Journée d'étude, 5 mai 2023

Les Sentiments hostiles. Recherches conceptuelles et travaux d’approche

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Les sentiments hostiles renvoient à trois études du philosophe hongrois Aurel Kolnaï (1900- 1973): Le Dégoût (1929), L’Orgueil (1931) et La Haine (1935). Ancien élève d’Edmund Husserl, un temps proche du psychanalyste Sándor Ferenczi, inspiré par la pensée de Franz Brentano, Kolnaï demeure aujourd’hui pratiquement inconnu et peu étudié. Son étude sur Le Dégoût — un sujet bien étrange, selon Husserl, mais cependant lu avec une grande attention par Georges Bataille au moment où il rêvait de fonder une singulière hétérologie, censée mettre en lumière l’inquiétante efficacité du fascisme — est de loin l’analyse la plus saisissante d’un sentiment qui se situe à la limite du corps et de la psyché, de l’expérience physique et de la texture morale qui enveloppe notre relation à l’autre. C’était aussi, pour Kolnaï, d’origine et de culture juives, une manière de replacer l’analyse des sentiments hostiles — haine, orgueil et dégoût — sur l’arrière-plan social, culturel et politique d’un fascisme grandissant tout juste avant la Seconde Guerre mondiale. Par sentiments hostiles, en somme, il faut entendre les sentiments qui accélèrent la rupture du lien social ou qui font de l’espace social un cauchemar, à la fois intime et collectif, circonstanciel et historique. De son côté, la psychanalyse n’a cessé d’interroger l’hostilité qui parfois émerge de la relation analytique (l’agressivité de l’obsessionnel, la volonté d’angoisser du pervers, etc.) On dira alors que les sentiments hostiles nous renvoient aux sentiments qui divisent, qui font violence ou qui angoissent; en somme, les sentiments qui constituent une menace pour le sujet et son autre, que ce soit, si l’on revient à Lacan, sous la forme d’une hontologie ou d’une logique de la jouissance.

Cette journée d’étude vise à réunir différentes approches qui permettraient de relancer une analyse des sentiments hostiles dans l’espace contemporain. Il faut dire que notre présent nous y confronte tous les jours : haine, colère, agressivité, intolérance, honte, angoisse, etc. Bien des sentiments, dit «négatifs», ne sont pas forcément «hostiles» (la colère a ses vertus, l’angoisse prévient, etc.), mais il demeure qu’il y a en eux comme un potentiel d’hostilité et un pouvoir d’inquiéter qui en font par moments des sentiments morbides, capables de briser et détruire. Par le biais de la littérature, du cinéma et de l’art en général — passant par la psychanalyse et la philosophie —, il s’agirait donc de réfléchir sur la définition précise du sentiment hostile, les formes contemporaines qui lui donnent corps, et qui nous permettent d’en mesurer la complexité.

Communications de l’événement

Alexis Lussier

Aurel Kolnaï, le philosophe affecté ou l’acuité obsessionnelle du dégoût

Alexis Lussier est professeur au département d’études littéraires à l’Université du Québec à Montréal, directeur de laboratoire de recherches interdisciplinaires sur les sentiments hostiles, et membre de Figura.

Il s’intéresse à l’occasion de cette communication à l’auteur Aurel Kolnai et son objectif d’écriture d’une éthique du dégoût. La manifestation de la subjectivité de l’auteur dans son rapport au dégoût y est évoquée, en même temps que sa recherche est ancrée dans un contexte de montée du fascisme en Allemagne en 1935.

Martin Hervé

L’agir odieux de la littérature

Martin Hervé est chercheur postdoctoral à l’Université de Montréal et membre du CRILCQ, centre de recherche interuniversitaire sur la littérature et la culture au Québec, il s’intéresse aux liens entre littérature et psychanalyse et aux écritures de l’homosexualité.

Il réfléchit à l’occasion de cette conférence aux privilèges de la négativité affective avec l’écrivain Georges Bernanos. Il évoque l’utilisation de la littérature pour aller chercher l’affect et la dimension éthique d’une telle démarche ; s’intéresse à l’horreur et au malaise, ainsi qu’à la puissance et aux vertus d’inquiéter de la littérature.

Katrie Chagnon

Ruminations critiques

Katrie Chagnon est directrice et rédactrice en cheffe de la revue Spirale, elle est professeure associée au département d’histoire de l’art de l’UQAM et des sciences historiques de l’Université Laval. Ses recherches portent sur les théories et discours sur l’art ainsi que sur les approches psychanalytiques féministes et phénoménologiques.

Il est question dans son intervention du ressentiment et de la possible rumination qui en découle, ainsi que de leurs effets négatifs, leurs limites et leurs vertus à travers l’essai de Cynthia Fleury, «Ci-gît l’amer: guérir du ressentiment». Elle met en relation cette réflexion avec un texte de Didi Huberman sur la réception critique de l’art moderne.

Louis-Daniel Godin & Karine Rosso

De l’hostilité entre psychanalyse et féminisme

Louis-Daniel Godin est professeur au département d’études littéraires de l’UQAM et membre du CRILCQ, il privilégie une approche psychanalytique dans ses recherches sur la littérature québécoise contemporaine.

Karine Rosso est professeure au département d’études littéraires de l’UQAM et membre du CRILCQ elle s’intéresse à la figure de l’autrice dans l’autofiction et aux différentes représentations de femmes dans la littérature contemporaine.

Dans le cadre de cette communication, Karine Rosso et Louis-Daniel Godin lisent un extrait d’échange épistolaire autour des problématiques soulevées dans la psychanalyse par les féminismes notamment. S’y amorcent des discussions autour des futurs possibles de certaines branches de la psychanalyse, autour du travail amorcé et qui reste à être effectué pour apaiser une certaine hostilité à leur égard.

Louis-Paul Willis

Féminité et abjection: entre le non-rapport et l’hostilité

Louis Paul Willis est professeur agrégé d’études cinématographiques et médiatiques à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue et membre régulier du centre de recherches Figura, ses intérêts de recherches portent sur la psychanalyse, les théories de la réception, la narratologie et le féminisme.

Dans cette communication, il met en regard la pensée de Kristeva avec la féminité, le cinéma et la pensée lacanienne par le biais du film Don’t Worry Darling de Olivia Wilde dans lequel il est question de la division sexuée et des notions de contrôle et d’hostilité vis-à-vis de la féminité et des revendications féministes.

Anne Béraud

Hostilité et extimité

Anne Béraud est psychanalyste membre de la New Lacanian School-Québec et de l’association mondiale de psychanalyse, cofondatrice du Pont Freudien à Montréal et vice présidente de la New Lacanian School-Québec.

Dans cette communication, elle met en relation hostilité et angoisse. Il y est question de l’étranger en soi révélé par le rapport aux autres, de la connaissance de soi rendue possible par l’attention portée à ce que l’hostilité, la «saloperie» qui nous constitue partiellement peut dire de soi.

Mercedes Rouault

Jouissance et Ségrégation

Mercedes Rouault est psychiatre et psychanalyste, présidente et membre de la New Lacanian School-Québec. Elle est également membre de l’association mondiale de la psychanalyse. Elle est enseignante dans le programme d’études cliniques du Québec et au Pont Freudien.

Elle évoque dans cette communication le phénomène de ségrégation comme forme du malaise dans la civilisation, comme expression du rejet dans le lien social, mais aussi comme rôle dans l’affirmation de communautés.

Judith Sribnai

Sentiments intranquilles: «De l’incertitude» de Madeleine de Scudéry

Judith Sribnai est professeure adjointe au Département des littératures de langue française de l’UdeM. Elle analyse dans cette communication un texte de Madeleine de Scudéry qui met en relation littérature et société. L’incertitude y est évoquée comme source d’une certaine hostilité, qui se voit à travers le dialogue vivement critiquée par le groupe des «décisif·ves», opposé aux incertain·es. Est en jeu une complexification des effets de l’incertitude, qui tantôt déresponsabilise, tantôt enrichit la conversation.

Cassie Bérard

Climat de contrôle: la violence de l’impossible insoumission

Cassie Bérard est romancière et professeure au département d’études littéraires à l’Université du Québec à Montréal où elle enseigne les théories de la fiction, de la narrativité et la création littéraire.

Elle s’intéresse dans cette communication à la cohabitation et à l’incohérence de forces contraires que sont soumission et résistance au sein de soi. Dans l’analyse de la nouvelle «Contradiction» de Sébastien Brebel dans son recueil «La baie vitrée» et le roman «La Kallocaïne» de Karin Boy, l’autrice et chercheuse réfléchit au lien entre hostilité, contradiction et division dans une approche narrative, à la place du doute dans les sentiments hostiles.

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