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Chapitre 4: Les stratégies d’adaptation en milieu de travail: visibilité et dissimulation

Line Chamberland
Christelle Lebreton
Michaël Bernier
couverture
Article paru dans Stratégies des travailleuses lesbiennes face à la discrimination: contrer l’hétéronormativité des milieux de travail, sous la responsabilité de Line Chamberland, Christelle Lebreton et Michaël Bernier (2012)

Ce chapitre a pour objectif de dresser un portrait de la visibilité des lesbiennes en milieu de travail. Après avoir présenté les informations reliées à la connaissance de l’orientation sexuelle des répondantes par leur entourage de travail, nous rapporterons les motifs de dissimulation, puis les motifs de divulgation principaux. Enfin, nous examinerons l’éventail des stratégies identitaires adoptées par les lesbiennes pour divulguer ou au contraire dissimuler leur orientation sexuelle en milieu de travail.

4.1 La visibilité en tant que lesbienne dans l’environnement de travail

Les lesbiennes sont-elles visibles dans leur milieu de travail? La réponse à cette question permet de tracer un portrait de leur visibilité dans cette sphère. Précisons tout d’abord que notre étude a rejoint des femmes qui ne font pas mystère de leur homosexualité dans leur vie personnelle: au moment de l’enquête, celle-ci était connue par la totalité ou la quasi-totalité de leurs amis dans 89% des cas et par la majorité d’entre eux dans 9% des cas. La situation est semblable du côté de leur famille, quoique à un degré moindre: pour respectivement 81% et 12% des répondantes, la totalité ou la majorité des membres de leur famille étaient au fait de leur orientation sexuelle. On constate ainsi que 6% d’entre elles seulement ne sont pas ou sont peu visibles auprès de leur famille. En effet, 4% des répondantes rapportent avoir informé seulement une minorité de membres de la famille et elles ne sont que 2% à n’en avoir informé aucun.

En milieu de travail, on constate d’emblée que les répondantes ne sont pas aussi visibles que dans leur famille et dans leur cercle d’amis. Le second constat qui s’impose est que la visibilité varie en fonction de la proximité et de la nature des contacts avec les personnes côtoyées dans l’environnement de travail. En effet, la proportion de personnes au courant de l’orientation sexuelle varie considérablement selon la catégorie d’interlocuteur. Autrement dit, les travailleuses lesbiennes ont tendance à être plus visibles vis-à-vis de certains groupes, notamment les collègues, mais elles le sont très peu vis-à-vis de groupes comme la clientèle. Nous avons distingué les groupes d’interlocuteurs suivants : a) le milieu de travail immédiat, qui comprend les personnes avec lesquelles les interactions sont nombreuses et quotidiennes: les collègues, les individus occupant un poste juste en haut (supérieur) ou juste en bas (subordonné) dans l’organisation hiérarchique du travail; b) le milieu de travail secondaire, formé des personnes avec lesquelles les contacts sont moins fréquents et les relations plus instrumentales ou plus distantes étant donné les rôles et fonctions de chacun. On trouve dans ce groupe les membres de la direction, les représentants et représentantes syndicales, les proches de la clientèle desservie (parents, mandataires, famille des bénéficiaires, etc.) et la clientèle (clients, élèves et bénéficiaires).

Une visibilité importante dans le milieu de travail immédiat

Selon que l’on considère l’une ou l’autre des catégories du milieu de travail immédiat (collègues, supérieurs et supérieures ou subordonnés et subordonnées), environ les deux tiers des répondantes estiment que leur orientation sexuelle est connue par la majorité ou la totalité de leur entourage. Tel qu’illustré par le tableau 7, ce sont les collègues et les supérieurs et supérieures immédiates qui en sont les plus informées.

Tableau 7

Connaissance de l’homosexualité dans l’environnement de travail immédiat (%)

Par les auteurices, 2012

Si pour une majorité de répondantes (66,3%) l’orientation sexuelle n’est pas un secret dans le milieu de travail immédiat, cela ne signifie pas pour autant que la plupart partagent cet aspect de leur vie avec tout un chacun, ni en toutes circonstances. En effet, les données de l’enquête indiquent que le tiers des répondantes (33,8%) sont invisibles auprès de leurs collègues ou ne sont visibles qu’auprès d’une fraction de ce groupe, ce qui implique que leur orientation homosexuelle reste dissimulée aux yeux de la majorité. Au sein du milieu de travail immédiat, on constate aussi des différences selon la position des individus dans la hiérarchie: l’orientation homosexuelle des répondantes a davantage tendance à être dissimulée aux subordonnés et subordonnées (25,4%) et aux supérieurs et supérieures immédiates (23,1%) que vis-à-vis des collègues (9,4%).

Par ailleurs, la stabilité ou la précarité de l’emploi ainsi que la composition du milieu de travail semblent avoir une incidence sur la visibilité des répondantes dans leur milieu de travail immédiat. Ainsi, l’orientation sexuelle des femmes jugeant leur emploi précaire est moins connue du côté des collègues et des subordonnés et subordonnées et cette tendance semble particulièrement marquée auprès des supérieurs et supérieures. Il en va de même pour les lesbiennes qui travaillent dans un milieu majoritairement masculin (plus de 70% d’hommes) comparativement à celles qui se retrouvent en milieu mixte (30 à 70% d’hommes) ou majoritairement féminin (plus de 70% de femmes). Si l’on considère, à titre d’exemple, la connaissance de l’orientation sexuelle par la totalité ou la majorité des collègues, on relève des pourcentages respectifs de 54,1%, 64,8% et 72,6% des répondantes.

Une visibilité réduite dans le milieu de travail secondaire

On observe des variations au sein du milieu de travail secondaire : si l’on regroupe les répondantes dont l’orientation sexuelle est connue par la totalité (ou presque) ou la majorité des personnes de chaque catégorie, on constate que l’orientation sexuelle est de moins en moins largement connue à mesure que l’on passe de la direction (46,2%) et des proches de la clientèle desservie (45,9%) aux représentants syndicaux (43,9%), puis à la clientèle elle-même, y compris les élèves et les bénéficiaires, qui est la catégorie la moins informée de l’orientation sexuelle (14,7%). Si l’on compare avec le milieu de travail immédiat, on observe que l’invisibilité totale est plus fréquente, et ce, quelle que soit la catégorie considérée. Ainsi, elle est plus marquée auprès de l’employeur ou des membres de la direction (33,8%) et même auprès des représentants et représentantes syndicales (39,7%) –ceci peut constituer un obstacle à l’utilisation des recours d’ordre syndical en cas de non-respect des droits ou de discrimination. Bien sûr, on peut avancer que la nature des interactions est moins propice à des conversations sur la vie privée que lorsqu’il s’agit de collègues, mais ces variations paraissent indiquer une vigilance accrue pour éviter que ne soient mis au courant des individus occupant un niveau hiérarchique différent dans l’organisation du travail.

Il peut paraître étonnant que les répondantes rapportent être davantage visibles auprès de la catégorie des «parents ou mandataires des bénéficiaires» que de la clientèle. La catégorie «clientèle» englobe toute une variété de situations professionnelles: tantôt les contacts avec le client sont superficiels et éphémères, à l’exemple d’un commerce ou d’un restaurant, tantôt la visibilité en tant que lesbienne n’est pas jugée souhaitable, comme à l’école primaire ou secondaire, ou face à des bénéficiaires en situation de dépendance ou de vulnérabilité à la suite d’une déficience physique ou intellectuelle. Dans ces dernières situations, il semblerait qu’une certaine transparence puisse parfois s’établir dans les relations avec les parents et les mandataires détenant la responsabilité légale de la clientèle desservie.

Affirmer son homosexualité

Le fait que l’homosexualité soit connue ou non par l’entourage de travail ne nous renseigne pas directement sur le comportement qu’adoptent les répondantes dans les interactions quotidiennes au travail. Nous leur avons demandé de choisir parmi cinq options celle qui décrit le mieux leur conduite à cet égard. Le comportement le plus répandu est celui qui correspond à une visibilité prudente et sélective: en effet, près du tiers des répondantes (32,7%) prennent rarement l’initiative de parler de leur orientation sexuelle, mais le font en réponse à un interlocuteur qui aborde le sujet, alors que près du quart n’abordent le sujet qu’avec des personnes de confiance (24,6%). Autrement dit, une majorité de travailleuses lesbiennes (57,3%) ne s’expriment sur leur homosexualité que dans certains contextes, tout en faisant généralement preuve de discrétion. Elles sont près de 18,7% à adopter des comportements visant à rendre leur orientation sexuelle invisible : 14,4% se montrent discrètes en tout temps et 4,3% d’entre elles font tout ce qui est possible pour la dissimuler. Il apparaît donc qu’à peine le quart (24,6%) des répondantes parlent ouvertement de leur orientation sexuelle en milieu de travail, sans distinction des personnes présentes. Ces résultats semblent indiquer que les lesbiennes qui se sentent à l’aise et en sécurité dans leur milieu de travail et qui ne craignent pas que leur visibilité ait des conséquences négatives ne sont pas majoritaires.

On pourrait penser qu’il suffit à une lesbienne d’éviter de parler de sa vie privée pour que son orientation sexuelle demeure inconnue de l’entourage de travail. Dans la pratique, une telle esquive n’est pas toujours facile à mettre en œuvre. En effet, 81,3% des répondantes rapportent que les conversations concernant la vie privée, la vie amoureuse ou conjugale et la vie familiale sont nombreuses dans leur milieu de travail. Dans un tel contexte, il est difficile de participer aux conversations sans avoir à fournir des informations mensongères et sans courir le risque de laisser échapper des indices «compromettants», alors qu’une attitude de retrait risque d’attiser la curiosité ou d’être mal perçue. Autrement dit, dissimuler son orientation sexuelle en milieu de travail est un choix plus exigeant qu’il n’y paraît de prime abord pour une femme lesbienne.

4.2 Les motifs de dissimulation

Dans le questionnaire, nous avons proposé aux répondantes des raisons pouvant inciter à la dissimulation de l’orientation sexuelle. Les quatre raisons le plus souvent sélectionnées sont: l’habitude d’être discrète, le désir de protéger sa vie privée, l’habitude d’être prudente, estimer que cela est préférable en raison du type de clientèle. Bien qu’elles puissent relever de traits individuels ou se justifier par des considérations relatives à l’emploi, les attitudes de prudence et de discrétion renvoient pour une part aux craintes des conséquences négatives d’un dévoilement de l’orientation sexuelle. Les motivations directement liées à la perception du milieu de travail comme étant fermé, voire intolérant envers l’homosexualité féminine pèsent elles aussi fortement dans la décision de taire son orientation sexuelle.

Préserver une sécurité psychologique

Préserver une sécurité psychologique

Afin de préserver leur quiétude d’esprit et assurer leur propre confort psychologique, des participantes préfèrent séparer nettement leur vie professionnelle et leur vie privée. En n’ouvrant pas la porte à des échanges personnels, elles évitent les questions intrusives et esquivent le dilemme de mentir ou de se dévoiler en répondant franchement.

Le travail et le privé, pour moi, c’est séparé. Ça fait moins de problèmes. Ça fait moins de rumeurs aussi. C’est ma vie, après tout. Ça m’appartient. Moi, je trouve que ce n’est pas bon de mélanger les deux. (Julie, 28 ans, éducatrice spécialisée)

Cette option est souvent présentée par les participantes comme résultant d’une décision personnelle, sans tenir compte de la réceptivité éventuelle du milieu de travail. Elle sera justifiée en référence à des traits de caractère (gêne, pudeur, discrétion), à un cheminement personnel particulier, à l’absence de relations amicales au sein de l’entourage de travail (sauf quelques exceptions) et ainsi de suite.

J’ai toujours été une personne qui n’aime pas avoir l’attention sur elle. Je dirais discrète, low profile. Je n’ai pas de misère avec le fait que je suis gaie, je suis une personne gênée. Les deux ensemble… On le sait que les gens en parlent, que ce soit positif ou négatif. (Stéphanie, 29 ans, psychologue dans une école primaire)

Ça fait trois ans et demi que je m’assume, avant j’étais avec un homme. C’est difficile à expliquer, puis c’est ma vie privée, je n’ai pas à expliquer à tout le monde non plus. Les gens que je côtoie comme ça, à jaser de tout et de rien, qui savent que j’ai une fille, parce que ça fait longtemps qu’ils me connaissent, mais quand même, le lien d’amitié n’est pas assez fort pour ça. (Caroline, 37 ans, secrétaire dans l’administration publique)

Une décision liée aux caractéristiques de l’emploi

La décision de dissimuler son orientation sexuelle auprès d’une partie ou de la totalité de l’entourage de travail est présentée par certaines travailleuses comme découlant de la nature ou du contexte d’exercice de leur métier ou de leur profession. Des intervenantes en psychologie, travail social, éducation spécialisée, etc., tairont leur orientation sexuelle devant leur clientèle, considérant qu’il s’agit d’une information hors propos et potentiellement nuisible à la relation professionnelle, en particulier si la clientèle est composée de personnes mineures, en situation de crise, en état de vulnérabilité à la suite d’une maladie ou d’une déficience, ou pour toute autre considération. La discrétion sur sa propre vie privée peut parfois même constituer une exigence du code de déontologie imposé par l’ordre professionnel ou par l’employeur. Dans d’autres cas, cette information sera tout simplement jugée non pertinente dans le rapport à la clientèle ou avec une partie de l’entourage de travail.

On n’est pas là pour parler de moi. Je pense qu’en général, c’est une chose à laquelle il faut faire attention avec les jeunes. On leur donne un coup de main, alors tu ne rentres pas trop dans ta vie privée. Il faut garder une distance. Quand tu commences à être un peu intime avec le jeune, tu viens d’ouvrir la porte à beaucoup de choses. C’est aussi important de garder cette intimité-là. Alors, moi, je vais parler de mes chiens. (Claire, 44 ans, gardienne de nuit dans un centre jeunesse)

La clientèle, c’est non. Ce n’est vraiment pas justifié dans mon travail parce que nous, on doit suivre des standards et des protocoles très stricts et on ne doit jamais s’impliquer personnellement non plus. Même si j’avais quelqu’un de gai au téléphone, par exemple, une femme gaie qui serait suicidaire, je ne peux pas m’impliquer en lui disant: moi aussi, je suis comme toi et puis… (Mathilde, 41 ans, téléphoniste en services d’urgence)

Les règles éthiques requérant la discrétion en matière de vie privée se justifient par des considérations professionnelles. Cependant, il est difficile de jauger le poids de l’hétérosexisme dans leur application: parler de son mari et de ses enfants constituera une information banale alors que dévoiler son orientation homosexuelle pourra être interprété comme une faute d’indiscrétion.

Avec la clientèle, à cause du code de déontologie effectivement, je serais plus prudente, je ne voudrais pas la perdre, je veux la respecter. Je ne juge pas nécessaire qu’ils soient au courant de ma vie privée. Ça peut devenir dangereux aussi, quand ils en savent trop sur toi. Ils peuvent l’utiliser contre toi, c’est déjà arrivé dans un cas hétérosexuel. Faut pas aller trop loin dans nos vies privées, dans le sens que ça peut perturber une clientèle qui est plus vulnérable. […] C’est sûr que la majorité des clients savent que telle personne est mariée, puis qu’elle a des enfants, mais ma vie de couple, ça, je suis pas sûre que ça passerait bien partout. (Marianne, 29 ans, aide familiale)

Pour leur part, plusieurs enseignantes craignent que l’information sur leur orientation sexuelle interfère avec leur image professionnelle et nuise à leur crédibilité, d’autant plus que, une fois dévoilée, elles n’en contrôlent pas la diffusion et pressentent toutes sortes de réactions parmi les élèves et les parents d’élèves. C’est là un thème récurrent dans le monde de l’enseignement.

La première chose, je pense que ça vient de ma propre peur. Je ne penserais pas que ce soit ma propre homophobie, mais c’est l’idée de me jeter dans le vide et si je le dis, eh bien, ça y est! C’est pour toute ma carrière. Je le perçois comme ça. Si c’était à la pièce et que je n’avais pas peur que ça me poursuive tout le temps, je le dirais probablement dans certaines circonstances. Ce sont des milliers d’élèves que je vais avoir dans les années à venir. Et ça peut être lourd de conséquences négatives… mais c’est ça, je ne sais pas jusqu’à quel point mes élèves ont à savoir ça. (Karine, 32 ans, enseignante au collégial)

My classes are very volatile. So I deal with it. They’re kids and my job is all about their self-esteem, it’s about managing the classroom, it’s about getting them to learn. And often I have really scary male students, really angry male students… Ones that, despite what they think of me at first, eventually come to like me but see me as a stereotype, I think. And maybe this is because I’m gay, I think the classroom should be a place where we don’t have too much personal stuff going on. I don’t indulge in that ever. For me, my classroom is about their mind and they know that about me. But I’m pretty personable. They actually think I’m very cool. (Nelly, 38 ans, enseignante au collégial) – Mes classes sont très instables. Alors je dois m’adapter. Ce sont des «enfants» et mon travail touche à leur estime d’eux-mêmes, il consiste à gérer la classe, à les inciter à apprendre. Et souvent j’ai des étudiants garçons qui me donnent la frousse, des étudiants vraiment en colère… Certains, malgré ce qu’ils pensent de moi au début, en viennent à m’apprécier, mais ils me voient comme un stéréotype, je crois. Et c’est peut-être parce que je suis gaie. Je pense que la classe devrait être un lieu où nous n’amenons pas trop nos histoires personnelles. Je ne le fais pas. Selon moi, la classe concerne leur apprentissage et ils le savent. Mais je suis plutôt agréable. En fait, ils pensent que je suis très cool. (Nous traduisons)

Dans certains cas, la dissimulation de l’orientation sexuelle constitue une protection face à la possibilité de fausses accusations ou de malentendus, étant donné les contacts ou la proximité physique inhérents à l’exercice de la profession. De telles craintes, alimentées par la persistance des préjugés homophobes et lesbophobes, sont fréquentes dans l’enseignement et l’intervention auprès des jeunes. Bien que les gais soient davantage ciblés par les soupçons de pédophilie, certaines lesbiennes se montrent, elles aussi, soucieuses d’éviter cette possibilité.

Je suis un peu bloquée par le fait d’être en privé avec eux. Étant seule à seule avec un ou une jeune de 15 ans, je me mets déjà un peu dans une situation où un parent ne serait pas à l’aise avec ça. Il pourrait retirer son enfant, carrément, de ma classe parce que j’aurais dévoilé mon orientation. Donc je suis un peu muselée [par] le jugement des familles que je ne connais pas. Ça pourrait aller à la direction de l’école. Ça pourrait faire un chialage pour rien. J’aime autant me taire là-dessus. Pour les protéger et me protéger, les deux. (Léa, 35 ans, enseignante en musique)

Souvent, les jeunes filles à l’adolescence peuvent être colleuses. Je les vois, elles vont coller une éducatrice, elles vont la prendre par le cou et lui donner un bec, tout ça. Moi, c’est une chose à laquelle je vais faire bien attention. (Claire, 44 ans, gardienne de nuit dans un centre jeunesse)

Une décision imposée par le milieu de travail

Dans plusieurs cas, la décision de taire l’orientation sexuelle apparaît motivée de façon prépondérante par le manque d’ouverture du milieu de travail et non pour des raisons personnelles ou des restrictions liées à la nature intrinsèque de l’emploi. Autrement dit, la divulgation est envisagée, mais refrénée, car les lesbiennes prévoient des réactions négatives soit d’individus, soit d’une partie du milieu de travail (clientèle, direction) ou de sa totalité. Une telle anticipation se fonde tantôt sur l’observation de comportements ou de propos homophobes ou lesbophobes, tantôt sur des signaux provenant de la hiérarchie de l’entreprise ou des conseils formulés par des collègues ou encore sur l’attribution (à tort ou à raison) d’une fermeture d’esprit en raison de caractéristiques telles que l’appartenance à un groupe d’âge, à un groupe religieux ou à un groupe ethnoculturel. Le souci de protéger son image et sa réputation professionnelles est donc exacerbé dans les domaines où l’on a affaire à une clientèle large et hétérogène.

L’âge y fait pour beaucoup. La mentalité de la campagne. Ils [bénéficiaires âgés] écoutent beaucoup la télévision. J’entends les commentaires: «T’imagines-tu? Ils veulent se marier entre hommes. Est-ce que ça a du bon sens? Voir si le bon Dieu accepte ça!» Est-ce que j’ai le goût de lui dire que moi, je veux me marier ou que je me suis mariée? (Madeleine, 53 ans, préposée aux bénéficiaires)

Présentement, j’enseigne dans un cégep très multiethnique, où il y a une des plus fortes concentrations d’élèves allophones au Québec. Donc, des gens qui viennent de toutes sortes de cultures, de toutes sortes de milieux, où évidemment l’homosexualité est moins bien considérée ou mal considérée, même jugée un péché… un crime. (Karine, 32 ans, enseignante au collégial)

Face à des manifestations concrètes d’homophobie dans l’environnement de travail ou à des signaux qui les font appréhender, la dissimulation apparaît comme une façon de se protéger des répercussions possibles d’un dévoilement: avoir à s’expliquer et à répondre aux questions, être étiquetée et jugée à travers le seul prisme de l’homosexualité, voir ses compétences dévaluées ou sous-estimées, être rejetée, se rendre vulnérable sur le plan des rapports interpersonnels ou sur celui des rivalités professionnelles, etc.

Je dirais que j’ai peur d’être identifiée à ça uniquement. «Ah, la prof lesbienne!» plutôt que «Ah, la prof qui donne un bon cours!». D’être vraiment étiquetée lesbienne, ça m’embêtait. (Karine, 32 ans, enseignante au collégial)

On ne donne pas de pogne au monde. On ne donne pas de place pour éventuellement nous blesser ou nous apostropher. (Pauline, 56 ans, directrice d’un centre de la petite enfance)

4.3 Les motifs de divulgation

Selon le questionnaire, les quatre principales raisons incitant à la divulgation sont: vouloir être intègre envers soi-même, développer une relation plus authentique avec les collègues, avoir besoin d’un congé suite au décès de la conjointe ou d’un membre de sa famille et vouloir contribuer à changer les attitudes envers les gais et les lesbiennes. Les propos des travailleuses interviewées s’élaborent autour de motivations similaires. Tout indique que lorsque le milieu de travail n’y fait pas obstacle, les lesbiennes trouvent divers avantages personnels à faire connaître leur orientation sexuelle à une partie ou à la totalité de leur entourage de travail.

Par désir d’authenticité

C’est de rester intègre. J’ai tellement menti quand j’étais plus jeune dans le milieu de travail. Je me dis que ça n’a pas de sens, parce que c’est comme si tu vivais une double vie. C’est comme si, à l’usine, tu tombes «je-ne-sais-pas-qui». Il faut que tu te forges une autre personnalité et je ne voulais plus vivre ça. (Patricia, 42 ans, journalière en usine)

J’allais déménager. Quelqu’un m’a dit: «Tu déménages avec ton chum? // – Non, avec ma blonde.» Il y en a qui sont restés l’air bête, mais ça ne fait rien. Pour moi, je ne voulais pas mentir, tout court. (Isabelle, 32 ans, éducatrice dans un centre de la petite enfance)

C’est important d’être honnête, d’être soi-même, d’être une seule personne. (Marie-Christine, 31 ans, technicienne agricole)

Pour expliquer leur décision de divulguer leur orientation sexuelle à une partie ou à la totalité de l’entourage de travail, un très grand nombre de travailleuses invoquent un souci d’authenticité. Elles soulignent l’importance d’être elles-mêmes et de vivre en harmonie avec leurs valeurs personnelles et leurs choix. Il y a là une question d’intégrité, un désir de s’affirmer de façon pleine et entière, mais aussi un rejet des mensonges et des demi-vérités, des stratagèmes de toutes sortes pour dissimuler qui elles sont et ce qu’elles vivent. Plusieurs participantes expriment un soulagement consécutif au coming out qui contraste avec le poids d’avoir à cacher des pans de leur vie personnelle et de devoir pour cela renoncer à la franchise et à la spontanéité – une expérience que toutes ont déjà vécue à divers moments dans l’une ou l’autre sphère de leur vie, parfois pendant de longues périodes, en particulier parmi les plus âgées. Pour plusieurs, l’honnêteté vis-à-vis de soi-même et le refus de mentir tracent la ligne de conduite qu’elles adoptent en réponse à la curiosité d’autrui. Ainsi, certaines participantes comme Catherine optent pour la franchise d’entrée de jeu, parfois même au moment de l’embauche (surtout les jeunes). Elles veulent de la sorte s’assurer que leur milieu de travail est ouvert aux lesbiennes, quitte à renoncer à l’emploi si tel n’est pas le cas.

J’ai eu, par le passé, des emplois où on m’interdisait de le dire et je ne me sentais pas à l’aise avec ça, pas du tout. Je me faisais questionner. Il fallait que je m’invente un chum ou… Alors, je m’étais dit: c’est fini, à l’avenir, c’est comme je suis et c’est tout. Si j’ai des questions, ce sera ça. La troisième journée de mon embauche en tant que travailleuse de rue, je suis allée voir mon coordonnateur et je lui ai dit carrément: «J’ai une question à te poser et si tu me réponds non, je te donne ma démission. Ai-je le droit de dire aux jeunes que je suis lesbienne?» Il a dit: «C’est toi qui décide, ça dépend comment tu es à l’aise avec ça. Moi, je ne te mettrai jamais des bâtons dans les roues pour ça.» J’ai dit: «Merveilleux, je vais rester.» À partir de là, je ne l’ai jamais crié haut et fort, sauf que si j’avais des questions des jeunes, j’ai toujours été ouverte à leur répondre. (Catherine, 27 ans, travailleuse de rue)

À la recherche d’aisance et de bien-être en milieu de travail

Ce motif est étroitement lié à celui de l’exigence d’authenticité, tout en mettant davantage l’accent sur les relations que l’on souhaite établir avec l’entourage: les femmes interviewées expriment le désir d’aménager un espace confortable et sécuritaire dans leur milieu de travail, un espace de convivialité où elles peuvent s’exprimer et partager leur quotidien avec au moins quelques-unes et quelques-uns de leurs collègues sans avoir à jouer un rôle. Le travail occupe une place importante dans la vie et il importe de bien s’y sentir. Une dimension importante de ce bien-être est celle de la commodité: mettre un terme aux inévitables mensonges dans lesquels on risque de s’enliser, stopper les rumeurs et les questionnements des autres à son sujet, cesser d’être constamment attentive à éviter toute allusion à un attachement lesbien dans son discours. En révélant leur orientation sexuelle à un-e ou plusieurs de leurs collègues de travail, les participantes tirent un trait –ne serait-ce que provisoire– sur l’obligation de demeurer sur le qui-vive. Comme le soulignent certaines participantes, la transparence est également requise pour le développement de relations interpersonnelles satisfaisantes et sincères, basées sur la confiance et le respect réciproques, surtout avec les collègues proches.

On passe 40 heures par semaine avec [les collègues de travail]. C’est presque autant de temps qu’avec notre famille. Veut, veut pas, surtout dans un pénitencier, tu en viens à parler de ta vie. Tu n’es pas toujours en train de faire une ronde. Tu n’es pas toujours avec un détenu. Tu fais beaucoup de surveillance générale. Alors, à un moment donné, tu parles. (Josée, quarantaine, gardienne de pénitencier)

C’est les gens avec qui tu passes beaucoup de temps, c’est les gens avec qui on échange beaucoup, on parle de nos vies. Sans rentrer dans notre tréfonds, on se raconte un achat ou une bad luck qui nous est arrivée sur le terrain, ou quand en magasinant une maison… Moi, j’ai pas le goût de passer ma vie à faire des abstractions, puis à mettre des «e» muets à mon amie tout le temps. C’est juste naturel de la faire connaître autour de moi pour avoir ce même niveau de conversation avec eux. (Johanne, 34 ans, adjointe administrative)

Dans certains cas, la sortie du placard permet d’éviter des malentendus engendrés par les présupposés hétérosexistes: être faussement perçue comme hétérosexuelle bloque l’émergence d’une relation amicale possible et peut entraîner toutes sortes de méprises. Le coming out vient clarifier la situation.

Ce gars-là a un œil sur moi. […] Je lui ai dit […]: «Il y a un malentendu. Qui t’a dit que j’étais libre?» […] Il me dit: «Ben, tu ne parles pas de ton chum. » J’ai dit : « Non, je n’ai pas de chum.» Il dit: «Tu es libre, d’abord.» J’ai dit: «Non, je ne suis pas libre. J’ai une blonde.» Il était défiguré. Il a fallu que je le ramasse en petits morceaux. Il me dit: «Oui, mais tu as des enfants. Tu n’es pas aux femmes!» J’ai dit: «Il y a plusieurs gaies qui ont des enfants. Ça n’a rien à voir.» (Diane, 45 ans, commis de bureau en usine)

Par militantisme

Il y a un avantage, quand tu es prête à le dire: c’est qu’à quelque part, tu voudrais faire avancer les choses, parce que tu constates à quel point le monde est fermé à ce sujet-là. Alors tu te dis que ça va peut-être ouvrir. Chaque personne qui en parle en éduque une autre et en éduque une autre et en éduque une autre… (Claudine, 49 ans, vendeuse en informatique)

Sans forcément revendiquer l’étiquette de militante, certaines travailleuses affirment se sentir investies d’un désir de faire avancer la cause des gais et lesbiennes. Elles s’y appliquent de différentes manières: défaire les préjugés, éduquer, contrer l’homophobie et l’hétérosexisme, présenter des modèles homosexuels positifs, défendre les droits des gais et lesbiennes, exprimer un appui à leurs revendications. Même si le choix de la divulgation s’amorce parfois sur des accents individualistes («Je n’ai plus envie de jouer de jeu»), il se raffermit en se donnant une portée collective. Il arrive aussi que le coming out se produise spontanément, en réaction à des propos homophobes.

Au départ, je l’ai dit pratiquement tout de suite, parce que je me suis sentie attaquée. Ça faisait déjà une semaine et demie ou deux que j’étais à l’école. On était assis, quelques étudiants, autour d’une table. On prenait un café. C’est venu sur le sujet, je ne sais pas pourquoi. Il y a une des filles, dans mon groupe, pour elle, c’était une maladie, une déviance, ce n’était pas normal, tu étais dérangé. La conversation commençait à être assez olé olé. Là, à un moment donné, la bouilloire a sauté. Je leur ai carrément dit que j’étais gaie. Il y a un débat qui s’en est suivi, c’est bien sûr. (Evelyne, 38 ans, spécialiste en contrôle aérien)

Certaines considèrent qu’intervenir sur le sujet fait partie de leurs responsabilités professionnelles en tant qu’éducatrice ou intervenante, que ce soit en se dévoilant elles-mêmes, en faisant un travail d’éducation ou en tendant la perche afin d’être perçues comme des alliées potentielles par d’autres lesbiennes (ou gais) dans le placard.

Quand j’anime des groupes d’entraide, je ne passe pas mon temps à en parler, c’est évident, mais à l’occasion, je parle de mon couple. […] Je vais amener le sujet au cas où il y en a une qui aurait envie d’en parler, ou en tout cas, qui se questionne, qu’il faut que ça sorte. Pour briser l’isolement de ces femmes. Moi, j’ai connu cet isolement-là. Je me dis, j’aurais aimé ça, moi aussi, avoir une femme, un moment donné, qui me dise: «Je suis aux femmes.» (Lison, 49 ans, intervenante, centre de femmes)

En réaction à des situations particulières

Le processus de coming out étant constamment en mouvance, jamais terminé, il est intrinsèquement lié aux conjonctures de la vie de l’individu. Ainsi, les lesbiennes en viennent à prendre la décision de sortir du placard dans toutes les sphères de leur vie, y compris au travail, à la suite d’un cheminement psychologique. Certaines nous ont raconté des pans de leur histoire personnelle, une trajectoire souvent longue et douloureuse, en particulier parmi les 40 ans et plus: un contexte social très fermé, le déni de leur désir, un parcours hétérosexuel incluant parfois un mariage auquel elles ont mis fin depuis et ainsi de suite jusqu’à un point de non-retour. D’autres sont plutôt aux prises avec des situations impromptues qu’il leur est impossible de cacher: nouvelle relation, rupture amoureuse, décès, grossesse ou accouchement de la conjointe… L’impact psychologique de tels événements est tel que la dissimulation devient plus pénible ou même concrètement impraticable.

J’étais sous le choc, complètement démunie. Je repense à tout ça, je me demande si je l’aurais dit officiellement si je n’avais pas vécu quelque chose de super difficile. Eux me voyaient dépérir, maigrir, ne pas rentrer au travail. (Solange, 41 ans, agente de recherche dans l’administration publique)

C’est l’amour, alors là, tu as le goût de le dire à tout le monde. Ça me donnait du gaz pour dépasser mes propres peurs, dépasser toute cette crainte-là parce que ce que je constatais, c’est que dans le fond, les gens ne te rejettent pas quand tu t’acceptes, quand tu fonces, quand tu t’affirmes. (Patricia, 42 ans, journalière en usine)

Ce n’était pas une relation amoureuse dans ma tête [en référence à une relation antérieure]. Ça ne valait pas la peine de faire pleurer mes parents et de le dire à tout le monde. Je ne l’avais dit à personne. Là, je suis tombée en amour avec elle et je me suis rendu compte que la famille, c’était possible. Alors, ça m’a donné une espèce d’élan pour dire : si c’est ça que je choisis, il faut que le monde le sache parce que sinon, ça va être super plate pour moi, je ne peux pas vivre cachée comme ça. De toute façon, ça me paraissait dans la face que j’étais amoureuse! (Sylviane, 31 ans, enseignante au primaire)

Dans le même ordre d’idée, des participantes disent être prêtes à divulguer leur orientation sexuelle –si ce n’est déjà fait– afin de bénéficier d’avantages sociaux en lien avec leur situation conjugale ou familiale.

Si la mère de [ma conjointe] meurt, c’est sûr que je vais prendre un congé. C’est pour ça que j’aimerais le dire à mon boss, si ça se peut, un jour. (Solange, 41 ans, agente de recherche dans l’administration publique)

Des contextes propices à la divulgation

S’il est impossible de parler de conjonctures externes «idéales» pour faire un coming out, certains facteurs semblent toutefois faciliter la prise de décision ou le passage à l’acte. Par exemple, la présence d’alliés et alliées au travail –des gais, des lesbiennes, des individus verbalisant leur acceptation de l’homosexualité– favorise la divulgation. Celle-ci se fera d’abord auprès des membres de l’entourage, généralement des collègues, avec lesquels s’établissent des relations amicales basées sur des affinités réciproques et de qui on anticipe une réaction d’ouverture.

La divulgation s’effectue donc souvent de manière graduelle, s’amorçant avec des interlocuteurs et des interlocutrices de confiance et se poursuivant avec d’autant plus d’assurance que les premières réactions auront été positives. Il arrive aussi que les lesbiennes répondent favorablement aux perches qui leur sont tendues: un commentaire positif sur l’homosexualité en général, sur un gai ou une lesbienne présente dans le même milieu de travail ou dans l’entourage personnel de l’interlocuteur, une indication quant aux alliés et alliées potentielles dans l’environnement de travail. Au contraire, des signes d’hostilité les inciteront à se taire et à restreindre les confidences au cercle des individus ayant manifesté une capacité de sympathie. Les propos des femmes interviewées corroborent les observations tirées du questionnaire quant à la prédominance d’une visibilité prudente et sélective, qui peut éventuellement s’étendre à l’ensemble du milieu de travail. Au premier rang des alliés et alliées visibles figurent les gais et les lesbiennes du même milieu de travail.

La première personne à qui je l’ai dit, c’est un gai, qui est ouvertement gai. Après, ça a été ma directrice dans ce temps-là, qui était une personne très ouverte. Après, ça a été les amis, puis le fait d’en parler avec ces amis-là, ça a renforcé l’amitié. (Caroline, 37 ans, secrétaire dans l’administration publique)

C’est sûr que les femmes gaies, ce sont peut-être les personnes avec qui, moi, je me sens le plus à l’aise quand vient le temps de parler de mon orientation, parce que ce sont les personnes qui me ressemblent le plus. […] En fait, hommes et femmes gais au même point. Puis, après ça, ce sont les collègues. […] Ça a commencé vraiment avec les gens les plus proches de moi, puis je l’ai annoncé à mon boss. (Johanne, 34 ans, adjointe administrative dans une firme privée)

Cependant, quelle que soit la catégorie à laquelle appartient leur interlocuteur, les participantes disent porter attention aux signes ouvertement favorables à l’homosexualité émis par leurs collègues ou dans leur milieu de travail en général. Aussi, d’autres facteurs liés à la stabilité d’emploi, au sentiment de sécurité et à la présence de politiques explicites concernant le respect des droits des personnes homosexuelles peuvent peser favorablement dans la balance.

J’ai toujours hâte [de pouvoir le dire]. J’ai hâte parce que c’est comme si j’avais quelque chose à cacher, et j’ai rien à cacher dans le fond. Mais c’est ta job et généralement quand tu commences un nouvel emploi, tu n’es pas protégée et c’est tout le temps la même affaire, tu ne veux pas avoir les gens à dos en partant. Alors, c’est un risque qui fait que moi, j’attends, je ne le dis pas tout de suite. (Diane, 45 ans, commis de bureau en usine)

Quelques personnes associent l’ouverture d’esprit qu’elles perçoivent dans leur entourage au fait d’évoluer dans un secteur d’emploi axé sur l’intervention sociale, la relation d’aide, les communications, ou impliquant de transiger avec une clientèle diversifiée, autrement dit, au fait de travailler dans des domaines où les qualités d’écoute et d’ouverture face à la différence font partie des exigences intrinsèques de l’emploi. Il existe donc des «facteurs facilitateurs» ou à tout le moins propices aux confidences. Certaines circonstances, moins agréables, peuvent aussi précipiter les divulgations. C’est notamment le cas des milieux de travail où les questions personnelles sont pressantes, où les rumeurs d’homosexualité courent, où les lesbiennes sont victimes d’avances hétérosexuelles.

Quand je sens qu’il y a une insistance de la part de la personne, puis qu’il y a une ouverture, je vais le dire. S’il y a trop de questions sur ma vie personnelle… ton chum, ton chum… à un moment donné, ça finit par m’agacer. Alors, ce n’est pas nécessairement pour qu’elle soit au courant, c’est juste pour qu’elle arrête de me le demander. J’aime pas ça conter des menteries. C’est ça le dilemme tout le temps. (Noémie, 27 ans, enseignante au secondaire)

Ça a sorti tout seul, comme ça, à un moment donné. On était allés déjeuner. Souvent le monde demande: «Ah puis, as-tu un chum?» Moi, quand je ne connais pas trop les gens, je suis très vague, je dirai jamais «il» ou «elle», je dirai toujours «la personne», fait que ça met de l’ambiguïté, les gens ne savent pas trop. Fait qu’à un moment donné, les questions commencent à surgir et j’en parle. (Bao Chau, 29 ans, infirmière)

4.4 Les stratégies identitaires

Tel que détaillé précédemment, les lesbiennes considèrent une panoplie de facteurs en lien avec l’aménagement de leur identité au travail: décision de divulguer ou non son orientation, évaluation des risques, choix des personnes de confiance, prévision des prochains choix personnels en fonction des premières réactions et ainsi de suite. Lorsque vient le temps de passer à l’action, qu’il s’agisse de révéler ou taire leur orientation sexuelle, elles peuvent adopter des stratégies actives ou passives, les stratégies actives étant celles où des efforts sont déployés pour exposer ou camoufler l’information alors que les stratégies passives privilégient la voie de l’évitement ou des moyens indirects.

Les stratégies actives de divulgation

Plusieurs participantes jouent un rôle actif dans leur processus de coming out en milieu de travail. Cependant, elles optent rarement pour la formule de l’aveu –qui ressemble trop à la confession d’une faute ou d’un secret intime– ou pour une divulgation sous forme de déclaration publique. La plupart des répondantes vont préférer des initiatives s’inscrivant dans le cadre d’une divulgation progressive où s’exerce un certain contrôle sur les personnes qui seront mises au courant. Lorsque nous avons présenté aux répondantes une liste de moyens pouvant être utilisés pour divulguer l’orientation homosexuelle, les moyens directs ont été privilégiés. Les trois le plus fréquemment sélectionnés sont : répondre clairement lorsque des questions sont posées, parler de la conjointe et prendre l’initiative de le dire clairement à une ou plusieurs personnes, par exemple en s’autodésignant comme gai ou lesbienne.

Les entrevues ont permis de spécifier les modalités de la divulgation: ces informations seront divulguées dans des contextes jugés opportuns, glissées dans les conversations courantes sur la vie conjugale ou les activités de fin de semaine; autrement dit, les lesbiennes tendent à inscrire la divulgation de leur orientation sexuelle dans un contexte où celle-ci paraitra anodine:

On parle du sujet de couple ou de vie privée et ça sort tout simplement: «Ma copine est pianiste…» On se met à parler de ça. (Léa, 35 ans, enseignante en musique)

I’ll make reference to a partner and them somehow the gender of that partner will come up. Often, I’ll say: «Actually it’s a woman.» And I’ll just keep going with whatever I’m saying. (Indira, 36 ans, médecin) – Je vais faire référence à un partenaire et, d’une manière ou d’une autre, mentionner le sexe de ce partenaire. Je vais alors dire: «En fait, il s’agit d’une femme.» Et poursuivre ce que je disais. (Nous traduisons)

Certaines participantes choisissent de dévoiler leur orientation sexuelle en corrigeant les présomptions hétérosexistes de leur interlocuteur ou interlocutrice: elles soulignent la symétrie de situation –la seule différence étant que leur partenaire est d’un autre sexe que celui attendu–, ce qui réduit la portée dramatique de la confidence. Cette tactique semble employée de préférence avec des personnes avec lesquelles s’est tissé un lien de confiance.

Jeanne [une collègue] me demande: «Toi, qu’est-ce qui t’attire chez un gars?» J’ai dit: «Moi, il n’y a pas grand-chose qui me frappe. Je préfère regarder les femmes.» Elle est partie à rire parce qu’elle a cru que c’était une farce parce que j’en fais souvent. Elle a dit: «Elle est bonne.» J’ai dit: «Non, ce n’est pas une farce, c’est vrai.» Elle a dit: «Ah, c’est vrai? Je ne le savais pas.» Puis ça a passé comme ça. (Diane, 45 ans, commis de bureau en usine)

Lorsqu’elles prennent les devants, les lesbiennes usent de divers moyens pour faciliter la réceptivité de l’interlocuteur ou interlocutrice: faire de l’humour pour le ou la mettre à l’aise; distiller l’information graduellement, en commençant par des indices qui mettent la puce à l’oreille, afin de ne pas brusquer ou dérouter l’autre; le ou la rassurer quant aux conséquences sur leur relation; etc. Les lesbiennes en couple, les mères et futures mères divulguent souvent leur orientation sexuelle en mettant de l’avant leur statut conjugal ou parental: elles mentionnent leur conjointe dans les échanges quotidiens, la présentent aux collègues de manière informelle ou dans des circonstances propices (par exemple lors des activités sociales où les conjoints et conjointes sont invitées), elles révèlent son existence afin d’obtenir l’accès à des avantages sociaux liés à ce statut, elles affichent une photographie dans le lieu de travail et ainsi de suite. Ici encore, cette stratégie vise à effectuer un rapprochement sur la base d’une situation conjugale ou familiale similaire à celle des personnes hétérosexuelles et à minimiser la différence découlant de l’orientation sexuelle. Elle s’appuie également sur la légitimité récemment acquise avec les législations reconnaissant les couples de même sexe et les familles homoparentales.

Les stratégies passives de divulgation

Les stratégies passives de divulgation consistent à ne pas cacher ou à laisser transparaître des informations qui pourraient être interprétées comme révélatrices de l’homosexualité ou qui pourraient éveiller des soupçons en ce sens. Ainsi, certaines participantes semblent plutôt partisanes de la politique du laisser-aller en ce qui concerne la divulgation de leur orientation sexuelle. Sans la taire, elles s’investissent à peine dans le processus de divulgation. Plusieurs femmes opteront pour ce type de stratégie vis-à-vis des personnes qui ne font pas partie de leur cercle amical. Par exemple, elles répondront aux questions posées, mais sans susciter les occasions, ou bien elles parleront sans se censurer en présence de tiers, mais sans véritablement mettre ces derniers au courant.

Il faut que la question vienne. Je ne me mets pas tout de suite le doigt dans la prise de courant. J’attends. Parce qu’on apprend avec le temps aussi. À respecter ses réponses et à respecter les questions des autres. S’ils ne posent pas la question, ce n’est pas nécessaire d’en dire plus. (Brigitte, 53 ans, animatrice en pastorale)

Ou encore, certaines rapportent ne pas dissimuler les indices pouvant conduire à des doutes sur leur orientation sexuelle:

Je pense qu’on m’a identifiée comme lesbienne assez rapidement. Une femme qui arrive seule, qui ne parle pas de son chum, qui a un bateau aussi. C’est fou à dire, mais un voilier, ça a l’air qu’une femme straight, ça n’a pas ça. (Marlène, 47 ans, employée dans l’administration publique)

Une autre variante consiste à laisser planer le doute et éviter de se compromettre soit en confirmant, soit en infirmant les rumeurs, ou encore, de les instrumentaliser en ne s’y objectant pas ou en les autorisant expressément, c’est-à-dire en demandant à quelqu’un de répandre la nouvelle. En effet, le procédé consistant à autoriser une tierce personne à répondre aux questions de l’entourage de travail relativement à l’orientation sexuelle semble assez répandu selon les résultats du questionnaire: 35,4% des répondantes indiquent l’utiliser ou pouvoir l’utiliser.

Prendre la défense des droits des gais et lesbiennes

Parmi les moyens indirects suggérés dans le questionnaire, le fait de prendre la défense des droits des gais et lesbiennes lorsque le sujet est abordé dans le milieu de travail a reçu l’adhésion de près de six répondantes sur dix. Il est raisonnable de supposer que les nombreux débats sur les familles homoparentales et l’accès au mariage qui avaient lieu au moment où l’enquête a été réalisée ont eu un impact sur les réponses. Traditionnellement, ce moyen indirect était considéré comme faisant partie des stratégies passives de divulgation puisqu’il misait sur une certaine ambiguïté : en effet, une personne peut défendre un point de vue favorable aux droits des personnes homosexuelles ou s’opposer à la discrimination à leur égard sans pour autant faire partie du groupe ciblé dans la discussion. Cependant, ces prises de position, surtout si elles sont vives ou répétées, peuvent aussi susciter des interrogations sur l’orientation sexuelle ou confirmer les soupçons de l’entourage: «Si tu les défends, c’est que tu en fais partie…» Au cours des entrevues, plusieurs participantes ont dit avoir pris position en faveur des droits des personnes homosexuelles non pas de manière voilée ou neutre, mais en s’impliquant personnellement, en exposant les difficultés concrètes et les discriminations qu’elles-mêmes ou leurs proches avaient vécues, ce qui a constitué, selon elles, une façon efficace de justifier les changements législatifs faisant alors l’objet de débats. Autrement dit, la défense des droits des gais et des lesbiennes s’insérait dans une stratégie active de divulgation de leur orientation sexuelle et non comme une manière détournée de se solidariser avec leur groupe d’appartenance tout en ne se dévoilant pas elles-mêmes.

Près du tiers des répondantes affirment divulguer leur orientation sexuelle en fournissant des indices ou des informations codées (par exemple, le nom d’un bar gai) pouvant être déchiffrés par l’entourage. Là encore, cette option est habituellement considérée comme s’inscrivant dans une stratégie passive de divulgation puisque les indices ne sont décodables que par les initiés et initiées: comprenne qui pourra… Toutefois, certains symboles sont désormais si largement connus que leur mise en évidence (par exemple, un T-shirt ou une épinglette aux couleurs de l’arc-en-ciel) peut être assimilée à un dévoilement direct. Cela dit, il n’est jamais acquis que de tels symboles soient interprétés correctement malgré l’intention de la personne qui les affiche, comme le raconte Diane.

Je suis contente que tout le monde le sache que je suis gaie. Il y avait un sticker sur mon char dans le stationnement. C’est un triangle inversé avec l’arc-en-ciel. J’ai un copain, un ingénieur, qui a reconnu l’arc-en-ciel de Apple. Il me dit: «Hé! Tu es une petite Apple!» J’ai dit: «Non, ça, c’est le triangle gai.» (Diane, 45 ans, commis de bureau en usine)

Les stratégies passives de dissimulation

Les stratégies passives de dissimulation de l’orientation sexuelle s’articulent surtout autour de l’évitement, de l’ambiguïté et de l’omission: il s’agit de maintenir une position où la personne, sans divulguer son orientation sexuelle, n’aura pas non plus à mentir, à renier qui elle est ou à s’inventer un personnage. La voie la plus fréquemment utilisée pour éviter les situations potentiellement inopportunes est de refuser les conversations sur la vie privée ou sur les activités en dehors du travail. Près des trois quarts des répondantes (72%) disent utiliser ou pouvoir utiliser ce moyen pour dissimuler leur orientation sexuelle.

Concrètement, il s’agit de ne pas prendre l’initiative, ne pas saisir les occasions ni les perches tendues, que ce soit avec diplomatie ou non. L’essentiel ici est de s’exclure du circuit usuel d’échange d’information sur la vie privée dans le lieu de travail et de fermer la porte aux éventuelles interrogations de l’entourage.

C’est la stratégie que j’applique. Je vous écoute, alors vous ne vous questionnez pas sur moi. Voilà! Et les gens aiment tellement parler d’eux! (Pauline, 56 ans, directrice d’un centre de la petite enfance)

Les autres [qui ne savent pas], ils ne s’aventurent pas, parce que je ne laisse pas de portes ouvertes non plus. Je ne laisse pas la possibilité aux gens de me taquiner. (Claudine, 49 ans, vendeuse en informatique)

La réussite d’une telle stratégie exige la mise en place d’une véritable chasse gardée autour de la vie intime, par exemple en ne s’impliquant pas dans les relations interpersonnelles, en minimisant les échanges informels avec les collègues au travail et à l’extérieur. De la même manière, on évitera les conversations autour de l’homosexualité de crainte de soulever des suspicions par association.

Même s’ils me passent des commentaires sur les homosexuels, de manière banale, comme ça, je ne dis rien. Je n’abonde pas, je suis au neutre. C’est comme parler de politique au bureau, je ne parle pas de politique au bureau. Ça, c’est des sujets à éviter. (Élise, 38 ans, audioprothésiste)

Une autre façon de dissimuler l’orientation sexuelle sans avoir à taire tout ce qui touche de près ou de loin à son intimité est d’utiliser un langage neutre ou ambigu lorsqu’il y a mention de sa vie privée, de façon à éviter ou détourner les soupçons. Près de six répondantes sur dix ont dit utiliser, ou pouvoir le faire, cette autre stratégie passive, ce qui la place au deuxième rang. Ainsi, on dit «la personne» pour désigner la conjointe de manière à ne pas indiquer le sexe, on emploie des termes équivoques tels que «ma copine» ou «mon amie» –avec le «e» muet. On évite soigneusement de nommer le statut réel de la partenaire, pour laisser croire qu’il s’agit d’une amie et non d’une conjointe.

Avant, je parlais: «Ha oui, avec une amie… On était deux, on était trois, on a fait telle affaire…» Je ne parlais pas au «il», mais je ne parlais pas de couple non plus. (Marlène, 47 ans, employée dans l’administration publique)

L’on peut également modifier l’information sur son statut conjugal en se faisant passer pour célibataire alors que ce n’est pas le cas, ce qui constitue une autre façon d’échapper à la curiosité d’autrui. Une tactique similaire est de s’abstenir de corriger le biais hétérosexiste. Ainsi, une lesbienne peut répondre négativement à la question de savoir si elle a un chum, laissant persister la présomption d’hétérosexualité (elle pourrait en avoir un) sans la rectifier.

Dissimuler à tout prix: les stratégies actives de dissimulation

Les stratégies actives de dissimulation consistent à tout mettre en œuvre pour afficher une identité hétérosexuelle, quitte à fournir des informations inexactes. Elles sont peu mobilisées par les participantes. L’une des plus fréquentes consiste à inverser le sexe de la conjointe lorsqu’on fait référence à sa vie conjugale. Cette stratégie permet d’afficher une façade hétérosexuelle, ce qui permet aux participantes de partager des moments de leur vie personnelle:

C’est dommage qu’on ne puisse pas s’asseoir dans la cuisine avec les autres intervenants et dire: «J’ai quelqu’un dans ma vie, j’ai une copine.» Il faut changer la phrase, il faut dire : «J’ai un copain.» (Julie, 28 ans, éducatrice spécialisée en santé mentale)

D’autres stratégies actives visent à édifier une façade hétérosexuelle feinte; elles incluent la projection d’une certaine image de soi sur le plan de l’apparence physique ou vestimentaire, l’invention d’un conjoint fictif, l’accompagnement par quelqu’un de l’autre sexe à l’occasion des rencontres sociales et même l’énonciation ou l’approbation de propos homophobes ou toute autre manière de réitérer les apparences de l’hétérosexualité.

I would always use camouflage by making jokes: «I guess I didn’t pick-up any guy last night… I haven’t found a man yet…» (Joyce, 47 ans, enseignante au secondaire) – Je le camoufle toujours en faisant des farces: «Je n’ai pas ramassé de gars hier soir… Je n’ai pas encore trouvé un homme pour moi…» (Nous traduisons)

4.5 Quelques conséquences des stratégies identitaires

Les entrevues ont permis d’aborder les conséquences de la mise en œuvre de stratégies de divulgation et de dissimulation avec un certain nombre de personnes. Rappelons-le, le processus de coming out se concrétise le plus souvent de manière prudente et progressive, dans des contextes et auprès d’interlocuteurs choisis. Plusieurs travailleuses lesbiennes ont dit que, conformément à ce qu’elles anticipaient, leur sortie du placard a nourri leur sentiment d’intégrité et amélioré les relations interpersonnelles avec l’entourage de travail, qui devenaient plus intenses et plus aisées. Dans l’immédiat, le coming out a souvent induit des messages explicites d’acceptation de la part de leur interlocuteur ou interlocutrice, qui avait justement été choisie en fonction de l’ouverture d’esprit qu’on attendait de lui ou d’elle. Certaines lesbiennes disent être devenues des «expertes» sur la question de l’homosexualité dans leur entourage de travail, un rôle qu’elles disent apprécier dans la mesure où il les valorise.

Quelques-unes ont l’occasion d’agir comme conseillère ou confidente auprès d’une personne interpellée par cette réalité dans sa vie privée (par exemple, à la suite du coming out d’un de ses enfants). En outre, certaines femmes voient leur visibilité comme un porte ouverte qui leur permet de s’engager activement dans la lutte contre l’homophobie ou comme une façon en soi de déconstruire les stéréotypes sur les gais et lesbiennes en projetant une image différente des clichés habituels. Enfin, en établissant plus de transparence entre les deux univers, la divulgation facilite la conciliation entre la vie privée et la vie professionnelle.

Cela dit, certaines participantes rapportent des réactions ou des conséquences qui conduisent à nuancer ces effets positifs du coming out. La divulgation peut provoquer un effet de surprise ou un malaise passager chez l’interlocuteur ou l’interlocutrice. La sortie du placard peut engendrer de l’ambiguïté dans certaines interactions: des personnes interprètent ou pourraient interpréter de façon erronée des gestes comme exprimant une tentative de séduction, alors que ce n’est pas le cas. Par crainte de tels malentendus, certaines lesbiennes s’autocensurent ou surveillent leurs gestes en guise de mesure préventive.

Les stratégies de dissimulation présentent elles aussi des avantages: ainsi, la non-divulgation de l’orientation sexuelle maintient un écran de protection sur la vie privée. Dans la mesure où le secret demeure bien gardé, la dissimulation offre également une protection contre les manifestations directes d’homophobie, mais non contre l’homophobie ambiante (par exemple les blagues sur les homosexuels). Malgré la relative efficacité de ces stratégies quant aux effets recherchés, les travailleuses interviewées trouvent peu d’effets positifs découlant de la mise en œuvre de stratégies de dissimulation. Sur le plan psychologique, leur maintien sur une longue période requiert beaucoup d’énergie: il faut éviter de se contredire et garder une présentation de soi cohérente, ce qui exige de la vigilance. L’impossibilité d’échanger au sujet de sa vie amoureuse et conjugale empêche d’obtenir du soutien émotif lors d’événements dramatiques ou bouleversants. Il s’ensuit un certain isolement sur le plan relationnel. La dissimulation requiert également des adaptations plus ou moins contraignantes sur le plan de la vie privée, comme s’abstenir de communiquer avec sa conjointe pendant les heures de travail. S’ajoute à ces éléments le stress d’un dévoilement accidentel de l’orientation sexuelle malgré les efforts déployés pour ne pas la divulguer.

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