Hors collection, 01/01/2013
De Jocelyne à Valérie Mréjen. Une métamorphose autobiographique
Une jeune fille sourit, d’abord timidement puis, immédiatement après, de manière séduisante. La voix d’un personnage masculin rompt l’instant de silence avec un ordre: «Peux-tu me donner un trait de ton caractère?» Pendant que l’homme interroge la fille, il prend des photos. Les deux sont dans une chambre, assis sur le même lit. Les costumes des personnages se fondent aux murs gris de la pièce. L’éclairage est faible. L’action prend fin lorsque l’homme demande à la fille: «Comment voudrais-tu mourir?»; «Comblée de bonheur», répond-elle. Dans les dernières secondes de la scène, la caméra est fixée sur le visage de l’actrice. L’homme prend une dernière photo. Tout de suite après, la jeune fille tombe doucement sur le lit.
Cette séquence est un extrait du premier film de la vidéaste française Valérie Mréjen1Née à Paris en 1969., En ville (fig. 1), réalisé en 2011 avec la collaboration de Bertrand Schefer. Dans cette œuvre, il est possible de lire une grande partie du processus poétique de Mréjen: elle retire un plaisir tout spécial à faire des portraits audiovisuels et à mettre en valeur la pertinence de la parole, de manière à créer un style qui dévoile l’intimité à partir du récit expérientiel.
Détenant une formation professionnelle en arts plastiques, Valérie Mréjen est une artiste aux multiples facettes qui alterne des projets littéraires, vidéo, documentaires et filmiques. L’activité artistique de la créatrice parisienne s’intéresse surtout à la complexité des relations humaines. Son œuvre illustre, dans une forme anecdotique et sans allégories lourdes, le spectacle du quotidien. Par ailleurs, son travail artistique est porteur d’une critique envers une société soumise et post-médiatique, critique qui s’exprime à travers une grande simplicité stylistique.
Les personnages de Mréjen, généralement apathiques et dépendants, dépeignent sa personnalité introvertie. Dans des entrevues, l’artiste a clairement fait savoir que les visages révélés par ses images vidéo sont une trace d’elle-même, des regards et des paroles dans lesquels elle se camoufle et devient quelqu’un d’autre (Bickert, 2010). Ainsi, nous pouvons affirmer que son œuvre révèle l’inquiétude de s’explorer soi-même à travers les autres: un autoportrait constitué de plusieurs réalités convergentes.
Pour approcher la vidéographie de Valérie Mréjen, il faut donc comprendre le rôle qu’y joue le genre du portrait comme exercice d’auto-contemplation.
Si, au début, l’image cherche à transcender la finitude de l’homme, à être à la fois une affirmation et un témoignage, dans un second temps, l’image construit des imaginaires qui redéfinissent l’humaine à travers le regardé (le regard): le portrait essaie d’offrir une nouvelle connaissance. Selon Jean-Luc Nancy, l’objet principal du portrait est le sujet absolu, dénué de toute extériorité2«L’objet du portrait est au sens strict le sujet absolu: détaché de tout ce qui n’est pas lui, retiré de toute extériorité» (Nancy, 2001: 12).. Mais comment est-ce possible?
Dans En ville, Iris (interprétée par Lola Créton) est emprisonnée par le regard de son partenaire, Jean (interprété par Stanislas Merhar), qui tente de la posséder à travers l’œil de son appareil photo et leurs discussions. À la fin, c’est toutefois Iris qui expose son intimité, qui montre la vulnérabilité de son âge; c’est elle qui tombe sur le matelas, «morte comblée de bonheur», après avoir été réduite à son image photographique et à la fugacité de ses paroles. Mais existe-t-il vraiment un sujet absolu dans la figure de la jeune femme appréhendée par le regard de Jean? Ou bien en est-elle un simple reflet? La présence d’Iris se nourrit-elle du regard de l’autre ou, à l’inverse, se libère-t-elle dans les yeux de son partenaire?
L’exercice que Valérie Mréjen propose dans cette scène est caractéristique de la méthode de construction du portrait dans son œuvre. Généralement, ses personnages commencent à réagir au regard du récepteur: devant l’œil curieux et anonyme de la caméra, ils cherchent une [ré]affirmation à chaque parole qu’ils prononcent. Cependant, après être restées un instant comme un spectacle, ces présences élucidées par les projections lumineuses font du soliloque un dialogue qui incite le spectateur à participer activement. Comment? Grâce à la liaison de communication motivée par la parole. Pourtant, il n’y a pas passivité chez les personnages, mais plutôt chez le spectateur, puisque ce dernier regarde et écoute seulement, tandis que l’acteur à l’écran pose les règles du jeu.
Alors, nous pouvons affirmer que l’adolescente d’En ville commence en effet à répondre sous le regard étrange de son partenaire, mais que plus tard dans le récit elle se libère du cocon créé par ce regard, transformée en quelqu’une d’autre. En ce sens, le sujet absolu de Jean-Luc Nancy est une réécriture de l’identité en référence à la conscience (l’espace libre de toute extériorité), c’est-à-dire un moi structuré à partir de l’interaction du sujet avec son monde: le moi n’est pas un territoire individuel, mais individualisable.
Le philosophe français Paul Ricœur, dans son essai de 1987 «Sur un autoportrait de Rembrandt», propose que le peintre baroque du XVIIe siècle, né aux Pays-Bas, fût possiblement le premier artiste à comprendre le potentiel argumentatif de l’autoportrait non pas comme exaltation de soi, mais comme introspection dans les profondeurs de sa personnalité. À cet effet, Ricœur écrit: «Narcisse aime d’un amour érotique sa propre image dans les eaux. L’embrassant, il la brise. Rembrandt, au contraire, garde la distance et choisit, apparemment sans haine ni complaisance, de s’examiner» (Ricœur, 1987: 4). En nous basant sur cette notion, nous pouvons établir que sur l’autoportrait, l’artiste se représente comme un personnage de fiction dans une expérience passée.
Dans son autoportrait (fig. 2), Rembrandt s’est représenté peignant. Mais pour qui? Pour nous qui le regardons, ou, dans un mouvement anachronique, pour lui-même vu à travers les yeux de son public au Louvre ou sur Internet? De la même façon que dans le portrait d’Iris, ce que nous voyons dans la peinture de Rembrandt est le recueil d’un moi qui devient un flux collectif à l’instant d’être partagé (regarder, être-regardé, se regarder): tout ce qui est raconté par chaque trait du visage ou chaque geste révèle l’histoire d’un nouveau personnage né du dialogue entre le créateur et le public.
La réflexion sur soi expliquée par Ricœur dans son analyse de l’autoportrait de 1660 ne fait pas allusion à une expiation ou à un exercice cathartique; il s’agit d’une référence à la reconnaissance, la même qui se produit dans le déplacement constant entre l’exhibition et l’intrusion (et vice versa), ce qui permet aussi de revigorer le concept d’individualité.
Valérie Mréjen utilise l’idée du portrait comme un nouvel apprentissage du moi pour mettre à nu son intimité. Dans une autre de ses vidéos, Jocelyne (fig. 3)3La vidéo est disponible sur le site Web de l’artiste (www.valeriemrejen.com)., produite en 1998, l’artiste montre une expérience qu’elle a vécue de première main.
Dans cette œuvre, une jeune femme raconte ce qui s’est passé à un rendez-vous qui a fini avec une relation sexuelle désagréable sur le lit de son appartement. La vidéo est réalisée avec les paramètres du cinéma narratif conventionnel: une actrice et un scénario. L’atmosphère de la composition est froide, renforcée par les tons bleus du mur d’arrière-plan et du chemisier de la femme. La peau blanche de celle-ci se confond avec la lumière argentée qui baigne l’endroit. Ses cheveux noirs emmêlés et l’absence de maquillage accentuent le caractère de fille ordinaire du personnage et la neutralité de l’image. La femme est assise en face de la caméra, au premier plan, permettant au spectateur d’examiner attentivement les mouvements de son visage comme s’il s’agissait d’un interrogatoire de police. Son regard est timide, un peu insaisissable dans les mouvements de ses yeux bruns. Le personnage n’est vivant que lorsqu’il parle, par le son de ses paroles et la tension des muscles autour de sa bouche. La caméra reste fixe. L’enregistrement est sans coupure et sans aucun effet spécial. Le monologue de la jeune femme est continu. L’action se déroule à l’intérieur d’un appartement. On peut aussi entendre le bruit des voitures dans la rue.
L’artiste française explique que la stratégie de parler d’elle-même à travers un intermédiaire, celui de l’actrice dans le cas présent, est un choix pour mieux se reconnaître comme une troisième personne, se racheter de ce souvenir et le partager avec le spectateur par la voix de son actrice. De cette manière, l’histoire devient anachronique et, en même temps, une expérience collective: «Je me rends compte que je m’approprie souvent les mots des autres. Pour élaborer une pensée ou un langage, j’ai besoin de faire un collage d’expressions, des phrases, etc. J’emprunte beaucoup à ce que j’entends autour de moi» (Mréjen, 2008: 45).
Après tout, l’insipide symphonie qui prend forme dans la gorge de Jocelyne (le titre de la vidéo qui est également le prénom de l’actrice) essaie d’articuler le langage d’un moi. Mais lequel? Celui de Valérie Mréjen, de la protagoniste ou de quelqu’un d’autre? Intentionnellement, l’artiste laisse la question en suspens et ouvre une autre question pour mieux nous impliquer dans la situation: pourquoi la femme peinte devant nos yeux nous raconte précisément un acte sexuel?
La première question qui m’est venue lorsque j’ai eu fini de regarder la vidéo a été: quelle est l’importance pour moi, en tant que spectateur, de savoir qu’elle n’avait pas eu une bonne soirée avec son copain, et surtout qu’elle n’avait rien fait pour empêcher le contact sexuel? Si la jeune femme reste la victime de la violence de son copain, celui-ci devient-il en retour la victime de la vidéo, mis à nu et exposé dans toute sa maladresse par le récit sans concession de Jocelyne? Toutefois, l’apathie et l’indifférence du récit semblent indiquer que l’incident décrit est considéré comme un incident mineur. Le plus remarquable dans cette vidéo demeure donc son intention.
L’image vidéo est l’action d’exhibitionnisme par excellence, composée de deux moments essentiels: enregistrer et projeter. L’essence de sa poétique est d’être intrinsèquement destinée à l’être-regardé. Pourtant, Jocelyne ne peut pas héberger le même espace de communion du moi que l’autoportrait de Rembrandt, même si les deux œuvres ont été réalisées avec un objectif semblable. L’huile du peintre hollandais pourrait rester cachée et conserver la même essence, parce qu’elle devient un organisme taxonomisé au moment d’être achevée. Au contraire, Mréjen ne peut garder son produit sur son ordinateur ou sur la carte mémoire de sa caméra, car il ne signifie rien sur ces supports (c’est comme de garder les pigments purs et la toile blanche, séparés les uns des autres). Il est impératif de rematricer son travail avec un logiciel d’édition et, dans un deuxième temps, sous le faisceau du regard du spectateur. Les images qui émergent des émissions luminescentes de l’écran ou archivées dans les circuits logiques d’un ordinateur ne sont pas mortes à la morgue, mais des organes vivants dans un appareil cryogénique sophistiqué.
En exposant Jocelyne, l’artiste crée une nouvelle connaissance pour elle-même à partir d’un recyclage mnémonique. En prenant la place du spectateur dans sa vidéo, Valérie Mréjen quitte sa subjectivité et produit un double qui remplace et rachète sa fragilité: c’est son personnage, l’objet sexuel, l’objet vu, la femme timide qui cherche la libération par la parole. Jocelyne est l’avatar, son existence peut seulement être perçue dans sa projection éphémère. À travers l’actrice, l’artiste se projette non pas sur les possibilités ou le ravissement érotique de son corps endolori, encore trempé de la sueur et de la salive de son compagnon (toujours anonyme), mais dans un exercice d’auto-contemplation.
De la même manière que, comme Ricœur l’a évoqué (1987), le Narcisse s’aime dans son image qui transcende son existence parce qu’elle affirme son expérience, l’image vidéo fonctionne selon ce principe: dans sa virtualisation, elle sublime l’impertinence et la fragilité de la chair. À ce propos, Rosalind Krauss écrit:
Ainsi, Jocelyne serait en fait un fragment du désir de l’artiste? Pas entièrement, ou du moins seulement dans un premier temps. Elle incarne plutôt un territoire où la réalisatrice ne veut pas être, où elle ne laisse aucune empreinte mais où, malgré tout, elle reste présente.
Dans la peinture, et même dans les médias alternatifs tels que la performance, il y a toujours une trace implicite, tangible de l’artiste (un coup de pinceau, le corps de l’artiste comme un moyen de communication, etc.). En revanche, dans l’image vidéo, il ne reste que le message transmis. Pourtant, il s’agit du média idéal pour s’exclure de toute sorte d’immanence. L’image vidéo efface les empreintes du corps physique; c’est une région perfectible. Par conséquent, l’autoportrait de Jocelyne n’était possible que par l’image vidéo, où l’identité de Valerie Mréjen se libère du corps. Elle peut se regarder maintenant comme une étrangère, comme quelqu’un en-dehors de ses sentiments (comme l’homme de sa narration). Elle peut se dénuder et aussi se décharner.
Dans un entretien réalisé à l’occasion de sa rétrospective, intitulée «Valérie Mréjen: Place de la Concorde», au Jeu de Paume à Paris en 2008, l’artiste répond à l’intervieweur sur ce qui la motive à utiliser la voix des autres au lieu de la sienne propre comme le véhicule de son message. Selon elle, c’est parce que le processus implique des détours inattendus:
Un autre élément essentiel est que les personnages de Valérie Mréjen ne sont pas toujours interprétés par des acteurs professionnels. Dans sa vidéographie, Mréjen aime mélanger des acteurs amateurs et des amis proches. Dans le cas particulier de Jocelyne, l’actrice est une débutante qui a reçu comme instruction de s’exprimer avec le minimum de gestes, «sans penser à rien4«Je disais aux amis qui posaient “ne pense à rien”» (Mréjen, 2008: 49).». Une autre des règles du jeu est que le comédien est libre d’improviser, c’est-à-dire d’ajouter ou de supprimer une ligne du script original.
Mais je ne suis pas sûr que l’une des intentions de l’artiste était de mettre le spectateur dans la situation de voyeur devant la situation précaire de l’objet observé. Un regard lascif alimente-t-il la vulnérabilité exposée de Jocelyne? Et dans l’affirmative, renforce-t-il notre argument? Jusqu’où peut nous mener ce «désir translucide»?
Valérie Mréjen se tient derrière la caméra avec l’intention d’arracher le charme imprégné dans tous les pores, rides ou imperfections des visages de ses protagonistes. Dans un jeu de taxidermie, elle essaie de posséder l’objet voyeurisé.
À cet égard, en 2002, la vidéaste réalise deux œuvres intitulées Portraits filmés (fig. 4) et Chamonix (fig. 5), dans lesquelles elle filme une série d’individus, hommes et femmes, racontant un souvenir. Pour les deux œuvres, elle écrit les scénarios avec d’autres artistes et quelques fragments sont improvisés devant la caméra. Mais pourquoi nous présente-t-elle ces souvenirs très intimes? En tant que spectateur, tout comme avec la vidéo Jocelyne, y a-t-il un sens à recevoir tout cela?
Il est clair que tout commence comme un moment libérateur: des personnages qui expulsent de sa vieille nostalgie la mémoire pourrie d’un moment accroché au présent. «La lentille de la caméra vous rendra libres.» Mais, contrairement à Jocelyne, le plaisir de regarder dans ces œuvres ultérieures est évident; nous oserions même dire que c’est la vraie raison pour laquelle les personnages ne peuvent s’échapper nulle part et se résignent à rester dans l’abri chaleureux des émissions photoniques, pour ne pas mourir.
Mréjen nous expose la vulnérabilité de ces entités solitaires: elles restent là, assises; au moment d’être assiégées, elles deviennent des images fétichisées. Les personnages fragiles dessinés par la lentille de la caméra et projetés sur l’écran sont détenus captifs les yeux du spectateur. Ici, la question serait: le personnage aime-t-il être possédé? D’abord, il est évident qu’il y a une nécessité d’être aux yeux des autres. Mais à quelle fin? Pour répondre à cette question, nous ferons référence de nouveau à la scène du film En ville analysée en au début de texte.
En examinant s’il existe un sujet absolu dans la figure d’Iris, nous avions proposé que, dans le regard de l’autre (masculin), la fille subit une métamorphose qui reconfigure ce qu’elle pense d’elle-même. Cependant, quelle notion, quelle identité reste chez-elle après avoir été regardée? Si Jocelyne et Iris partent de l’expérience du regard de l’autre masculin, quel rôle jouent-elles?
Dans son texte de 1975, «Visual Pleasure and Narrative Cinema», l’historienne britannique Laura Mulvey nous donne un indice que nous pouvons utiliser pour comprendre la structure scopique de personnages tels que ceux-ci: «In their traditional exhibitionist role women are simultaneously looked at and displayed, with their appearance coded for strong visual and erotic impact so that they can be said to connote to-be-looked-at-ness» (10).
Si Iris est fétichisée par son compagnon, Jocelyne advient dans les yeux du public anonyme comme un spectacle. Les deux femmes sont regardées, elles restent sur la défensive (la première dit dans une de ses répliques que la caractéristique essentielle d’une femme est la résistance; la seconde a été agressée sexuellement). Donc, ce que nous voyons dans leurs représentations est un état d’obsolescence, ou plutôt une momification prête à être étudiée.
Valérie Mréjen projette dans son alter ego Jocelyne sa condition de femme, comprenant sa personnalité en fonction de sa position sociale. Le personnage représente le résidu de ses insatisfactions, mais trace aussi une cartographie de son impuissance devant une réalité tyrannique qui lui a été inculquée comme un dogme: une femme doit assumer les stéréotypes féminins pour leur devenir indifférente.
Quand elle utilise le visage de quelqu’un d’autre pour décrire un événement qui a eu un impact sur elle (sans en spécifier la force), ce n’est ni fortuit ni comique, comme elle le prétend5«[…] dans Jocelyne, quand elle raconte sa nuit d’amour, si je l’avais racontée comme un souvenir j’aurais eu peur de tomber dans la confidence, dans la plainte, alors qu’avec Jocelyne, à qui j’avais demandé de dire le texte comme si elle était dans un commissariat, ça devient comique» (Rosenthal, 2010: 90).; c’est un acte réactionnaire de dénonciation. Elle essaie de se défaire d’une culpabilité devant laquelle on ne peut rien faire dans la vie réelle. S’il existe un moment comique quelque part dans la vidéo, c’est lorsqu’elle arrive à se revendiquer elle-même.
Comme les espèces disséquées dans un musée d’histoire naturelle, Jocelyne est une version sinistre que Valérie Mréjen aime dénuder: elle s’arrache du corps la peau de la soumission, s’extirpe du joug du pouvoir lacérant; elle se regarde toute martyrisée et en même temps elle invite le spectateur à participer à cette affliction audiovisuelle. Pour la réalisatrice, exhumer l’imposition de ses précarités féminines devient la méthodologie pour mieux se reconnaitre et s’examiner. Dans sa vidéo, l’artiste présente le portrait d’une femme passive qui s’éveille dans le plus immonde et vulgaire de sa représentation culturelle pour se dignifier et mettre en tension sa condition, la transformant en un langage poétique qui propose une nouvelle lecture des stéréotypes féminins.
Bibliographie
Bickert, Claire (dir.). 2010. Dossier «”Au revoir, merci, bonne journée”/Rencontre avec Valérie Mréjen». elles@centrepomidou, Paris: Centre Pompidou.
Rembrandt, Harmenszoon van Rijn. 1660. Autoportrait.
Krauss, Rosalind (dir.). 1976. Dossier «Video: The Aesthetics of Narcissism». October, vol. 1-printemps, p.50-64.
Mréjen, Valérie et Bertrand Schefer (réal.). 2011. En ville. France: 35 mm, 75 min min.
Mréjen, Valérie (réal.). 1998. Jocelyne. France: 2 min 10 min.
Mréjen, Valérie (réal.). 2002. Chamonix. France: 13 min min.
Mréjen, Valérie (réal.). 2002. Portraits filmés. France: 14 min min.
Mréjen, Valérie. 2008. Ping Pong. Paris: Allia, 160 p.
Mulvey, Laura (dir.). 1975. Dossier «Visual Pleasure and Narrative Cinema». Screen, vol. 16-3, p.6-18.
Nancy, Jean-Luc. 2001. Le regard du portrait. Paris: Galilée, 90 p.
Ricoeur, Paul (dir.). 1987. Dossier «Sur un autoportrait de Rembrandt». Gérontologie, vol. 61-janvier, p.3-4.
Rosenthal, Olivia (dir.). 2010. Dossier «Entretien avec Valérie Mréjen». Littérature, vol. 4-160, p.89-95.
- 1Née à Paris en 1969.
- 2«L’objet du portrait est au sens strict le sujet absolu: détaché de tout ce qui n’est pas lui, retiré de toute extériorité» (Nancy, 2001: 12).
- 3La vidéo est disponible sur le site Web de l’artiste (www.valeriemrejen.com).
- 4«Je disais aux amis qui posaient “ne pense à rien”» (Mréjen, 2008: 49).
- 5«[…] dans Jocelyne, quand elle raconte sa nuit d’amour, si je l’avais racontée comme un souvenir j’aurais eu peur de tomber dans la confidence, dans la plainte, alors qu’avec Jocelyne, à qui j’avais demandé de dire le texte comme si elle était dans un commissariat, ça devient comique» (Rosenthal, 2010: 90).