Cahiers ReMix, numéro 12, 2020

Paroles d’arbres. Histoires de jardins

Rachel Bouvet
Marine Bochaton
Roxane Maiorana
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Issu des travaux réalisés dans le cadre du groupe de recherche «L’imaginaire botanique» (CRSH–R. Bouvet et S. Posthumus), ce cahier ReMix rassemble des articles ayant d’abord fait l’objet de communications lors d’un colloque à Gatineau en mai 2019 dans le cadre du congrès de l’ACFAS.

Après un séminaire sur le thème du jardin (UQAM 2019-2020), après plusieurs mois de flâneries axées sur le thème des arbres et organisées par Chloë Rolland et Claudette Lemay dans le cadre de La Traversée-Atelier de géopoétique, nous avons choisi d’explorer les liens entre l’arbre, le jardin et l’intime.

Parcourir l’Arbre
Se lier aux jardins
Se mêler aux forêts
Plonger au fond des terres
Pour renaître de l’argile

— Andrée Chedid, Destination: Arbre

«Paroles d’arbres»: il suffit de se mettre à l’écoute des arbres, de leur silence, des frémissements des feuilles dans les branches pour avoir l’impression qu’ils nous parlent; une impression tenace,  dont les hommes et les femmes témoignent depuis la nuit des temps. Que l’on pense à l’arbre de vie ou à l’arbre de la connaissance, le symbole de l’arbre est en effet présent dans toutes les cultures (ou presque). L’être humain a depuis toujours considéré l’arbre comme un alter ego: à la métaphore végétale servant à désigner une partie du corps humain –le tronc– , s’ajoutent celles utilisées pour nommer les origines –les racines– ou les diverses lignées familiales –les branches. Support privilégié pour penser et illustrer la généalogie, l’arbre a depuis longtemps joué un rôle central dans l’imaginaire familial, ornant du même coup les murs de nombreuses maisons (Corbin: 2013). Est-ce parce que la dimension cosmique de l’arbre nous permet de joindre à notre tour le ciel et les profondeurs de la terre, grâce à la rêverie, à la projection? Ce qui est sûr, c’est que la verticalité de l’arbre, sa longévité, sa résistance, sa capacité à rejoindre le ciel par sa frondaison et les espaces souterrains par ses longues racines en ont fait une des plus puissantes figures du cosmos (Hirsch: 1997).

L’arbre joue un rôle particulier dans le jardin: à la fois frontière et seuil (Bouvet: 2018), il nous invite à dépasser une vision anthropocentrée et à réfléchir à une autre conception du temps, celle du temps végétal (Hallé: 2014). Qu’on l’envisage comme un espace de vie ou comme un lieu de passage, le jardin est plus souvent qu’autrement régi par le mouvement. Il importe donc de nous écarter de certaines conceptions du jardin, qui y voient une marque de la sédentarité, ou encore un signe de la fixité (Clément: 1991, 1994). Il suffit de penser au cycle des saisons, à la germination, au déplacement des graines, à la pollinisation, à la chute des feuilles instaurant un mouvement vertical ou encore aux phénomènes reliés à l’activité humaine, comme la circulation des végétaux exotiques d’un jardin botanique à un autre, le mouvement des hommes et des femmes qui le traversent, le trajet des fruits et des légumes du potager à la maison ou au marché, etc. (Coccia: 2016).

Les articles suivants adoptent des perspectives croisées, celles de la littérature, de l’histoire des forêts, du mythe édénique, de la création, qu’il s’agisse de l’écriture ou du jeu vidéo. Ils interrogent le rôle du végétal dans le texte littéraire en termes de métaphore, d’agent principal, de marginalité, d’éveil écologique, de résilience face à la vieillesse.

Reste à espérer que les paroles d’arbres ici étudiées contribuent à intensifier les liens intimes avec ces géants des trottoirs ou des forêts, des géants de plus en plus menacés par l’activité humaine, et que les histoires de jardins analysées amènent le lecteur ou la lectrice à réfléchir aux liens qui l’unissent au végétal, à arpenter les jardins autrement, tous les sens ouverts.

Rachel Bouvet tient à remercier le centre Figura et le CRSH pour leur appui financier; l’UQO, le Cégep de l’Outaouais, la Commission de la capitale nationale, et plus particulièrement Gregory Shaw, agent de programme des ressources patrimoniales du parc de la Gatineau, pour leur accueil ; Marine Bochaton et Roxane Maiorana pour leur collaboration à l’organisation du colloque et à l’édition du carnet; Bertrand Laverdure et Roxanne Lajoie, qui nous ont fait le grand plaisir de lire leurs textes sur les arbres au Domaine Mackenzie King, lors d’une promenade végétale.

Bibliographie

Bouvet, Rachel. 2018. «Les espaces interstitiels du végétal: le flamboyant et le sumac au seuil des habitations chez Marie NDiaye et Olivier Bleys». Colloque «Zones, passages, habitations: les espaces contemporains à l’aune de la littérature», Bruxelles, Centre Prospéro. Langage, image, connaissance (Université Saint-Louis Bruxelles).

Clément, Gilles. 1994. Le jardin en mouvement. De la vallée au jardin planétaire. Paris: Sens et Tonka.

Clément, Gilles. 1994. Le jardin en mouvement. De la Vallée au parc André-Citroën. Paris: Sense & Tonka, 307p.

Coccia, Emmanuele. 2016. La vie des plantes. Paris: Payot & Rivages, 191p.

Corbin, Alain. 2013. La douceur de l’ombre. L’arbre, source d’émotions, de l’Antiquité à nos jours. Paris: Fayard, «Fayard», 364p.

Hallé, Francis. 1999. Éloge de la plante. Pour une nouvelle biologie.

Hirsch, Claude. 1988. L’arbre. Paris: P. Lebaud, 111p.

Crédits de ce numéro

Comité scientifique: Rachel Bouvet, Rachel, Roxane Maiorana et Marine Bochaton

Révision du contenu: Rachel Bouvet, Roxane Maiorana et Marine Bochaton

Intégration du contenu: Alexandre Boilard-Lefebvre

Articles de la publication

Alizée Goulet

L’île, l’arbre et le jardin en littérature

Les aventures de Robinson Crusoé soulignent de multiples rapports entre l’être humain et la nature, et ce, sur un territoire particulier, celui de l’île. Depuis la parution du roman de Daniel Defoe en 1719, l’île occupe une place privilégiée dans l’imaginaire collectif comme espace de solitude, de recueillement et de rencontre avec la nature, ce qui n’est pas sans rappeler la figure du jardin. Nous pouvons ainsi nous demander quelles correspondances existent entre le jardin et le territoire insulaire dans le mythe.

Maude Flamand-Hubert

Développer le goût de l’arbre: émergence des sensibilités arboricoles au Québec

La réflexion proposée s’inscrit dans le cadre des études en histoire culturelle des représentations et des sensibilités à la nature et au paysage. L’analyse s’appuie également sur des travaux menés dans les champs de l’histoire environnementale et de l’écocritique (Blanc et al., 2008; Posthumus, 2014), ce qui offre la possibilité de mettre en relation les textes littéraires avec l’histoire de la science forestière québécoise et l’évolution des usages du domaine forestier.

Marinella Termite

À la recherche de l’Éden perdu

«Au début il n’y avait rien. Et puis il y eut tout» (Powers: 13). Telle est la première ligne du roman The Overstory de Richard Powers paru en 2018 et traduit en français sous le titre L’arbre-monde. Cette œuvre interroge les relations entre les arbres, êtres à la fois immobiles et en éternel mouvement, sources de contemplation avant toute action ou mécanismes de la narration. Comme l’écrit cet auteur, «l’arbre dit des choses, en mots d’avant les mots» (Powers: 13).

Megan Bédard

Le végétal et le virtuel. Corps et sensibilités dans l’espace du jardin vidéoludique

Il ne faut plus considérer les plantes comme un simple décor, mais comme étant des êtres à part entière ayant leurs histoires et leurs savoirs propres. Les théories de l’artialisation témoignent de la construction du regard esthétisant sur la nature ―transformée en paysage― et de la création de modèles qui permettent de modeler à leur tour ce regard (Alain Roger, 1997: 15-26). Les jardins vidéoludiques participent de la création de ces modèles qui travaillent notre regard sur le végétal.

Roxanne Lajoie

L’arbre refuge, lieu et symbole d’affirmation

L’autrice analyse le roman Le Baron perché d’Italo Calvino et le poème «Arbres» de Paul-Marie Lapointe en empruntant les approches géopoétique et mythologique, afin de circonscrire le territoire géographique et habitable et de démontrer que l’arbre est un refuge, un lieu et un symbole d’affirmation.

Rachel Bouvet & Bertrand Laverdure

Le Projet Xanadu. Entretien avec Bertrand Laverdure

Cet entretien avec Bertrand Laverdure, animé par Rachel Bouvet, s’est déroulé dans le cadre du colloque «Paroles d’arbres, histoires de jardins» (ACFAS 29-30 mai 2018, UQO, Gatineau).

Catherine Grech

Le jardin comme métaphore chez Gabrielle Roy et May Sarton

Parce qu’il appartient au vivant, le jardin évolue, modifiant de ce fait le lien qui l’unit au jardinier. Et si ce lien est tissé depuis de longues années, la transformation se veut plus profonde. C’est ce rapport particulier entre un jardinier âgé et son jardin que racontent May Sarton dans son récit autobiographique Plant Dreaming Deep et Gabrielle Roy dans Un jardin au bout du monde. Dans cet espace limité par elles, May Sarton et Martha Yaramko tentent de composer avec une nouvelle réalité: le vieillissement.

Gaëlle Jan

L’arbre au centre de l’œuvre littéraire: charge émotionnelle, éveil écologique et méditation philosophique

En nous appuyant sur le postulat de Gilles Clément développé autour de la notion de Tiers Paysage, nous tâcherons de faire résonner arbres et jardins ou plus précisément les paroles d’arbres et les histoires de jardins en croisant le geste de l’écrivain et l’acte de lecture.

Marine Bochaton

Le marginal dans le jardin public: itinérance, rupture et introspection

Autrefois, le jardin public ne laissait que très peu de place à la marginalité. Jusqu’au XVIIe siècle, il constituait un véritable emblème de richesse et était très représentatif des hautes classes de la société qui n’admettaient entre ses portes que très peu de membres du peuple. Néanmoins, on peut déjà noter qu’une sorte de vie parallèle s’organisait dans les jardins publics: la nuit, de manière illégale, le peuple, et notamment le peuple de Paris, s’infiltrait dans les jardins pour y déambuler à sa guise et côtoyer la végétation qui lui était d’ordinaire interdite.

Roxane Maiorana

Le jardin, seul véritable survivant de la guerre

Dans Le Modèle occidental de la guerre (2007), Victor Davis Hanson explique que, si bon nombre d’historiens de la Grèce classique considèrent la dévastation des terres cultivables comme le commencement favori d’«une bataille entre des cités grecques antiques en guerre» (25), il n’en est rien: «Presque toutes nos sources littéraires anciennes font voir que les Grecs eux-mêmes croyaient que ravager des champs de céréales, des vergers et des vignobles était une affaire sérieuse.» (25)

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