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Specimen Days

Daniel Grenier
couverture
Article paru dans Romans états-uniens, sous la responsabilité de Équipe LMP (2007)

Œuvre référencée: Cunningham, Michael (2005) Specimen Days, New York, Farrar Straus Giroux, 308p.

Disponible sur demande (Fonds Lower Manhattan Project)

Présentation de l’œuvre

Résumé de l’œuvre

Séparé en trois parties liées entres elles par des thèmes et des récurrences symboliques, Specimen Days raconte le passé, le présent et l’avenir possible de la ville de New York. Un peu comme il l’avait fait précédemment dans The Hours, Michael Cunningham fait interragir les époques et les personnages en créant une forme de poème symphonique de la ville qui sans cesse meurt et renaît sous différentes incarnations. Dans la première partie, “In the Machine”, on rencontre d’abord Lukas, un jeune Irlandais du Bowery qui reprend le poste de son frère Simon mort sur une chaîne de montage du début de l’industrialisation. Obsédé par la machine comme symbole double de la mort et de la toute-puissance, Lukas cherche à convaincre Catherine, la fiancée éplorée de Simon, de s’enfuir avec lui dans un monde plus sûr, en l’occurence (dans son imaginaire enfantin) un Central Park magique et lointain.La seconde partie, “Children’s Crusade”, se déroule dans un New York contemporain où, dans les remous du 11 septembre, Cat travaille comme policière à la tâche difficile de répertorier et évaluer les appels de tous les “détraqués”, les “lunatiques”, et d’en extraire les vraies menaces pour l’ordre public. Une cellule de crise est formée quand un jeune garçon se fait exploser dans les bras de sa victime et fait craindre le pire aux services de sécurité: “Just don’t let it be random”. Le pire serait en effet un acte gratuit, dépourvu d’un aspect privé rassurant.”Like Beauty”, troisième partie du roman, extrapole sur un futur lointain, alors que “Old New York” est devenue une attraction touristique sophistiquée où les gens paient pour se faire agresser dans Central Park. Les humains “biologiques” côtoient des androïdes ultraperfectionnés (Simon, le protagoniste, en est un) et des “Nadians”, premiers réfugiés extraterrestres qui arrivent sur Terre en grand nombre en quête d’une vie meilleure que sur leur planète d’origine.En faisant ressurgir les mêmes noms, les mêmes questionnements chez ses protagonistes, Cunningham livre un récit en forme de spirale temporelle, qui s’intéresse plus à l’universalité des sentiments et à l’irréductibilité de l’humanisme qu’aux changements ponctuels et techniques qu’une société se targue de produire. La poésie de Walt Whitman, qui occupe une grande place dans le roman, vient ponctuer l’imaginaire des personnages et leur fait entrevoir une sagesse qu’ils sont à même de ressentir, à défaut de la comprendre rationnellement.

Précision sur la forme adoptée ou sur le genre

Roman.

Précision sur les modalités énonciatives de l’œuvre

Roman polyphonique à narrateur unique. Toutes les parties sont racontées avec une même voix, plus évocatrice que révélatrice. Le narrateur est en focalisation constante sur le protagoniste principal de chaque partie, soit Lukas d’abord, Cat ensuite et Simon finalement. Une phrase est répétée en variation dans toutes les parties, qui illustre bien le ton équivoque de la narration: “It was possible – it was not impossible”.

Modalités de présence du 11 septembre

La présence du 11 septembre est-elle générique ou particularisée?

La présence du 11 septembre est générique.

Les événements sont-ils présentés de façon explicite?

i) Les événements sont directement traités dans la seconde partie, “Children’s Crusade”, alors que le lecteur est invité à suivre un groupe de policiers qui cherche à neutraliser les menaces d’attentats dans la ville. Depuis le 11 septembre, les menaces et les appels à la bombe sont quotidiens et Cat doit faire la part des choses entre les dangers réels et les canulars. Des pages très éloquentes sont consacrées aux problèmes liés à la paranoïa et aux adeptes de la théorie du complot, et l’on se demande de façon justifiée pourquoi, en effet, n’y a-t-il pas eu plus de “copycat” et de gestes de folie causant des dégats à New York et ailleurs en Amérique après les attentats. Symboliquement, les tours en feu du World Trade Center sont pressenties dans la scène finale de la première partie, quand Lukas et Catherine assistent à l’incendie d’une usine de textile où des ouvrières désespérées se jettent du septième étage. Le point de vue est donc à la fois anticipatif et rétrospectif, puisque l’auteur cherche à créer une ligne du temps symbolique qui narre la ville de New York dans une continuité. Les attentats ne sont pas abordés d’un point de vue national, mais citoyen, exprimant ainsi une disparité entre les États-Unis comme entité insoluble, abstraite, et New York comme véritable coeur de l’événement. On se retrouve donc dans une attitude à la fois nostalgique et fataliste.ii) Pas de moyens de transport représentés.iii) Le téléphone occupe une place prépondérante dans la seconde partie, où Cat parle plusieurs fois avec les auteurs des attentats-suicide. C’est par le téléphone que la police retrace les activistes et autres éléments perturbateurs.

Quels sont les liens entre les événements et les principaux protagonistes du récit (narrateur, personnage principal, etc.)?

Cat est policière, elle est donc liée directement aux événements. Le lecteur n’a pas accès à sa biographie complète, mais découvre chez elle certains comportements qui pourraient tenir de la répercussion psychologique. Par exemple, elle griffonne des notes inconscientes lorsqu’elle parle au téléphone et, se relisant, constate que celles-ci ont changé de nature depuis le 11 septembre. Elle affiche un trouble psychologique grandissant qui s’exprime par le biais de questions sans réponses et songe à quitter son emploi. À l’échelle du département, il existe une loi tacite qui veut qu’on ne fasse ni de politique, ni de philosophie avec les appels téléphoniques et les arrestations: ce sont des fous, il faut protéger le système, voilà tout. D’un point de vue plus élargi encore, l’auteur met en scène une culture et une société qui se posent de plus en plus de questions sur leur propre légitimité, jusqu’à l’autodestruction. Les enfants qui commettent les attentats-suicide sont à la fois les premières victimes et les déclencheurs de cet état d’esprit qui, à en croire la troisième partie, ne fera que se solidifier jusqu’à l’explosion nucléaire. En effet, “Like Beauty” se déroule après un “fallout, ou “meltdown” à propos duquel les rumeurs se multiplient. Sans aucun doute cet événement qui a causé la chute de l’Amérique dans la décadence a été le point culminant de ce qui a commencé physiquement avec le 11 septembre et même bien avant, avec la mécanisation du travail. Il s’agit d’un point de vue collectif qui tend à englober symboliquement la ville de New York dans un processus historique. Les “réincarnations” des personnages principaux sont là pour donner un rythme et une profondeur thématique au récit.

Aspects médiatiques de l’œuvre

Des sons sont-ils présents?

Pas de sons. On pourrait mentionner ici l’intervention de la poésie de Whitman, qui fait presque figure de “white noise”, comme une ambiance que tous cherchent à définir. Les trois protagonistes sont en effet moins épris de ces vers que littéralement pris avec eux. Le jeune Lukas ne peut s’empêcher de réciter, sur un ton biblique, des vers de Leaves of Grass qui lui semblent appropriés. Cat est confrontée à de jeunes “terroristes” qui lui citent Whitman de façon énigmatique. Simon, androïde du futur, a été mystérieusement programmé avec en mémoire ces mêmes poèmes.

Y a-t-il un travail iconique fait sur le texte? Des figures de texte?

Aucun travail iconique.

Autres aspects à intégrer

N/A

Le paratexte

Citer le résumé ou l’argumentaire présent sur la 4e de couverture ou sur le rabat

In this bold novel, Michael Cunningham, the Pulitzer Prize-winning author of The Hours, spins three linked narratives: the lives of a young boy, a young woman and a man intersect across centuries in the turbulence of New York City. Cunningham transports the reader through a ghost story to the height of the Industrial Revolution, as human beings confront the realities of a new mechanized age. In a noir thriller set in the early twenty-first century, terrorists are detonating bombs seemingly at random throughout the city. Finally, a science-fiction odyssey commences in New York 150 years from now, as the metropolis is overwhelmed by alien refugees from the first planet contacted by the people of Earth. In each incarnation, the city and its inhabitants are animated by the spirit and poetry of Walt Whitman, who proclamed, “Every atom belonging to me as good belongs to you.”Acclamed by critics and readers, this is a genre-bending literary work of audacious power and beauty, by one of the most original and daring authors writing today.

Intentions de l’auteur (sur le 11 septembre), si elles ont été émises

Rien de spécifique sur le 11 septembre. Sur le choix de New York: “New York was an especially good place to set it, I felt, and not only because I live there and know it better than any other place. I don’t know if you saw that great Ken Burns series a few years ago, a six- or seven-part series beginning with New York’s origins and moving up to the present, but one of the historians he interviewed, it may have been Mike Wallace, who wrote a fantastic book called Gotham said, “As far as people who study the history of New York can tell, roughly every forty years the New York you find yourself standing in bears almost no resemblance to the New York of forty years before and will bear almost no resemblance to the New York of forty years hence.” So if each of these stories takes place about a hundred and fifty years after the last one, the city in question has become unrecognizable three times over.” http://www.powells.com/authors/cunningham.html [Page consultée le 8 septembre 2023 via WayBack Machine, URL modifiée]

Citer la dédicace, s’il y a lieu

“This novel is dedicated to the memory of my mother, Dorothy”.

Donner un aperçu de la réception critique présente sur le web

http://nymag.com/nymetro/arts/books/reviews/11940/ [Page consultée le 8 septembre 2023 via WayBack Machine, URL modifiée]

http://books.guardian.co.uk/reviews/generalfiction/0,6121,1543366,00.html [Page consultée le 8 septembre 2023 via WayBack Machine, URL modifiée]

http://www.metacritic.com/books/authors/cunninghammichael/specimendays [Page consultée le 8 septembre 2023 via WayBack Machine, URL modifiée]

Impact de l’œuvre

Impact inconnu.

Pistes d’analyse

Évaluer la pertinence de l’œuvre en regard du processus de fictionnalisation et de mythification du 11 septembre

Le roman de Cunningham se situe exactement dans une approche de mythification du 11 septembre. En plaçant la première partie du récit à l’aube de la révolution industrielle et en créant par la suite une série d’échos temporels à la ville, à ses habitants et aux événements qui ont formé leur imaginaire, l’auteur déplace l’événement précis et le transforme en un système symbolique inépuisable. L’association d’un incendie (réel) de la fin du XIXe siècle, dans le Lower Manhattan, avec la chute du WTC, par exemple, évoque une transmission dans le temps et une résurgence inévitable du tragique. L’intérêt de l’œuvre se retrouve principalement dans l’analyse complexe des comportements et des raisonnements humains face à l’adversité, au drame et au deuil. Le questionnement qui sous-tend tout le récit s’attarde non pas sur l’aspect politique des événements, mais sur le problème fondamentalement humain qui fait se côtoyer la beauté et l’horreur. Comme mentionné plus haut, le processus de mythification est directement illustré dans la deuxième partie, où Cat et ses collègues sont aux prises à la fois avec des illuminés qui veulent faire sauter le monde (ou qui conçoivent le monde comme un gigantesque complot de franc-maçons juifs) et avec leur propre besoin de ne pas questionner le socle sur lequel repose toute la société américaine.

Donner une citation marquante, s’il y a lieu

1) “A woman appeared at a window, seven stories up.The woman stood in the window, holding to its frame. Her blue skirt billowed. The square of brilliant orange made of her a blue silhouette, fragile and precise. She was like a goddess of the fire, come to her platform to tell those gathered below what the fire meant, what it wanted of them. From so far away, her face was indistinct. She turned her head to look back into the room, as if someone had called to her. She was radiant and terrifying. She listened to something the fire told her.She jumped.” (p. 98)

2) “Since 9/11, they’d all been puzzling over the dearth of follow-ups. Not Al Qaeda – that was the concern of other departments. Cat and Pete and the rest of deterrence had been wondering why more ordinary citizens hadn’t used it as inspiration. It had been the terrorists’ gift to the violently deranged. You could blow up a garbage can now – you could yell “Fire!’ in a goddamned theater – and cost the city of New York another billion or so in lost tourist revenue.” (p. 136)

3)” “I’ve heard that the meltdown was in North Dakota. There was a secret underground facility there.” “I’ve heard Nebraska. Near Omaha.” “A guy I knew told me it was the coup de grâce of the Children’s Crusade. Crazy kids with a really big bomb.” “(p. 284)

Noter tout autre information pertinente à l’œuvre

La référence intertextuelle constante à Walt Whitman crée une impression de “roman à clé” chez le lecteur. La profusion des citations porte à dénicher des liens codés et des stratégies narratives précises. L’ensemble du roman est construit sur la résonance d’éléments symboliques, matériels et stylistiques.

Couverture du livre

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