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Petites anthologies numériques: Facebook, ou la littérature en fragments partagés

Adeline Wrona
couverture
Article paru dans Les formes brèves dans la littérature web, sous la responsabilité de Marie-Ève Thérenty et Florence Thérond (2017)

Qu’appelle-t-on la littérature dans les réseaux de sociabilité numérique? Que fait-on avec elle? Et dans ce jeu de pratiques et de représentations, quelle est la part des formes brèves, modalité poétique qu’on peut d’emblée poser comme dominante? Telles sont les questions qui guident cette réflexion, inscrite dans la continuité d’une exploration engagée d’abord, à travers la presse, sur la relation entre médias et littérature.

Facebook sera considéré, ici, comme un laboratoire où s’observent des «façons de lire, manières d’écrire», pour reprendre la formule de Marielle Macé (Macé, 2011),1L’expression est empruntée à Yvonne Verdier, Façons de dire, façons de faire.[/fn], selon des formes particulièrement hybrides. On y découvre un carrefour de pratiques, d’objets, d’acteurs autour de la littérature qui se rencontrent et se mêlent, selon une logique de «continuum»1Le terme est proposé par Roger Chartier pour décrire «l’ordre des discours» sur le support numérique (Chartier, 2003), cité dans (Jeanneret, Tardy, 2007: 180). ou d’anamorphose propre au numérique, particulièrement difficile à stabiliser pour l’analyse. C’est ce «sacre de l’hybride» dont parle Milad Doueihi dans son livre de 2011, Pour un humanisme numérique.

J’aimerais en tout état de cause poser l’hypothèse que ces effets d’hybridation et de mélange des rôles ont fondamentalement à voir, dans un espace comme Facebook, avec le fonctionnement du fragment, du bref, du morceau – qu’il soit choisi ou non; car les «formes brèves» de la littérature numérique ne sont peut-être sur le réseau qu’un des avatars de ce que certains chercheurs en sciences de l’information et de la communication ont proposé de définir comme des «petites formes» (Candel, 2012), soit ces «formes textuelles réduites», «formes écrites de la médiation». Manipulables, combinatoires, ces formes englobent à la fois des modules iconiques (les étoiles des guides touristiques, le pouce «like» de Facebook, les nuages de tags ou les index géographiques) et des «signes passeurs» (soit ces espaces numériques qui permettent, par un geste de l’usager, d’agir à l’écran, de circuler d’un texte à l’autre ) – tous éléments qui dans leur petit format se prêtent à une très grande variété de réappropriations, par recontextualisation et thématisation, en combinant hétéronomie et adaptabilité.

D’où la question à laquelle je voudrais répondre ici: comment se recompose, sous l’effet de cette conversion numérique, la spécificité du fragment littéraire?

Mon enquête – à la recherche de la littérature perdue sur Facebook – m’a conduite à sélectionner différentes «pages», selon le vocabulaire indigène. Partant en quête des espaces d’écriture où se collectaient des fragments de littérature à partager, j’ai rencontré un «bric-à-brac» de statuts tous fondus dans la même apparente homogénéité de la «page» Facebook. On y observe, en première approche, un trait propre aux pratiques numériques, quels que soient les domaines considérés – la reconfiguration des prérogatives professionnelles. Voici quelques «pages» croisées autour de l’analyse: pour «Passion des mots, passion de la vie»,

Capture d’écran de l’auteure, 26 novembre 2015.

le «statut» de la page s’auto-identifie comme «un livre»; pour la page «L’actu littéraire»,

Capture d’écran de l’auteure, 26 novembre 2015.

c’est «une librairie»; quant à «Littérature et poésie»,

Capture d’écran de l’auteure, 26 novembre 2015.

le statut indique, de façon assez énigmatique, «Pour le plaisir»… Mais sur Facebook, on peut aussi croiser, quand on cherche «de la littérature», la Société des gens de lettres, décrite comme «entreprise locale»,

Capture d’écran de l’auteure, 26 novembre 2015.

ou bien des «gens de lettres» tout court,

Capture d’écran de l’auteure, 26 novembre 2015.

en l’occurrence des étudiants qui partagent des citations pour s’aider dans leurs devoirs de terminale, surtout en philosophie: ce collectif studieux se décrit comme «groupe public»; il compte 47 membres, vivant tous à Lomé, et se décrit en ces termes:

Capture d’écran de l’auteure, 26 novembre 2015.

Découvrez les citations de certains auteurs pour vous aider dans vos devoirs de commentaires ou de dissertations philosophiques. tout le monde peut oublier n’importe quelle citation de n’importe quel auteur même s’il s’agit de lui même cet auteur; l’essentiel est que cela donne un plus au lecteur.

A ces étudiants togolais, nous pourrions comparer les membres d’un des groupes intitulés «Littérature française» (il y en a plusieurs, certains ouverts, d’autres fermés), dont une grande partie des 1058 membres présentent des noms d’Afrique du Nord,

 

Captures d’écran de l’auteure, 26 novembre 2015.

et affichent parfois le drapeau marocain, groupe qui se donne l’objectif suivant: «se [sic] groupe a pour objet d’améliorer le niveau intellectuel chez les étudiants et toutes personnes intéressent [sic] par la littérature française ». Enfin, la «littérature» tout court figure aussi au tableau, tel un «groupe public» comptant à la fin de l’année 2015 15413 «amis», et se donnant pour égéries le couple formé par Romain Gary et Jean Seberg.

Comment analyser ensemble ces pratiques disparates, qui mêlent professionnels du monde des livres et amateurs de philosophie, institutions et particuliers, auteurs reconnus, et poètes du quotidien? Dans la fluidité des métamorphoses auxquelles se voit livrée ce que l’on nomme, sur Facebook, littérature, trois lignes d’analyse peuvent rendre compte de l’effet du réseau sur les gestes combinés de lecture et d’écriture, indissociables en régime numérique2Les travaux d’Emmanuël Souchier montrent que les «écrits d’écran» réactivent les pratiques médiévales de «lettrure» (écriture/lecture), voir par exemple (Souchier, 1996).: le devenir-image, le devenir-sociable, le devenir-actuel.

 

1. Devenir image

Bien sûr, tout sur les réseaux sociaux commence par l’écriture; et si l’on accepte de penser les logiciels eux-mêmes comme une pratique d’écriture – et une écriture des pratiques, par anticipation – on peut admettre l’idée que les textes que nous mettons en circulation à chaque geste que nous accomplissons sur nos claviers, sont surdéterminés par de puissants architextes, ces textes écrits pour commander à d’autres textes.

Il n’en demeure pas moins que, sur Facebook, le texte circule essentiellement par l’image; la littérature devient donc une pratique qui se donne à voir, à tous les niveaux de la chaine des acteurs engagés dans la production, circulation, réappropriation du texte littéraire.

Ce «devenir vignette» du texte doit être rapporté à un phénomène majeur du numérique: la mise en archive généralisée, plus ou moins aléatoire et maîtrisée, d’une quantité infinie de documents de nature particulièrement hétérogène, et parmi ces archives, une part non moins infinie d’images, que la fonction de recherche «image» du moteur Google permet de faire surgir prioritairement. Or le réseau Facebook fonctionne sur le principe du «profil», et impose la loi de la personnalisation, qui surdétermine toute pratique de publication.

Aussi l’évocation de la littérature sur des sites qui lui est dédiée passe-t-elle d’abord par la «mise en visages» du texte, et par la production d’une extraordinaire galerie d’images d’auteurs, de provenance particulièrement variée (issues de banques d’images, de sites de vente aux enchères, de Wikipedia): toute citation littéraire s’accompagne d’une évocation presque médiumnique du portrait de l’écrivain – selon une loi de proportion, qui fait du texte la légende de l’image, alors même que l’image est initialement conçue comme illustration du texte.

L’injonction au portrait, propre au réseau social, fonctionne alors comme un outil de fragmentation du texte cité, qui doit se plier au primat du visible sur le lisible: si nécessaire, le morceau choisi de littérature se voit tronçonné pour laisser toute sa place à l’image d’auteur, qui impose sa loi.

Cette mise en image de la littérature par ses auteurs réserve des surprises inattendues, des mélanges insolites – tout comme le journal au XIXe siècle inventait une polyphonie auctoriale parfois parfaitement saugrenue. Les auteurs réunis sur la grille de portraits photographiques de la page «Passion des mots, passions de la vie»

Capture d’écran de l’auteure, 26 novembre 2015.

n’ont pas grand chose à voir ensemble, et parfois pas grand chose à voir avec eux-mêmes: ici Chahdort Djavann,

Capture d’écran de l’auteure, 26 novembre 2015.

citée le 17 novembre 2015, ne ressemble pas beaucoup à Chahdort Djavann,

Capture d’écran de l’auteure, 26 novembre 2015.

citée le 1er août de la même année, sur deux photos bien différentes qui sont reprises au site Wikipedia; Baudelaire, en revanche, ressemble bien à l’image que nous avons gardée de lui.

Capture d’écran de l’auteure, 26 novembre 2015.

Quant au seul visage en couleurs figurant dans la grille de portraits, il s’agit de Dean Koontz, écrivain que je ne connaissais pas jusqu’à cette recherche, dont la notice Wikipedia m’apprend pourtant qu’il est l’auteur de 67 livres disponibles, de 28 «volontairement plus édités», sans compter une série de titres publiés sous un autre nom d’auteur – dont un livre, Life is good, écrit sous le nom de sa chienne Trixie. Il faudrait aussi mentionner des dizaines de poèmes dont Poem By My Dog. L’effet d’auctorialité fixe ici ces identités multiples, dans une mise en visibilité du littéraire qui répond, c’est la règle du partage, à une vignette réduite, mobile, reproductible, standardisée pour s’intégrer à l’espace agencé par le dispositif.

Le «devenir image» de la littérature ne se cantonne pas à l’image d’auteur; il faudrait aussi y joindre les images de lecteurs ou de lecture, qui donnent corps à «nos façons de lire» et peuplent les bandeaux des pages Facebook, sous bien des formes possibles, lecture en bibliothèque,

 

Captures d’écran de l’auteure, 26 novembre 2015.

ou lecture intime, féminine comme il se doit.

Capture d’écran de l’auteure, 26 novembre 2015.

Il faudrait enfin mentionner le foisonnement des «images du texte», qui font circuler la représentation des matérialités retrouvées du littéraire, au sein même de cet espace qu’on désigne comme virtuel: le livre s’y dote d’une nouvelle visibilité – celle qu’autorisent notamment les stocks d’images gratuitement disponibles sur les sites des bibliothèques, ou bien les sites marchands, celles des manuscrits, voire des captures d’écran par les auteurs amateurs de leurs propres productions artistiquement mises en forme.

 

Captures d’écran de l’auteure, 26 novembre 2015.

En résumé, c’est l’ensemble du processus qui va de l’écriture à la lecture, en passant par la publication en livre ou sous forme numérique, qui donne lieu à une véritable anthologie visuelle, reposant sur le principe du morceau choisi, ou du cabinet de curiosité.

 

2. Devenir sociable

Cette deuxième dynamique de transformation donne à saisir une autre tension productrice de fragmentation pour le texte littéraire. De fait, la sociabilité promise, peut-être permise, par le réseau Facebook s’adosse à une pratique de partage des textes, selon une logique de don/contre-don qui surdétermine les modes de circulation du littéraire. Ici la littérature devient ce qui s’offre à un échange, et les formes privilégiées dans ce contexte correspondent à cette condition sociable de la communication littéraire. Aussi les textes mis en circulation renouent-ils avec une tradition de la conversation littéraire, provoquant la remise en visibilité de pratiques devenues minoritaires dans d’autres supports médiatiques.

Les espaces analysés font apparaître un usage conversationnel de la citation littéraire. De fait, citare, comme le rappelle Antoine Compagnon, c’est mettre en mouvement (Compagnon, 1979): les réseaux sociaux offrent un territoire idéal à cette mobilité foncière d’un texte fait pour circuler. Sur Facebook, la citation fonctionne comme incitation à la réponse – le commentaire s’empare du fragment proposé, pour le réécrire, si bien qu’ici encore, la lecture est écriture. Ainsi d’une citation de Nietzsche, publiée sur la page «Littérature et poésie», en date du 23 novembre 2015: «Encore un siècle de journalisme, et tous les mots pueront», suscite cette réponse d’un utilisateur identifié sous le pseudonyme d’Effe Oeillée:

MMM… Mais encore un siècle de néolibéralisme, et nous n’aurons plus de mots?

À Victor Hugo, qui selon le compte «Passion des mots, passion de la vie» aurait écrit (9 novembre 2015) «Oh! n’insultez jamais une femme qui tombe! Qui sait sous quel fardeau la pauvre âme succombe!», un certain Jean-Luc Léonard répond, le même jour à 11h42: «nous ne devrions jamais insulter une femme qu’elle tombe ou non».

Capture d’écran de l’auteure, 26 novembre 2015.

Le réseau agit alors comme un agrégateur de contenus publiés ailleurs, mêlant tous les genres, époques, auteurs, pour peu que le texte soit libre de droit et potentiellement fragmentable.

C’est sans doute à cette fonction éminemment sociable de la citation littéraire que doit être rapporté le retour en force de la pratique poétique. Les événements dramatiques de l’année 2015, en France, ont suscité par exemple la résurgence de poèmes jouant le rôle de consolation, comme l’écrit cet utilisateur du réseau évoquant un poète saoudien en situation de danger dans son pays:

On a sans doute vraiment besoin des poètes et de la poésie ces temps ci [sic]. Et quand en plus il est condamné à mort par ces obscurantistes et rigoristes religieux… Ça devient un devoir et un espoir si nous réussissons à lui sauver la vie!!!

La fin de l’année 2015 a vu circuler avec une particulière intensité un poème d’Aragon intitulé «Paris», sous une forme plus ou moins tronçonnée, mais au-delà même des textes issus du canon littéraire, il semble que tout poème trouve dans cet espace conversationnel une chambre d’échos accueillante; c’est l’expérience qu’en fait un utilisateur se plaignant d’avoir reçu «73838 fois» le poème d’un homme politique, ancien ministre, connu pour lire surtout «Zadig et Voltaire».

Captures d’écran de l’auteure, 26 novembre 2015.

Citation en forme de questions/réponses, morceaux de poèmes, autant de formes relationnelles de la pratique littéraire; il faudrait y ajouter le cas de la littérature épistolaire, dont la nature relationnelle se prête à l’usage socialisé du fragment,

 

Captures d’écran de l’auteure, 26 novembre 2015.

et qui confirme le fonctionnement anthologique du réseau social – car les anthologies, explique Milad Doueihi, «ont toujours permis à la fois l’expression d’opinions et de goûts individuels – reflétés par la sélection, l’ordre et l’organisation des fragments réunis – et l’usage de sources communes et accessibles collectivement» (Doueihi, 2011).

 

3. Devenir actuel

Voilà qui nous conduit à interroger le devenir actuel de cette anthologie littéraire, qui s’ancre dans une affectivité partagée. Le statut de la publication littéraire sur Facebook subit une tension, caractéristique du fonctionnement numérique, entre temps collectif et temps individuel. Alors que le modèle du «journal» demeure dominant – c’est le nom du principal espace de publication proposé par le dispositif – la présentation rétro-chronologique des publications bouscule ce principe d’organisation temporelle. Les usages du texte littéraire s’inscrivent dans cette oscillation entre journal intime et journal public, double polarité articulant logique d’actualisation et principe d’actualité.
 

Actualisation

Par le terme d’actualisation, je désignerai une appropriation individualisée des fragments mis en circulation: c’est l’actualité vue au filtre des gestes de publication accomplis par mes «amis». Cette temporalité est proprement interne à l’espace de publication lui-même, et détermine un fonctionnement aléatoire des collections de fragments.

C’est l’actualité, non de ce qui «se passe», mais de ce qui «passe» dans l’esprit des membres du groupe, formant des collections thématiques qui n’ont pas d’autre principe de cohérence qu’un enchaînement par association d’idées. Se dégagent ainsi des micro-séries aléatoires; l’une d’entre elles s’organise, sur la page «Littérature et poésie», autour des «femmes amoureuses». Cela commence par Alphonse Karr,

Capture d’écran de l’auteure, 26 novembre 2015.

«Autant les femmes sont discrètes sur l’amour qu’elles ont couronné, autant elles aiment à parler de celui qu’elles n’ont pas partagé», se poursuit par Christine de Suède,

Capture d’écran de l’auteure, 26 novembre 2015.

«L’absence ne peut détruire le véritable amour, et le temps n’en saurait venir à bout», fait un crochet par La Rochefoucauld et Louise Colet, pour arriver à Elsa Triolet:

Autrefois, quand je ne pouvais pas dormir, je m’inventais des histoires. Je n’ai plus besoin d’inventer, je n’ai qu’à me souvenir. Tout mon passé n’est qu’une histoire décousue, irréfléchie et merveilleuse. Elsa Triolet

Des femmes à l’amour, on passe à l’amour qui dure, pour finir par Jules Michelet, qui conclut élégamment la série autour de «la vieille femme».

Capture d’écran de l’auteure, 26 novembre 2015.

Il n’y a point de vieille femme. Toute, à tout âge, si elle aime, si elle est bonne, donne à l’homme le moment de l’infini. Jules Michelet

Dans la succession chronologique des citations littéraires, on le voit, nulle temporalité historique, ni aucun lien à l’actualité de l’événement partagé. C’est l’actualité subjectivée de la lecture, quand un membre du groupe par exemple, atteste par une série de citations de son immersion dans l’œuvre de Paul Léautaud ou de Céline.
 

Actualité

L’actualité événementielle n’est pourtant pas absente de ces espaces anthologiques, et s’insère dans la logique de succession aléatoire pour imposer de nouvelles micro-séries. L’éphéméride de la vie littéraire suscite ainsi la publication de textes d’occasion – le jour de la mort d’André Glucksmann, Facebook nous propose de relire certains extraits de sa prose; il en va de même, le jour du prix Goncourt, des textes de Mathias Enard.

Surtout, l’événement historique, vécu collectivement, affleure dans les choix de textes mis en circulation après le 13 novembre 2015, date de la deuxième vague d’attentats parisiens. Les fragments de littérature partagés proposent de façon souvent contradictoire des «manières d’être» face à l’événement, où l’on perçoit l’écho un peu étouffé des bruits du dehors.

Qui faut-il croire, de Kundera pour qui «il n’est rien de plus lourd que la compassion» (le 17 novembre 2015), ou d’un certain Dean Koontz, selon lequel «la souffrance est un don du ciel»? À qui doit-on se fier, en ce même 17 novembre 2015, à Nietszche qui nous assure

Capture d’écran de l’auteure, 26 novembre 2015.

que «A vrai dire, la foi n’a pas encore réussi à déplacer de vraies montagnes, quoique cela ait été affirmé par je ne sais plus qui; mais elle sait placer des montagnes où il n’y en a point», ou bien à Paul Morand, bien plus défaitiste, qui s’interroge:

Capture d’écran de l’auteure, 26 novembre 2015.

«Le Créateur a raté ce monde-ci, pourquoi aurait-il réussi l’autre?»
Paul Morand — Journal inutile, tome 2: 1973 – 1976

Ces oscillations entre temps intime, celui de la lecture, et temps partagé, celui de l’écriture rendue publique, rendent compte d’une  singulière façon de vivre avec les textes littéraires. Les découper, les offrir à la réécriture, les regrouper selon des logiques plus ou moins aléatoires, c’est encore accomplir le programme assigné par Barthes à la lecture – dans une formule parue pour la première fois, en 1979, au sein d’un article consacré à Noureev pour Le Nouvel Observateur: «c’est cela, la lecture: réécrire le texte de l’œuvre à même le texte de notre vie » (Barthes, 1993: 927).

 

Bibliographie

Barthes, Roland. 1993. «Chronique», Le Nouvel Observateur (1979) dans Œuvres complètes.
Candel, Etienne, Valérie Jeanne-Perrier et Emmanuel Souchir. 2012. Petites formes, grands desseins: d’une grammaire des énoncés éditoriaux à la standardisation des écritures.
Compagnon, Antoine. 1979. La seconde main ou le travail de la citation.
Doueihi, Milad. 2011. Pour un humanisme numérique.
Jeanneret, Yves et Cécile Tardy. 2007. L’écriture des médias informatisés. Espaces de pratiques.
Macé, Marielle. 2011. Façons de lire, manières d’être.
Chartier, Roger. Lecteurs et lectures à l’âge de la textualité électronique.
Souchier, Emmanuel. 1996. L’écrit d’écran, pratiques d’écriture et informatique.

  • 1
    L’expression est empruntée à Yvonne Verdier, Façons de dire, façons de faire.[/fn], selon des formes particulièrement hybrides. On y découvre un carrefour de pratiques, d’objets, d’acteurs autour de la littérature qui se rencontrent et se mêlent, selon une logique de «continuum»1Le terme est proposé par Roger Chartier pour décrire «l’ordre des discours» sur le support numérique (Chartier, 2003), cité dans (Jeanneret, Tardy, 2007: 180).
  • 2
    Les travaux d’Emmanuël Souchier montrent que les «écrits d’écran» réactivent les pratiques médiévales de «lettrure» (écriture/lecture), voir par exemple (Souchier, 1996).
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