans une approche plus low-tech, Jean-Simon Desrochers a également proposé une bande-annonce pour son roman La Canicule des pauvres. Plus courte, la vidéo se contente de mettre la table pour le récit, en annonçant qui sont les 26 personnages du roman (un portrait ou une image associée à la caractéristique des personnages apparaissent brièvement à l’écran), et une musique de fond permet de cadrer l’atmosphère de l’œuvre. Sans vouloir camper le récit, la bande-annonce cherche plutôt à installer une esthétique qui saura intriguer le lecteur potentiel. De toute manière, il aurait été aussi ambitieux que réducteur de vouloir synthétiser un roman de quelques 672 pages en moins de deux minutes.

Finalement, la maison d’édition Coups de tête a décidé de produire une bande-annonce pour chacun de ses nouveaux titres depuis la parution de Zoélie du Saint-Esprit plus tôt cette année. Moins minimalistes que la BA pour La canicule des pauvres et moins soignés que celle pour Fol allié, les vidéo sont assez réussis et donnent un avant-goût du texte avec des lectures d’extraits par les auteurs eux-mêmes. Le procédé est sûrement peu onéreux et complète bien le site Web de l’éditeur.

On aura donc compris qu’il y avait eu des précédents à l’initiative de Dion, bien que ce soit cette dernière qui ait fait le plus jaser. Si celle-ci a eu un impact médiatique plus important, sa démarche n’est ni meilleure ni pire que celle des autres auteurs ayant utilisé le Web pour faire mousser la discussion autour de l’initiative. On peut considérer ces démarches comme novatrices et amusantes, mais il y a fort à parier que la pratique sera bientôt reprise et généralisée sous peu, du moins si cela se traduit effectivement par un chiffre de vente plus élevé.

Il n’est pas exclu que le phénomène de la bande-annonce ait un impact viral, mais comme le cycle de l’information est très rapide sur le Web, on peut douter que le statut de « saveur du jour » d’une bande-annonce soit convoité par des auteurs de roman. Récemment, la phrase « I already work around the clock! » hurlée par Harrison Ford dans la bande-annonce du film Extraordinary Measures est devenue du jour au lendemain un phénomène Web, mais cela ne s’est pas transformé en revenus au box-office, tandis que le « Release the Kraken! » proféré par Liam Neeson dans la bande-annonce du film The Clash of the Titans a également joui de la même popularité instantanée en raison du ridicule de la scène, mais le film a, lui, fait un tabac depuis son lancement. Autrement dit, la popularité et l’originalité d’une bande annonce ne peut pas améliorer une œuvre qui serait mauvaise. 

On souhaite tout de même que les éditeurs et les auteurs continuent à expérimenter avec ce moyen de promotion qu’il est incongru de voir au service de la littérature, mais qui permet des belles trouvailles et qui peut être distribué et vu par plusieurs grâce à l’accessibilité du Web.

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