Article IREF

Introduction

Line Chamberland
Christelle Lebreton
Michaël Bernier
couverture
Article paru dans Stratégies des travailleuses lesbiennes face à la discrimination: contrer l’hétéronormativité des milieux de travail, sous la responsabilité de Line Chamberland, Christelle Lebreton et Michaël Bernier (2012)

Ce cahier propose une analyse de la situation des travailleuses lesbiennes dans leur environnement de travail. Plus spécifiquement, il décrit d’abord brièvement les dynamiques de discrimination et d’exclusion auxquelles elles sont confrontées, puis il examine les stratégies qu’elles adoptent afin de se tailler une place satisfaisante, tant sur le plan psychologique que professionnel, dans un environnement caractérisé, à des degrés divers, par des attentes hétéronormatives et par des préjugés hétérosexistes susceptibles d’engendrer des discriminations à leur égard. Pour ce faire, ce cahier assemble les principaux résultats concernant les lesbiennes en provenance d’une étude conduite il y a quelques années sur l’insertion des travailleurs gais et des travailleuses lesbiennes dans leur milieu de travail1 Cette recherche a été financée par le Fonds québécois de recherche sur la société et la culture (FQRSC) et par le Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH) du Canada. Elle a également bénéficié du soutien institutionnel de l’Institut de recherches et d’études féministes (IREF) de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Je remercie les partenaires qui ont soutenu sa conception et sa réalisation: le Conseil québécois des gais et lesbiennes (CQGL); les comités de la diversité sexuelle de la Confédération des syndicats nationaux (CSN), de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) et de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ); Femmes regroupées en options non traditionnelles (FRONT) et l’Intersyndicale des femmes.. Cette nouvelle présentation des résultats nous a en outre fourni l’occasion de les examiner dans une perspective féministe, d’interroger les concepts initiaux de la recherche ainsi que les données empiriques en prenant en compte le double positionnement de ces travailleuses, en tant que femmes et en tant que lesbiennes.

L’environnement de travail demeure l’un des espaces sociaux où les gais et, encore plus, les lesbiennes hésitent à se montrer tels qu’ils sont. L’étude à l’origine de ce cahier était traversée par plusieurs questions: les personnes homosexuelles sont-elles bien acceptées dans leur milieu de travail? Peuvent-elles affirmer leur identité sans craindre le rejet par leur entourage? Ou doivent-elles dissimuler leur orientation sexuelle pour éviter de s’attirer moqueries ou traitements injustes? La discrimination sur la base de l’orientation sexuelle est interdite par la Charte québécoise des droits de la personne du Québec depuis 1977, mais a-t-elle vraiment été éliminée dans le domaine de l’emploi? Subsiste-t-elle de manière plus subtile qu’auparavant? Se produit-elle plus souvent dans certains secteurs d’emploi ou pour certaines catégories de personnel? Depuis 1999, une reconnaissance progressive des couples de même sexe et des familles homoparentales a été favorisée par l’introduction de nouvelles législations tant fédérales que provinciales. Comment se déroule leur mise en application dans les milieux de travail? Les travailleurs et travailleuses concernées sont-elles suffisamment informées de leurs droits et capables de les faire respecter?

En somme, l’étude visait à dresser un portrait actualisé de la situation des travailleurs gais et des travailleuses lesbiennes au Québec ainsi qu’à recenser leurs difficultés et leurs besoins. Plus précisément, trois objectifs de recherche se greffaient à cette visée générale: documenter les formes de marginalisation, de discrimination et d’exclusion à l’égard des travailleurs gais et des travailleuses lesbiennes dans les divers secteurs d’emploi; relever les facteurs qui influencent leur décision d’affirmer ou de dissimuler leur orientation sexuelle en milieu de travail; évaluer leur capacité de faire valoir les droits reconnus par suite des changements législatifs récents ainsi que les obstacles, réels ou anticipés, à la mise en application des nouvelles lois. Un rapport synthèse a été produit (Chamberland et coll., 2007) et diffusé sur le site Web du Centre collégial de développement de matériel didactique (CCDMD), accompagné d’activités de sensibilisation à l’homophobie en milieu de travail et d’une liste de ressources.

Ce cahier reprend des perspectives théoriques et des données empiriques issues de cette recherche tout en les reconfigurant dans le but d’étayer les expériences vécues par les lesbiennes en milieu de travail et de formuler de nouvelles pistes de réflexion qui n’oblitèrent ni leur sexualité ni leur statut de femmes. Il s’amorce avec une présentation des principaux concepts théoriques utilisés en recherche relativement aux phénomènes de marginalisation ou d’exclusion des personnes appartenant à des minorités sexuelles : homophobie, lesbophobie, hétérosexisme, hétéronormativité, sans oublier la notion de discrimination et celle d’aménagement identitaire, l’orientation sexuelle n’étant pas une caractéristique immédiatement perceptible par l’entourage (au travail ou ailleurs). Le chapitre 2 décrit brièvement la méthodologie de recherche, à la fois quantitative et qualitative, et trace un portrait parallèle des caractéristiques sociodémographiques des répondantes au questionnaire d’enquête et des participantes aux entrevues. Le chapitre 3 distingue et illustre trois types de manifestations de l’homophobie en milieu de travail, diffuse, directe et violente, correspondant à des degrés de gravité quant aux conséquences qui peuvent s’ensuivre. Les deux chapitres suivants explorent les diverses stratégies mises en œuvre par les travailleuses lesbiennes pour faciliter leur adaptation en milieu de travail et prévenir ou contourner les effets discriminatoires de l’homophobie. Le chapitre 4 s’attarde aux stratégies relatives au dilemme de la divulgation ou de la dissimulation de son orientation sexuelle dans l’environnement de travail. Après avoir constaté que la visibilité, en tant que lesbienne, varie selon les catégories d’interlocuteur, il examine les motifs et les stratégies de dissimulation et de divulgation, ainsi que leurs conséquences. Le chapitre 5 poursuit l’exploration des stratégies d’adaptation sur le plan des relations interpersonnelles en distinguant trois contextes: les échanges interpersonnels, les conversations sur la vie privée et la participation aux activités sociales. L’analyse proposée au chapitre 6 aborde les discriminations reliées à la sexualisation des femmes et celles reliées à la division sexuelle du travail, faisant ainsi le pont entre sexisme et homophobie, tout en soulignant que les difficultés rapportées dans les témoignages recueillis ne peuvent pas toujours être aisément attribuées à l’un ou à l’autre. Une dernière section effectue une synthèse des principaux résultats, puis propose des éléments de réflexion sur l’articulation entre sexisme et hétérosexisme, tout en questionnant les concepts mis de l’avant au premier chapitre, notamment celui d’homophobie.

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    Cette recherche a été financée par le Fonds québécois de recherche sur la société et la culture (FQRSC) et par le Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH) du Canada. Elle a également bénéficié du soutien institutionnel de l’Institut de recherches et d’études féministes (IREF) de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Je remercie les partenaires qui ont soutenu sa conception et sa réalisation: le Conseil québécois des gais et lesbiennes (CQGL); les comités de la diversité sexuelle de la Confédération des syndicats nationaux (CSN), de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) et de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ); Femmes regroupées en options non traditionnelles (FRONT) et l’Intersyndicale des femmes.
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