Colloque, 28 avril 2011
Mutations et inquiétudes: art, littérature et science à la croisée des chemins
Les questions éthiques ne sont pas neuves en science, mais nous assistons à une accélération, depuis une décennie ou deux, de mutations scientifiques qui provoquent crises et malaises. On le voit à travers les développements de la génétique notamment, mais aussi dans les débats sur le nucléaire, le pouvoir des grandes industries pharmaceutiques, etc.
Ce contexte singulier a un effet sur l¹imaginaire contemporain. De quelle manière art et littérature investissent-ils la science, dans un monde où celle-ci est souvent associée aux pires catastrophismes? Comment sciences et nouvelles technologies alimentent-elles la réflexion des artistes et des écrivains contemporains? Est-ce que les récents développements de la science engendrent de nouvelles formes de savoir dans le monde de l¹art et des lettres, et si oui comment? Ce sont là quelques-unes des questions que ce colloque abordera.
Communications de l’événement
Science et littérature: où est la vérité, où est la fiction?
«On pense que la science, c’est la vérité. On pense que la fiction, c’est uniquement le domaine de l’art et de la littérature. Or, quand on observe l’illustration scientifique d’un trou noir ou celle de la mécanique quantique, on se trouve aussi devant de la fiction, devant des images inventées. Le propre de la science n’est pas de travailler sur la vérité; la science est une méthode qui permet de faire des projections falsifiables.»
Louis Lefebvre est un éthologiste et professeur québécois né à Montréal en 1950. Il a étudié à Montréal, à Pise, à Oxford et détient un doctorat en psychologie. Il est maintenant professeur à l’Université McGill.
La fabrique de l’humain dans le théâtre francophone contemporain: l’évolution en scène et en question
«Nous nous concentrerons ici sur trois pièces du répertoire français des onze dernières années: Tout mon possible d’Emmanuel Bourdieu (2000), L’amélioration de David Lescot (2004) et Les Variations Darwin de Jean-François Peyret et Alain Prochiantz (2005). Ces trois dramaturges sont parmi les auteurs phares de ce qu’on pourrait appeler, à la suite de Brecht, le théâtre scientifique ou le théâtre à l’ère scientifique. Jean-François Peyret a initié depuis de nombreuses années des collaborations avec le biologiste Alain Prochiantz. Emmanuel Bourdieu et David Lescot ont, quant à eux, participé en 2010, au BINÔME (cinq pièces de théâtre sont présentées au Festival d’Avignon, chacune correspondant à un binôme artiste/scientifique). Emmanuel Bourdieu a, par exemple, travaillé avec le physicien François Vannucci pour le spectacle La lumière bleue et David Lescot avec la physicienne Valia Voliotis pour le spectacle Moi j’utilise la lumière comme source d’excitation de la matière.»
Stéphanie Chifflet a complété un post-doctorat sous la direction de Jean-François Chassay sur l’imaginaire scientifique contemporain.
Le post-humain dans un monde post-apocalyptique: questionnements antagonistes au prisme du roman «Le Goût de l’Immortalité» de Catherine Dufour
«Cette présentation consiste en l’analyse du roman de science-fiction Le Goût de l’Immortalité écrit en 2005 par l’écrivaine Catherine Dufour. Dans ce roman, Dufour se pose des questions importantes sur le posthumanisme, le rôle de l’environnement et les démarcations entre l’organique et l’artificiel. Ce roman a été choisi comme un cas d’étude d’une performance littéraire de la vision posthumaniste, mais aussi comme un livre qui explore l’interrelation entre l’humain et la nature. Le mot antagoniste qui figure dans le titre de cette communication est issu de deux notions: posthumanisme et écocritique. Ces mouvements, dans leurs convictions étroites, représentent une menace alarmante contre la liberté de l’individu.»
Tony Thorström est doctorant en littérature romane à l’Université d’Uppsala (Suède) sous la direction de Sylviane Robardey-Eppstein, en co-direction avec Jean-François Chassay de l’Université du Québec à Montréal.
Transhumanisme scientifique et transgression identitaire
«La nouvelle alliance qui qualifiait la technoscience contemporaine semble aujourd’hui rompue. L’éthique, qui avait pour fonction d’assurer l’organisation et la limitation du développement technologique, semble devenue un simple alibi à l’expansion des start ups biotechnologiques. En tout cas, l’épistémologie d’ingénierie, qui assurait la puissance de ces technosciences par un développement de la théorie scientifique dans la mise en pratique même des éléments de la connaissance, s’est mue aujourd’hui en un bricolage peu rigoureux. L’aspect performatif de la technoscience qui ouvrait la voie à une extension non projective du réel l’a finalement conduit à ne retrouver comme réalisations du possible dans l’actuel que le modèle virtuel de son propre fonctionnement. Pour le dire autrement, le modèle technoscientifique a atteint ses propres limites: il ne retrouve dans sa quête de connaissances que sa propre idéologie.»
Alexandre Klein est post-doctorant à l’Université d’Ottawa à la Faculté des sciences de la santé. Il a obtenu en 2012 un doctorat en philosophie et histoire des sciences à l’Université de Lorraine (France). Ses travaux portent sur la subjectivité dans l’histoire et l’épistémologie des pratiques et discours relatifs à la santé (période moderne et contemporaine), que ce soit la médecine, la psychologie scientifique, la psychiatrie ou l’éducation à la santé. Il est également le coordinateur du réseau de recherche Historiens de la santé.
La théorie du chaos au grand écran: des métaphores cinématographiques aux glissements analogiques
«Selon le philosophe Daniel Parrochia, la théorie du chaos constitue une des trois grandes révolutions scientifiques du XXe siècle et correspond à un changement de paradigmes comparable à ceux qu’entraînèrent la théorie de la relativité et la mécanique quantique. Très succintement, la théorie du chaos a pour objet l’étude des phénomènes non-linéaires régis par des lois simples et déterministes dans le comportement qui, dans certains conditions, devient imprédictible. Dans ce contexte, l’acception du mot chaos diffère fondamentalement de son utilisation dans l’usage quotidien, c’est-à-dire comme synonyme de désordre. En fait, Roger Cavaillès signale que “[l]’histoire du chaos comporte en réalité deux séquences, celle de l’oubli du chaos (des origines au milieu du XXe siècle), celle, actuelle, du retour du chaos“. Dans la première séquence, le chaos est clairement en opposition à l’ordre; la deuxième séquence, celle du retour, correspond à la période de l’élaboration de la théroie du chaos.»
Carolina Ferrer est chercheure associée à FIGURA, le Centre de recherche sur le texte et l’imaginaire. Elle est professeure au Département d’études littéraires à l’Université du Québec à Montréal.
Métamorphoses biologiques et dédoublements cybernétiques dans la «Tétralogie du Monstre» d’Enki Bilal
«Sur le plan formel, la Tétralogie du Monstre s’inscrit tout à fait dans la prolongation du style développé dans la Trilogie Nikopol qui a surtout fait connaître le bédéiste français d’origine yougoslave Enki Bilal. Grand dessinateur et grand scénariste, son dessin contribue davantage à créer une atmosphère dystopique et froide qu’à décomposer l’action et ses scénarios évoquent plus la tradition du roman de science-fiction philosophique que de la bande dessinée traditionnelle. Le récit est par ailleurs très peu pris en charge par l’image et beaucoup par le texte, sous forme de récitatifs parfois très longs, jusqu’à prendre la place de cases entières. Autrement dit, il n’utilise pas vraiment les codes et les possibilités sémiotiques de la bande dédessinée et développe plutôt un genre hybride, un genre où ni l’image ni le texte n’a préséance, mais où le texte et l’image travaillent peu ensemble et évoluent presque parallèlement.»
Elaine Després est professeur associée et coordonnatrice du Centre Figura à l’UQAM. Ses recherches portent sur les représentations fictionnelles de la science dans une perspective sociocritique et épistémocritique. Après une thèse sur les savants fous en littérature, publiée au Quartanier en 2016, elle a notamment travaillé sur le posthumain, les dystopies, l’imaginaire post-apocalyptique, la science-fiction et les séries télé. Elle vient de faire paraître Le posthumain descend-il du singe? Littérature, évolution et cybernétique (PUM, 2020).
Du fait scientifique à l’imaginaire: histoire d’une lignée cellulaire
«Mon œil curieux raffole depuis longtemps de revues médicales aux images toutes plus fascinantes les unes que les autres. Avide, mon regard parcourt les photographies de sujets affectés par les maladies de peau, lésions et infections, les schémas du cerveau, les avant/après d’un nouveau traitement et, surtout, ces images incroyables révélant les structures du biologique. Ces images sondent l’univers du corps humain, de la surface de la peau aux structures microscopiques internes qui le composent. Magnifiés par l’œil du microscope et souvent coloré par divers marqueurs, microbes et cellules perdent en quelque sorte leur caractère menaçant et se transforment en autant de paysages grandioses. Derrière toutes ces images et au-delà de ces corps fragmentés, dont on ne montre qu’une infime partie, se trouvent évidemment des individus, des identités habituellement anonymes, qui, du certaine manière, contribuent à la science et au développement d’un savoir médical.»
Docteure en histoire de l’art et spécialiste du bioart, Marianne Cloutier poursuit actuellement un post-doctorat au département de sciences biologique de l’Université de Montréal. Dans le cadre de ses recherches, elle s’intéresse aux questions éthiques, identitaires, politiques, sociales et philosophiques qui émergent de l’intégration du vivant en art et du détournement des outils, des techniques et des savoir-faire scientifiques par l’artiste. En 2016, elle a été co-commissaire de l’exposition Art+Bioéthique (Galerie espace Projet, Montréal). Elle collabore également à une action concertée des FRQ portant sur la Conduite responsable en recherche-création.