Hors collection, 01/01/2001

L’altérité du désert dans «The Sheltering Sky» de Paul Bowles

Rachel Bouvet
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Il est d’usage, lorsque l’on s’interroge sur les images de l’autre en littérature, d’étudier l’altérité humaine. Le fait que l’autre appartienne à la même espèce que le soi constitue un implicite partagé par l’ensemble des chercheurs, qui prennent pour point d’appui selon les cas la différence sexuelle, culturelle, religieuse, physique, sociale, etc., pour élaborer leur étude, quand ce n’est pas la notion de différence elle-même qui se trouve au centre de la discussion. Pourtant, si par définition est autre tout ce qui n’est pas moi, on peut s’attendre à ce que les formes d’altérité soient multiples et ne se réduisent pas à l’espèce humaine. Il est vrai que les récits où l’altérité humaine constitue la forme principale, déterminante, sont les plus nombreux, mais cela ne justifie pas l’exclusion des autres. Certains textes, comme le roman de Paul Bowles, The Sheltering Sky, obligent à repenser la question de l’altérité, question centrale dans ce roman, mais qui ne concerne pas uniquement les relations interpersonnelles. Les protagonistes, un couple d’Américains en voyage en Afrique du Nord, nouent bien sûr des relations avec plusieurs personnes, mais ces interactions, au demeurant peu nombreuses et souvent stéréotypées, ne révèlent que partiellement le récit, qui présente de larges zones d’ombre. C’est moins l’histoire de deux étrangers au milieu de la foule que l’histoire de deux Occidentaux confrontés à un milieu géographique étranger, l’un éprouvant une fascination sans bornes pour le désert, l’autre une peur irraisonnée. De toutes les formes d’altérité présentes dans ce roman, celle de l’espace constitue en effet la forme la plus radicale. «Métaphorisation du néant», le désert est d’abord et avant tout, pour Port Moresby, une figure imaginaire associée au vide. Le voyage s’amorce précisément pour cette raison, parce que cette figure correspond à l’état dépressif dans lequel il se trouve. L’altérité humaine apparaît dérisoire quand on la compare à la relation qui s’établit avec ce lieu sans vie qui devient l’objet de la quête. Il importe donc de pouvoir distinguer différentes formes d’altérité, différents degrés, différentes attitudes aussi de la part de la personne qui la construit, si l’on veut comprendre l’enjeu de l’altérité dans un roman comme celui de Bowles, où les humains sont littéralement dépassés par ce qui les environne, où le «ciel protecteur» (sheltering sky) s’effrite quand il surplombe la terre aride du sud algérien.

Suite en format pdf.

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Cet article est la version préliminaire de l’article publié dans Danielle Forget et Humberto Luiz L. de Oliveira dir., Images de l’autre: lectures divergentes de l’altérité/Imagens do outro: lecturas divergentes da alteridade (édition bilingue), Feira de Santana, Bahia (Brésil), Presses universitaires de l’Universidade Estadual de Feira de Santana, ABECAN, 2001, p. 141-153.

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