Colloque, 17 et 18 juin 2016

Imaginaires, théories et pratiques de la culture populaire contemporaine

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Le colloque «Imaginaires, théories et pratiques de la culture populaire contemporaine», organisé par Samuel Archibald, Megan Bédard, Jean-Michel Berthiaume, Fanie Demeule, Antonio Dominguez Leiva, Sarah Grenier-Millette, Mathieu Li-Goyette et Philippe St-Germain, en partenariat avec la revue Pop-en-stock, le centre de recherche Figura, le Département d’études littéraires de l’UQAM et le programme de recherche RADICAL. L’événement s’est déroulé vendredi et samedi les 17 et 18 juin 2016 au J-4255 (Pavillon Judith-Jasmin, UQAM).

Afin de souligner la quatrième année d’existence du projet Pop-en-stock, né du centre Figura en 2012, et qui se compose désormais d’une revue numérique, d’une émission de radio et d’une collection d’essais aux éditions Ta Mère, il nous semble logique de présenter le premier colloque Pop-en-stock | Figura intitulé ”Imaginaires, théories et pratiques de la culture populaire contemporaine”.

L’objectif de cet évènement est de solidifier cette position de plaque tournante culturelle qu’est Montréal en invitant des chercheur.e.s du domaine de culture populaire contemporaine. Les conférenciers invités pourront partager leurs recherches et leurs connaissances avec la communauté montréalaise foisonnante de chercheur.e.s, de même qu’alimenter le dialogue naissant entre l’université et le monde de la culture pop.

Les communications présentées porteront sur six axes, prolongeant les réflexions entamées dans les dossiers thématiques et les articles publiés dans la revue numérique et s’inscrivant aussi dans les axes de recherche du centre de recherche Figura. Ces axes nous permettront de dresser un portrait des imaginaires, des pratiques et de la situation actuelle des études culturelles dans la francophonie: transmédialités et transfictionnalités; hybridité générique; théories de fans; pop féministe et queer; métafiction et réflexivité; pop 2.0. Le colloque proposera l’étude des phénomènes de la culture populaire contemporaine et les relations qu’ils tissent avec la société, les technologies et les autres œuvres culturelles.

L’évènement a aussi comme but premier de souligner le travail des multiples chercheure.s et collaborateur/trice.s de Pop-en-stock et du centre Figura. Pour cette raison, nous avons décidé de prioriser la présence et les recherches de nos chercheur.e.s afin de leur permettre de rejoindre leur communauté d’intérêt. De plus, il nous apparaît important de mettre ces collaborateurs en contact avec d’autres chercheurs de la communauté locale et internationale afin de faire progresser leurs recherches et leurs réflexions.

Communications de l’événement

Denis Mellier

La nouvelle chair numérique des corps fantastiques: technologies, cinéma, esthétique

«Une manière possible de faire l’histoire des formes fantastiques dans la culture occidentale est de l’attacher à l’aventure des corps soumis à la rencontre d’une altérité radicale. Que cette altérité se manifeste sous l’espèce d’une pure extériorité – un monstre, un vampire, un mort vivant – ou qu’elle apparaisse comme l’expression extériorisée d’une intimité devenue terrifiante et insoutenable.

Le fantastique constitue donc un territoire imaginaire privilégié pour envisager une histoire corporelle des violences. Il constitue le lieu exemplaire d’une rêverie négative sur les altérités et les ailleurs effrayants et fantasmés de la chair et cela, pas seulement en raison de son imaginaire de la métamorphose, de la transformation et de la mutation, mais aussi en raison de sa constante mise en crise des regards soumis à une expérience de la tension entre l’apparaître hyberboblique et le disparaitre suggestif des formes. Mais aussi pour deux autres raisons, d’abord l’obsession qui est la sienne pour les dispositifs optiques, des reflets et des doubles, mais aussi par sa constante confrontation aux discours et aux normes de la saisie positive et rationnelle des esprits et des corps. De là l’idée que le corps fantastique est le moteur idéal d’une certaine histoire du cinéma.»

Denis Mellier est professeur à l’université de Poitiers (France), où il enseigne la littérature générale et comparée ainsi que le cinéma. Il a publié de nombreux articles sur la fiction fantastique, l’horreur au cinéma, les esthétiques réflexives et les relations entre la littérature policière et le roman contemporain. Parmi ses ouvrages, L’Écriture de l’excès. Poétique de la terreur et fiction fantastique, Champion, 1999. (Grand prix de l’imaginaire, catégorie «Essai» 2000) ; La Littérature fantastique, « Mémo », Seuil, 2000, 64 p. (Grand prix de l’imaginaire, catégorie «Essai» 2000) ; Textes fantômes. Fantastique et autoréférence, éditions Kimé, 2001 ; Les Écrans meurtriers.

Alexis Lussier

Crime et inconscient dans lʼart photographique de Natascha Niederstrass

«Je vais vous parler du travail d’une artiste montréalaise, Natascha Niederstrass, dont le travail touche, en partie, à la culture populaire. C’est un travail auquel je me suis intéressé dans la foulée de mes recherches sur la photographie en art contemporain et sur les rapports entre la photographie, l’art actuel et la scène de crime.

Cette communication portera sur l’imaginaire de la scène de crime comme objet spécifique pour la photographie.»

Alexis Lussier est professeur au Département d’études littéraires de l’Université du Québec à Montréal et chercheur à Figura. Son enseignement et ses principaux champs de recherche portent sur le regard et les images, dans l’optique de la littérature et du cinéma ; sur les relations entre littérature et perversion, scène d’écriture et scène fantasmatique, angoisse et obsession. Ses travaux ont été publiés dans différentes revues spécialisées dont EssaimCygne noirLe Coq-HéronÉtudes françaisesVoix et images et Trafic. Depuis quelques années, il propose un retour à l’invention théorique de la «névrose obsessionnelle» en tant qu’elle implique, chez Freud et Lacan, une relecture de la modernité.

Boris Nonveiller

«No sequel for you»: Arnold Schwarzenegger, la muse du film dʼaction métafictionnel

«Si les années quatre-vingt donnent lieu à l’apogée du blockbuster et, par extension, à l’age d’or du cinéma d’action, cette décennie est également marquée par l’émergence d’une nouvelle star qui n’aurait dû jamais exister.  Schwarzenegger, avec son accent coupé au couteau, sa stature hors du commun et son jeu figé, n’aurait, logiquement, jamais pu faire carrière au cinéma. Or, aucune logique n’ayant pu dompter les heighties, l’ambitieux autrichien s’est hissé au sommet de Hollywood en devenant l’acteur le plus lucratif de son époque. Alors que le second-degré, les one-liners et la comédie abondaient déjà dans les films d’action et d’aventure des années soixante-dix, ils ont atteint un niveau inédit, et bien plus réflexif avec la star de Terminator.

De film en film, on se rend compte que, avec ce que la nature a bien voulu lui donner, Arnold n’a pas d’autre choix que de continuellement se jouer lui-même. C’est ce qu’ont saisi assez rapidement les réalisateurs et scénaristes qui se sont mis à exploiter ce ridicule dont on ne pouvait s’échapper et qu’il fallait donc adopter. C’est pourquoi ses répliques les plus célèbres demeurent les phrases les plus banales (« I’ll be back », « Get to the chopper », etc.) dont la prononciation hasardeuse et le contexte absurde en font le véritable charme. Ce second-degré inévitable a mené à des scénarios ou la figure personnifiée du rêve américain devenait une caricature auto-glorifiée d’elle même, où la dérision et le clin d’œil complice étaient la seule option valable. De là, ce sont les logiques même de la réalité et de l’industrie hollywoodienne qui se sont ébranlés, comme on peut le voir avec Total Recall et The Last Action Hero. Cette communication va tenter d’expliquer en quoi, par son jeu – ou plutôt son non-jeu – Arnold est devenu une des principales influences du cinéma d’action moderne, et comment il a amené le genre à s’auto-analyser, une tendance dont on ne semble pas être départi aujourd’hui.»

Simon Laperrière

Le passager cinéphile. Étude du rapport entre cinéphilie et ludophilie

«Penser cinéphiliquement le jeu vidéo est-il une possibilité ou une impasse à la critique? À partir d’un exemple précis tiré d’Alien: Isolation (The Creative Assembly, 2014), l’exercice consistera à réfléchir les particularités d’une expérience esthétique vécue par un joueur lors de sa partie. Cette analyse se divisera en deux axes. D’abord, elle démontrera brièvement comment ce jeu tente de combler les attentes des fans de la franchise Alien par un bris de certaines conventions propres au genre vidéoludique du first-person shooter. En focalisant sur la fragilité de l’avatar et en privilégiant la fuite au combat, les concepteurs ont créé un climat de terreur interactive qui évoque avec efficacité le premier épisode de la série de films. Ce souvenir du cinéma nous permettra par la suite d’approcher Alien: Isolation sous l’angle de la cinéphilie en revenant sur un phénomène qui sera qualifié de ludophile.

Au fil de sa course à travers les couloirs de la station Sevastopol, le joueur est mené à croiser un élément inattendu qui, selon ses sensibilités, va captiver son attention et provoquer en lui une jouissance au sens entendu par Barthes puisqu’il va mettre en crise son rapport à l’œuvre. La fascination nouvelle envers un détail va alors le pousser à adopter une posture nullement encouragée par les dispositifs mis en place par le jeu. Il va ainsi suspendre la temporalité imposée par Alien: Isolation pour en construire une nouvelle qui permettra l’émergence de l’événement ludophilique. Si ce type de rapport intime se rapproche grandement du moment cinéphilique théorisé par Christian Keathley, nous tenterons de définir ce concept en tenant compte des spécificités propres au médium du jeu vidéo. Un détour vers Fallout 4 illustrera en dernier lieu comment certains joueurs peuvent contourner les restrictions d’un récit afin de flâner librement et de joueur d’un contact inédit avec l’espace. Des pratiques déviantes dont l’étude pourrait mener à repenser l’histoire des jeux vidéo en mettant de l’avant sa dimension subjective.»

Philippe St-Germain

La saga de(s) Griffin: généalogie de lʼhomme invisible archétypal

«Griffin n’est ni le premier, ni le dernier personnage invisible de l’histoire de la fiction, mais un privilège considérable continue de s’accrocher à son nom.

Et pourtant, dire Griffin, ce n’est pas dire un seul et même personnage. Plus fondamentalement, depuis la publication du roman inaugural d’H.G. Wells en 1897, le nom Griffin a été donné à des personnages assez différents bien qu’ils conservent évidemment tous un lien avec l’invisibilité.

C’est un peu comme si Griffin était plus qu’un personnage: un signe ou une figure.»

Anthony Glinoer

«Lʼimportant, cʼest pas la chute, cʼest lʼatterrissage.» Les reprises transfictionnelles de «The Fall of the House of Usher»

«The Fall of the House of Usher est sans doute celle, parmi les œuvres de Poe, qui a le plus irrigué la culture occidentale, et ce tant dans la sphère lettrée que dans les genres populaires ou médiatiques. Opéras, pièces de théâtre, films, bandes dessinées, publicités, jeux vidéo, disques rock: nombreux sont les genres à avoir tenté une adaptation, une transposition voire une réinterprétation de la nouvelle. Parmi les romans, Madeline: After de House of Usher de Marie Kiraly (1996) est un sequel de l’œuvre tandis que The House of the Resonate Heart de L. A. Fields (2013) en est un prequel sur le mode queer. Le potentiel érotique de l’œuvre n’a pas manqué d’inspirer des auteurs de romans de grande consommation: The Darker Passions d’Amarantha Knight (1995) montre Roderick et Madeline réunis dans l’ignominie sadique alors que Morticia Knight (2013), mêlant son propre texte à celui de Poe, a fait de la nouvelle un conte sentimental et érotique. D’autres auteurs, tel Ray Bradbury dans sa nouvelle Usher II (1950), ont moins repris les personnages et l’intrigue de la nouvelle qu’ils n’ont joué avec les lieux et l’atmosphère créés par Poe.

Cette communication dégagera d’abord quelques tendances dans le relevé qui a été effectué des reprises et adaptations de The Fall of the House of Usher, tous genres confondus, puis proposera quelques ferments d’analyse des nouvelles et romans de ce corpus qui ont prolongé, déplacé ou réinterprété le récit original. Pour ce faire, je tirerai profit des catégories établies par Richard Saint-Gelais dans Fictions transfuges (2011), lequel porte précisément sur les récits dits transfictionnels

Megan Bédard

«Weʼre all stories in the end»: étude de la dynamique transfictionnelle des voyages spatio-temporels dans «Doctor Who»

«Depuis le début de la diffusion par la BBC de Doctor Who en 1963, de nombreux voyages spatiotemporels ont amené le héros de la série, le Docteur, à plonger au coeur de l’Histoire et à faire la rencontre de nombreux personnages historiques: Charles Dickens, la reine Victoria, Néfertiti, Agatha Christie, Winston Churchill et même Adolf Hitler. Les voyages dans le temps permettent aux personnages de se promener dans les mystères de notre passé collectif et de réécrire, le temps d’un épisode, les péripéties qui ont mené, par exemple, à l’éruption du Vésuve ou à la disparition de l’auteure du Crime de l’Orient-Express en 1926. Un curieux épisode vient troubler cette tendance: diffusé le 6 septembre 2014, Robots of Sherwood met en scène la rencontre entre le Docteur et Robin des Bois. Le premier y insiste sur le caractère fictif (donc impossible) du second personnage. Les épisodes de Doctor Who fonctionnent en ce sens comme des récits transfictionnels (c’est-à-dire “lorsque des éléments fictifs sont repris dans plus d’un texte” (Saint-Gelais, Fictions Transfuges, 2011: 19)) qui feraient contrepartie aux récits historiques. Conséquemment, ces procédés viennent troubler la frontière ontologique entre les personnages fictifs et réels, plus encore lorsqu’il y a transfictionnalité traditionnelle (en l’occurrence, le Docteur et Robin des Bois).

L’objectif de ma présentation sera d’étudier comment l’appropriation de dynamiques transfictionnelles dans les scénarios de voyages spatiotemporels de certains épisodes de cette série problématise le statut ontologique des objets fictifs. En débutant par un bref rappel sur l’importance de la vraisemblance dans les oeuvres de fiction populaire, j’étudierai en quoi Doctor Who s’inscrit dans les exigences du genre science-fictionnel qui veulent que l’extrapolation fictive respecte les connaissances du monde traditionnel, que ce soit les avancées scientifiques ou l’Histoire telle que nous la connaissons. En s’inspirant de dynamiques transfictionnelles telles que l’interpolation transfictionnelle (qui consiste en une tentative d’inscrire une histoire dans les ellipses d’un récit), les scénaristes élaborent des récits de voyage dans le temps qui s’harmonisent avec l’Histoire telle que nous la connaissons. Plus encore, comme l’écrit Richard Saint-Gelais, “la transfictionnalité contribue […] à exacerber l’illusion référentielle” (14); cette dynamique trouble la frontière ontologique qui sépare les personnages fictifs des personnages historiques contribuant en ce sens à rendre la fiction vraisemblable. En jouant sur la porosité de cette frontière ontologique, les personnages fictifs semblent basculer, le temps d’un récit, du côté de notre réalité et, comme l’écrit Gramsci, “[l]es héros de la culture populaire, une fois entrés dans la sphère de la vie intellectuelle populaire, se détachent de leur origine ‘littéraire’ et acquièrent la validité du personnage historique.” (cité par Saint-Gelais: 376).

Enfin, c’est à travers la lecture des textes (au sens large) que se produit une interférence entre deux espaces diégétiques (le texte source et la nouvelle version) et ce basculement entre le réel et le fictif dépend toujours du point de vue adopté par le spectateur (interne ou externe, c’est-à-dire parafictionnalisant ou métafictionnel (53)).»

Christophe Duret

De la transtextualité à la transfictionnalité: lʼexpansion procédurale dans le cadre des jeux de rôle goréens de «Second Life»

«Dans le cadre de cette communication, nous nous intéresserons aux jeux de rôle goréens organisés dans Second Life, une entreprise amateur et collective de transfictionnalisation (Saint-Gelais, 2011) vidéoludique des romans de science-fiction les Chroniques de Gor, de John Norman.

Les jeux de rôle goréens constituent une constellation d’espaces virtuels tridimensionnels auxquels on accède par le biais d’un avatar. Les romans et les jeux  reposent pour l’essentiel sur la loi de l’ordre naturel, en vertu de laquelle les femmes sont biologiquement prédisposées à être soumises aux hommes et s’épanouissent dans cette relation. L’ordre naturel structure la planète Gor et ses différentes sociétés axées sur l’esclavage.

Nous mettrons ici de l’avant le concept d’expansion procédurale afin de rendre compte du processus de traduction de la diégèse goréenne en un ensemble de lois, de règlements et de mécaniques de jeu visant à simuler la géographie, l’organisation sociale, l’économie, la structure politique, les mœurs et les coutumes de la planète Gor décrits dans les romans de Norman. C’est lors de l’interaction entre le joueur et ce système de règles et de mécaniques de jeu que sont générés les événements appelés à étendre la diégèse de Gor.

Si ce processus de traduction repose sur un lien privilégié entre les jeux goréens et les romans dont ils s’inspirent, ce lien n’est aucunement exclusif (hypertextuel, au sens de Genette), dans la mesure où un vaste écosystème transtextuel (Duret, 2015) contribue également à l’alimenter, lequel est composé d’un corpus d’épitextes (lettres ouvertes et entrevues de l’auteur), de métatextes (essais, encyclopédies en ligne et blogues de fans portant sur les Chroniques de Gor) et d’intertextes appartenant à des genres aussi variés que le roman historique, le roman d’amour et la fantasy. Nous verrons donc, suivant ce constat, comment des œuvres exogènes, non exclusivement fictionnelles, sont procéduralisées et concourent, de la sorte, à l’expansion diégétique du monde de Gor.

Cette communication repose sur une démarche ethnographique menée de juin 2012 à aujourd’hui. Dans un premier temps, nous avons analysé les discours méta-ludiques produits par les membres de la communauté goréenne de Second Life, c’est-à-dire les discours portant indirectement sur l’organisation et la régulation du jeu, de même que sur l’expérience des joueurs. Afin de resituer ces discours dans leur cadre respectif, nous nous sommes inspirés de la tripartition du jeu de rôle en trois niveaux de signification de Gary Alan Fine (1983). Cela nous a permis de reconstituer la dynamique sociale, la structure formelle et la diégèse des jeux goréens. Pour ce faire, nous avons travaillé à partir d’un corpus de près de 5000 billets répartis en 70 fils de discussions publiés sur The Gorean Forums et Gor-SL, deux forums de discussion appartenant à la communauté goréenne. Nous avons également analysé des blogues de joueurs, des captures d’écran et des captures vidéo de séances de jeu, des règlements, des manuels consacrés à l’utilisation de dispositifs de jeux ainsi que des encyclopédies en ligne et des journaux consacrés aux jeux goréens et aux Chroniques de Gor

Martine Delvaux

Ce que le pop apprend au féminisme: «Charlieʼs Angels», «Thelma and Louise», «Jessica Jones», et quelques autres

«J’ai l’impression que les débats actuels autour du féminisme pop demandent si le pop, la télé, la musique, le cinéma grand public et le star-system qui vient avec, constituent une bonne origine. Si on devient vraiment féministe par l’entremise du pop. Si c’est possible.

Et si c’est le cas, quel genre de féministes est-ce que l’on devient? Temporaire, circonstancielle, utilitaire, spectaculaire? Ou si on devient une vraie féministe, éduquée, théorique, activiste, militante, politique, réellement critique.

Est-ce que le pop fait de nous de bonnes ou de mauvaises féministes?»

Sandrine Galand

Du féminisme et de la pop

«Après le long backlash des années 1980 et 1990, on remarque une résurgence graduelle du féminisme dans le discours contemporain, plus particulièrement dans les diverses sphères de la culture pop. On assiste véritablement à une fashionisation et une peoplisation du féminisme, et, par la force des choses, à l’apparition d’un nouveau paradigme: le popular feminism, ou féminisme populaire, c’est-à-dire un féminisme qui flirtent étroitement avec les notions de vedettariat, mais aussi de capital et de mise en spectacle. Nous sommes devant un féminisme qui se capitalise lui-même et cette récupération marchande crée une rupture avec les valeurs démocratiques et communautaires de la pensée féministe traditionnelle.

Tout en situant ma communication par rapport à l’ensemble des manifestations participant du popular feminism, je me pencherai sur un pan bien précis formé d’écrits intimistes ayant remporté un certain succès de vente et étant produits par des femmes médiatiques contemporaines telles que Tina Fey, Amy Poehler, Lena Dunham, Mindy Kaling, Amy Schumer. Ces femmes ont plusieurs choses en commun: elles sont riches; elles sont célèbres; elles sont majoritairement blanches; elles s’affichent toutes féministes. Et –surtout– elles écrivent. Au sein de ce corpus oscillant entre l’autobiographie, l’essai et le journal se retrouve un élément omniprésent et fédérateur: le corps. Dans un premier temps, je poserai l’hypothèse que l’attendu de ces textes sera lentement démonté par la place –démesurée– et le traitement –décomplexé– laissés au corps des auteures. Comme si la mise en marché du féminisme pouvait servir de renversement (Agamben, Chambers, de Certeau) à même la structure qui tente de le domestiquer (Foucault).

Dans un second temps, j’examinerai le réseau que ces femmes tissent entre elles. S’intéressant aux mêmes enjeux, elles en viennent à s’interpeller, à se reporter l’une à l’autre. Certaines sont d’ailleurs camarades dans la vie. Ces relations, plus qu’un simple compagnonnage, forment un réseautage. Si chacune d’elles semble incarner la quintessence de l’individu parlant pour soi et pour son propre succès, leur camaraderie, leur manière de s’apostropher dans leurs écrits et la conscience qu’elles montrent des productions de l’une et de l’autre annoncent qu’elles font front commun; qu’elles ne parlent plus seules, mais plutôt toutes en même temps. En comprenant ce réseau comme une réappropriation féministe de la figure du boy’s club, je me questionnerai à savoir s’il constitue le lieu d’un nouveau type d’accumulation de capital; un capital de pouvoir, cette fois. Car la notion de pouvoir et la notion de réseau s’entrelacent de façon très étroite: faire partie d’un réseau, c’est posséder un pouvoir. Celui, bien particulier, du lien. Du groupe.»

Julie Vincent

La chair monstrueuse pour transgresser les marges du corps féminin social dans «Dirty Plotte» de Julie Doucet

«Julie Doucet, auteure de bande dessinée reconnue sur la scène québécoise et internationale, s’inscrit dans la mouvance underground qui bouleversa l’univers de la bande dessinée autobiographique québécoise à la fin des années 1980. C’est au cours de ses études en arts à l’Université du Québec à Montréal que Doucet se découvre un intérêt pour le neuvième art et amorce la production de sa première œuvre, Dirty Plotte, qu’elle publie de manière autonome sous forme de fanzine mensuel de 1988 à 1990. L’auteure nous propose, dans cette œuvre à l’esthétique trash, des fragments de sa vie quotidienne, de ses rêves et de ses angoisses qu’elle documente en français et en anglais. Plus encore, la page couverture du fanzine propose une inscription frappante qui cimentera le caractère subversif de l’œuvre: “Fanzine Féministe of Bad Taste”.  Très évocatrice, cette étiquette apposée au fanzine nous permet de croire que Doucet ne cherche pas seulement à s’exposer sur la place publique dans un but narcissique ou thérapeutique, mais tente plutôt de se poser en messagère revendiquant un discours contestataire.

Cette communication se propose de voir comment la mise en scène de la chair chez Doucet produit une œuvre intermédiale qui transgresse les discours dominants sur le corps féminin social. Pour ce faire, nous entreprendrons notre réflexion en démontrant que les choix narratifs de l’auteure, ainsi que le mode de diffusion de l’œuvre participent à l’élaboration d’un discours personnel, critique et engagé. Nous verrons ensuite, par l’analyse du titre même de l’œuvre, soit Dirty Plotte, que Doucet récupère une expression connue et connotée négativement pour les femmes pour en faire le matériau subversif de son discours. À la suite de cette double mise en contexte, nous procéderons à l’analyse en profondeur de l’œuvre pour voir comment le traitement du corps permet l’élaboration d’un discours de la chair transgressif. Pour ce faire, nous découperons notre réflexion selon deux angles thématiques. Le premier concerne la mise en scène des fluides à l’intérieur du récit. Nous verrons comment ceux-ci occupent l’espace diégétique et provoquent un renversement de signification. Finalement, nous aborderons la question du corps féminin monstrueux à l’aide de deux procédés utilisés par Doucet dans l’œuvre: la défiguration et la mutilation. Nous chercherons à prouver que ces procédés servent à renégocier les codes sociaux régissant le corps féminin.»

Joyce Baker

Femmes ingouvernables: entre voix, corps et communauté

«Dans cette communication, je vous présenterai le projet de recherche “Femmes ingouvernables” que je co-dirige avec ma collègue Fanie Demeule. Il découla de nos intérêts de recherche communs, le colloque “Femmes ingouvernables: (re)penser l’irrévérence féminine en culture pop contemporaine” qui s’est tenu à l’UQAM les 4 et 5 mai derniers.

Devant l’intérêt collectif marqué envers la problématique ainsi que la richesse des réflexions que nous avons entamées durant ce colloque, il était pour nous nécéssaire d’en faire une synthèse et de partager avec la communauté de chercheurs rassemblée par Pop-en-stock aujourd’hui.

C’est donc au nom de ma collègue Fanie –et de tous les communicants que notre colloque– que je propose de revisiter certaines problématiques discutées en mai dernier ainsi que l’espace nécessaire que nous avons créé pour repenser la représentation des femmes en culture populaire.»

Gabriel Tremblay-Gaudette

Lʼémergence de la fiction virale: culture participative, ouverte et déhiérarchisée

«La question du droit d’auteur a toujours suscité une certaine ambivalence chez les artistes; par exemple, si Cervantès défendait jalousement son territoire diégétique en rabrouant les auteurs des “suites non-autorisées” de son Don Quichotte dans les premiers chapitres de son deuxième volume, Daniel Defoe adoptait l’attitude inverse en remerciant dans sa préface à la réédition de son poème The True-Born Englishman les “pirates” ayant contribué à la renommée de son œuvre grâce aux nombreuses reproductions illégales mises en circulation par ces derniers. À l’époque contemporaine, le Web exacerbe les tensions liées à la question de la propriété intellectuelle en raison de la prolifération de productions artistiques secondaires s’inscrivant dans la “culture participative” commentée par Henry Jenkins (1992, 2006), la démocratisation des moyens de diffusion ayant permis l’émergence d’un “culte de l’amateur” (Keen, 2007) et la dissémination parfois chaotique des œuvres dans des réseaux éditoriaux épars et non structurés, phénomène baptisé “hypertexte féral” par Jill Scott-Rettberg (2005).

Le bouleversement des hiérarchies du côté des producteurs de fiction, couplée à l’accès et  l’intérêt accrus pour les œuvres “succédanées” des univers diégétiques dominants, réunit les conditions à l’émergence de rapports à la fiction spécifiques à la culture de l’écran. Dans cette communication, je propose d’identifier un tel rapport: ce que je nomme la “fiction virale” s’élabore à partir de constructions fictionnelles relevant du folklore de l’Internet (Blank, 2009), s’organise dans un principe de partage associé à la open culture inhérente au Web et se déploie dans un mouvement centrifuge. Je prendrai comme exemple de fiction virale le Slender-Man, croque-mitaine numérique ayant d’abord pris la forme d’un mème visuel pour ensuite être abondamment fictionnalisé.»

Jean-Marc Bêty

«Metal Gear Solid V»: fantôme médiatique mitoyen

«L’objectif de cette communication est de démontrer le potentiel communicationnel actuel et futur du jeu vidéo, média mitoyen capable d’unir divers riches passés médiatiques à travers un nouveau modèle de communication interactif, en prenant Metal Gear Solid V: The Phantom Pain (2015) en guise d’exemple contemporain. Hideo Kojima, le créateur de la série Metal Gear Solid, est un développeur vidéoludique dont la production emprunte à de nombreux autres médias afin de créer des thématiques travaillées et significatives. The Phantom Pain, son dernier jeu vidéo en date d’aujourd’hui, se démarque par son utilisation de multiples outils de communication (littéraires, cinématographiques et vidéoludiques) pour transmettre un message antimilitariste. En décodant chacun de ces outils, nous parviendrons à comprendre les mécanismes à l’œuvre dans une production telle que The Phantom Pain.

C’est d’abord à travers l’exploitation de sa diégèse que ce jeu vidéo fait part de son antimilitarisme grâce à une pédagogie critique, parfois presque didactique, qui sensibilise le joueur à différentes réalités militaires et politiques contemporaines. Une perspective deleuzienne nous servira à interpréter la microsociété militarisée Diamond Dogs, le groupe mercenaire aux ordres du joueur. Il sera ensuite question des techniques cinématographiques employées en cours de partie, dont surtout l’esthétique de plan-séquence continuel dans lequel le jeu se construit. Nous observerons en quoi lesdites techniques servent à insérer davantage le joueur dans les événements vécus en plus de le guider émotivement à travers son expérience. Enfin, en analysant la signification derrière le modèle interactif du jeu, nous verrons comment Hideo Kojima utilise le gameplay du jeu afin de transmettre son thème. Ian Bogost, lequel nous accompagnera dans cette dernière étape, est le premier à avoir théorisé la rhétorique procédurale, notion selon laquelle le jeu est capable de développer un discours critique (voire même une communication critique) avec le joueur afin de le convaincre d’un point de vue donné grâce à l’exploitation significative d’un système de règles.

Qu’est-ce que le jeu vidéo en tant que média et vers où peut-il évoluer pour se réserver une place toujours plus prépondérante dans un univers médiatique en constante évolution? Metal Gear Solid V se veut être un arrêt réflexif pertinent afin de lentement parvenir à une réponse à cette question.»

Jasmin Cormier

Le faux vintage iPhoneographique: une étude typologique

«Dans le cadre de cette communication, je propose de m’intéresser aux articulations vintage mises en place dans la photographie mobile (c’est à dire les images réalisées à l’aide d’appareils de type smartphone). Plus précisément, je compte analyser le processus de mise-au-passé des images qui est omniprésent dans la photographie mobile. En effet, avec la multiplication dans les dernières années d’applications pour téléphones portables de type Instagram, les filtres photographiques permettant de vieillir artificiellement les images connaissent une popularité soutenue. Grâce à ceux-ci, il est possible d’octroyer aux images une esthétique invoquant celle des tirages photographiques argentiques de jadis. En m’appuyant sur une variété de cas de figures, je compte m’intéresser à ce processus de mise-au-passé des images déployé par l’utilisation d’applications photographiques pour smartphones. Mon analyse s’effectuera sur trois axes principaux:

Tout d’abord, je m’intéresserai aux modifications esthétiques mises en place dans ces images. Images à l’appui, je compte présenter les différents signifiants invoqués afin de vieillir artificiellement les images (ajout de grain photographique, ajout de bordures rappelant les tirages argentiques, teintes rappelant le film photographique de jadis, etc.).

Dans un second temps, je m’intéresserai aux sujets dont la représentation semble favorisée dans la photographie mobile. Je compte à ce moment postuler que l’utilisation de filtres photographiques “rétro” invite généralement à la capture photographiques de sujets anciens ou en décrépitude.

Finalement, je m’intéresserai à l’aspect textuels de ces images. Connaissant une diffusion presque exclusivement virtuelle, ces images sont généralement accompagnées de divers marqueurs textuels. En effet, le partage de photographies en ligne permet généralement l’ajout d’un titre, de tags ou hashtags aux images, en plus d’ouvrir un espace aux commentaires. Par un choix de tags ou de titres référant au passé, ces différents espaces de texte viennent généralement appuyer l’effet vintage des filtres photographiques utilisés et des sujets anciens qui sont photographiés.»

Samuel Archibald & Pierre-Jérôme Bergeron

«Valar morghulis»: une analyse de survie des livres du «Trône de fer»

«La série des livres du Trône de fer de George R.R. Martin comporte un grand nombre de personnages qui souvent meurent, parfois de manière choquante. Les lecteurs ne savent pas à quoi s’attendre quant au dénouement des nombreuses intrigues de l’histoire. On applique ici des méthodes d’analyse de survie pour voir s’il existe des schémas permettant d’éclairer l’analyse littéraire du texte. On discute de la sélection des données, du choix des variables et des unités de mesure pour définir des temps d’évènements dans la fiction. On compare encore la survie de différents groupes de personnages.»

Sophie Horth

Silhouettes absurdes: le corps enfant et le renouveau de la transgression vampirique dans «Entretien avec un vampire» et «Laisse-moi entrer»

«Autrefois figure transgressive par excellence, le vampire est de plus en plus victime de sa très grande popularité. En effet, il est passé de créature répugnante s’apparentant à l’archétype de la goule, comme dans le cas du strigoi des légendes roumaines, à un être immortel des plus raffinés malgré sa cruauté et l’immondice de son mode de vie avec Dracula. Depuis le roman de Stoker, le vampire ne cesse de faire partie de la culture populaire et fait l’objet d’innombrables manifestations artistiques. Sans pouvoir dire que sa popularité est sans cesse en hausse, la figure du vampire semble faire partie intégrante du folklore partout à travers le monde, entre autre parce que cet être expose les interdits, faisant du vampire une représentation physique de la transgression bataillienne. Plus récemment, nous avons assisté à une commodification progressive du vampire, notamment par sa présence de plus en plus importante dans les pratiques artistiques destinées à la jeunesse, qui semblent diluer le mythe afin de l’adapter à un public moins mature. Ce processus, bien que pouvant être considéré comme légitime sous certains angles, nous pousse à nous interroger sur la nature du vampire tel qu’il est représenté dans la culture contemporaine. Certes, des œuvres mettant en scène des vampires plus “classiques” sont encore produites de nos jours, mais comment décrire les créatures inhérentes à des œuvres comme la saga Twilight de Stephenie Meyer ou de la série Anita Blake: Vampire Hunter de Laurell K. Hamilton, qui apparaissent comme des versions atténuées du vampire, où l’on a conservé uniquement que les aspects “intéressants”: la sensualité et l’immortalité?

Ce processus d’acceptation des vampires est sans doute partiellement explicable par l’influence et la popularité indéniable du roman Interview with the Vampire d’Anne Rice, qui a mis le vampire au centre de sa propre histoire, lui conférant une individualité, nuançant l’idée que le vampire est nécessairement un monstre devant être détruit à tout prix. Toutefois, le roman de Rice reste ambivalent dans le sens où, bien qu’il accorde un regard nouveau sur l’existence vampirique, il expose tout de même des éléments qui restent tabous aujourd’hui, 40 ans plus tard, comme l’érotisation du corps de l’enfant et l’inceste. C’est d’ailleurs un élément que le roman partage avec une œuvre plus récente: Laisse-moi entrer (traduit du suédois Låt den rätte komma in) de John Ajvide Lindqvist paru en 2004. En effet, les deux œuvres concernent l’histoire de deux vampires transformés lors de leur enfance, Claudia et Eli, qui doivent survenir à leurs besoins par leur corps. Figures érotisées entretenant des rapports évoquant l’inceste et la pédophilie, les personnages de Claudia et d’Eli suscitent un fort malaise car ils soulèvent des questions morales: l’esprit peut-il faire fi du corps? Qu’est-il juste de faire pour assurer sa survie? L’amour est-il possible à atteindre dans une relation basée sur des rapports de force? Les deux personnages sont également au cœur de questions concernant l’exploration de soi et plus particulièrement du genre. Sans être humains, ils ne correspondent pas exactement à l’image que l’on se fait des vampires: ils dépendent des autres, sont immortels mais plus faibles que les autres vampires, ne peuvent subvenir à leurs propres besoins dans un monde qui les repousse doublement à cause de leur nature, celle du monstre dans un corps d’enfant, une “silhouette absurde” (Rice: 398).»

Vous pouvez consulter la présentation PREZI directement sur cette page, en complément à la capture audio.

Mathieu Langevin

«Appleseed» (1988) ou la Titanomachie hésiodique comme vecteur dʼun nouvel ordre biotechnologique

«Is this a zoo? Ces paroles liminaires, prononcés dès la première scène par Freia, figure tragique qui annoncera son existence et sa libération par voie de défénestration, vont non seulement servir d’ignition au récit filmique, mais vont également fournir un substrat à l’ensemble des questionnements qui peuvent sourdre suite au visionnement d’Appleseed, long-métrage d’animation de 1988 réalisé par Katayama Kazuyoshi. Si la trame narrative de ce récit de science-fiction emprunte la forme quelque peu éculée du thriller policier et nous gave à satiété des poncifs du genre, c’est bien dans une dimension totalement mythologique que sont posées les assises visuelles et intellectuelles de cette utopie cinématographique. Obvies, les multiples références à la culture hellénistique revêtent manifestement une importance capitale au sein du film de Katayama et mérite une pleine analyse. Cependant, il est à noter que dans le cadre de cette communication nous entendrons par dimension mythologique un arraisonnement temporel du récit ayant principalement comme objectif d’aplanir les distances entre l’espace et le temps, entre l’homme et sa genèse, dans un univers fictif qui, à l’instar de la  société japonaise d’après-guerre, apparait démuni de repères suite à un cataclysme hors-proportion.

Omniprésent dans Appleseed, ce syncrétisme qui s’opère entre la refonte symbolique de la religion traditionnelle (temps du mythe) et une ontologie postmoderniste (temps de l’histoire) s’incarnera à travers une habile transposition du récit théogonique de la Titanomachie hésiodique, mythe occidental représenté ici comme vecteur d’un nouvel ordre biotechnologique (Orbaugh, 2002). Cette interpolation servira de canevas à deux problématiques sous-jacente, soit la rupture des marqueurs temporels et la perte des repères historique comme corollaire du transhumanisme utopique, puis, l’assujettissement et la dématérialisation du corps humain à travers l’usage de plus en plus soutenu d’un technologie envahissante. À l’instar d’Icare, l’homme peut-il véritablement s’envoler et être autonome sans brûler ses ailes?»

Mathieu Li-Goyette

Muscles, postures et vitesse: Flash Gordon et lʼinstitutionnalisation de lʼaction super-héroïque

«Le Flash Gordon d’Alex Raymond (1934-1943) saute si rapidement d’un lieu à l’autre que de nombreux espaces s’y chevauchent au sein d’un même strip. Ne lésinant jamais sur le parallélisme des actions ou sur leur précipitation, Raymond articule une épopée fantastique suivant une seule et même trajectoire narrative (Dale Arden est enlevée et Flash Gordon devra la sauver des mains de l’empereur Ming) dont les incidences se répètent au fil des mois. Son strip est une longue épopée dont chaque nouvelle page dominicale fourmille d’indices de vitesse qui, d’un lieu à l’autre et à l’intérieur d’une même bande, parviennent à induire une impression de mouvement brusque (les combats et duels y sont légions) en portant une attention particulière aux environnements et aux décors de la planète Mongo et en s’attardant à la manière dont les personnages habitent ces espaces. Volent-ils? S’accroupissent-ils? Courent-ils? Les postures changent, s’adaptent à l’espace et à la case, l’action s’y mêle et fait débouler les péripéties de lieu en lieu, donnant à voir les rêveries territoriales de l’auteur.

Au moins autant dans la création de lignes de tension que dans l’articulation spatiale, ce travail anatomique, celui des postures et des combats aériens et terrestres, imposera Flash Gordon comme le strip héroïque par excellence des années 1930 et inspirera de nombreux créateurs de superhéros à venir, notamment dans le découpage de l’action, le timing des immobilisations séquencées et l’adéquation case/action qui dégondera la mise en cases de son formalisme d’antan. Ma communication s’appuiera sur mes recherches sur la bande dessinée prise comme écologie séquentialisée, un modèle inspiré par la schizo-analyse de Deleuze et Guattari (L’Anti-Œdipe), que j’ai théorisé comme voie de sortie aux grilles sémiotiques qui éloigneraient la BD de ses potentialités formelles ainsi que de la dynamique interne qui l’habite. Plus intéressée aux capacités formelles et expressives de la bande dessinée qu’à la nature de ses récits, cette approche mettra en relation les contractions productives entre textuel et visuel, entre corps et espace, entre case et planche.»

Alexandre Poirier & Pascale Thériault

Ode aux «regular joes»: le jeu dʼaventure comme conservatisme progressiste

«Après un peu plus d’une quarantaine années d’évolution technologique, le jeu vidéo semble, au premier regard, ne pas avoir subi d’importants changements au niveau de la représentation des personnages et des thématiques employées dans le récit, du space marine de Doom (id Software, 1993), trucidant démons intergalactiques dans un carnage pixellisé, à Geralt of Rivia dans The Witcher III Wild Hunt (CD Projekt RED, 2015), détruisant créatures des ténèbres avec force et magie et s’adonnant aux plaisirs de la chair avec de séduisantes sorcières. La dominance de la “masculinité militarisée” dans l’industrie (Kline et al.) a récemment été la source de nombreux débats, notamment avec les événements du #GamerGate où de nombreux commentateurs déploraient (et déplorent toujours) le conservatisme des designers. Pourtant, si les personnages masculins indestructibles aux muscles saillants demeurent généralement la norme dans les productions vidéoludiques d’envergure (dites “AAA”), le jeu d’aventure graphique semble à l’opposé de ce modèle dominant. En effet, bien qu’il ait été un genre particulièrement populaire dans les années 80 et 90, il semble être à part quant à la représentation des la masculinité militarisée: les personnages masculins sont, d’un côté, maladroits, ridicules et faibles, alors que de l’autre côté, les personnages féminins sont bien souvent à des années lumières de la fameuse demoiselle en détresse.

La communication suivante sera une analyse historique du jeu d’aventure en tant que modèle de conservatisme progressiste, c’est-à-dire une œuvre vidéoludique où les caractéristiques de la masculinité militarisée sont interverties ou renversées, malgré les pressions de l’industrie AAA au fil des années, au profit d’une représentation des personnages plus inclusive, variée et ancrée dans le réalisme. Afin de démontrer en quoi ce conservatisme progressiste vient, par le fait même, graduellement affadir la masculinité militarisée (même si la faiblesse est intrinsèque à la puissance (Eco)) tel un microcosme parasitaire qui fait muter les productions d’envergure, notre perspective historique sera mixte, à la fois diachronique et synchronique. D’une part, après avoir défini le jeu d’aventure à partir de définitions d’auteurs notables (Lessard, 2014; Fernández-Vara, 2009; Wolf, 2002), nous comparerons les protagonistes et les récits de The Secret of Monkey Island (Lucas Arts, 1990) et Tales from the Borderlands (Telltale Games, 20142015), deux jeux d’aventure adulés par les critiques contemporaines. D’autre part, chacune de ces oeuvres sera par la suite comparée avec deux jeux d’une série emblématique de la masculinité militarisée, soit Wolfenstein 3D (id Software, 1992) et Wolfenstein The New Order (Machine Games, 2014), tous deux sortis approximativement au même moment que The Secret of Monkey Island et Tales from the Borderlands, respectivement, afin de démontrer en quoi l’industrie du AAA se transforme progressivement avec des oeuvres vidéoludiques qui ne mettent plus de côté les invisibles et les histoires ordinaires d’autrefois.

Louis-Paul Willis

De Fonzie à Barney: mutation de la virilité dans les sitcoms américains

«Traversant les décennies tout en s’adaptant à elles, la figure du tombeur semble intrinsèquement liée à l’univers médiatique et télévisuel américain. Si les films et séries télévisées contemporaines posent des réflexions critiques fort intéressantes sur ce type de personnage, de Mad Men à Shame, les « situation comedies » (sitcoms) américaines semblent pour leur part inscrire l’évolution du tombeur dans une perspective plus stéréotypique, où la dimension généralement douteuse de son comportement est transmise sous le registre de l’humour. Ces personnages télévisuels se distinguent des personnages filmiques en ce qu’ils font des apparitions récurrentes et suscitent une sympathie potentielle beaucoup plus manifeste. C’est ainsi que le comportement parfois questionnable, voire misogyne, de personnages tels que Fonzie (Happy Days, 1974-1984), Joey Tribbiani (FRIENDS, 1994-2004) ou Barney Stinson (How I Met Your Mother, 2005-2014), n’a aucunement empêché ces personnages de connaître une popularité surprenante auprès de leurs publics respectifs.

Mais si la popularité de la figure du tombeur semble se maintenir dans les sictoms des dernières décennies, il reste que la représentation même de ce personnage a grandement évolué, tant sur le plan physiologique que psychologique. Cette évolution peut potentiellement fournir des indices précieux permettant une étude novatrice de l’articulation des rôles genrés au sein de la culture populaire contemporaine. Dans cette optique, la présente communication propose une étude comparative des personnages de Arthur Fonzarelli (Fonzie), issu de l’émission Happy Days, et de Barney Stinson, issu de l’émission How I Met Your Mother. Il s’agira avant tout de constater comment l’évolution d’un personnage à l’autre peut témoigner d’une transformation dans la conception de la masculinité dite ‘virile’ telle qu’elle est représentée au sein de discours télévisuels aussi stéréotypés que peuvent l’être les sitcoms. En effet, alors que Fonzie, un décrocheur passionné pour la mécanique, peut être perçu comme un fier-à-bras dont la masculinité se manifeste avant tout par la performativité physique, Barney semble incarner une masculinité beaucoup plus stylisée, articulée autour de sa réussite professionnelle ainsi que de son étonnante et inébranlable estime de soi, sans oublier sa capacité à développer des stratagèmes complexes pour piéger les femmes qu’il convoite. Si les deux personnages représentent une certaine omnipotence liée à la représentation médiatique de la masculinité, il reste que le premier incarne une virilité plus classique où le respect et l’admiration sont assurés par l’apparente force physique, alors que le second semble issu d’une masculinité post-métrosexuelle, où l’omnipotence est assurée avant tout par l’apparence, l’intelligence et le statut social. Pour le reste, Fonzie et Barney sont des personnages originalement conçus comme secondaires, mais qui sont devenus les porte-étendards de leurs franchises respectives, ce qui donne un indice probant quant à l’importance accordée à ce type de personnage. Au terme du parcours comparatif qu’elle mettra de l’avant, cette communication tentera de lier la représentation de la masculinité dans les sitcoms avec la mutation des comportements de genre telle qu’elle se manifeste dans la culture populaire visuelle.»

Lauren Dehgan

Lʼattaque des fangirls, une lecture queer et féministe du manga «Shingeki no Kyojin» par le fandom

«La connotation négative de l’expression “Tumblr Feminist” ou encore “Social Justice Warrior” qu’on retrouve caricaturé dans la dernière saison de South Park (saison 19, 2015) en dit long sur l’agacement et l’incompréhension que provoquent encore ces individus qui s’indignent et critiquent sur les réseaux sociaux. La médiatisation de la tentative de suicide du fanartiste Zamii qui y aurait été poussé par la pression des autres fans bien pensants, témoigne de la méfiance face à ce phénomène (voire l’article d’Aja Romano sur The Daily Dot ‘Steven Universe’ fandom is melting down after bullied fanartist attempts suicide, 2015). Mais ce serait oublier que les Geeks et autres Nerds ont aussi été décriés au Saturday Night Live, comme le rappelle Henry Jenkins dans Textual Poachers (p. 9), avant de conquérir la Pop Culture mainstream ces dix dernières années. Il s’agit de ne pas s’attarder sur des faits divers médiatisés et orientés mais d’observer par une petite fenêtre le fourmillement de cette subculture de fangirls queers et féministe née dans les années 1970 avec la fanfiction slash autour du couple Kirk/Spock de la série Star-Trek. Ceux mais surtout celles qui la composent n’hésitent pas à s’approprier une production culturelle ne répondant pas à leurs attentes.

Le cas spécifique du manga Shingeki No Kyojin, un shonen destiné donc aux jeunes garçons, mais réapproprié et disséqué par des lecteur-rices autoproclamé-e-s queer et féministes sur la plate-forme Tumblr, est édifiant en ce sens. En effet, si l’on remonte aux sources, on peut déjà constater une dimension féministe mais surtout queer dans l’oeuvre d’origine mais également dans la culture dont elle est issue, la culture japonaise où, à titre d’exemple, l’homosexualité masculine n’est devenue un tabou qu’avec l’influence de l’Occident au XIXème siècle. De nombreux éléments de Shingeki no Kyojin peuvent donc être perçus comme féministes et gay friendly: des uniformes mixtes, un personnage déclarant son désamour du sexe opposé, un couple de femmes rendu canonique par une laconique déclaration de l’auteur du manga sur Twitter… sans compter le fanservice, marketing brossant le public dans le sens du poil, surfant allègrement sur le Boys Love et le Yaoi. En réaction à cela, une audience occidentale et anglophone était tout prêt à se réjouir au travers d’analyses, fanfictions et fanarts publiés sur Tumblr de la non binarité, confirmée ou extrapolée d’un tel et à remodeler à plusieurs un nouveau Shingeki no Kyojin correspondant parfaitement à leurs désirs de représentations, allant même jusqu’à changer l’identité raciale de nombreux personnages. Enfin, on peut constater que la lecture des fangirls japonaises, les Fujoshi adeptes du Yaoi dont la naissance s’est faite en parfait parallèle avec celle des fangirls occidentales, a une certaine influence sur le manga lui-même. On peut ainsi voir certains éléments crées par le public Fujoshi comme le travestissement d’un personnage, injecté dans un produit officiel.  Il y a donc un réel contact entre l’auteur et le fandom.

Le constat de Michel de Certeau dans La culture au pluriel s’applique ainsi parfaitement à ce cas spécifique où consommateurs et auteurs ne sont finalement séparés que par la mince cloison du “canon” et du “headcanon”: “En réalité, la création est une prolifération disséminée. Elle pullule. Une fête multiforme s’infiltre partout […]” De là à voir une sorte de Gay Pride Otaku dans cette fête multiforme, il n’y a qu’un pas.»

Stéphanie Roussel

Quʼen est-il des fans de Ciné-Cadeau? Étude de la réception comme rituel

«Depuis plus de 30 ans, Télé-Québec programme Ciné-Cadeau, offrant deux ou trois fois par jour des dessins animés pour enfants durant le temps des fêtes. Alors que, sur 33 stations de télévision, la chaine publique québécoise ne récolte en moyenne que 2,7 % de l’écoute télévisuelle, la présentation des Douze travaux d’Astérix, dans le cadre de Ciné-Cadeau, a retenu l’attention de 624 000 téléspectateurs en 2012. On remarque un réel engouement pour cette programmation, tant et si bien que Télé-Québec a profité de cette période de popularité pour promouvoir son entrée sur les réseaux sociaux. Ce serait, selon un rapport annuel émis par la chaine de télévision, 82 % des jeunes francophones âgés de 2 à 11 ans qui auraient syntonisé Télé-Québec au moins une fois pour l’occasion chaque année. Constatant l’envergure du phénomène, j’ai mené une enquête auprès de plus de 200 répondants pour comprendre la place que tenait Ciné-Cadeau dans l’imaginaire québécois et circonscrire les termes sous-jacents à cette communauté de fans, qui affirment écouter religieusement Ciné-Cadeau.

Pour compléter cette étude, je me suis intéressée à divers commentaires de blogues et à différents articles de journaux portant sur cet objet. Il m’apparait, à plusieurs égards, difficile d’appréhender ce phénomène selon une vision restreinte, ou plus conventionnelle, du fandom, puisque l’intérêt des téléspectateurs de Ciné-Cadeau n’est pas attribué au contenu mais au contenant. Et ce contenant reste, malgré certains classiques, imprévisible et, plus encore, consommable autrement — en d’autres circonstances et sur d’autres plateformes. Il ne s’agit pas de fans d’Astérix ou de Tintin, ou encore d’obscurs films japonais. Ceux-ci ne cherchent pas à prolonger l’univers de leurs fictions préférées (fanart, fan fiction), ils ne sont pas aussi “actifs” que ceux étudiés par Jenkins (1992). Leur passion ne surgit qu’une fois l’an, entre décembre et janvier, où l’on voit partout sur les réseaux sociaux s’afficher les couleurs cinécadeauesques. Je privilégierai donc l’englobante définition de Sandvoss (2005), pour qui l’élément fondamental du fandom est l’implication émotionnelle du consommateur.

L’objectif de ma présentation sera de mettre en lumière, en me basant sur les théories de fan, et plus particulièrement sur les notions de communauté, de rituel et de sacré, les dynamiques particulières opérant au sein de cette communauté de fans, dont le plaisir résulte de l’exécution d’une tradition et du renforcement des liens d’appartenance, sur lesquels a toujours misé Télé-Québec dans ses stratégies markéting. J’axerai ma présentation sur le mode particulier de réception adopté par les fans. En ce sens, je montrerai comment leur plaisir ne relève pas simplement de la nostalgie, et ce, même si le blogue Souvenirs de Ciné-Cadeau a fait bien des heureux cet hiver en proposant en streaming de vieux films élagués de la programmation actuelle, mais d’un rapport très fort au sacré.»

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