Projet Lower Manhattan, dossier thématique, 2010
Un silence significatif: fonctions et absence du silence dans les bandes dessinées du 11 septembre
La principale représentation des attentats du 11 septembre dans la mémoire collective est cette vision spectaculaire et invraisemblable d’une immense boule de feu, jaillissant des flancs d’une tour du World Trade Center et projetant au loin papiers et articles de bureau. Cependant, les témoins de la scène ont aussi gardé en mémoire une série de signes auditifs associés aux événements. À preuve, les deux premiers témoins contactés par Bryant Gumbel de CBS News ont commencé leur rapport des événements par la description de ce qu’ils ont entendu : «I heard first an explosion. And I just figured that it was a plane passing by» (Ellington 2002, 17)1L’ouvrage sera référencé par les lettres WWS suivies par la page, entre parenthèses dans le cadre du texte., dit Wendell Clyne. «It was a very loud explosion» (WWS, 20), renchérit Theresa Renaud. L’impact de la deuxième tour est plus pressant dans les mots de Carol Martin: «All of a sudden, there was a roar, an explosion, and we could see coming toward us a ball of flame, stories high» (WWS, 54). Un des témoins fait d’ailleurs remarquer que ce son n’avait rien d’inhabituel dans une ville comme New York: «About 8:45, we heard a boom. It was not a ferocious boom, but the sort too common in a city where construction jobs are constant» (WWS, 34) (Pete Hamill, du Daily News).
Plus terrifiant et inhabituel, cependant, fut le son correspondant à l’effondrement des tours: «All of a sudden, there was the shift of an earthquake. People ask: “Did you hear a boom?” No. The way I can best describe it is that every joint in the building jolted. You ever been in a big old house when a gust of wind comes through and you hear all the posts creak? Picture that creaking not being a matter of inches but of feet.» (WWS, 72) (Michael Wright, Esquire) «We heard snapping sounds, pops, little explosions, and then the walls bulged out, and we heard a sound like an avalanche, and here it came» (WWS, 36) (Pete Hamill, Daily News). «I was a block away. That’s when I heard what sounded like a freight train: the noise twisted steel makes when it’s under a lot of stress. Then there was the rumbling sound of the floors collapsing on top of each other, each floor with its own gush of air» (WWS, 17), (Stewart Nurick, à Bryant Gumbel de CBS News). Quiconque ayant regardé un minimum de films d’action à grand déploiement a entendu le son d’une explosion maintes et maintes fois. Percevoir ce signal sonore des écroulements était toutefois aussi impensable et improbable que de voir s’effondrer en 102 minutes deux des gratte-ciel les plus majestueux et emblématiques de New York, ce qui explique l’étrangeté ressentie par les auditeurs de ce phénomène et qui rend sa description plus difficile.
L’autre sonorité ayant dominé le déroulement de la journée est celle des sirènes de nombreuses ambulances, camions de pompiers et voitures de patrouille de police affairés à maintenir l’ordre pendant le chaos. Ce souvenir auditif, fort probablement plus réconfortant et moins traumatisant que celui de l’acier en fusion qui a précédé l’écroulement, revient également dans les témoignages : «As I made my way to the World Trade Center on that Tuesday morning after the jetliners had crashed into both towers, I could hear sirens coming from all over the city – police cars, ambulances, fire engines» (WWS, 30) (Harold Dow, CBS,) «Sirens blare, klaxons wail» (WWS, 39) (Pete Hamill, Daily News).
Toutefois, un des moments auditifs les plus marquants, et de loin le plus funeste, pouvant être rattaché aux événements, est justement l’absence de son qui a suivi la rafale de poussière ayant enveloppé Manhattan d’un épais nuage de fumée. Ce que les clichés en apparence surréalistes des New-Yorkais gris comme cendre qui s’éloignent de la zone sinistrée n’ont pu transmettre est l’omniprésence du silence accompagnant la fuite des témoins. Pour reprendre les propos de deux témoins, «Le plus étrange dans une ville comme New York, où d’habitude, la vie comme la circulation ne s’arrêtent jamais, c’était le silence» (Boudicone One/AP, 92), «Manhattan had the noise of the grave» (WWS, 38) (Maureen Dowd, New York Times).
Toutefois, l’événement s’est inscrit autrement dans la mémoire collective. Les enregistrements diffusés en boucle lors de la journée des attentats n’ont pas retransmis ces données auditives, la plupart des caméras ayant pu capter des images des attentats étant beaucoup trop éloignées pour enregistrer le son des explosions, des effondrements ou des sirènes. Il existe évidemment des documents audiovisuels qui ont enregistré ces sons, principalement le documentaire 9/11 des frères Naudet; ils n’ont toutefois été connus du public qu’après que CNN et CBS ont diffusé en rafale ces vidéos muets des événements qui se sont profondément incrustés dans l’imaginaire collectif. Il est d’ailleurs possible de penser qu’aucun son ne pourrait rivaliser avec la prégnance instantanée sur la mémoire qu’ont conféré à la mémoire les images d’horreur des explosions, des sauteurs et de Manhattan ensevelie sous les décombres. L’événement le plus documenté de l’histoire est représenté dans les médias par une séquence d’images bien davantage que par une trame sonore2D’ailleurs, une anthologie des événements préparée par CBS news pour commémorer les événements porte un titre qui met l’emphase sur l’aspect visuel de l’expérience commune du 1 septembre, puisque l’ouvrage porte le titre WHAT WE SAW, The Events of September 11, 2001..
On aurait pu s’attendre à ce que le neuvième art reflète la diversité de l’univers sonore des attentats du 11 septembre dans les oeuvres qui ont pris cet événement comme sujet principal. En sa qualité de média alliant texte et image, la bande dessinée dispose de plusieurs stratégies formelles afin de représenter le son dans ses pages. Pour exprimer la parole, la bande dessinée utilise le phylactère, un signe d’énonciation d’un discours dont le destinateur est désigné par la pointe du phylactère. Cette ressource formelle, qui a maintenant force de convention, n’en reste pas moins, dans les termes de Will Eisner, «desperation device which attempts to capture and make visible an ethereal element: sound» (Eisner 2006, 27). Pour ce qui est des sons, une autre ressource est employée, un signe plastique qui est devenu aussi étroitement associé au média de la bande dessinée que l’est le phylactère. Ce signe est l’onomatopée : «L’onomatopée est un mot imitant ou prétendant imiter, par le langage articulé, un bruit (humain, animal, de la nature, d’un produit manufacturé, etc.)» (Enckell et Rézeau 2005, 12)
L’onomatopée n’est pas exclusive à la bande dessinée, et de nombreux écrivains l’utilise dans leurs textes. Toutefois, ce qui caractérise l’onomatopée en bande dessinée est le travail sur sa plasticité. Loin de la rigidité du lettrage imposé au romancier en raison de la typographie unique généralement employée dans une oeuvre, les dessinateurs de bande dessinée peuvent manipuler l’onomatopée de manière très élastique, lui donnant la forme, la dimension et la couleur qui leur semblent les plus appropriées à la situation. À la frontière entre le texte (puisqu’il s’agit toujours bel et bien de lettres formant un mot) et l’image (en vertu des propriétés plastiques extensives qui caractérisent son emploi), l’onomatopée est donc intrinsèque à la bande dessinée et se révèle l’outil de choix afin d’exprimer les sons dans ce média.
Cependant, l’onomatopée est un symbole fortement connoté. En raison de son extravagance graphique, de son emploi singularisé à chaque occurrence et de son caractère foncièrement irréaliste (puisque, comme l’a fait remarquer Eisner, il est impossible de voir des sons), l’onomatopée est associée à une pratique fantaisiste de la bande dessinée, d’autant plus que les récits de super héros, où l’action abonde, emploient les onomatopées jusqu’à la surenchère. Cette association entre l’onomatopée et le loufoque est en grande partie effectuée dans l’esprit du public en raison de la série de télévision des années 1960 Batman, où les scènes de combat étaient entrecoupées par l’apparition d’énormes onomatopées représentant des bruits de combat (PAF! OOF! BOOM!). D’un ridicule consommé, l’émission a connu une énorme popularité et a été rediffusée pendant de nombreuses années. De la sorte, il est difficile pour un lecteur de bande dessinée ayant eu connaissance de la série TV Batman de considérer une onomatopée sans l’associer un humour décalé.
La valeur pauvre de l’onomatopée en fait de réalisme est donc problématique pour un bédéiste voulant produire une œuvre prétendant au sérieux, mais qui doit employer une stratégie formelle afin de représenter le son. L’usage d’une onomatopée, même sobre et discrète, ne manque pas de porter un certain ombrage à l’ouvrage pour les lecteurs chez qui une onomatopée équivaut à une scène de combats entre justiciers costumés. Et si l’emploi d’une onomatopée dans un récit à prétention réaliste peut provoquer des réticences chez le lectorat en temps normal, qu’en serait-il de l’emploi d’une onomatopée dans un récit à prétention réaliste mettant en fiction un événement à la portée historique établie et à la charge émotive immense? Ne pourrait-on pas crier à l’hérésie? (Stracynski et Romita Jr 2001)
C’est la question qui m’est d’abord venue à l’esprit avant de me pencher sur le corpus des bandes dessinées et romans graphiques du 11 septembre. Premier constat effectué à la lecture des œuvres : ce n’est pas dans la majorité des récits présentant les événements que l’on retrouve des onomatopées. Le numéro 36 de la série Amazing Spider-Man, le seul numéro complet d’une série d’aventures de super héros à présenter les événements du 11 septembre et qui a fait parler de lui en raison de sa couverture entièrement noire, ne contient aucune onomatopée. L’illustration en double page du brasier situé à l’emplacement des tours qui viennent tout juste de s’écrouler est exempte de sons. Dans la page précédente, la latitude et la longitude de Ground Zero sont données, en plus de cette mention: «follow the sound of sirens…» (Quesada 2001), insistant plutôt sur la présence de nombreux membres des forces de l’ordre que sur le bruit de la dévastation venant de survenir. Cette sobriété dans la représentation et le choix de reléguer les aventures du super-héros au second plan dans le numéro 36 de Amazing Spider-Man démontre le respect avec lequel le scénariste Joe Michael Straczynski a employé les personnages d’un univers fantaisiste pour rendre hommage aux victimes des attentats.
En plus du numéro spécial de Amazing Spider-Man consacré aux super-héros, Marvel a publié Heroes (Quesada 2001), un recueil d’illustrations réalisées par différents artistes travaillant pour l’éditeur. Les illustrations, qui multiplient les images de décombres où s’affairent des équipes de sauvetage, des pompiers dépeints dans des postures héroïques et des super-héros pleurant les disparus, ne contiennent aucune représentation de son. Ceci s’explique aisément par le fait que ces images représentent un instant figé dans le temps, et la présence d’une onomatopée ne peut avoir lieu que lorsqu’il y a représentation du passage d’un temps minimal nécessaire à l’émission, la transmission et la réception d’ondes sonores. Du même éditeur, le recueil A Moment of Silence (Quesada 2001), qui contient cinq récits, a comme point de départ la volonté de ne pas inclure de son ou de dialogue dans les récits. Bill Jemas, président de Marvel Comics, explique en ces termes la décision de produire des récits muets afin de commémorer les événements du 11 septembre :
«When asked to explain why Marvel chose to do a wordless tribute to the heroes of 9-11, I realized that I had barely given a moment of thought to why we selected this format for Moment of Silence. This just felt like the right thing to do, so we did it.
But now that the work is done, and we all had some time to reflect on the events of the past months, I think I can see why it is, in fact, fitting to tell the story of real heroes with nothing but the depiction of their selfless deeds.
When hell hit the World Trade Center, most of us stood around talking – making phone calls, writing e-mails and generally, filling in that hole in our bellies with meaningless chatter. But in the face of extreme danger, thousands of New York firefighters, police officers and rescue workers burst onto the scene. These men and women saved thousands of lives and many sacrificed their own.» (Bendis et Morse 2001)
Ainsi, Jemas affirme que le travail héroïque effectué par les pompiers, policiers et ambulanciers lors du 11 septembre se passe aisément de mots. Ce choix du mutisme (qui est enfreint à une seule occasion, lorsqu’un des sauveteurs crie «Quiet !» (Eisner, Will et al. 2002) afin de réclamer le silence pour que l’on puisse entendre la voix d’éventuels survivants) fait en sorte que les sons sont évacués des planches du recueil. En somme, les 100 pages combinées des ouvrages de Marvel publiés à la suite du 11 septembre ne contiennent aucune onomatopée, tout au plus retrouve-t-on une brève allusion au bruit des sirènes, et encore là, par le biais d’un texte inscrit dans un espace récitatif. Pourtant, si Marvel a joui d’une grande popularité depuis plus d’une quarantaine d’années, c’est bien entre autres parce que les comics qu’il publie sont truffés d’onomatopées, et l’usage de ce procédé formel est autant associé à l’éditeur que les super-héros aux costumes éclatants qui sont les emblèmes des comics. Concertée ou non, cette absence des onomatopées que l’on pouvait s’attendre à retrouver dans une publication de Marvel a comme effet direct d’obliger à considérer ces comics d’un autre regard, avec une révérence et une posture de lecture qui ne sont pas les mêmes que si on lisait les aventures de héros mutants affairés à sauver le monde d’une menace criminelle.
Quant à Dark Horse et DC Comics, autres géants de l’industrie des comics de super-héros, les deux éditeurs ont publié deux volumes d’anthologie sous les titres 9-11 Artists Respond (Eisner, Will et al. 2002) et 9-11 September 11th 2001 : The World’s Finest Comic Book Writers & Artists Tell Stories To Remember (Kahn 2002). Dans les 70 récits contenus dans les deux volumes, pas une seule fois les dessins des explosions ne sont accompagnés d’une représentation du son. On peut certes retrouver à de nombreuses reprises des onomatopées dans certains récits, mais ces sons sont surtout ceux ayant caractérisé l’expérience des événements des témoins se trouvant à une distance sécuritaire de Ground Zero, puisque les « Click » des télécommandes manipulées et les « Bip Bip » des téléphones cellulaires sont employés à profusion et forment donc une mémoire sonore des événements davantage marquée par les télécommunications que par le bruit de la destruction.
Frappés de stupeur devant l’horreur des attentats, bien des artistes confessent, à travers leurs récits, leur consternation et leur remise en question de la pertinence de leur pratique artistique qui consiste à animer des êtres imaginaires dotés de capacités permettant d’enrayer l’avènement d’événements comme le 11 septembre. C’est à reculons que plusieurs d’entre eux se sont remis à leur table de travail afin de réaliser les récits contenus dans les anthologies mentionnées précédemment. Le récit For Art’s Sake (Vaughan, Woods et Champagne 2002) cristallise ce questionnement par un dialogue entre un père et un fils, tous deux dessinateurs de comics, et confrontés à des doutes sur la pertinence de leurs métiers. Le père raconte toutefois à son fils qu’il a traversé pareil marasme après l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy, mais qu’il en est venu à la conclusion qu’il était impératif qu’il continue à faire son travail en dépit des crises et des drames de l’existence quotidienne, puisque les gens ont besoin de se changer les idées et de ne pas voir que le côté négatif des choses. Il y a fort à parier que pareille pensée a permis à des artistes de reprendre le travail, mais il y a également fort à parier qu’une forme de respect envers les disparus les a amenés à modifier sensiblement leur approche formelle pour les récits du 11 septembre, ce qui pourrait expliquer l’absence quasi-complète d’onomatopées dans les recueils publiés par Marvel, DC Comics et Dark Horse.
Dans In The Shadows of No Towers (2004), le bédéiste américain Art Spiegelman relate, en une série de 10 immenses planches, son expérience du 11 septembre et la période post-traumatique suivant les attentats, où il a perdu toute confiance en son gouvernement et où la paranoïa dictait chacun de ses gestes. Dans la deuxième planche de la série, Spiegelman explique qu’il n’a pas vu le premier avion percuter la tour, mais qu’un son l’a alerté. Ce son est représenté avec une onomatopée (« ROARRRRRRRR!! ») aux lettres rouges et aux contours ondulés, où la répétition insistante de la dernière lettre signifie la durée du bruit.
Pour éloquente que soit cette onomatopée quant à ce qui est de l’intensité du bruit, le son qu’elle suggère est difficile à identifier. En anglais, l’onomatopée ROAR peut aussi bien évoquer le son d’un tremblement de terre que le rugissement d’un lion. Quant à la deuxième explosion, Spiegelman la rapporte avec les termes suivants : «He heard the deafening crash right outside his window» (Spiegelman 2004). Était-ce un tremblement, un fracas, un rugissement? Impossible de l’établir avec certitude à partir des informations fournies par le bédéiste. Lorsque vient le temps de décrire le son émis par l’écroulement des tours, Spiegelman, à l’instar des témoins cités en début d’article, fait appel à une métaphore : «We hear a roar, like a waterfall, and look back» (Spiegelman 2004). On revient donc à l’idée d’un rugissement, mais semblable à celui d’une chute. Si Spiegelman peine tant à décrire le son des événements, c’est bien parce qu’il a eu le plus grand mal du monde à les représenter par le biais du dessin. En effet, Spiegelman a démontré tout au long de sa carrière l’impressionnante polyvalence de son style graphique, choisissant une approche et des outils de travail différents pour chaque nouveau récit. En introduction à son oeuvre, il décrit ses tentatives de représenter graphiquement les attentats ainsi :
«The pivotal image from my 9-11 morning – one that didn’t get photographed or videotaped into public memory but still remains burned onto the inside of my eyelids several years later – was the image of the looming north tower’s looming bones just before it vaporized. I repeatedly tried to paint it with humiliating results but eventually came close to capturing the vision of disintegration digitally on my computer. I managed to place some sequences of my most vivid memories around that central image but never got to draw others.» (Spiegelman 2004)
C’est donc une image pixellisée des tours à l’armature incandescente, étrangère à la mémoire collective, qui traverse de manière récurrente les planches du recueil. On peut supposer que si Spiegelman a eu tout le mal du monde à produire cette unique image, le même problème s’est posé à lui au moment de décrire les sons entendus lors de cette journée, ce qui explique qu’il laisse le lecteur se dépêtrer avec ce mélange de rugissement, d’écoulement puissant et d’explosion qui est rapporté dans In the Shadows of No Towers.
Dans Walking the Williamsburgh Bridge to Work (2002) de Mo Williams, le personnage principal est en train de traverser le pont désigné dans le titre du récit lorsque les avions percutent les tours. La case qui présente la réaction des quidams regardant en direction de Manhattan est muette, si ce n’est d’un phylactère où le personnage se dit pour lui-même «Can’t be…» (Williams 2002, 101). Quelques cases plus loin, dans un enchevêtrement polyphonique des phylactères rapportant les déclarations variées des témoins se trouvant sur le pont, on retrouve la phrase suivante : «I don’t believe it. I just don’t believe it !» (Williams 2002, 101).
Ces deux affirmations expriment un sentiment d’incrédulité qui s’est immédiatement imposé à l’esprit dès que les gens ont pris connaissance des événements. En effet, ces déclarations, sous une forme ou une autre, sont récurrentes dans les témoignages du 11 septembre, que ceux-ci proviennent de gens situés à quelques mètres des tours ou sur un autre continent. Irréel. Incroyable. Pas possible. Incapables d’accepter comme plausible une situation d’une telle ampleur, bien de personnes ont tenté d’échapper même brièvement au fardeau de l’horrible réalité de ce matin d’automne. Si, placés devant ces images, beaucoup ont affirmé «je n’en crois pas mes yeux», combien auraient été capable d’en croire leur système auditif s’ils avaient été à portée d’oreille des explosions ? Ces flammes sans détonation, cette chute sans déflagration qui sont présentées dans les bandes dessinées du 11 septembre, n’expriment-t-elles pas adéquatement le sentiment d’irréalité initial partagé par les spectateurs des événements ? L’omission d’onomatopées dans les bandes dessinées du 11 septembre est-elle une marque de respect, une stratégie formelle, ou encore une manière d’exprimer les émotions ressenties lors de cette journée ? Toutes ces réponses sont valables, mais il est certain que le bruit qui ne se représente pas, ou plutôt, le silence qui s’est imposé dans les récits, est on ne peut plus manifeste.
Bibliographie
Bendis, Brian Michael et Morse, Scott «Moment of Silence: A True Story», in Quesada, Joe, éd. (2001) Heroes, The World’s Greatest Super Hero Creators Honor the World’s Greatest Heroes, volume 1 numéro 1, New York: Marvel Comics, 64p.
Boudicone One/AP, «Le jour où le monde s’est arrêté», in Le Monde, hors série numéro 2.
Eisner, Will et al. (2002) 9-11, Artists Respond, Milwaukie: Dark Horse Press, 192p.
Eisner, Will (2006) Comics and Sequential Art, Paramus : Poorhouse Press, 164p.
Ellington, Susan dir. publ. (2002), What We Saw: The Events of September 11, 2001— in Words, Pictures, and Video, New York: Diane Publishing, 144p.
Enckell, Pierre, et Rézeau, Pierre (2005) Dictionnaire des onomatopées. Paris : Presses Universitaires Françaises, 627p.
Kahn, Jenette, éd. (2002) 9-11 September 11th 2001 ; The World’s Finest Comic Book Writers & Artists Tell Stories To Remember, New York : DC Comics, 224p.
Quesada, Joe, éd. (2001) Heroes, The World’s Greatest Super Hero Creators Honor the World’s Greatest Heroes, volume 1 numéro 1, New York : Marvel Comics, 64p.
Spiegelman, Art (2004) In The Shadows of No Towers. Pantheon : New York, 2004, non paginé.
Stracynski, Joe Michael et Romita Jr, John, (2001) Amazing Spider-Man, volume 2 numéro 36, New York : Marvel Comics, décembre, non paginé.
Vaughan, Brian ; Woods, Pete ; Champagne, Keith, « For Art’s Sake », in Kahn, Jenette, éd. (2002) 9-11 September 11th 2001 ; The World’s Finest Comic Book Writers & Artists Tell Stories To Remember, New York : DC Comics, 224 pages, pp.120-124
Williams, Mo, « Walking the Williamsburgh Bridge to Work », in Kahn, Jenette, éd. (2002) 9-11 September 11th 2001 ; The World’s Finest Comic Book Writers & Artists Tell Stories To Remember, New York : DC Comics, 224 pages, pp.99-103.
- 1L’ouvrage sera référencé par les lettres WWS suivies par la page, entre parenthèses dans le cadre du texte.
- 2D’ailleurs, une anthologie des événements préparée par CBS news pour commémorer les événements porte un titre qui met l’emphase sur l’aspect visuel de l’expérience commune du 1 septembre, puisque l’ouvrage porte le titre WHAT WE SAW, The Events of September 11, 2001.