Entrée de carnet

Quelles postures créatrices pour se situer auprès d’autres présences animales, végétales, minérales?

Manon Huberland
couverture
Article paru dans Écodramaturgies: questions, repères, dispositifs, sous la responsabilité de Catherine Cyr (2022)

Les yeux fermés, les mouvements lents, la peau mielée ; Camille Renarhd chorégraphie une rencontre avec les abeilles de Maubourgue. La trace vidéographique est partagée lors de la première journée d’étude «  Avec l’autre qu’humain. Penser, agir et écrire les coprésences  » — un rassemblement entre la littérature et les arts vivants où plusieurs participant-e-s humain-e-s ont exploré les possibilités de leur décentrement (plus ou moins radical) par l’interprétation d’un devenir (lichen, champignon et même champignon «  jouant  » à l’humain*).C’est celui d’un «  support à abeille  » que formule Camille Renarhd après la présentation de « Sous mes paupières (vers les abeilles)  »; une posture qui, contrairement être «  abeille parmi les abeilles », fait réagir.

Elle n’est pas qu’un support, dit-on, elle danse aussi.

Mais ne pourrait-on pas penser ce devenir-support (ce sur quoi l’on s’appuie, où l’on se repose) non pas comme un effacement de la danseuse, mais comme l’exploration même d’un devenir avec (Haraway, 2016), d’un état de présence actif (et activé par l’autre) ?

Danser en support à l’autre-qu’humain** apparaît ici comme une manière d’ouvrir humblement des espaces de coprésences et d’embrasser, pour reprendre les mots de Renarhd, le « risque de la relation avec » (ce qui nous trouble, ce qui nous décentre). Il semble y avoir, dans ce geste de supporter l’autre, l’appel à se compromettre au sens où l’entend la philosophe Émilie Hache, c’est-à-dire à se sentir concerné-e-s, à « s’engager aux côtés de » (Hache, 2011). Plutôt que de s’esquiver devant (ou de se fondre en) l’autre, Camille Renarhd propose de se rendre attentif-ve-s et disponibles « pour que quelque chose puisse avoir lieu », ou pour prendre part (par la danse, par l’écriture) à ce qui a lieu; pour qu’ensemble nous ayons lieu (de rencontres, de cohabitations); pour qu’un nous (temporaire et situé) ait lieu.

*Atelier Tous du lichen et présentation autour de Mystic-Informatic (Catherine Lavoie Marcus & Zoey Gauld)

**Pensons aussi à la lecture-performance de L’Amoure Looks Something Like You où Éric Noël danse pour/avec la baleine égarée, puis morte dans le Vieux-Port de Montréal en 2020.

Références :

Hache, Émilie. « 6. Écologies politiques », Ce à quoi nous tenons. Propositions pour une écologie pragmatique, sous la direction d’Émilie Hache. La Découverte, 2011, pp. 170-214.

Haraway, Donna. Staying with the Trouble : Making Kin in the Chthulucene, Duke University Press, 2016.

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