Journée d'étude, 6 février 2014

Action! Imaginaire de la performance et de la performativité dans la théorie, l’art et la société

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Dans un grand nombre de champs du savoir, la performance et la performativité jouent un rôle important depuis la seconde moitié du XXe siècle. Ce qui témoigne, sans nul doute, d’une tendance vaste et générale à faire ou poser le regard sur le faire des choses plutôt qu’à les représenter, qu’à les contempler à distance. Ces concepts pourtant doivent être distingués pour éviter tout malentendu, car s’ils indiquent une action qui intervient dans le monde réel, ils renvoient à des intentions, des objectifs et des effets différents selon les domaines. La notion de performance est variable selon les approches pratiques, tandis que la performativité, elle, peut prendre différentes formes selon les théories qui la définissent ou les programmes à laquelle on la soumet. C’est là, par exemple, tout le dilemme intrinsèque au domaine des performance studies de faire cohabiter des théories et domaines variées aussi bien artistique, politique que social. Entre la performance linguistique chez Noam Chomsky, le performatif de J. L. Austin et l’art performance dans sa dimension ontologique chez Peggy Phelan, il y a tout un éventail de définitions. La performance linguistique signifie l’ensemble des énoncés linguistiques émis par un locuteur, tandis que l’art performance chez Phelan repose sur l’importance de la coprésence entre performeur et public ainsi que sur l’éphémérité. La performativité construit la réalité, comme celle du genre chez Butler, tandis que l’art performance conjugue de manière essentielle événementialité et réalité.

Si la question du faire reste primordiale dans tous les cas; celle du présent est tout aussi déterminante: «Performance’s only life is in the present», affirme Phelan. La performativité linguistique de J. L. Austin et de J. R. Searle repose sur l’idée d’une action qui s’effectue par le langage; elle n’est pas directement liée à l’art performance, pourtant le qualificatif «performatif» est souvent utilisé pour évoquer «ce qui a trait à la performance». Est-ce un simple malentendu dans les termes ou bien y a-t-il quelque chose qui relierait la performance et la performativité? Faut-il utiliser un autre terme comme «performantiel» pour décrire ce qui relève de l’art performance, tel que le propose David Zerbib? Existe-t-il une «performantialité» qui dépasse la performance stricto sensu?

L’objectif de cette journée d’études est d’interroger l’imaginaire contemporain de la performance et de la performativité qui imprègne les discours et pratiques actuelles en arts et dans d’autres domaines culturels et sociaux. L’ambiguïté entre les concepts, leurs subtiles distinctions ou leur partage évident, invite à penser l’intérêt pour le «faire» des représentations et les effets de présence. Mais d’où émane cet intérêt? Et où mène-t-il? Comment s’élabore-t-il dans les discours théorique, critique, artistique, dans des essais philosophiques, politiques ou de genres, dans les recherches intermédiales ou dans les œuvres? À quels espoirs,  impressions, attentes, calculs, répondent-ils?

Dans le cadre des activités du projet de recherche interdisciplinaire RADICAL (Repères pour une articulation des dimensions culturelles, artistiques et littéraires de l’imaginaire contemporain), nous souhaitons questionner la performance et la performativité dans le but d’entamer une réflexion sur la manière dont ces notions engagent un rapport concret des représentations fictionnelles au monde. L’usage de ces notions semble répondre ainsi au soupçon de l’ère postmoderne qui, par l’ironie, la simulation et le brouillage entre le vrai et le faux, a épuisé la moindre prétention à agir concrètement dans le monde. Il s’agit de mettre en lumière ce qui conditionne l’imaginaire (ou les imaginaires) de la performance et du performatif. Les notions comme celles de la présence, de l’événementialité, de la théâtralité, de l’action, de la trace, de la représentation, du corps, du reenactment, de la réalisation ou de l’énonciation seront évidemment au cœur des réflexions.

Les communications s’inscrivent dans l’une des trois perspectives qui structureront la journée: D’ordre théorique, la première perspective est composée de présentations qui interrogent les notions de performance et de performativité, leurs usages, leurs significations, leurs similarités, leurs différences, leurs applications pratiques ou théoriques dans divers domaines. La seconde perspective réunit des présentations qui proposent des analyses de la performance ou de la performativité d’œuvres artistiques (tout particulièrement d’œuvres numériques), théoriques, critiques. Enfin, la dernière perspective, plus englobante, réunit les présentations qui interrogent les conditions sociales, culturelles, politiques, économiques, institutionnelles, etc. qui disposent l’imaginaire contemporain à la performance et à la performativité.

Communications de l’événement

Louise Lachapelle

L’atelier fait terrain: la performativité de la recherche-création, pratiques poétiques et éthique de la connaissance

«Les photographies de Jocelyne Chabot documente une oeuvre qui s’intutile “Effacement” et elles portent la mention “L’outil, le matériau. Parc Lafontaine, Parc Jeanne-Mance, Parc Laurier”. […] Même si ces dessins “d’après nature”, comme [Jocelyne Chabot] les appelle, pourraient être associés à certains travaux du land art, ou conceptuellement à certaines interventions éphémères ou actions furtives dans l’espace publique, l’artiste col bleu, citoyenne, mère, grand-mère, montréalaise, met plutôt l’emphase sur l’effacement des frontières, des hiérarchies entre les activités humaines.»

Louise Lachapelle développe depuis plusieurs années une réflexion sur les enjeux éthiques et esthétiques du projet créateur en relation avec des formes variées de pratiques artistiques et culturelles. Le programme This Should be Housing / Le temps de la maison est passé et le cycle de recherche, de création et d’enseignement «Habiter le contemporain» s’intéressent à la manière dont la culture répond aujourd’hui à la question de la coexistence. Elle enseigne la création multidisciplinaire, la littérature et la culture contemporaines au Collège de Maisonneuve. Elle fait partie de l’Équipe de recherche sur l’imaginaire contemporain et collabore avec l’organisme Engrenage Noir / LEVIER qui soutient l’art communautaire et activiste.

Victoria Raileanu

Performance 2013: des nouvelles de l’Est

«La vérité et le pouvoir appartiennent à ceux qui racontent la meilleure histoire. Cet énoncé de Stephen Duncombe, auteur new-yorkais s’étant intéressé aux différentes formes de résistance culturelle s’applique bien aux stratégies des “artivistes” de certains pays de l’Europe de l’Est qui s’opposent aujourd’hui au pouvoir autoritaire surgi sous les ruines de l’empire soviétique. Leurs interventions peuvent être interprétées comme des véritables actions d’anti-storytelling, inversant les discours et l’imaginaire dominant et la mise en scène politique légitimante qui combine aujourd’hui astucieusement le savoir occidental du marketing politique et les anciennes méthodes coercitives de contrôle social.»

Victoria Raileanu a complété son doctorat en histoire à l’Université Laval en 2013. Sa thèse, intitulée «Les figures de la propagande: Le temps, l’espace et le héros dans le documentaire historique produit à la télévision de la République soviétique socialiste moldave (1961-1989)» à été publiée la même année aux presses universitaires de l’Université Laval (Québec). 

Jonathan Lamy & Karine Turcot

L’art de la performance est-il une menace pour la société? Réflexions autour de l’affaire Dulac

«Il y a de cela près d’un an, un jeune étudiant de l’Université Laval nommé David Dulac était arrêté, incarcéré avant et jusqu’à la fin de son procès du 26 mars au 19 juillet (qui était le jour de son procès), soumis à des examens psychiatriques pendant plusieurs jours consécutifs et puis condamné pour menace de mort en relation à une proposition de performance qu’il a fait dans le cadre de l’exposition de fin d’année du bacc en arts.»

Jonathan Lamy est chercheur postdoctoral au centre de recherche interuniversitaire sur la littérature et la culture québécoises (CRILQ) de l’Universitaire Laval. Titulaire d’un doctorat interdisciplinaire en sémiologie de l’UQAM, il mène des travaux sur la question de l’amérindianité, sur la poésie, la contre-culture et l’art de performance.

Artiste, Karine Turcot a fait des études en psychologie, en sociologie, en photographie et a complété une maîtrise en arts visuels à l’Université Laval.

Bruno Laprade

D’une Butler à l’autre: quelle évolution pour la performativité «queer»?

«Est-ce qu’il est possible d’aborder les théories queer sans parler de Judith Butler? La question vaut la peine d’être posée parce qu’en général, quand on parle du queer, on pense à Butler, la “papesse du queer” comme la nomment certains journalistes.»

Bruno Laprade est doctorant en sémiologie à l’UQAM. Il s’intéresse depuis plusieurs années aux théories queer et aux aspects politiques de la sexualité.

Sophie Castonguay

La réception à l’œuvre: création de prothèses interprétatives ou l’urgence de soigner la réception – pour un devenir-citoyen du spectateur

«Je vais commencer par situer mon atelier au coeur des pathologies de l’image et je vais vous proposer d’entrevoir la création de performances comme une tentative d’apporter des soins intensifs à l’image.»

Sophie Castonguay est doctorante en études et pratiques des arts à l’UQAM et enseigne à l’école des arts visuels de l’UQAM depuis 2008. L’étude des conditions de réception de l’oeuvre oriente ses recherches dans la création de dispositifs performatifs. Elle s’interroge sur le spectateur au sein de l’oeuvre. Elle élabore des dispositifs performatifs dans lesquels elle met en scène la parole des spectateurs. Ses mises en scène se déroulent généralement dans des lieux d’exposition, devant et autour des oeuvres exposées, ou dans des espaces publiques, permettant ainsi l’élaboration d’un récit spécifique au lieu. Par l’usage des modalités narratives, elle tente de créer des interférences dans la réception de l’oeuvre et/ou dans la perception du lieu. Cette mise en scène de la parole permet de créer des représentations mentales, questionnant le regard à même l’acte de percevoir. Castonguay travaille donc dans l’intervalle entre l’image tangible et l’image projetée et interroge les relations entre le visible et le dicible, entre l’image et sa perception, entre le je et l’autre. On a pu voir son travial dans plusieurs centres d’exposition, au Québec, à Toronto et en Europe. 

Francis Gauvin

La rhétorique comme établissement de valeurs: l’expérience performative de «Dogville»

«Le titre de ma communication étant “La rhétorique comme établissement des valeurs: l’expérience performative de Dogville“, c’est sans doute avec une certaine curiosité que vous vous apprêtez à m’entendre parler à la fois de rhétorique et d’un film de Lars Von Trier, surtout lors d’une journée d’étude portant sur la performance et la performativité. D’emblée, je tiens à dire que si je vais parler de performativité, c’est au sens où l’ont entendu les philosophes du langage américains tels que John Austin et Searle qui, en fait, se sont intéressés à des énoncés performatifs, soit des phrases qui, alors même qu’elles sont prononcées, ont un impact direct sur le monde. Elles sont des actes à part entière, comme par exemple, quand on baptise quelqu’un ou qu’on répond “oui, je le veux” à une demande de mariage.»

Francis Gauvin est doctorant en sémiologie à l’UQAM.

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