Hors collection, 01/01/2006

Du parcours nomade à l’errance: une figure de l’entre-deux

Rachel Bouvet
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Parcours… le terme suscite d’emblée une image de mouvement, une trace, un chemin, déjà balisé ou dessiné en cours de route, une marche, un voyage ou une traversée. Transposée sur un plan plus général, en termes anthropologiques par exemple, l’idée de parcours évoque le nomadisme et renvoie ainsi au temps des origines, ou aux tribus de plus en plus rares qui arpentent encore la planète. Du nomadisme à l’errance, il n’y a qu’un pas, semble-t-il, mais ce pas est lourdement chargé de sens. Le dictionnaire lui-même fait du nomade et de l’errant des synonymes. Pourtant, à y regarder de près, la conception de l’espace sous-jacente à ces deux êtres du mouvement diffère grandement. Le premier sait où il va, il suit un tracé déjà connu, ou en partie, un itinéraire conservé dans la mémoire de la tribu; il connaît l’environnement et y trouve des repères facilement, des signes qui lui permettent de continuer son chemin. Le parcours nomade est tributaire des ressources, de la présence d’îles, de forêts ou d’oasis, de la végétation ou de la force des vents, des puits ou des courants, des habitudes aussi, qui sont fortement ancrées dans la mémoire des communautés. Le second, au contraire, ignore encore où ses pas le mèneront; soit il est en fuite, et dans ce cas le moment marquant de son parcours est le point de départ, ce lieu qui reviendra hanter la mémoire, de manière lancinante, chargé des peines, des souffrances, des rancoeurs liées aux motifs de la rupture; soit il est en quête d’autre chose, et dans ce cas il se laisse facilement distraire de la route par le paysage, par une idée, par des mots; son regard s’oriente vers l’avant, vers l’inconnu, il est tendu vers l’horizon. Si l’on connaît des histoires tragiques de peuples déplacés, voués à l’errance, le trajet erratique peut également prendre la forme du parcours solitaire, non fixé d’avance, inventé en cours de route et allant de pair avec le mouvement de l’écriture. Pour bien comprendre les liens qui à la fois unissent et séparent le nomadisme et l’errance, pour bien saisir les caractéristiques distinctes de chacun des parcours en jeu, il s’avère nécessaire de faire un détour par une autre opposition, beaucoup plus forte celle-là, puisqu’elle confronte deux frères ennemis depuis la nuit des temps (depuis la Bible, au moins): le nomade et le sédentaire. Cette étude vise donc à observer un phénomène relativement récent: la superposition des figures du nomade et de l’errant, la relance qui s’effectue de l’une à l’autre, l’élaboration d’une figure de l’entre-deux. Je m’appuierai sur la fiction, particulièrement sur deux romans de Malika Mokeddem, écrivaine algérienne d’origine nomade: Les hommes qui marchent, publié en 1990, et Le siècle des sauterelles, datant de 1992, qui évoquent chacun à leur manière le Sahara et la rupture avec le mode de vie nomade, avant d’aborder la question du nomadisme intellectuel.

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Cet article est la version préliminaire de l’article publié dans Rachel Bouvet, André Carpentier et Daniel Chartier, dir., Nomades, voyageurs, explorateurs, déambulateurs: les modalités du parcours en littératureParis, L’Harmattan, 2006, p. 35-50.

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