Colloque, 29 octobre 2010
Bouvard, Pécuchet et le «Garçon» sur «un plateau stupide» de Normandie ou Flaubert dans tous ses états liminaires
Du canal Saint-Martin qui ouvre le roman «farce» de Flaubert à Chavignoles, ce Clochemerle avant la lettre, le retrait studieux des deux compères s’inscrit expressément dans un cadre géographique dont la découverte du modèle, qualifié de «stupide» par le maître, sert littéralement de déclencheur à l’œuvre. C’est là que les deux «idiots» s’avèreront essentiellement périphèriques: loin de la métropole, suspendus dans un hors temps aux marges de la civilisation, toujours confinés au seuil de la science, bouseux d’honneur, ploucs par vocation, les compères découvrent l’éternelle liminalité de l’innocence et l’exotisme universel de l’amateur en vivant comme une passion ridicule la ruine ironique de l’honnête homme sous les restes duquel Falubert enterre aussi les Lumières. Au delà du kitsch sarcastique dont les accable l’auteur du Dictionnaire des idées reçues, c’est le désespoir foncier de «l’idiot de la famille» (Sartre) qui exprime ici son goût du dérisoire d’«aquaboniste» (Gainsbourg) distingué.
On se propose d’étudier les mécanismes sémiotico-psychiques qui mettent en place, dans une topologie de l’impossible assimilation des mots à des choses qu’il faut broyer autant que magnifier dans le «gueuloir», la figure de Narcisse masochiste que toute sa vie et dans toute son œuvre le Garçon aura résolument composée comme une confidence informulable.
Portrait du périphérique en idiot assumé et joyeux ravage de toute centralité, c’est l’impossible coïncidence avec soi-même qu’en fin de compte Flaubert met peut-être en scène dans cette épopée burlesque menée effrontément avec toutes les ressources de son génie hargneux.
Jean-Pierre Vidal est professeur émérite de l’Université du Québec à Chicoutimi.