Colloque, 28 octobre 2010

Lee Maracle et la figure redoublée de l’idiot: Ravensong

Julie Perreault
couverture
Idiots, figures et personnages liminaires, événement organisé par Véronique Cnockaert, Bertrand Gervais et Marie Scarpa

Dans le contexte canadien actuel, sous le sceau du colonialisme qui le marque encore, la littérature amérindienne a ceci de particulier de se présenter d’emblée idiote. Son discours, en effet, met le plus souvent en scène des personnages et des contextes de sens que le citoyen blanc, Euro-américain, recevra le plus souvent et nécessairement comme autre. Pourtant, la littérature amérindienne contemporaine se joue bien de cet état de fait pour présenter ses œuvres dans ses propres langages. Elle récupèrera alors la fonction «idiotique» pour en faire sa principale force. Le propos de cette communication suit ce mouvement dans le roman amérindien Ravensong, de Lee Maracle, à travers la figure de Steve. Jeune blanc amoureux de l’héroïne principale, Steve, malgré ses tentatives d’insertion, demeure un personnage toujours en marge, et ceci aussi bien du roman que de la communauté et du cœur de Stacey, dont il n’obtiendra jamais l’accès. Dans ce seul personnage, l’idiotie dont se pare le roman amérindien est alors mise en abyme trois fois plutôt qu’une. Du point de vue de la communauté autochtone, d’abord, Steve représente l’idiot anthropologique (l’autre, l’étranger), considéré idiot, au sens vulgaire du terme, de se construire lui-même l’image de l’autochtone comme idiotie (singularité, le plus souvent anormale). Cependant, Steve est encore idiot, du point de vue du roman, de demeurer nécessairement en marge d’une culture dont il ne comprend ni les lois ni les coutumes. Il sera idiot une troisième fois, enfin, et du point de vue maintenant de sa propre conscience, lorsqu’il éprouvera la honte de s’apercevoir lui-même comme juge d’une communauté à laquelle il souhaite accéder. Le concept d’idiotie permet ainsi de saisir la centralité structurelle de ce personnage tout à fait secondaire à l’intrigue, découvrant dès lors la signification critique et existentielle du roman de Maracle.

Julie Perreault est détentrice d’un doctorat de l’école d’études politiques et Institut d’études des femmes de l’Université d’Ottawa.

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