ALN|NT2, dossier thématique, 2008

L’art génératif

Simon Brousseau
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Sous-titre: Quand la création flirte avec la programmation

Définition

L’art génératif est une pratique où l’artiste crée un procédé, par exemple un ensemble de règles langagières, un programme informatique, une machine ou tout autre mécanisme qui est par la suite mis en marche et qui, avec un certain degré d’autonomie, entraîne la création d’une oeuvre issue de ce procédé.

(Cette définition est inspirée de celle de Philip Galanter, cité dans l’article «What would Artificial Intelligence Find Aesthetically Pleasing? The Burning Question of Generative Art and Its Audience» de Sarah Cook, disponible ici.)

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Avant de débuter ce bref survol de l’art génératif tel qu’il se manifeste sur le Web, il est souhaitable d’en proposer une définition. Celle qui nous est apparue la plus satisfaisante, au fil de nos recherches, a été développée par Philip Galanter dans son article «What is Generative Art1Il est possible de télécharger cet article, en format pdf, sur le site Web de Philip Galanter. Philip Galanter, «What Is Generative Art?», En ligne: http://philipgalanter.com/downloads/ga2003_what_is_genart.pdf (consulté le 9 juin 2010).». En voici une traduction libre: «L’art génératif est une pratique où l’artiste crée un procédé, par exemple un ensemble de règles langagières, un programme informatique, une machine ou tout autre mécanisme qui est par la suite mis en marche et qui, avec un certain degré d’autonomie, entraîne la création d’une oeuvre d’art issue de ce procédé.» Cette définition, on le remarque, insiste sur le fait que l’artiste crée les dessous de l’oeuvre, les règles dans le cadre desquelles les oeuvres générées se réalisent. C’est dans cette perspective du glissement du rôle de l’artiste que nous souhaitons aborder différents types d’art génératif, tant textuels que picturaux. Il faut noter également que pour Galanter, l’art génératif existe en dehors du monde informatique. Il considère les travaux de certains artistes conceptuels, par exemple ceux de Sol Lewitt comme participant de l’art génératif puisqu’ils s’effectuent en respectant des séquences numériques et des systèmes de combinaisons géométriques. Du côté de l’écrit, nous n’avons qu’à penser à la technique du Cut-Up, utilisée notamment par les dadaïstes et par Burroughs, pour comprendre que la génération textuelle aléatoire n’est pas nécessairement liée à l’utilisation d’un ordinateur. Ceci étant dit, nous nous intéresserons dans ce dossier thématique uniquement à la production informatique.

On a souvent insisté sur le fait que l’art peut représenter la vie, entretenir avec elle un rapport mimétique. Les mathématiques aussi ont ce fantasme de modélisation du monde. En 1970, le mathématicien John Conway a conçu Game of Life, un automate cellulaire qui, à partir de deux règles très simples, donne lieu à des configurations complexes qui, d’une certaine façon, semblent imiter le mouvement de la vie, son caractère imprévisible. Le jeu se déploie sur une grille bidimensionnelle, dont chaque case représente une cellule. Une case pleine correspond à une cellule vivante et une case vide, à une cellule morte. Les deux règles qui structurent cet Univers sont les suivantes: premièrement, une cellule morte possédant exactement trois voisines vivantes devient vivante. Ensuite, une cellule vivante possédant deux ou trois voisines vivantes le reste, sinon elle meurt. L’imprévisibilité des configurations générées par Game of Life est fascinante. Certaines situations initiales des plus minimales donnent lieu à une prolifération insoupçonnable de cellules. Les deux règles mathématiques qui structurent cet univers permettent l’actualisation d’une grande variété de mouvements. La situation que Conway a baptisée «R-Pentomino2Il est possible de visionner certaines situations initiales canoniques sur le site Internet Math.com. En ligne: www.math.com/students/wonders/life/life.html (consulté le 9 juin 2010).» est la première à avoir déjoué les attentes du mathématicien. À partir de cinq cellules vivantes, cette situation donne lieu à une prolifération qui se stabilise après plus de mille mouvements.

Si nous avons ouvert ce dossier avec l’évocation de Game of Life, c’est parce qu’il s’y trouve à notre avis un exemple fort du fait que les mathématiques entretiennent certains rapports de proximité avec la vie. Il est possible de créer des modèles mathématiques susceptibles de modéliser certains aspects de la réalité. Et l’une des questions que l’art généré par ordinateur pose, dès lors, est la suivante: est-ce qu’un programme informatique est en mesure d’imiter les créations artistiques humaines? Et si oui, jusqu’à quel point? C’est ce que nous allons voir.

L’essor de l’art génératif découle directement de l’évolution des technologies informatiques. Cette pratique artistique n’est plus marginale, mais recouvre tout un pan de la création sur le Web. Elle se caractérise par la conception et l’utilisation de logiciels qui nécessitent un ordinateur pour fonctionner, d’une part, mais dont les résultats nécessitent également un ordinateur pour être visionnés. Le phénomène nous semble important pour l’histoire de l’art, car il implique un glissement important quant à la nature du travail de création de l’artiste. Alors que généralement le travail de l’artiste consiste en ce que nous considérons être son oeuvre, un objet fini, un concept ou encore une performance, le concepteur d’art génératif informatisé ajoute une étape au processus artistique en programmant une machine au degré d’autonomie variable, capable de créer une quantité potentiellement infinie d’oeuvres d’art. Ces pratiques artistiques informatisées provoquent autant l’étonnement que la réticence. Comme le rappelle Stuart Mealing dans son introduction du collectif Computers and Art, les oeuvres créées à l’aide d’ordinateurs demeurent, aux yeux de plusieurs, toujours suspectes. Il souligne par exemple que s’il est étrange de critiquer une oeuvre d’art parce qu’elle a été créée à l’aide d’un pinceau et de peinture, les détracteurs reprochent à l’art généré par ordinateur son caractère dit «too computery»:

It would be strange to criticise a painting because you could see that it had been made with a brush and paint, yet computer-generated images are often criticised for being “too computery” or because “you can tell they’ve been done by a computers”. This implies either that there is merit in concealing the origin of the image – that the computer is not a worthy tool for the creation of images – or that the computer generates a particular (implicitly unsatisfactory) type of image. Perceived manifestations of computer generated imagery include – a lack of evidence of hand skills, absolute precision, a clear mathematical basis for the composition, palette limitations of tone or hue, a geometrical quality of line, a regularity of shapes and objects, limitations of an output device (e.g. scale, resolution), pixellation, and a clinical ‘cleanness’ of image3Stuart Mealing (dir.) (2002) Computers and Art, Bristol, Intellect, p. 5..

Ce jugement sous-entend qu’il y aurait une facture typiquement informatique de ces oeuvres, par exemple la précision absolue des traits, le caractère mathématique de la composition et, même si cela est de moins en moins visible à l’oeil nu aujourd’hui, le caractère pixelisé des images. On peut noter que ces reproches adressés à l’art généré par ordinateur, notamment son aspect mathématique, pourraient très bien s’appliquer à des prédécesseurs qui n’utilisaient pas d’ordinateur. Qui oserait blâmer Maurits Cornelis Escher pour l’aspect mathématique de son travail? Son oeuvre, par exemple sa série Path of Life, fait de lui un précurseur des oeuvres géométriques générées par ordinateur. Ainsi, il semble que la méfiance à l’égard de la création assistée par ordinateur ne vient pas tant du rendu des oeuvres que de l’utilisation de la machine. Nous pourrions croire de prime abord que le fait qu’une machine puisse réaliser des oeuvres de façon autonome vient chambranler l’idée du génie créateur, de même que celle de l’originalité de l’oeuvre. Et pourtant, il n’en est rien. En effet, derrière une oeuvre générée informatiquement, il y a toujours du code, et derrière ce code se trouve le programmeur, qui est aussi un artiste, un créateur. En 1981 déjà, François Molnar remarquait ce rapprochement de l’art et de la science informatique:

Un double mouvement s’instaure alors; les artistes apprennent à se servir d’un ordinateur, de même que les techniciens découvrent la possibilité de faire de l’art, de produire des assemblages de formes et de couleurs sur un équipement qu’ils connaissent bien, sans pour autant passer par un apprentissage artistique4Cité dans Bernard Caillaud (2001), La création numérique visuelle: Aspects du Computer Art depuis ses origines, Paris, Éditions Europia, p. XIII..

Les générateurs de textes: les dessous de la langue

Observons maintenant un exemple d’art génératif du côté de l’écriture. Il y a, tant pour la critique que pour les artistes, un caractère profondément provocateur aux générateurs de textes. En effet, l’écriture générée viendrait relativiser l’importance du créateur et rendrait incertain le concept d’originalité puisqu’une machine dépourvue de conscience est en mesure d’arriver à des résultats similaires à ceux obtenus par le travail de création d’un être humain. L’ordinateur pouvant produire un texte dont les éléments constitutifs sont identiques à celui créé par un être humain, l’art génératif laisse entrevoir les structures rigides de la langue et son caractère programmable.

Pour qu’un ordinateur puisse générer un texte, il suffit pour un programmeur d’introduire dans un logiciel les règles de syntaxe de la langue qu’il souhaite utiliser, de même qu’un vaste dictionnaire qu’il organisera en champs sémantiques dans lesquels il établira des corrélations plus ou moins fortes entre les mots. De fait, il semble aujourd’hui que les générateurs de texte fonctionnent mieux dans la génération de poème que dans celle de texte en prose. La raison en est simple : la poésie étant libérée de la syntaxe rigide du langage prosaïque et exploitant souvent la polysémie des mots, il est plus facile pour un artiste de programmer un générateur de poésie dont le résultat est satisfaisant. C’est sans doute dans la proximité des résultats entre un poème généré et un poème écrit par un être humain que réside le caractère provocateur de l’écriture générée par ordinateur. Puisque la poésie surréaliste ainsi que l’écriture automatique se caractérisent notamment par l’élaboration d’associations de mots qui a priori sont radicalement éloignés, et puisque les générateurs de texte peuvent arriver à des résultats semblables en excluant toute démarche qui relève d’une exploration de l’inconscient ou de l’intériorité humaine5Pour en apprendre davantage à ce sujet, on consultera à profit le Manifeste du surréalisme, disponible en ligne: http://wikilivres.info/wiki/Manifeste_du_surr%C3%A9alisme (consulté le 9 juin 2010)., on peut voir dans ce type d’écriture une forte charge ironique à l’endroit de ces courants artistiques et la démarche sur laquelle ils s’appuient.

Le générateur Emotepoem, de Peter Howard, est un bon exemple des résultats étonnants de ce type d’écriture. Ce générateur de poésie a un fonctionnement assez simple: sept paramètres thématiques contrôlables par l’internaute suffisent à donner un vaste éventail de possibilités textuelles. L’internaute peut manipuler les degrés de violence, d’érotisme, de matérialisme, de beauté, de calme, d’emphase et de surréalisme du poème. Derrière ces paramètres, nous pouvons aisément voir le travail de l’artiste: pour chaque degré des thèmes mentionnés, celui-ci aura inséré dans le logiciel une banque de mots, variant en intensité selon les choix de l’internaute. Par exemple, si l’on sélectionne le niveau de violence le plus bas, le premier vers du poème pourra être: «When I kissed your poetry», tandis que si l’on sélectionne le niveau de violence le plus élevé, le premier vers du poème donnera quelque chose comme: «When I cut off your penis». Ces exemples représentent deux extrêmes, mais il faut noter que toute une gamme de vers peuvent être générée entre celles-ci.

L’examen d’un autre générateur de texte, SCIgen – An automatic CS Paper Generator, est utile pour saisir le fonctionnement de ce type d’oeuvre. Cette fois, il ne s’agit pas d’un générateur de poésie, mais bien d’un générateur d’articles académiques traitant d’informatique. Le logiciel génère un titre, une table des matières ainsi que des graphiques qui accompagnent la «démonstration» générée. Évidemment, les résultats sont loufoques et n’ont rien de scientifique.  Toutefois, un coup d’oeil rapide peut facilement confondre le lecteur. Ce qui est saisissant avec cette œuvre, c’est encore une fois l’ironie qui s’en dégage. En effet, le logiciel parvient à générer de façon assez convaincante des articles académiques pour une raison bien simple: il s’agit d’un type d’écriture très codifié, voire parfois jargonneux. Ainsi, il est aisé pour un logiciel de générer des combinaisons de termes techniques qui, agencés ensemble, peuvent donner quelques instants au lecteur l’impression qu’il se trouve devant un véritable texte académique, un texte toutefois parfaitement hermétique.

On le voit, il y a avec l’art génératif un glissement important dans l’intérêt que l’on peut accorder à une oeuvre d’art; alors qu’avec un texte littéraire écrit par un être humain, c’est d’abord le texte qui constitue l’intérêt de l’oeuvre, il semble qu’il faille dans le cas de l’art génératif s’intéresser aussi au processus de création du logiciel: c’est-à-dire que derrière le texte généré, il s’agit d’interroger la langue, la syntaxe et le fonctionnement du logiciel qui le rend possible. Dans son article «Aesthetic of the Implicit», Jean-Pierre Balpe insiste avec justesse sur l’importance du procédé de génération:

What is important in such a situation is not the product itself but the process which leads to the product. In other terms, the perception is not solicited to perceive an aesthetical object but, at the same time, the intentional background of the form and the possibilities of manifestation of that background. In such a way, the object of art, the product itself is quite transparent and what is perceived is really what is behind it…6Jean-Pierre Balpe (2001) «Aesthetic of the Implicit», Berlin, Transmédiales, en ligne: http://hypermedia.univ-paris8.fr/Jean-Pierre/articles/implicit.pdf (consulté le 3 février 2009)

Cette remarque de Jean-Pierre Balpe est importante pour notre propos dans la mesure où il met en évidence l’une des caractéristiques généralement occultées par l’art généré, c’est-à-dire ses origines humaines. Derrière l’art génératif, il y a encore le travail d’un artiste, nous rappelant que la génération ne se fait jamais ex nihilo. Il y a dans les arts génératifs ce que Marie Bélisle a conceptualisé sous le terme de texte virtuel, c’est-à-dire l’ensemble des règles choisies et programmées par l’artiste qui délimitent le champ des possibles du générateur. Ce texte virtuel, c’est la part de création qui appartient à l’humain dans l’art génératif:

Le texte virtuel est composé de l’ensemble des éléments de structure (syntaxe, métrique, lexique, etc.) susceptibles de permettre l’actualisation de l’idée qu’est le modèle de texte : c’est l’ensemble des paramètres d’ordre syntagmatique et des données d’ordre paradigmatique susceptibles par leur combinaison de générer une quantité indéterminée (et possiblement infinie) de textes réels7Marie Bélisle (1998) «Le fantôme de Stéphane Mallarmé» dans Richard Saint-Gelais (dir.), Nouvelles tendances en théories des genres, Québec, Nuit blanche éditeur, p. 218..

Du côté de l’image

La génération d’images fonctionne sensiblement de la même façon qu’un générateur de textes. C’est-à-dire que l’artiste programme, comme nous l’avons vu précédemment, les règles qui délimitent ce que le générateur d’images pourra produire en spécifiant les palettes de couleurs, le type de lignes et les divers agencements qui seront possibles. Dans le cas de certains générateurs d’images, il est également possible de voir l’oeuvre prendre forme en temps réel. Dans ce cas, la programmation nécessite également la mise en place de règles qui délimiteront les diverses étapes de la création et les possibilités de mouvement au sein de l’oeuvre. The Mirella Variations, créé par l’artiste Stanza, est un bon exemple de génération d’images. Le site de l’artiste LIA contient également un éventail intéressant d’images générées.

Il faut spécifier que ces générateurs créent toujours des oeuvres relativement semblables, et cela est dû aux règles déterminées par l’artiste. Toutefois, d’une expérience à l’autre, les résultats sont différents, et il devient pratiquement impossible de générer deux fois le même résultat. Il est important de remarquer que, de la même manière qu’avec les générateurs de textes, la génération d’images est plus facile dans le cas de l’abstraction que dans celui de la figuration. Il semble en effet que la notion de représentation, présupposant un rapport direct au monde réel, résiste pour le moment à la programmation.  Il s’agit sans doute là du plus grand défi des artistes qui travaillent en art génératif: programmer des règles informatiques qui seront assez fines et complexes pour être en mesure de simuler un rapport cohérent au monde et ainsi produire des oeuvres qui tiennent un discours pouvant mimer une expérience humaine de la réalité.

Google Art: la génération combinatoire

Il existe sur Internet une forme d’art assez répandue qui se caractérise par l’utilisation du moteur de recherche Google. Cette pratique récente est généralement désignée par l’appellation «Google Art». Les oeuvres issues de ce procédé ont ceci de particulier qu’elles génèrent des agencements originaux de textes ou d’images à partir de recherches effectuées dans Google. Ainsi, bien que cette technique participe de l’esthétique de l’art génératif, il faut spécifier que le résultat n’est pas totalement généré dans la mesure où chaque bribe, prise séparément, provient d’un site web préexistant à l’oeuvre. L’oeuvre Epiphanies, créé par l’artiste Christophe Bruno en 2001, représente bien l’esprit du Google Art. Avec cette oeuvre, l’internaute est appelé à taper des mots dans une barre de recherche. Ensuite, le logiciel effectue une recherche dans Google afin de rassembler des fragments de phrases provenant de plusieurs sites où se trouvent des mots qui ont été entrés par l’internaute dans la barre de recherche. Bien que les résultats soient souvent confus et difficilement lisibles à cause de l’agencement de fragments qui proviennent de plusieurs sources, il est toujours possible de repérer les liens entre les mots choisis par l’internaute et le résultat qu’offre le logiciel. Par exemple, en faisant une recherche avec les mots-clés “nouveau roman”, un des résultats possibles est le suivant: «Le nouveau roman, c’était mon pain et mon beurre pendant mes études à … (En réalité, le véritable théoricien du nouveau roman était plutôt … Le rire gay, mélange de méchanceté narquoise et de tristesse désabusée, … subvertissait l’écriture littéraire du Nouveau Roman de style. …» Ce que ce type d’oeuvres donne à voir, c’est le pouvoir englobant du moteur de recherche Google. Ainsi, ce qui est généré, ce n’est pas chacun des segments pris isolément, mais bien l’agencement de ces segments qui, au final, donne une oeuvre où sont confrontées dans un même texte les différentes subjectivités présentes sur le Web.

Un autre cas intéressant d’utilisation du moteur de recherche Google dans la génération d’art est l’oeuvre Google House. Avec cette oeuvre, Marika Dermineur et Stéphane Degoutin proposent à l’internaute de construire une maison dont chacun des pans de mur est constitué par une image puisée dans Google. L’internaute doit d’abord saisir des mots-clés dans la barre de recherche. Ainsi, en écrivant par exemple Charlie Parker, celui-ci donnera lieu à la construction d’une maison dont les murs sont constitués d’images reliées au célèbre saxophoniste. Encore une fois, la génération ici est à percevoir du côté de l’agencement de données préexistantes à l’oeuvre. C’est cet agencement, ce jeu de collage effectué grâce à un logiciel, qui constitue l’aspect génératif de cette oeuvre.

Pour conclure

Nous avons souhaité, dans ce bref dossier, mettre de l’avant le fait que l’art génératif pose, de par sa nature, le problème de l’intelligence créatrice. Bien que les logiciels d’art génératif demeurent aujourd’hui relativement simples si on les compare à la complexité de l’intelligence créatrice humaine, ceux-ci laissent entrevoir la possibilité d’une intelligence artificielle qui entretiendrait avec la subjectivité humaine une certaine proximité. Dans son livre L’Art numérique, Christiane Paul fait remarquer avec justesse que des ordinateurs dotés d’une intelligence semblable à celle de HAL, l’ordinateur de 2001, l’odyssée de l’espace, «reste du domaine de la science-fiction.»  Cependant, il est permis de prévoir d’importantes avancées en matière d’intelligence artificielle, l’exemple de l’ordinateur Deep Blue étant rempli des promesses:

L’intelligence artificielle remporta une victoire décisive en mai 1997 lorsque le superordinateur d’IBM, Deep Blue, battit aux échecs le champion du monde Garry Kasparov. Deep Blue a une “intelligence” de type stratégique et analytique; il constitue un exemple de système expert, c’est-à-dire compétent dans un domaine précis et capable de tirer des conclusions à partir de ce savoir8Paul, Christiane, L’Art numérique, Paris, Éditions Thames & Hudson, 2004, 224 p..

Ce passage nous rappelle le fonctionnement de l’intelligence artificielle : s’il était possible en 1997 de programmer un logiciel capable de battre le meilleur joueur d’échecs du monde, c’est parce que l’ensemble des possibilités offertes par ce jeu répondent à un modèle mathématique précis. Il semble toutefois que l’intelligence créatrice possède des qualités qui dépassent la schématisation mathématique. L’innovation, en matière de création, se joue précisément dans la transgression des règles. En ce sens, il ne semble pas exagéré de croire que l’art génératif, qui fonctionne nécessairement à partir de règles précises, est condamné à la simple imitation de pratiques codées. On a vu que l’une des avenues intéressantes dans laquelle peut s’engager l’art génératif est celle de l’ironie, à l’endroit du surréalisme et de l’abstraction notamment. Mais il est aussi possible de rêver à un système informatique expert en création. À un Deep Blue littéraire, par exemple. Pourrons-nous un jour lire les romans ingénieux de cet ordinateur? Nos petits-enfants liront-ils, lors de leurs froides soirées d’hiver, les Mémoires d’un vieux processeur? Et surtout, seront-ils émus?

La perspective est incongrue et séduisante à la fois, et rien n’interdit d’y croire.

Ressources bibliographiques

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Bootz, Philippe (2006) «Digital Poetry: From Cybertext to Programmed Forms», Leonardo Electronic Almanac, vol. 14 (no 5-6), En ligne: http://leoalmanac.org/, (consulté le 24 mai 2010)

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Mealing, Stuart (dir.) (2002) Computers and Art, Bristol, Intellect, 159 p.

Œuvres du Répertoire ALH

  • 1
    Il est possible de télécharger cet article, en format pdf, sur le site Web de Philip Galanter. Philip Galanter, «What Is Generative Art?», En ligne: http://philipgalanter.com/downloads/ga2003_what_is_genart.pdf (consulté le 9 juin 2010).
  • 2
    Il est possible de visionner certaines situations initiales canoniques sur le site Internet Math.com. En ligne: www.math.com/students/wonders/life/life.html (consulté le 9 juin 2010).
  • 3
    Stuart Mealing (dir.) (2002) Computers and Art, Bristol, Intellect, p. 5.
  • 4
    Cité dans Bernard Caillaud (2001), La création numérique visuelle: Aspects du Computer Art depuis ses origines, Paris, Éditions Europia, p. XIII.
  • 5
    Pour en apprendre davantage à ce sujet, on consultera à profit le Manifeste du surréalisme, disponible en ligne: http://wikilivres.info/wiki/Manifeste_du_surr%C3%A9alisme (consulté le 9 juin 2010).
  • 6
    Jean-Pierre Balpe (2001) «Aesthetic of the Implicit», Berlin, Transmédiales, en ligne: http://hypermedia.univ-paris8.fr/Jean-Pierre/articles/implicit.pdf (consulté le 3 février 2009)
  • 7
    Marie Bélisle (1998) «Le fantôme de Stéphane Mallarmé» dans Richard Saint-Gelais (dir.), Nouvelles tendances en théories des genres, Québec, Nuit blanche éditeur, p. 218.
  • 8
    Paul, Christiane, L’Art numérique, Paris, Éditions Thames & Hudson, 2004, 224 p.
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