Elle serait une faute, suivant la très commentée remarque de Nietzsche dans la Généalogie de la morale. Elle serait la monnaie même, à en croire une certaine conceptualisation de la Théorie moderne de la Monnaie. Elle serait un mode de socialisation et une domination, elle serait même le conflit néolibéral au cœur de la lutte des classes contemporaines. Lisible à l’aune de l’anthropologie du don et de la financiarisation, elle induit une culture ou un imaginaire. Qui sait, elle pourrait même être un fait social total ?

La dette a été longuement commentée, déchiffrée, contestée et valorisée. Depuis la crise de 2008, on ne compte plus les travaux en anthropologie, en littérature, en philosophie, en théologie, en histoire qui firent de la dette le cœur et sujet de leur étude. Un problème se manifeste toutefois, comme devant toute question intersectorielle : comment en parler, comment trouver la grammaire qui ne réduira la dette à aucune de ses dimensions – morale, politique, financière, communautaire, culturelle ?

L’objectif premier de cette journée d’étude a donc été de nouer un dialogue interdisciplinaire sur la dette. C’est pourquoi la question à laquelle les participant.e.s ont proposé des réponses s’avère si précise : « qu’est-ce que la dette ? », demande-t-on, et plus encore, qu’est-ce que la dette selon chacune des perspectives conviées et leurs objets d’études ?

La journée a accueilli des chercheurs et chercheuses de diverses disciplines, allant de la traductologie à la philosophie politique, en passant par l’économie, la sociologie, l’anthropologie, l’histoire, les études littéraires et la psychanalyse.

Communications de l’événement

Pier-Pascale Boulanger & Marie Langevin

Enjeux de significations de la dette

Ce premier épisode a été enregistré dans le cadre de la journée d’étude intitulée «Qu’est-ce que la dette ?» qui s’est tenue le 4 avril 2024 à l’Université Concordia.

Dans sa communication «Traduire la dette : une grammaire critique», Pier-Pascale Boulanger tente de jeter les bases d’une grammaire critique qui explorerait les sens possibles de ce que devoir de l’argent veut dire. Elle le fait en s’appuyant sur sa discipline qu’est la traductologie, et son expérience de l’enseignement de la traduction financière. Elle s’intéresse particulièrement à la portion critique du discours et de la langue financière et économique. 

De son côté, Marie Langevin regarde la dette depuis une perspective féministe en s’intéressant particulièrement au phénomène du micro-crédit dans cette communication intitulée «Obligées et créancières : figures d’économie politique féministe au temps de la financiarisation». Elle développe notamment une critique de l’instrumentalisation des femmes à des fins économiques, tout en étant particulièrement ciblées par ces projets de financement précarisants qui soutiennent le travail productif et reproductif. Vous trouverez les images de sa présentation en fichier joint.

David Bélanger, Denys Delâge & Jean-Philippe Warren

La dette « made in Québec »

Ce deuxième épisode de la série «Qu’est-ce que la dette ?» a été enregistré dans le cadre de la journée d’étude éponyme qui s’est tenue le 4 avril 2024 à l’Université Concordia.

Dans et épisode, Jean-Philippe Warren et Denys Delâge se penchent sur les différences de perception et de fonctionnement de la dette entre les sociétés autochtones et les sociétés européennes. Ils y abordent entres autres les liens entre dette, histoire coloniale, et organisation politique, sociale, religieuse et morale. 

Martin Petitclerc expose lui un début de recherche sur la dette publique et son impact sur l’organisation de l’économie québécoise pendant la crise des années 30. Il aborde notamment les conséquences de cette crise économique sur Montréal et sa démocratie municipale.

Enfin, David Bélanger présente le deuxième de ses 2 pôles de recherche sur l’imaginaire de la dette entre 1945 et 1955, un moment d’évolution de l’économie québécoise et de son discours, donc de son imaginaire. Il propose à l’occasion de cette communication l’hypothèse de deux régimes de la dette : une dette communaliste, qui engage des liens ; et une dette d’échange, capitaliste, impersonnelle et comptable. Ces régimes lui servent à décrypter les ambiguïtés et ambivalences dont il tente de cerner le fonctionnement à partir de deux exemples : la nouvelle Un bon quêteux de Germaine Guèvremont et un roman d’André Langevin Poussière sur la ville.

Jean-Fançois Bissonnette, Alexis Lussier & Maude Pugliese

Morale et morbidité de la dette

Ce troisième et dernier épisode de la série «Qu’est-ce que la dette ?» a été enregistré dans le cadre de la journée d’étude éponyme qui s’est tenue le 4 avril 2024 à l’Université Concordia. 

Jean-François Bissonnette s’intéresse au phénomène de l’endettement étudiant aux États-Unis en tant que problématique politique. Il revient sur les controverses qui entourent cet endettement spécifique et tente de comprendre comment peut s’expliquer la réaction conservatrice à la politique d’annulation de la dette proposée en 2022. 

Maude Pugliese s’intéresse à l’endettement au sein de la famille en évoquant notamment la circulation d’argent, de biens et services ; ou encore les concepts d’hospitalité et d’entraide familiale. Elle aborde également différentes manières de percevoir ces circulations : entre dons désintéressés, et “moments” dans des système d’échange basé sur la réciprocité différée qui initient des dettes, positives ou non.

Alexis Lussier aborde le sujet d’un dette impossible à rembourser par le biais de la psychanalyse avec l’exemple de l’Homme aux rats (Ernst Lantzer), personnage obsessionnel sur lequel Freud a beaucoup écrit. Lussier décrit entre autre un lien entre psychanalyse et littérature avec une anecdote sur plusieurs séances entre Freud et son client. 

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