Colloque, 28 octobre 2010

Valentin et Orson, figures duelles de l’idiotie et de la sainteté

Madeleine Jeay
couverture
Idiots, figures et personnages liminaires, événement organisé par Véronique Cnockaert, Bertrand Gervais et Marie Scarpa

À partir de Valentin et Orson, roman publié en 1489, je me propose de présenter une série de figures d’idiot qui traversent la littérature médiévale et la culture qui la sous-tend. Le choix de ce texte se justifie à deux titres. Paru à la fin du Moyen Âge, il conjugue les traditions narratives médiévales (roman, épopée, hagiographie) dans une combinatoire de motifs en cours de folklorisation. Ses liens avec le conte expliquent en partie son succès jusqu’au XVIIIe siècle dans les livrets de colportage de la Bibliothèque Bleue. La figure double des jumeaux Valentin et Orson représente deux facettes complémentaires de l’inachèvement. Orson, l’homme sauvage, réussit son processus d’humanisation et de socialisation pour le transcender et devenir saint. Il s’inscrit dans la lignée de Perceval qui montre l’affinité entre l’idiot sauvage et l’idiot mystique. Valentin, le chevalier modèle, incarne les limites de la normalité sociale qui, dans une culture de la transcendance, enferme ceux qui s’y complaisent dans un état de liminalité. La sainteté lui sera acquise à la suite d’une pénitence inspirée des pratiques de rabaissement de saint Alexis qui font écho à celles des anachorètes du premier christianisme. Le passage par la déshumanisation avec conduite de folie caractérise Robert, le fils maudit du diable, figure inverse de l’autre fils d’incube, Merlin qui porte en lui les traits de l’humain, du divin et de l’animal.

Dans les représentations du public courtois, l’idiotie est associée à la ruralité et à la folie. Ces deux traits associés dans le personnage de Jean du Dit du prunier, sont distincts dans le Chevalier au lion de Chrétien de Troyes, le premier représenté par le bouvier et le second par Yvain. Les manifestations d’idiotie de l’homme sauvage donnent lieu à des scènes burlesques qui donnent leur tonalité au fabliau de Trubert. Ce dernier, évocation parodique de Perceval, se comporte en trickster dont les tours révèlent la réelle idiotie des puissants.

Madeleine Jeay est professeure à l’Université McMaster.

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