Carnets de recherche, 2011
Économies // parallèles
Réflexions sur les formes alternatives de l’économie. Carnet de recherche de Geneviève Sicotte.
Articles de la publication
Ventes de garage et hedge funds
L’économie est l’un des systèmes de régulation les plus importants du monde contemporain. Il faut saisir la dimension historique et évolutive de cette prépondérance : c’est depuis les débuts de la révolution industrielle et tout au long du 19e siècle que l’économie a progressivement étendu son emprise sur toutes les sphères de la vie et qu’elle a eu tendance à s’imposer, au point de vue des représentations et dans son effectivité, comme système omniprésent. Je voudrai y revenir, en examinant en particulier ce qu’en dit le roman de l’époque, dans les prochaines semaines.
Corps à l’encan
De La dame aux camélias (1848) d’Alexandre Dumas, il nous reste surtout, à travers la pièce de théâtre qu’en tira l’auteur et l’opéra qu’en fit Verdi (La Traviata), l’histoire kitsch de l’amour d’un jeune homme pour une courtisane, histoire qui s’achève glorieusement dans le pathos, les larmes, le repentir, la réconciliation et la mort… Mais au-delà du cliché, ou pour mieux dire avant lui, La dame aux camélias est aussi un roman, beaucoup plus corrosif que la pièce et que l’opéra, et dont le propos concerne tout particulièrement l’économie. La prostituée y apparaît comme une figure cristallisant une alliance problématique propre à la modernité économique : celle du désir et de l’argent.
«Ceci n’est pas une marchandise»?
C’est devenu un topos des discours alternatifs en tout genre: «ceci n’est pas une marchandise». «Ceci», c’est-à-dire au choix la culture, la santé, l’éducation, l’espace public, la nature, les gènes, etc. Le récent débat autour du financement de la culture nous en a encore donné un exemple. Alors que la nouvelle droite canadienne incarnée par Nathalie Elgrably-Lévy du Journal de Montréal et Krista Erickson de Sun News se lançait dans une attaque en règle contre les subventions de l’État aux arts et à la culture, la réponse du milieu culturel a été de soutenir que l’art, du moins celui qui ne serait pas tombé au statut de divertissement dépourvu de sens, n’est pas une marchandise, qu’il fonctionne selon une logique autre.
La fête de la consommation
Durant les semaines d’été, les rues de Montréal sont littéralement envahies par les «ventes de trottoir». À perte de vue sur Mont-Royal, sur Saint-Laurent, sur Sainte-Catherine, les badauds innombrables circulent le long des étalages et sous les tentes montées par les marchands, où s’empilent les grands déballages des fins de séries et des articles soldés. Il y a de la musique, des ballons, les enfants mangent de la barbe à papa, une odeur de saucisses grillées flotte dans l’air. Les familles, les poussettes, les chiens, les couples d’amoureux, les cyclistes forment une foule pittoresque, une cohue débordante et bon enfant, mi-acheteuse, mi-spectatrice. La rue prend une sorte de charme dans cette atmosphère de fête foraine. Qu’achète-t-on dans de telles circonstances?