ALN|NT2, ponctuel, 2013

Corps et culture numérique: quelques retours d’exploration. Retour de tournée: deux performances, un atelier et un miroir sur corps-écran

Anne Goldenberg
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Depuis la fin de ma thèse de doctorat en sociologie et communication (2010), j’ai entrepris une démarche artistique qui associe des artistes du mouvement et des artistes électroniques dans des performances, des ateliers et des installations qui visent à initier des liens et à retracer les lignes distendues entre corps et culture numérique.

Curieuse de voir ce que l’un.e et l’autre allaient se dire et s’apporter, la sociologue en moi s’est mise aussi à prendre note, gourmande, des glitchs et décalages issus de ces frottements.

J’ai aussi rencontré des artistes du corps et des écrits d’écrans qui s’intéressent à ce lien, depuis leur propre démarche. Et depuis, ensemble, nous fouillons un mouvement de rencontres infiniment riches.

Cet «été» (incluant une froide et humide escale en hiver austral), j’ai participé à la production de deux performances et d’un atelier, qui ont eu chacun au moins deux occurrences. L’atelier a donné lieu à la production d’un zine, imprimé au Laboratoire NT2 en juin 20131 Pour plus de détails: voir les pages d’Attention Somatique sur le site de Working still still working/. Les performances sont quant à elle documentée sur le site de recherche et création sur l’Esthétique Relationnelle des Systèmes d’Exploitation Lerse.net.

White Magic | Black Magic I,II,III

@ Laboratoire Phénomena, Montréal, Canada
@ Networked Art Forms: Tactical Magick Faerie Circuits, Tasmanie, Australie
@ A Dark MOFO: CAST Gallery, Tasmanie, Australie

La performance White Magic | Black Magic a été conçue comme la rencontre, aux allures chamaniques, de l’esthétisme et des puissances, des environnements Macintosh et Linux. J’avais envie de faire se confronter l’univers de l’obscurantisme immaculé soigné de la société Apple et le discours (souvent occulte) de la transparence proposé par la communauté Linux. Dans une mise en scène onirique et absurde, nous avons travaillé à la rencontre de gestes, de démonstrations de puissance, de projections, d’artefacts et de rituels, pour un dialogue aux issues et échappées incertaines.

À Montréal, pour le Laboratoire Phénomena, j’ai travaillé avec la danseuse Margaret Westby, qui s’intéresse aux liens entre danse, technologie et féminisme, et avec la musicienne et hacker Maya Richman, que l’idée de jouer avec le son de nos artefacts communicationnels enchantait. Nous travaillions avec nos propres ordinateurs. Je veux dire, nous dansions et jouions avec nos ordinateurs, pour ne pas tricher sur l’intimité, les risques de brisures, l’origine de nos gestes, quotidiens et détournés. Les câbles de nos ordis, le pli de nos écrans, le poids de nos machines ont pris vie et sens et poids et forme. Le tapotement des claviers, le froissement des bandes magnétiques et la surface texturée des micros et des téléphones cellulaires ont construit l’entourage sonore autour de fredonnements de cordes vocales en boucle. Un petit OLPC est mort, ultime point de rassemblement.

Pour le festival Tactical Magick, en Tasmanie, je retrouvais la danseuse Karine Rathle, avec qui j’avais conçu la performance ainsi que de nombreuses explorations et réalisations liées aux projets ERSE et Working still, still working.

Karine avait lu et compris que le festival s’appelait Tactile Magick.

Beau, signifiant et joli quiproquo.

Notre combat est devenu, surtout, celui du corps et de l’écran.

La dextérité tactile s’augmente-t-elle avec ce qu’apprennent à faire nos doigts parcourant nos écrans?

Les Mac-eux.ses sont-ils.elles plus habiles de leurs doigts que les libristes à clavier?

Le glissé du doigt de la main droite peut-il se prolonger de celui des doigts de pied?

Les gestuelles dactylographiques sur Macintosh et sur Linux peuvent-elles s’apprendre comme des chorégraphies?

Peut-on écrire sur son ordinateur, lui lancer une commande, la projeter sur soi, sur l’autre et se mettre à danser?

Karine jouait du corps.

Je jouais de l’écran.

Nous avons combattu devant la projection d’un film d’un corps parcellé aux mouvements et organes annotés.

Pour le festival A Dark MOFO, Idiot Lust, un musicien noise de Hobart, est venu nous rejoindre, reconstruisant un univers sonore d’envoutement, associant voix incantatoires et nuisances électroniques.

Nous avons ritualisé cette rencontre.

Elle est devenue cérémonie.

L’issue de ce combat entre puissance du corps et puissance des machines n’a jamais bien été définie.

Le corps a gagné, ou presque.

Je ne crois pas que nous ayons vraiment fait dialoguer les univers Macintosh et Linux.

Peut-être qu’ils n’ont rien à se dire.

Mais le corps et l’écran, oui, infiniment.

Attent!on Som(t)a(c)tics | Ateliers 1,2,3

@ Networked Art Forms: Tactical Magick Faerie Circuits, Tasmanie, Australie
@ SummerLab, Nantes, France
@ OHM, Amsterdam, Hollande

Les ateliers d’Attent!on Som(t)a(c)tics venaient justement ouvrir ce dialogue. Avec des gestes, des mots, des maux, des écrits, des dessins, des explorations et des improvisations. Trois heures. En cercle. Sur des coussins. Avec nos ordinateurs et nos téléphones. Faces à soi. Dos à dos. Prise de corps dans l’espace numérique.

**L’atelier avait d’abord été planifié dans une galerie d’art. Sol de béton brut, froid, atmosphère humide (c’est l’hiver), chauffage incertain. Nous demandons à revenir à la galerie CAST.

Les coussins de la salle de radio fantôme sont parfaits. Le plancher de bois idéal. Être au sein d’œuvres numériques immersives alimente notre imaginaire. Nous baissons quelques ambiances sonores. L’immense spectre glitchée de l’œuvre de Rosa Menkman (Pays-Bas) nous regarde. Elle a mal, sa tête et son corps se décomposent et se multiplient sous les commandes de la manette vidéo. Si bien que parfois, elle se regarde.

re prendre corps. y ressentir. sentir.
le rythme. le souffle. le sien. celui de l’autre par son dos accolé.
respirer.
écouter.
descendre dans son corps.
ou y monter.
refaire corps.
par l’attention, l’écoute, les sens et la pensée.

L’atelier renaitra à Nantes, dans un SummerLab peuplé de bidouilleurs.euses des bords de Loire,
mais surtout à Amsterdam, sous la tente du Noisy Bridge, en compagnie d’Emily King,
dans son atelier Observe Hack Massage.

Massage hacker.
Nous regardons nos corps comme des systèmes à comprendre, à lire, à explorer.
Observer les couches de langage et les ramifications
Lire la surface d’un corps paysage dans ses formes, dénivelés, creux, montagnes, jonctions, croisements.
Suivre les rythmes, les afflux et les souffles
Aborder la profondeur des couches et des systèmes
Sous l’épiderme, le système nerveux, le système osseux, le système musculaire
les points de jonction, les points de tension, les composantes, les ligaments

Lire et toucher et improviser
un parcours / sudo /
à l’écoute
des retours de corps
sur les marques d’intention
apprendre
approfondir
et persister
en dialogues étendus.

Operating Systems | Performance T test s 0,1…2
@ OHM, Amsterdam, Hollande
@ HS64, Bruxelles, Belgique

Et puis, retrouver
Pascale Gustin
Valentina Vulsik
Karine Rathle
pour la performance Operating Systems
à corps, à son, à projections et systèmes embarqués
à vélo
et 16 ordinateurs sur un diable
pour une performance aux contours incertains
entre les tentes instables
du festival OHM

Operating Systems
Performance test
sous toiles de tente

Entrer en communication
avec les commandos virils
d’organisateurs de calendrier
de techniciens en câblage sous admin
d’opérateurs de projecteurs du futur
qui ne savent pas qui est où avec quoi pour quoi
mais qui prennent les choses en main-ferme

Ne pas savoir non plus
si notre destination
est une tente minuscule,
ou une plateforme immense

Nous devons travailler
entre les bourrasques
sur un mode nomade
dans les interstices des programmations.

Nous avons
un équipage
à inventer
et des langages
à faire correspondre

Nous sommes quatre
dans ce système d’opération
une scribe embarquée,
deux mécaniciennes du mouvement
une ausculteuse d’acoustiques électroniques.

Nous sortons d’un crash
Nous devons collaborer
Un autre crash s’annonce

Le premier test
est une épreuve
absurde

Les débris sont immenses
le son insupportable
la lumière nous aveugle
et la projection coupe
peu de temps après le démarrage

baillons sur l’écriture
hurlements de haut-parleurs
et mouvements arrêtés:
diagnostic: sabotage?

Reprise de test, à Bruxelles, HS63
le calme est revenu
les circonstances de travail
bien meilleures
test 2

exploration concluante
nous savons maintenant
l’étendue de l’ouvrage
qui nous attend
pour opérer
ce système de son, de mots et de corps
et de machines branlantes
à attendrir.

Nous attendrons Sight and Sound
pour remettre en marche ce chantier.

Corps-écran

suites et formes à venir

Qu’est-ce qu’un écran?
Un cache ou un filtre aplati?
qui communique, transmet ou dit
qui n’est rien
invisible
grande pièce maitresse intangible
invisible nécessité
physique
qui rend visible, lisible, dicible
l’éther et le flux des flux.

Les projecteurs sont arrivés
On pourrait se passer de l’écran et tout projeter désormais.
Du réel au réel
sans medium et sans filtre
un nano artefact micro-électronique
pour une projection translucide
de soi.

Et projeter alors
sur nos corps
des textes
des codes
des secrets
des descriptions
des décryptions

des membres
des organes
des yeux
des excroissances
des creux

prendre le corps
comme écran
de projection
de protection

regarder le corps
comme un écran
à l’épiderme diaphane
à peine imperméable.

Point de passage
de lien
entre des orifices
des entrées
des muqueuses
des organes de capture
des espaces sensitifs
des surfaces tactiles
des sources d’énergie

Retrouver un corps réseau
entre nous et l’air
au sein des sons
des regards
des formes
et des odeurs
communes

Retracer le parcours
des réseaux cognitifs
qui circulent du cerveau
au clavier
un pad
des doigts
des touches
un cœur de carte-mère
des circuits imprimés
des connexions infimes

un système d’exploitation
ses applications
ses extensions

des partitions
des dépendances
de la mémoire vive et endormie
des sources d’énergie
des pertes d’énergie
des ampères
des flux
des bits
des couches
des chiffres
des lettres
des langages
des algorithmes
des rythmes
des souffles
celui des tours
et des portables
mal ventilés
le bruit des processus qui opèrent
sous nos regards nos oreilles nos doigts nos épidermes

écrans à cran
et corps à corps perdus
depuis le temps d’avance?

nos corps avaient tout l’espace
d’observation et de déplacement
écranisés
ils ont fixé
à la lumière diaphane
de l’immense miroir extensif
une culture des esprits
qui se projettent
qui se projectent
qui se protectent
avec ou sans particule
avec ou sans épiderme
avec ou sans consentement
en notre toute présence et grande absence

Corps de matière tactile à émission
arrimé à l’écran des navigations
que sont nos libertés devenues
d’arpenter
de tous nos corps
systémiques
et sal(i)vateurs
de tous nos organes associés
de toutes nos pensées
les méandres de tout?

Il fluide
du vif
vers le ventre plat
de l’écran.

Ordinateurs,
voulez-vous danser?

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