Colloque, 3 et 4 mai 2018

Femmes ingouvernables: postures créatrices

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Le colloque Femmes ingouvernables: postures créatrices s’est déroulé les 3 et 4 mai 2018 à l’Université du Québec à Montréal.

Fondé en 2015 par l’initiative des doctorantes Joyce Baker (UQAM) et Fanie Demeule (UQAM) et affilié à plusieurs cellules académiques (Figura, OIC, Pop-en-Stock, IREF) le groupe de recherche Femmes Ingouvernables s’intéresse aux formes et à l’expression d’irrévérence au féminin en culture populaire. Il a tenu en mai 2018 son troisième colloque international annuel. La thématique proposée, celle des postures créatives ingouvernables, s’est naturellement imposée suite aux réflexions évoquées lors des deux évènements précédents.

Inspirées par les travaux de Kathleen Rowe, nous avons postulé que la figure théorique de la femme ingouvernable échappait au rapport de pouvoir et de domination, s’en dérobait pour évoluer sous ses propres entendements. Par la mise en place d’une subjectivité inaltérable quelle confère à l’individu, l’ingouvernablité représente en quelque sorte une forme d’autoengendrement. Vu sous cet angle, il nous apparaît pertinent de considérer l’ingouvernable comme une créatrice de pouvoir dans ses manières de s’approprier le langage pour se tailler une place dans le réel. Si le sujet féminin est traditionnellement l’objet regardé (gaze) et discuté, l’ingouvernable impose sa parole et prend contrôle sur sa manière d’apparaître ou de disparaître du monde. En conférence, l’autrice Jill Solloway parle d’un female gaze pour désigner ce renversement d’un regard externe objectifiant en faveur d’une vision féminine incarnée. Pour elle, cette posture artistique ouvre la possibilité d’offrir une œuvre pourvue d’une densité intime, qui ne va pas sans rappeler les préceptes d’une Hélène Cixous, invitant les femmes à «lireécrire» pour ainsi libérer corps et discours de l’asservissement.

Nous l’avons vu lors de notre dernier colloque, l’ingouvernabilité se conçoit en groupe, entre elles, lorsque les femmes s’associent dans un esprit sororal. On peut penser à la création de la voix ingouvernable et de sa transmission à l’échelle d’une communauté, comme un pont entre le mutisme craintif et le bruissement dense d’une solidarité vigoureuse. Créer pour se battre, créer pour se guérir du silence qui tient trop souvent les femmes en otage.

À cet égard, qu’en est-il du legs d’une dissidence artistique? S’opère-t-il dans une lignée à descendance verticale, ou plutôt gigogne, les artistes prenant naissance l’une dans l’autre, l’une grâce à l’autre? Des collaborations d’autrices contemporaines telles que celles du groupe les Panthères rouges, ou entre Marie-Ève Milot et Marie-Claude St-Laurent, nous montrent la puissance vocale du processus collectif, comparable à celle d’un chant diatonique. Si le régime patriarcal célèbre l’unicité monolithique de la voix auctoriale, nous pensons que l’ingouvernance créative des femmes laisse toujours entendre une pluralité de timbres qui convergent sans jamais s’accorder parfaitement.

Nous proposons que la création ingouvernable est essentiellement profanatrice; pour rejoindre l’idée d’Agamben, elle fait sauter les gonds de la figure sacralisée de la femme, et s’empare de la fixité de son corps pour en jouer à sa guise. Elle répète la formule donnée pour vérité afin de lui tordre le cou, en faire un Cheval de Troie à partir duquel contaminer l’image, l’écrit, la voix, et ainsi rendre disponible ce qui était jusqu’alors considéré hors d’atteinte, intouchable. On pourra aussi envisager d’explorer les jeux avec les différents paramètres liés à la posture d’autrice, tels que la figure auctoriale, la persona médiatique, l’usage de pseudonyme(s), etc. Quand le corps devient canevas de projection d’une identité nomade, comme chez Cindy Sherman, ou encore mutante, transhumaniste, avec Orlan.

Existe-t-il une poétique ingouvernable? Quels sont ses mécanismes et ses manifestations? Qu’est-ce qui fait en sorte qu’une œuvre provoque une commotion sociale, résiste potentiellement à la lecture, ou encore s’ouvre à d’innombrables interprétations contradictoires? À ce propos, il sera intéressant d’investir les diverses rhétoriques ingouvernables et leur apport politique, par exemple la surexposition du corps sexué de même que son discours (Nelly Arcan, Virginie Despentes), l’humour et la dérision (Marianna Mazza, Amy Schummer), l’expression de la colère (Jamaica Kincaid, Kameron Hurley) ou la revendication de la tristesse ou de la maladie (figures de la sad girl et de la sickgirl).

Ainsi nous vous invitons à penser la création artistique sous l’angle de l’ingouvernabilité et ce à travers toutes les postures disciplinaires, que l’on aura d’ailleurs tendance à vouloir hybrider: essayiste, romancière, cinéaste, poétesse, performeuse, photographe, dramaturge, peintre, artiste multidisciplinaire ou conceptuelle, sculpteure, bédéiste, fan artist, artiste activiste, danseuse, musicienne, et toutes ces autres créatrices dont les productions dépassent les catégories nomenclatrices et typologiques.

1) Ingouvernabilité artistique contemporaine
– Autofiction et mise en scène de soi;
– Jeux avec la persona médiatique ou le pseudonyme;
– Performances du corps;
– Formes et hybridations génériques ou transmédiatiques;
– Les questions de l’intime.

2) Créer entre elles
⁃ Rapports d’héritage et de filiations intertextuelles;
⁃ Regroupements de femmes artistes;
⁃ Créations collectives et collaboratives;
⁃ Écriture à quatre mains et plus;
⁃ Filles, sœurs, mères en tant que postures artistiques.

3) Représentations de femmes créatrices
⁃ Imaginaires de soi, mythologies personnelles et (auto)portraits;
⁃ Revisite et renversement des stéréotypes;
⁃ Portraits de femmes artistes effectués par d’autres créatrices;
⁃ Archéologie du contemporain : figures mythiques, historiques et légendaires nourrissant les créatrices actuelles.

Crédit image: Sarah Hache. «Ingouvernable comme dans alien, comme dans vie intérieure riche, comme dans être autre et avoir beaucoup d’imagination.»

Communications de l’événement

Bianca Laliberté

Ingouvernablement femme

«Qu’on la reconnaisse ou non, qu’on la consomme ou non, la femme ingouvernable se donne existante au sein du paysage contemporain. Cette existence m’intéresse et, surtout, de savoir sous quelles modalités elle existe.»

Juliette Pottier Plaziat

La Mésopotamie et le féminin sacré: confrontation des stéréotypes et mythologie personnelle

Dans le cadre de cette communication, Juliette Pottier Plaziat aborde son parcours personnel et ses recherches sur le féminin sacré en Mésopotamie.

André-Philippe Lapointe

Promethea. De l’écriture de soi à la création d’une communauté

Dans le cadre de cette communication, André-Philippe Lapointe aborde l’œuvre Promethea d’Alan Moore. Plus précisément, il s’intéresse aux enjeux de la création et à l’impact de la fiction dans cette bande-dessinée.

Sylvie Vartian

«Give me children or else I die»: maternité, procréation et transtextualité(s) dans «The Handmaid’s Tale» de Margaret Atwood

Dystopie visionnaire parue en 1985, The Handmaid’s Tale a inspiré une excellente série télévisée qui a fait culminer les ventes du roman depuis 2017. Cet inquiétant récit de fiction spéculative se déroule au sein de la théocratie de Gilead, dans une Amérique malade, ravagée par la pollution. Le portrait de cette dictature conservatrice réduisant les femmes à l’esclavage sexuel en raison d’une chute de la natalité, nous renvoie un inquiétant reflet de l’Amérique de Trump avec sa droite religieuse et les campagnes anti-avortement de ces groupes pro-vie.

Annie Gaudet & Marie-Pier Lafontaine

Performances corporelles et mise en récit de soi: lorsque la création devient vectrice d’une subjectivation

Basée sur un synopsis maintes fois exploité, l’histoire d’une femme séquestrée par un homme, The OA met en scène Prairie Johnson, aussi surnommée OA, personnage féminin emprisonné pendant plus de sept ans. Filmée tout juste après la libération du personnage d’OA, la première scène est significative de la subversion que met en scène la série, car celle-ci joue toujours sur cette frontière entre le narratif et le réel.

Fanie Demeule, Marie-Claude Garneau, Marie-Ève Milot & Marie-Claude St-Laurent

La Coalition de la Robe: de l’ingouvernable en recherche et en création

Cette table ronde rassemble les autrices de l’ouvrage La Coalition de la rob, paru aux éditions du Remue-ménage en 2017. Marie-Claude Garneau, Marie-Ève Milot et Marie-Claude St-Laurent ont discuté de leur démarche, du contexte dans lequel l’ouvrage -ce documentaire indiscipliné– a été réfléchi et conçu. La table ronde était animée par Fanie Demeule.

Ariane Bourget

Chants de traverse: puissance d’une profération au féminin. Projet de recherche-création en écriture dramatique autour de la figure mythique de la Rusalka

Ariane Bourget présente dans cette communication son projet de recherche-création en écriture dramatique, projet qui se développe autour de la figure de la Rusalka, la sirène de la mythologie slave. La présentation est suivie d’une lecture du texte dramatique d’Ariane Bourget.

Mattia Scarpulla

La libreria delle donne. Histoire et actualité d’un lieu culturel féministe géré par des écrivaines

Dans cette communication, Mattia Scarpulla présente la Librairie des femmes (libreria delle donne) et ses recherches sur celle-ci.

Rachel Doherty

L’hagiographie visuelle de la sorcière du marais Maurepas

Dans le cadre de sa communication, Rachel Doherty présente ses recherches de thèse sur l’hagiographie visuelle de la sorcière du marais Maurepas.

Rochdi Elmanira

M’Ririda, la voix et le corps libres d’une poétesse dionysiaque

Dans cette communication, Rochdi Elmanira présente la poétesse berbère marocaine, Mririda N’Ait Attik. Il aborde les poèmes de la poétesse, mais aussi le contexte géographique et historique (Maroc, 1930-1950) ainsi que le double statut de Mririda: poétesse et prostituée.

Marie Demers

Postmodernisme féministe et transgressions romanesques: «L’Euguélionne» de Louky Bersianik et «Le désert mauve» de Nicole Brossard

«Qui de nos jours, outre nous peut-être,  femmes ingouvernables, lit encore Éva Senécal, Medjé Vezina, Madelaine Gagnon ou Jovette Bernier? Bien peu de gens, il va sans dire. C’est dans une volonté de restaurer la mémoire de cette sororité subversive que je me propose d’étudier les écrits de deux écrivaines ayant un parcours de la transgression ayant eu un parcours de la transgression aussi riche qu’exemplaire: Nicole Brassard et Louky Bersianik.»

Jean-Nicolas Paul

«Testament» de Vickie Gendreau et «Mrs Dalloway» de Virginia Woolf, une même révolte contre la mort

Dans le cadre de cette présentation, Jean-Nicolas Paul analyse les romans Testament de Vicky Gendreau et Mrs. Dalloway de Virginia Wolf en regard des similitudes et des différences que ces œuvres portent sur les questions de représentations identitaires, de prise de parole et de flux de conscience.

Jennifer Bélanger & Gabrielle Doré

Corps malades, corps souffrants

Dans le cadre de cette communication, Jennifer Bélanger et Gabrielle Doré s’intéressent à la question du corps féminin malade et de son rapport à l’espace.

Soline Asselin, Jennifer Bélanger, Gabrielle Doré, Sandrine Galand, Gabrielle Giasson-Dulude & Maude Lafleur

Retrouvailles épistolaires et c(h)oeur de voix de femmes

Cette présentation collective rassemble six voix, celles de Sandrine Galand, Soline Asselin, Gabrielle Doré, Gabrielle Giasson-Dulude, Maude Lafleur et Jennifer Bélanger, six voix qui ont correspondu entre elles, échangeant sur les aléas de la vie quotidienne, les inquiétudes, la rédaction de thèse. En clôture du troisième colloque Femmes ingouvernables, la présentation a fait le point sur cette expérience d’écriture à 12 mains.

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