Cahiers Figura, numéro 25, 2010
L’atelier de l’écrivain 2
Tout écrivain se constitue progressivement une représentation de lui-même en tant qu’écrivain, laquelle, convoquant et aiguisant son sens critique, détermine forcément sa pratique. Cette représentation, cette figure (du latin fingo, façonner), se fonde non seulement sur les acquis techniques, par la maîtrise de la langue et des moyens de composition, mais aussi sur la réflexion, la compréhension du processus créateur ainsi que des visées esthétique et éthique qui sous-tendent la pratique artistique. Les étudiantes et étudiants de la maîtrise en création littéraire sont invités à faire ce double pari: s’ils présentent, dans le cadre de leur mémoire, une œuvre originale (recueil de poèmes, de nouvelles ou de récits brefs, roman, etc.), ils doivent également soumettre une réflexion dans laquelle ils tentent de saisir et d’assumer la nature de leur rapport à l’écriture.
Articles de la publication
Présentation: L’Atelier de l’écrivain 2
Tout écrivain se constitue progressivement une représentation de lui-même en tant qu’écrivain, laquelle, convoquant et aiguisant son sens critique, détermine forcément sa pratique. Cette représentation, cette figure (du latin fingo, façonner), se fonde non seulement sur les acquis techniques, par la maîtrise de la langue et des moyens de composition, mais aussi sur la réflexion, la compréhension du processus créateur ainsi que des visées esthétique et éthique qui sous-tendent la pratique artistique.
L’émergence des pierres
Le temps, depuis le premier jour, m’est compté. Je vais disparaître sans savoir où ni quand. Les morts ne revivent pas. Ne reviennent pas. Le jour de ma mort, je laisserai une empreinte mémorielle fugace et lente.
Entre gravité et échappée
Je ne sais pas où tout cela a commencé, comment tout cela a commencé. Je pose un pied, puis l’autre, j’ouvre les bras, fléchis les genoux, et un mouvement prend forme. Je tremble. Pas à pas, au fil des gestes, certaines images s’alignent dans ma tête, des mots se rayent sur la page: des voies s’ouvrent et se ferment, quelque chose se trace.
Distance
La dépression et la douleur liées au processus d’immigration peuvent mener l’individu jusqu’à «la crispation de sa solitude […] et à la relation avec la mort». Cette détresse place paradoxalement l’immigrant «sur un terrain où la relation avec l’autre devient possible. Relation avec l’autre qui ne sera jamais le fait de saisir une possibilité.»
L’errance féconde
Je crois qu’on est toujours à mi-chemin entre ces lieux d’où l’on vient et ceux vers où l’on va. On transporte dans ses valises les marques du passé et on conserve des attaches à ces lieux antérieurs. Il est donc toujours question à la fois du désir de se surpasser —et parfois de s’oublier— en jouissant de sa liberté de créateur, et de l’impossibilité de se défaire de l’histoire qui nous a fondés, des vestiges qui nous habitent.
L’indifférence ou l’inquiétude?
Devant le spectacle de notre destruction, il faut choisir: l’indifférence ou l’inquiétude? L’engagement c’est d’abord ça: un choix. Le mien est clair. Je suis inquiet. Je lis les journaux, je regarde le téléjournal, j’écoute la radio, je clique sur les sites d’information, je suis l’actualité pour me rendre compte que je ne sais même plus combien il y a de guerres ou de catastrophes écologiques tellement il y en a.
Juste là
Il m’arrive parfois de penser que je suis punie. Que les mots m’évitent avec acharnement. Comme si je les avais brusqués. Les mots sont donc si frileux qu’il faille les approcher, chacun, à pas feutrés, presque sournoisement? Et les effleurer, venir à eux de biais pour pouvoir les longer tout en respectant leur espace propre? Peut-être que l’écriture, alors, ce n’est plus chercher ni rendre compte, mais accompagner.
L’expérience du défilement
Les deux parties de mon mémoire témoignent, chacune à sa manière, d’une même expérience du dehors, soit celle du défilement. Loin d’en faire l’éloge, cependant, je m’intéresse surtout au sentiment d’insuffisance auquel donne lieu ce genre d’expérience, qui semble mal répondre à notre intérêt tout naturel et spontané pour l’«événement».
Le road beat ou l’écriture vagabonde
Dans ma jeunesse, année après année, j’allais voir un charlatan qui s’arrêtait en ville au printemps. Habillé en gitan, l’homme criait à pleins poumons sa phrase intrigante : «Allez, venez voir le seul cochon à trois têtes du monde, allez, allez, approchez.» Immanquablement, j’étais curieux. Je payais les deux dollars et je passais derrière le rideau rouge.
Nous cherchons. Nous respirons. Nous nous mettons le doigt dans l’oeil pour voir plus creux.
Comment commencer alors que tout l’est déjà, commencé, voilà des heures, des années, on dit des lustres (cette poussière); ce qui s’est répandu, comme déposé, me redemande de parler,de redire encore que le feu, que la terre, que et que c’est possible, parler des mêmes choses à nouveau, relever les traces, resoulever les mots.
La bouche pleine de terre
C’est sans doute la bouche pleine de terre qu’on apprend à parler. Puis, dégoûté par ces entrailles de mère naturelle et de terre paternelle, on apprend à écrire pour parler autrement. Si je dis dégoûté, c’est que ma génération semble avoir un problème avec le passé.
Words Written in Dust. Percer la façade brillante des tours
La poussière est tombée. Ce ne fut pas lent. Elle s’est abattue sur tout ce qui se trouvait à proximité, a recouvert objets, visages, hommes, femmes, voitures, chaussée. Elle ne se ressemblait pas: elle dont le mouvement est silencieux, imperceptible, elle dont on constate avec étonnement la présence, elle s’est abattue, en quelques minutes, en même temps que ce bruit ressemblant à un coup de vent.
Deux dans un. Défier les lois du nombre
Ceux et celles qui connaissent un peu mon travail se sont peut- être imaginé, à la lecture du titre de cette conférence, que mon propos porterait sur la dualité, la gémellité, le thème du double, ce thème traversant à peu près toute mon œuvre par l’intermédiaire de personnages comme Paul Faber et Charles Wilson, la femme du train et la femme de la plage, Bob Moreau et Bob Winslow, dont les contours flous ou affirmés se répondent, s’opposent et se superposent au gré d’une quête d’identité ne menant parfois qu’à une plus grande confusion, puisque les miroirs, on le sait, ne nous renvoient toujours que le reflet inversé du monde.