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Préambule historique et technique sur les supports tactiles et deux de leurs systèmes d’exploitation (iOS et Android)

Anaïs Guilet
couverture
Article paru dans Poétiques et esthétiques numériques tactiles: littérature et arts, sous la responsabilité de Anaïs Guilet et Emmanuelle Pelard (2016)

L’écran tactile, et plus précisément la tablette, appartiennent à notre imaginaire technologique bien avant leur actualisation dans nos vies comme en témoignent un certain nombre d’œuvres de science-fiction. En 1968, dans le chapitre 9 de 2001: A Space Odyssey, Arthur C. Clarke faisait allusion au «Newspad», une petite tablette mise en scène dans l’affiche réalisée par Robert McCall, artiste connu principalement pour ses créations de SpaceArt:

Affiche réalisée en 1968 par Robert MacCall du film 2001: A Space Odyssey réalisé par Stanley Kubrick.

Capture d’écran de 2001: A Space Odyssey (1968) réalisé par Stanley Kubrick.

When [Dr. Heywood Floyd] had tired of official reports, memoranda and minutes, he would plug his foolscap-sized Newspad into the ship’s information circuit and scan the latest reports from Earth. One by one, he would conjure up the world’s major electronic papers. He knew the codes of the more important ones by heart and had no need to consult the list on the back of his pad. Switching to the display’s short-term memory, he would hold the front page while he searched the headlines and noted the items that interested him.

Each had its own two-digit reference. When he punched that, a postage-sized rectangle would expand till it neatly filled the screen and he could read it with comfort. When he finished he could flash back to the complete page and select a new subject for detailed examination.

Floyd sometimes wondered if the Newspad, and the fantastic technology behind it, was the last word in man’s quest for perfect communications. Here he was, far out in space, speeding away from Earth at thousands of miles an hour, yet in a few milliseconds he could see the headlines of any newspaper he pleased. (That very word “newspaper,” of course, was an anachronistic hangover into the age of electronics.) The text was updated automatically on every hour; even if one read only the English versions, one could spend an entire lifetime doing nothing but absorbing the ever-changing flow of information from the news satellites. (Clarke, 1968: Partie II, chapitre 9 Moon Shuttle)

Ce Newspad, tel qu’il est décrit ci-dessus, connaît bien des traits communs avec nos appareils actuels. Nous pourrions également citer les différentes tablettes mises en scène dans la série Star Trek (1966) de Gene Roddenberry ou encore l’«opton» dans Return From the Stars (1961) de Stanislaw Lem1«I spent the afternoon in a bookstore. There were no books in it. None had been printed for nearly half a century. And how I have looked forward to them, after the micro films that made up the library of the Prometheus! No such luck. No longer was it possible to browse among shelves, to weigh volumes in hand, to feel their heft, the promise of ponderous reading. The bookstore resembled, instead, an electronic laboratory. The books were crystals with recorded contents. They can be read the aid of an opton, which was similar to a book but had only one page between the covers. At a touch, successive pages of the text appeared on it. But optons were little used, the sales-robot told me. The public preferred lectons – like lectons read out loud, they could be set to any voice, tempo, and modulation.»(Lem, 1961), mais c’est encore une fois Isaac Asimov qui fait office de précurseur avec son «calculator pad» imaginé dans le premier tome de la série Foundation (1951):

Seldon removed his calculator pad from the pouch at his belt. Men said he kept one beneath his pillow for use in moments of wakefulness. Its gray, glossy finish was slightly worn by use. Seldon’s nimble fingers, spotted now with age, played along the hard plastic that rimmed it. Red symbols glowed out from the gray… (Asimov, 1951)

Dans tous les cas, les objets fantasmés par les œuvres de SF sont portables et utilisés du bout des doigts, autant de caractéristiques qui se retrouvent dans les différentes tablettes, phablettes et autres téléphones intelligents contemporains. Tous ces appareils ont pour particularité d’être dotés d’un écran tactile pour unique interface et il nous semble nécessaire de saisir en préambule de ce recueil les caractéristiques de cette technologie. Ceci nous permettra de mieux cerner ensuite les enjeux esthétiques pour les œuvres sur lesquelles ces écrans si singuliers s’ouvrent.

Si, ce qui fait écran cache, nous aimerions conférer aux écrans tactiles un peu de transparence en explicitant les modalités de leur création et les différentes technologies que les appareils qui en sont munis mettent en œuvre. Dans ce but, nous nous intéresserons d’abord à l’histoire de l’apparition des trois types d’écrans tactiles qui sont actuellement utilisés: soit les écrans capacitifs, résistifs et infrarouges, après quoi nous nous concentrerons sur les principaux systèmes d’exploitation (iOS et Android) qui permettent de mettre en œuvre les interactions homme-machine (IHM) spécifiques aux interfaces tactiles contemporaines. Finalement nous aborderons les problématiques liées aux deux plateformes de vente des applications spécifiques aux écrans tactiles: l’App Store et Google Play2Nous nous écartons ici momentanément du corpus des œuvres hypermédiatiques pour écrans tactiles formé par les documents au format epub.3 car ceux-ci, au contraire des applications, ne sont pas dépendants d’un système d’exploitation particulier et peuvent être consultés aussi bien sur les téléphones ou tablettes à écrans tactiles que sur les écrans de nos ordinateurs (Cf. introduction du dossier)..

     

1. Petite histoire des technologies capacitives, résistives et infrarouges

Nous pouvons faire remonter la technologie tactile aux années 40 et au premier synthétiseur musical contrôlé par pression construit par Hugh Le Caine entre 1945 et 1948: la saqueboute électronique (Electronic Sackbut)3Pour plus d’informations sur la saqueboute électronique voir le site de Gayle Young (1999) consacré à Hugh Le Caine, consulté le 13 Février 2015. Toutefois la plupart des historiens situent plutôt sa création dans les années 60 avec l’écran développé par E. A. Johnson, anglais appartenant au Royal Radar Establishment.

Les écrans créés par Johnson sont réactifs au toucher. Ils ont recours à ce que l’on appellera plus tard la technologie capacitive (Johnson, 1965 et 1967). Un écran tactile capacitif utilise un isolant tel que le verre et le met en contact avec un conducteur transparent (le plus souvent de l’oxyde d’indium et d’étain, un matériau conducteur de plus en plus rare) qui permet d’accumuler les charges. L’écran est aussi composé d’une double grille conductrice d’électricité: une verticale et une horizontale. Le doigt de l’utilisateur fonctionne comme un conducteur électrique qui absorbe le courant de fuite de la dalle de verre et entraîne une distorsion du champ électromagnétique au point de contact, créant de ce fait un manque mesurable par le système qui peut alors situer précisément le point de contact. Les écrans créés par E. A. Johnson n’étaient capables de détecter qu’un contact à la fois, alors qu’aujourd’hui la technologie dite multi-touch (ou multi-points) permet d’enregistrer plusieurs points de contact ainsi que de mesurer la pression. Néanmoins, la technologie de Johnson a été employée jusque dans les années 90, principalement pour le contrôle du trafic aérien britannique.

Bien que les écrans capacitifs aient été créés en premier, ils ont été rapidement éclipsés dans les années 70 par des écrans dits résistifs. La technologie résistive a été conçue presque accidentellement par le Dr. G. Samuel Hurst du Oak Ridge National Laboratory, qui cherchait un moyen d’analyser plus rapidement les données de graphiques. Avec l’aide de quelques amis, il élabore l’Elographe4Pour plus d’informations sur l’Élographe. (Electronic graphing device), un écran tactile favorisant une meilleure interaction avec le moniteur et permettant ainsi de saisir directement et rapidement des points de coordonnées sur l’écran et donc de construire, modifier et lire plus aisément des graphiques. La technologie résistive utilise deux niveaux de matériau conducteur pour l’écran. Ceux-ci sont séparés par un espace vide très fin. Quand ces deux couches entrent en contact sous la pression du doigt ou d’un stylet, une information est envoyée électroniquement, qui permet de déterminer les coordonnées du point de contact. Cette technologie est qualifiée de résistive car elle répond seulement à des pressions.

Dans les années 60, les étudiants de l’université de l’Illinois, sous l’égide des professeurs Dan Alpert et Don Bitzer, ont  élaboré grâce à la technologie infrarouge une autre forme de technologie tactile. PLATO (Programmed Logic for Automated Teaching Operations) était un système informatique éducatif développé par l’université pour proposer des leçons interactives et pour permettre aux étudiants de répondre aux questions en tapant directement sur l’écran de l’ordinateur.

IFrame

En 1972, PLATO IV – la version du système la plus élaborée, était équipé d’un dispositif optique de reconnaissance du toucher de l’écran et fonctionnait grâce à des LEDs infrarouges disposées autour d’un écran plasma. S’il possédait 256 zones différentes sensibles au toucher, son écran restait toutefois mono-point. La technologie multi-points ne sera en effet élaborée que dix ans plus tard, en 1982, par Nimish Mehta de l’Université de Toronto. Ce dernier développe un écran tactile capable de lire plusieurs points de contact au moyen d’une caméra vidéo reliée à l’ordinateur (Metha, 1982). En 1984, Bob Boie des laboratoires Bell développera encore un peu plus la technologie multi-touch et l’adaptera à un écran capacitif qui permet de manipuler des graphiques avec les doigts. C’est de cette technologie dont bénéficient la plupart des écrans de nos tablettes et téléphones intelligents actuels.

PLATO IV a été commercialisé par IBM dès 1972. Il est le premier appareil à être véritablement utilisé dans les salles de classe de l’Illinois et à obtenir une petite notoriété, mais ce n’est qu’à partir du début des années 80 que les technologies tactiles sont utilisées pour des machines à destination d’un plus large public et seulement dans les années 90 qu’elles commencent à obtenir un réel succès et à se démocratiser. Ainsi, le premier ordinateur personnel (PC) grand public doté d’une technologie tactile basée sur l’utilisation d’infrarouge, le HP-150, est commercialisé par Hewlett-Packard en 1983. Le prix de l’ordinateur tournait autour de 3 000 dollars et il ne rencontra pas le succès commercial escompté.

Pas plus que ne le connut la tablette Linus Write Top, commercialisée en 1987, écoulée à seulement 1500 exemplaires.

La Linus Write Top était un ordinateur portable à écran tactile que l’on utilisait à l’aide d’un stylet. L’appareil faisait quatre kilos, possédait cinq heures d’autonomie en batterie, fonctionnait sous MS-DOS et ne possédait que 512k de mémoire, sa caractéristique principale était de transformer l’écriture manuscrite en caractères numériques.

Ce n’est qu’en 1989 qu’est lancée la première tablette ayant rencontré de vrais usages publics: le GridPad commercialisé par Samsung. Bien que son succès commercial ait été restreint, le GridPad s’est vu adopté par certaines institutions américaines, notamment l’armée.

Il s’agissait d’une tablette, particulièrement légère et transportable pour l’époque puisqu’elle ne pesait que deux kilos. Munie d’un écran résistif de dix pouces, elle s’utilisait grâce à un stylet. À l’image des tablettes actuelles, seuls quelques boutons accompagnaient l’interface-écran. Le GridPad est connu pour avoir inspiré le Palm Pilot, un assistant personnel conçu par la société Palm qui connut un grand succès dans les années 90 du fait de son prix abordable, de sa grande portabilité et de sa connectivité. Le Palm Pilot5Pour plus d’informations sur le Palm Pilot, lire: «R.I.P. Palm: A History of the Smartphone/PDA Pioneer», 9 février 2011, consulté le 16 février 2015., en tant que PDA (Personnal Digital Assistant), apparaît comme l’ancêtre du smartphone contemporain. Toutefois, le premier téléphone portable muni d’un écran tactile est le Simon Personal Cumunicator créé par IBM et BellSouth en 1993. C’est par ailleurs la même année que sont lancés le Pen Pad Amstrad (ou PDA 600)  dont le format ressemblait à celui d’un livre de poche et l’Apple Newton6Pour plus d’informations sur le Newton, lire: «Une histoire du Newton», 22 janvier 2010, consulté le 16 février 2015., un PDA contrôlé à l’instar du Simon avec un stylet et doté d’un logiciel de reconnaissance de l’écriture manuscrite.

Apple produira plusieurs générations de MessagePad tout au long des années 90.

© Christopher W., Creative Commons

Néanmoins, devant le peu de succès commercial de ses appareils, l’entreprise de Steve Jobs abandonnera le format en 1998.

À partir du début des années 90 vont donc se succéder toutes sortes de PDA et de tablettes quand bien même ils ne sont pas encore dénommés ainsi. Le terme de «tablette» pour désigner ces appareils multifonctions à écrans tactiles n’apparaitra qu’au début des années 2000 avec la sortie du Tablet PC de Microsoft en 2001, qui est doté d’une version inédite de Windows XP. La tablette de Bill Gates, qui s’utilise grâce à un stylet, reste cependant lourde et peu ergonomique, ce qui explique en partie son insuccès. Il faudra ensuite attendre la sortie de l’iPad en 2010 pour que le bon équilibre soit trouvé entre les usages réservés au PC et l’ergonomie impliquée par un appareil nomade et que surtout le public et le marché s’avèrent réceptifs. Toutefois, selon Steve Jobs, la technologie de l’iPad avait été créée avant celle de l’iPhone,  mais le marché de la téléphonie étant en plein essor, il a préféré attendre encore quelques années pour commercialiser sa tablette et privilégier la construction d’un téléphone7Source: vidéo YouTube de la huitième conférence  AllThingsD, 1er juin 2010, mise en ligne le 2 juin 2010.. L’iPhone, sorti en 2007, rencontrera ensuite le succès qu’on lui connaît et, après lui, l’iPad. Dans la foulée, de nombreux constructeurs se sont mis à produire des tablettes et, depuis 2010, il ne passe pas un mois sans qu’un fabricant annonce le lancement d’un nouveau modèle: de la Sony Tablet à la Galaxy Tab de Samsung, en passant par le Pad Transformer d’Asus, etc.

Cet historique nous montre comment l’apparition des tablettes est dépendante des évolutions technologiques en matière d’écrans tactiles, on aura distingué trois types de technologies pour ces écrans, développées en fonction de leurs usages: résistifs, capacitifs et infrarouges8Notons toutefois que la technologie infrarouge s’applique, non pas à des écrans à proprement parler mais à des dalles tactiles, entourées d’émetteurs et de récepteurs infrarouges qui enregistrent les points d’interruption des faisceaux lumineux qu’ils génèrent et les interprètent pour localiser le point d’impact.. Ce sont les deux premières qui sont le plus souvent utilisées actuellement pour nos tablettes et smartphones. Toutefois, aujourd’hui la technologie résistive, plus économique mais qui ne permet d’identifier qu’un point de contact à la fois (elle est mono-point), recule au profit des écrans capacitifs qui, eux, sont multi-touch et plus résistants dans le temps.

     

2. IOS vs Android

2.1. Des systèmes d’exploitation qui dominent le marché des écrans tactiles

Ces dernières années le marché des tablettes tactiles a littéralement explosé, même si aujourd’hui il connait une baisse  de progression.

Source, consulté le 5 août 2015.

Bien qu’il ait monopolisé le marché pendant plusieurs années, Apple doit désormais partager les ventes, notamment avec Samsung. Par exemple, pour le premier trimestre 2014, Apple a réalisé 32,5% des livraisons mondiales de tablettes, contre 22,3% pour le coréen Samsung. Les autres constructeurs, Asus et Lenovo, sont loin derrière à respectivement 5% et 4,1% (Source)

Apple et Google «verrouillent»9Selon Benhamou qui reprend les travaux de Brian Arthur «Il y a verrouillage technologique quand le consommateur est dépendant d’une technologie et des matériels qui lui sont associés, le changement devenant trop coûteux, même si une nouvelle technologie plus performante apparaît sur le marché. Cf. W. Brian Arthur, Increasing Returns and Path Dependence in the Economy, Ann Arbor, University of Michigan Press, 1994.» (Benhamou, 2012/13: 94) donc totalement le marché, ce qui implique en conséquence la prépondérance de leurs deux systèmes d’exploitation, respectivement iOS et Android10Si jusqu’en 2012 iOS surplombait le marché, désormais c’est sous le système d’exploitation Android que fonctionnent la grand majorité des appareils à écrans tactiles vendus chaque année dans le monde.. Cette domination n’est pas sans impact sur les œuvres et les modes de création comme nous allons le voir. D’autant plus que, comme le remarque Françoise Benhamou dans «Le livre et son double», aucune de ces grandes entreprises ne vient du monde de la culture, par conséquent les objets littéraires et artistiques qu’ils relaient sur leurs plateformes de vente ne sont que quelques contenus parmi beaucoup d’autres dans leur stratégie (hégémonique?) de diversification. L’impact des systèmes d’exploitation des appareils à écrans tactiles est particulièrement prégnant au regard des œuvres applicatives qui sont expressément conçues pour s’y adapter.

En effet, un développeur qui voudra rendre disponible une application sur Android et iOS devra en réaliser deux versions, et d’autant plus s’il veut qu’elles soient exécutables sur Windows phone de Microsoft11Le système de Microsoft est la troisième plateforme la plus populaire, mais loin derrière Android et iOS., Firefox OS12Ce système d’exploitation disponible depuis juillet 2014 est conçu pour s’adapter aux appareils livrés sous Android. du groupe Mozilla ou le système open source Tizen13Tizen est un système d’exploitation fondé sur des logiciels Linux. Il propose pour les développeurs d’applications un environnement basé sur l’HTML 5 de manière à ce qu’elles puissent s’exécuter sur différents segments d’appareils. Voir: https://www.tizen.org/fr/about?langredirect=1, consulté le 23 février 2015. À l’heure actuelle, les créateurs et éditeurs d’applications s’en tiennent donc le plus souvent à Android et iOS. Chaque système d’exploitation induit des interfaces différentes et donc des IHM différentes. Une interface, pour qu’elle soit efficace, doit être la plus ergonomique et la plus intuitive possible pour son usager dont les pratiques varient en fonction du contexte d’utilisation.

    

2.2. Les systèmes d’exploitation iOS et Android et leurs interfaces multi-touch

Le système d’exploitation iOS a été développé par Apple pour l’ensemble de ses appareils tactiles (iPhone, iPad, iPod Touch), mais aussi pour l’Apple TV. Avant d’être rebaptisé iOS en 2010, le système d’exploitation mobile d’Apple s’appelait iPhone OS. Avant d’être commercialisée en 2008. Notons qu’iPhone OS est considéré comme le premier système d’exploitation grand public tactile utilisable sans stylet. iOS se fonde sur le système d’exploitation des ordinateurs Apple: OS X. Il s’agit d’un système d’exploitation relativement léger puisqu’en fonction des appareils il ne pèse pas plus de 3Go. Il est utilisable en une vingtaine de langues. Nous sommes actuellement à la version 8, c’est pourquoi le logo d’iOS est constitué d’un 8 multicolore (reprenant ainsi l’esthétique de la septième version).

Source: Apple.com, copyright Apple Inc.

Android quant à lui est le système d’exploitation open source actuellement détenu par Google et basé sur le noyau Linux. D’abord créé par une start-up éponyme, Android s’est vu racheté par Google en 2005. Chaque version, depuis le lancement de la première (Apple pie) en 2007, porte le nom d’une sucrerie. Honeycomb, lancée en février 2011 est la première version d’Android destinée exclusivement aux tablettes, elle a été ensuite rapidement remplacée par Ice Cream Sandwich en octobre de la même année, qui intègre les tablettes comme les smartphones, puis Jelly Bean, Kit Kat et enfin Lollipop 5 la version actuelle disponible depuis novembre 2014. Android est représenté par un petit robot vert, surnommé Bugdroid.

En ce qui concerne la commercialisation de son système d’exploitation, Google a choisi de  mettre Android sous licence Apache, une licence de logiciel libre et open source, afin que chaque constructeur puisse l’installer, le modifier et l’adapter à condition de respecter un certain nombre de règles. Le fait qu’il soit ouvert, contrairement à l’iOS, autorise ainsi les constructeurs à ajouter par exemple des surcouches de manière à proposer une interface personnalisée comme le font par exemple Samsung ou Sony. Du fait de cette souplesse, de cette maniabilité, Android est actuellement le système d’exploitation mobile le plus vendu au monde.

iOS et Android, dans leurs versions actuelles, offrent une multitude de services similaires tels que l’exploitation des réseaux de télécommunication (Bluetooth, Wi-Fi, GSM, etc.), le stockage des données, l’affichage de pages Web, ils gèrent à la fois la vidéo, l’audio et les images et exploitent un certain nombre de senseurs comme la caméra, la boussole, le GPS, les capteurs de mouvement, un accéléromètre14L’accéléromètre détecte les mouvements de l’appareil et permet de modifier l’affichage en conséquence. Il autorise notamment de basculer l’appareil en mode portrait ou paysage. Il est aussi souvent utilisé dans les jeux., un clavier virtuel ainsi que la technologie multi-touch pour les écrans capacitifs. Toutes ces composantes sont importantes, puisque les applications créées pour ces systèmes ont la possibilité d’y avoir recours.

     

2.3. Les écrans tactiles multi-touch

La prise en charge de la technologie multi-touch est un élément crucial de ces systèmes d’exploitation dans la mesure où c’est ce qui les distingue des systèmes de bien des PC. Ainsi, les interfaces des systèmes d’exploitation iOS et Android sont fondées sur la technologie tactile et les manipulations qu’elle implique15Notons toutefois, qu’Android peut être incrémenté sur des appareils n’ayant pas d’écran capacitif multi-touch.. Par ailleurs les appareils possèdent de moins en moins de boutons. Apple, à ce titre, utilise essentiellement un bouton en façade dénommé «Home» et qui a pour fonction principale de faire sortir l’usager de l’application. Le reste des IHM se fait par gestes interfacés par l’écran tactile.

L’écran tactile multi-touch possède l’avantage d’autoriser des opérations plus directes qu’un dispositif de pointage comme le stylet ou la souris. Il implique une pluralité d’IHM basées sur un panel inédit de gestes que les logiciels iOS ou Android interprètent et régissent. Ainsi, pour reprendre l’exemple des écrans tactiles d’Apple, les iPhones et iPods permettent de détecter les positions de cinq doigts simultanément alors que l’iPad peut capter jusqu’à onze points de contact, ce qui permet d’envisager qu’il y ait plusieurs utilisateurs en même temps ou d’utiliser ses pieds. C’est le système d’exploitation qui définit donc les différents gestes exécutables, puis les développeurs d’applications sélectionnent au sein de ce panel les gestes nécessaires à l’utilisation de leurs créations. Chaque système propose des gestes différents et des interprétations variées de certains gestes, et ce, même s’il existe une base commune comme les fonctions permettant de faire défiler un écran, de toucher pour cliquer et de pincer ou étirer un élément pour zoomer et dézoomer. Ces gestes élémentaires, comme l’expliquent Alexandra Saemmer et Nolwenn Tréhondart dans «Les figures du livre numérique «augmenté» au prisme d’une rhétorique de la réception», sont fondés sur des «processus d’intégration et de stabilisation d’expériences antérieures.» (2014). En effet, ils font le plus souvent référence à des usages courants comme celui de feuilleter un livre, qui fait passer d’une page à une autre en un mouvement du doigt de droite à gauche: un geste central à la navigation tactile. Ces écrans, favorisés pour leur grande intuitivité, sont tels parce qu’ils reproduisent des gestes usuels, ainsi devenus « iconiques » pour reprendre le terme de Saemmer et Tréhondart:

Nous proposons d’appeler «iconique» le potentiel d’action du geste. Jean-Marie Klinkenberg (1996) définit l’icône comme un signe «motivé par la ressemblance», qui peut transiter par d’autres canaux que la vue; son signifiant est un ensemble modélisé de stimuli (supports matériels du signe) qui correspond à un «type stable, ensemble modélisé que l’on peut atteindre grâce au stimulus. Ce type est identifié grâce à des traits de ce signifiant, et peut être associé à un référent reconnu. (384-385). (Saemmer, Tréhondart: 2014 )

Taper du doigt reproduit le geste devenu courant du click de souris sur un hyperlien, qui, de par son pouvoir d’activation, rappelle lui même le geste d’appuyer sur un interrupteur.

Chacun des systèmes d’exploitation propose son guide des gestes16Voir celui d’Android et celui d’iOS. Apple vient par ailleurs de déposer une série de brevets pour des interactions tactiles encore plus complexes. Lire à ce sujet «Complex Gestures On and Over Your Next iPad», consulté le 9 mars 2015.. Toutefois, en ce qui concerne les appareils sous Android et dans la mesure où ils peuvent être modifiés par les constructeurs, on assiste à une multiplication de gestes distincts à effets divergents, qui poussent certains designers à appeler à une uniformisation plus grande. C’est ainsi que naissent des initiatives comme celle de Luke Wroblewski, qui a publié en 2010 un «Touch Gesture Refence Guide» où l’on trouve une liste des principales interactions tactiles que l’on peut exécuter avec un ou deux doigts selon les différents systèmes d’exploitation. On trouve aussi des bibliothèques comme la Open Source Gesture Library d’Open Exhibits qui propose une recension encore plus large de gestes pour les interfaces tactiles multi-touch.

Source: Capture d’écran de la bibliothèque de Gestes d’Open Exhibit, consulté le 26 mars 2015.

Ce sont les applications créées spécifiquement pour écrans tactiles qui tiennent le plus en compte les spécificités de cette interface, c’est pourquoi nous nous intéresserons particulièrement à elles.

    

2.4. Créer un application pour Android ou iOS

Le coût de développement et de maintenance d’une application mobile est relativement élevé surtout si on le compare à celui d’un epub par exemple. L’Apple Store comme le Play Store imposent aux développeurs un certain nombre de règles aussi contraignantes qu’incontournables. Ces règles sont énumérées sur les sites créés par Google et Apple. Destinés aux développeurs, ils regroupent toutes les informations nécessaires à l’élaboration et à la diffusion des applications, ils proposent également le téléchargement gratuit de kits de développement (désignés le plus souvent par le signe SDK –Software Development Kit ou devkit) ou trousses de développement logiciel. Ces trousses procurent un ensemble d’outils logiciels pour la création, elles sont en général fournies avec les langages de programmation et offrent des programmes d’émulation qui permettent de tester et déboguer les applications avant de les inscrire sur les plateformes de distribution. Actuellement, il existe potentiellement trois solutions pour développer une application:

  • Le développement natif: le développeur utilise directement les langages et les environnements de développement (appelés IDE: Integrated development environment) propres aux systèmes d’exploitation. Ainsi l’IDE d’iOS  est XCode, il permet selon les interfaces de programmation (dites API –Carbon et Cocoa) de programmer en C, C++, Objective-C, AppleScript, Java, et depuis peu Swift. Pour Android, il existe plusieurs IDE, dont Eclipse est un exemple parmi d’autres et la programmation se fait essentiellement en Java.
  • Le développement hybride qui permet de travailler pour plusieurs systèmes d’exploitation à la fois avec un seul code en passant par des environnements de développement comme Titanium ou PhoneGap. Ces plateformes permettent d’utiliser des langages de développement Web comme Java script, CSS ou HTML. Cependant elles offrent des perspectives souvent limitées en matière de personnalisation et de contrôle du rendu sur les différents appareils.
  • Finalement, il est possible de réaliser le développement en langage de programmation Web et d’utiliser une WebView, qui permet de visualiser des pages Web au sein d’une application. Toutefois, certains pourraient ne pas considérer ces œuvres comme applicatives.

Pour le développeur, il est important de bien maitriser les langages informatiques acceptés par chaque système d’exploitation, seule condition pour pouvoir prendre en compte l’ensemble des fonctionnalités qu’ils offrent. Etienne Mineur dans un billet sur son blogue crée une infographie efficace afin de visualiser l’ensemble des possibilités offertes par la grande majorité des appareils munis d’écrans tactiles (téléphones et tablettes) que les développeurs d’applications littéraires peuvent éventuellement prendre en compte:

«Kit de survie pour auteur voulant se lancer dans l’écriture d’œuvres numériques», infographie réalisée par Étienne Mineur, consulté le 29 octobre 2013.

À partir de cela, il n’existe pas tant de limites à l’imagination des développeurs et au potentiel créatif des applications que celles qui concernent les contraintes de l’appareil, notamment sa mémoire qui n’est pas infinie, et les réglementations des firmes qui les commercialisent.

    

3. Les plateformes de vente: les produits culturels selon Apple et Google

En effet, par la suite, le développeur devra soumettre pour acceptation son application pour iOS ou pour Android sur les plateformes de distribution, en l’occurrence l’App Store pour iOS et Google Play17Les applications Android contrairement à celles d’Apple peuvent légalement être téléchargées sur d’autres sites que Google Play, Slideme ou l’App-Shop d’Amazon en sont des exemples. Toutefois c’est bien le site de Google qui centralise la majorité des téléchargements. Les sites alternatifs sont particulièrement utilisés dans les pays où Google est bloqué ou marginal comme la Chine ou sur les appareils bons-marchés qui ont préféré ne pas payer les services Google. pour Android. Il devra préalablement se créer un compte développeur sur chacune des plateformes,  accepter un contrat relatif à la distribution des produits, mais aussi souscrire  à un programme d’adhésion qui lui coûtera une centaine de dollars par an chez Apple quand chez Google il suffira de régler une seule fois 25 dollars.

La vente des applications sur les portails dédiés est loin d’être anodine, surtout pour les produits culturels parmi lesquels comptent les œuvres abordées dans ce dossier. L’App Store permet ainsi à la firme de Cupertino de centraliser, monopoliser et contrôler au plus près la distribution des applications. Il est très difficile pour les développeurs de rentabiliser une application surtout quand on sait que, pour ne citer que lui, les 25 applications les plus populaires de l’App Store représentent 75% des téléchargements et qu’un détenteur d’iPhone possède en moyenne 30 applications18Source: Grégory Raymond «5 ans après l’App Store, le web est-il mort?», 10 juillet 2013, consulté le 5 août 2015 et le sondage réalisé par l’institut Nielsen 2014, consulté le 5 août 2015.. Il est donc ardu pour les petits éditeurs de percer et encore plus de rentabiliser leur investissement principalement quand ils doivent verser une commission de 30% à Apple et à Google sur chaque téléchargement. Les fourchettes de prix sont imposées et il existe un prix minimum exigé qui varie selon les pays. Si certaines applications sont gratuites (ex: L’Homme Volcan de Mathias Malzieu, elle était cependant payant à sa sortie puis est devenue gratuite), beaucoup oscillent entre 1,99 et 4,99 dollars. Certaines applications, à l’image d’ailleurs de beaucoup de livres numériques en Mobi/KF8, epub ou pdf, coûtent chers: Jack Kerouac’s On the road de Penguin USA est à 16,99 dollars, elle est donc bien plus dispendieuse que n’importe quelle édition de poche de l’auteur américain. L’acquisition d’un fichier numérique, dit immatériel, pour une telle somme pourrait rebuter bien des usagers. D’autant qu’à la vitesse où évoluent les technologies et compte tenu de l’obsolescence rapide des appareils, ceux-ci n’ont aucune garantie que les concepteurs de l’application la maintiendront à jour ou qu’ils pourront transférer leur achat sur la prochaine tablette qu’ils acquerront. Qui plus est, pour la conserver, il leur faudrait impérativement rester fidèle à Apple ou Google le restant de leurs jours puisque les applications ne sont pas compatibles avec tous les systèmes d’exploitation. L’application est donc un objet plus ou moins périssable. Si cela peut être un frein à sa rentabilité pour les créateurs d’applications littéraires ou artistiques de qualité, à l’heure du flux du Web, de la labilité du numérique et de ses usages, il pourrait néanmoins être tout à fait envisageable d’accepter cette obsolescence. Leur éphémérité (comme celle des livres numériques en pdf, Mobi/KF8 et epub d’ailleurs) pourrait être concevable si les applications étaient vendues à un prix tenant compte de ce statut. La réalité économique des start-up les rattrape malgré tout souvent sur ce point puisque le marché de l’application est tel que les prix y sont généralement très bas. Les éditeurs indépendants sont confrontés au problème de la valeur perçue des contenus numériques et au travail nécessaire à la création et au maintien en fonction des fichiers et applications.

L’avantage des plateformes de distribution pour les clients est qu’il n’y a pas à chercher les applications sur l’ensemble du Web. Toutefois  cette concentration les confronte à une autre problématique: comment s’orienter et choisir parmi les plus de 850 000 applications que compte l’App Store19 Selon le site d’Apple, consulté le 23 février 2015. ou les 700 000 de Google Play?  Comment distinguer les applications dignes d’intérêt au milieu de celles, très nombreuses, qui sont parfois indigentes, comme iLickit, qui vous propose de lécher votre portable en cas de fringale ou OneClap qui applaudit à votre place? Comment différencier les applications à caractère artistique des plus utilitaires (gestionnaire de budget, météo, traducteurs, etc.)?  Dans cette masse, il est difficile pour les éditeurs et les créateurs de faire identifier leurs applications comme objets littéraires ou artistiques, et pour les lecteurs de simplement les trouver  et de sélectionner celles qu’il serait intéressant d’acquérir.

La catégorisation d’Apple, pour s’en tenir à ce seul exemple, dénote une logique et d’une appréhension de l’application toute particulière. Les éditeurs peuvent soumettre leurs applications dans une seule des différentes catégories prédéfinies par Apple. Ce qui pose bien des problèmes face à ces objets hybrides que sont les œuvres hypermédiatiques applicatives qui flirtent le plus souvent avec les arts visuels, sonores et plastiques, le littéraire et les jeux vidéos. Ainsi, la plupart des œuvres présentes sur l’App Store qui seront étudiées dans ce volume, quand elles sont applicatives, sont présentes sous des catégories différentes, elles sont désignées soit comme livre (Frankenstein for the Ipad de Profile Books ou L’Homme Volcan de Flammarion) soit comme divertissement (Je vous ai compris ou Sherlock Homes HD de Byook), mais aussi comme jeux (Device 6). Il faut également noter que dans la catégorie «livre» se trouvent principalement des applications utilitaires comme des catalogues d’œuvres ou des agrégateurs comme Kindle ou youboox, des livres de coloriage, des dictionnaires, des manuels en tout genre. Il y a également un nombre conséquent de textes religieux et d’applications pour enfant, notamment des versions ludiques de contes déjà existants, comme en témoigne la liste des plus grosses ventes dans la catégorie livre sur l’App Store.

De plus, au sein des applications dont le contenu serait ordinairement qualifié de littéraire (œuvres pour enfant incluses), l’écrasante majorité propose des remédiatisations de textes libres de droits. On trouve par exemple des anthologies comme «Les femmes de lettres» qui regroupent des versions numériques de textes de George Sand, des sœurs Brontë ou de Madame de Stael entre autres, ou des adaptations illustrées de textes devenus des classiques comme: «Fables, Jean de La Fontaine» par Soreha ou «Le Petit Chaperon Rouge» par Chocolapps.

Le côté fourre-tout des plateformes bouleverse nos procédés d’identification des objets culturels. Nous pouvons alors reprendre le constat qu’opérait Roger Chartier en 2001 à propos de l’imprimé:

Dans la culture imprimée, une perception immédiate associe un type d’objet, une classe de textes et des usages particuliers. L’ordre des discours est ainsi établi à partir de la matérialité propre de leurs supports: la lettre, le journal, la revue, le livre, l’archive, etc. Il n’en va plus de même dans le monde numérique où tous les textes, quels qu’ils soient, sont donnés à lire sur un même support (l’écran de l’ordinateur) et dans les mêmes formes (généralement celles décidées par le lecteur). Un ‘continuum’ est ainsi créé qui ne différencie plus les différents genres ou répertoires textuels, devenus semblables dans leur apparence et équivalents dans leur autorité. De là, l’inquiétude de notre temps confronté à l’effacement des critères anciens qui permettaient de distinguer, classer et hiérarchiser les discours. (Chartier, 2001)

Ce qui est vrai pour l’écran d’ordinateur l’est également pour les écrans tactiles et encore plus au sein même des plateformes de distribution des applications comme des livres numériques. Les catégorisations, les métadonnées et les moteurs de recherche des plateformes sont donc un enjeu important pour l’existence des œuvres et la survie financière de leurs créateurs puisqu’ils conditionnent leur (in)visibilité pour l’usager. Néanmoins hors de ces plateformes, les éditeurs trouvent d’autres manières de construire la visibilité de  leurs créations à travers leurs sites Web, les blogues des prescripteurs et les réseaux sociaux20À ce sujet Aurélia Bollé, Marie-Christine Roux et Virginie Rouxel expliquent la pratique des éditeurs numériques pure player qu’elles ont étudié dans leur Etudes Pratiques d’éditeurs: 50 nuances de numérique: «Les éditeurs pure players sont convaincus que la médiation de leur catalogue passe par une présence active sur le web. 88% utilisent en priorité les réseaux sociaux pour faire la promotion de leur offre;  tandis que 74% privilégient en priorité leur site dans cet objectif. 56% travaillent étroitement avec les blogs. Les mises en avant sur les plateformes commerciales sont à un degré moindre un levier important du marketing éditorial.» (Bollé, Roux, Rouxel, 2014: 20).

Chaque plateforme procède d’une vision caractéristique de ce que doit être une application et il est notoire que les deux firmes en contrôlent également les contenus. Si Google est généralement réputé plus tolérant, à ce titre le cas d’Apple est exemplaire puisque l’entreprise n’hésite pas à recourir à la censure, non seulement pour protéger ses intérêts financiers mais aussi son image et défendre sa vision du monde. Ainsi, sa pudibonderie aura fait quelques émules quand par exemple en 2013, la firme a menacé de retirer de la vente l’application de la société Izneo, qui propose un catalogue de bande-dessinées numériques, si elle ne supprimait pas un certain nombre de ses titres qui selon l’App Store possédaient un caractère pornographique21Source : Elizabeth Sutton, «Exclusif–BD numériques: Izneo censuré par Apple», IDBoox,  4 avril 2013, consulté le 5 août 2015.. Ainsi, des centaines d’œuvres ont dû être retirées, incluant des incontournables de la bande-dessinée comme Blake et Mortimer, Largo Winch ou encore XIII. Au-delà de la pruderie, Apple pose d’autres questions morales quand il censure en 2011 une application à la fois ludique et satirique sur les conditions de fabrication des iPhones22Voir Laurent Checola, «Une parodie ludique d’Apple retirée de l’App Store», consulté le 5 août 2015.. Si la censure fait partie de l’histoire des arts comme l’illustre le très bel ouvrage de Thomas Schlesser, L’art face à la censure, cinq siècles d’interdits et de résistances (2011), c’est beaucoup dire du contexte historique contemporain que de remarquer que ce sont de grandes multinationales comme Apple et Google qui sont aujourd’hui les garantes de la diffusion de certains de nos objets culturels, eux qui ne sont ni des éditeurs, ni des libraires, pas plus que des galeristes ou des commissaires. Si, sur leurs plateformes, ils se font prescripteurs, c’est en fonction de critères qui leur sont propres et ne sont pas ceux, habituels, des objets culturels.

     

Conclusion

Roy Harris, dans la Sémiologie de l’écriture, insiste sur l’importance du contexte sans lequel aucun signe ne peut exister. Le support n’est pas seulement le matériau qui sous-tend l’écriture; tous les aspects de la communication doivent être pris en compte. Il n’existe pas de signe sans support, il n’existe pas de signe sans contexte (Harris, 1993: 136) – le contexte recoupant à la fois la situation d’énonciation et le support visuel. Ce tour d’horizon des aspects techniques des écrans tactiles, des systèmes d’exploitation qui en font leur interfaces de prédilection et des plateformes qui diffusent les contenus qui leurs sont destinés, aura permis de dessiner le contexte technico-commercial de la création des objets qui nous intéressent dans ce dossier. Un certain nombre de pré-requis et de contraintes à la création ont ainsi été mis en lumière, qui forment la toile de fond sur laquelle inscrire les réflexions plus spécifiquement esthétiques qui nous préoccuperons par la suite. Au XIXe siècle de façon limpide l’architecte Louis Sullivan déclarait que: «La forme suit la fonction». Il est manifeste au vu du fonctionnalisme des appareils à écrans tactiles contemporains, que leurs concepteurs n’ont pas manqué de suivre cet adage, ainsi qu’en témoigne le plus souvent leur design. Néanmoins, il s’agira de prendre également conscience en retour qu’au sein des œuvres, les différentes fonctions sont conditionnées par la forme même des appareils à écrans tactiles: la technologie qu’ils mettent en œuvre, comme le système commercial dans lequel ils s’inscrivent. Et ce surtout dans le cadre d’artefacts aussi régulés, pour ne pas dire autoritaires que peuvent l’être les Ipad, pour ne citer qu’eux.

Cette histoire technique des écrans tactiles, se construit sur une synthèse de plusieurs articles:

Anonyme (2010). «Touch Screens That Changed the World», http://blog.guifx.com. En ligne: http://blog.guifx.com/2010/01/27/touchscreens-that-changed-the-world/, consulté le 17 février, 2015.

Anonyme (2012). «Histoire des premiers écrans aux écrans tactiles», www.histoire-cigref.org. En ligne: http://www.histoire-cigref.org/blog/histoire-des-premiers-ecrans-aux-ecrans-tactiles/, consulté le 17 février, 2015.

Bohn, Dieter et Souppouris, Aaron et Seifert, Dan. «iOS: a visual history». 16 Septembre 2013, http://www.theverge.com/2011/12/13/2612736/ios-history-iphone-ipad, consulté le 10 mars 2015.

Cohen, Nicole (2011). «Timeline: A History Of Touch-Screen Technology». www.npr.org, 26 décembre. En ligne: http://www.npr.org/2011/12/23/144185699/timeline-a-history-of-touch-screen-technology, consulté le 17 février, 2015.

Colombain, Jérôme (2012). «La tablette, symbole de l’ère “post-PC”». Franceinfo.fr. 11 juillet. En ligne: http://www.franceinfo.fr/emission/noeud-emission-temporaire-pour-le-nid-source-652353/2012/la-tablette-symbole-de-l-ere-post-pc-07-11-2012-08-55, consulté le 17 février, 2015.

Fleury, Sophie (2006). «Comment fonctionne un écran tactile?». L’internaute.com. En ligne: http://www.linternaute.com/science/technologie/comment/06/ecran-tactile/comment-ecran-tactile.shtml, consulté le 17 février, 2015.

Ion, Florence (2013). «From touch displays to the Surface: A brief history of touchscreen technologie». arstechnica, 4 avril. En ligne: http://arstechnica.com/gadgets/2013/04/from-touch-displays-to-the-surface-a-brief-history-of-touchscreen-technology/, consulté le 17 février, 2015.

Johnson, E.A. (1965). «Touch Display – A novel input/output device for computers». Electronics Letters, 1(8), 219-220.

Johnson, E. A. (1967). Touch Displays: A Programmed Man-Machine Interface, Ergonomics, 10(2), 271-277.  Also appears in W.T. Singleton, R.S. Easterby & D.C. Whitfield (Eds.).  The Human Operator in Complex Systems.  London: Taylor & Francis, 171-177.

Metha, Nimish (1982), A Flexible Machine Interface, M.A.Sc. Thèse, Department of Electrical Engineering, University of Toronto.

Miette, Tom (2009), Les technologies tactiles, Université Paris-Est de Marne-la-Vallée. En ligne: http://www-igm.univ-mlv.fr/~dr/XPOSE2008/Les%20technologies%20tactiles/compo_pointage.html#capacitive, consulté le 17 février, 2015.

Peddie, Jon. (2013) The History of Visual Magic in Computers: How Beautiful Images are Made in CAD, 3D, VR and AR, Sprinhger.

Pépin, Guénaël (2012). «Tablettes : l’essor du tactile». futura-sciences.com. En ligne: http://www.futura-sciences.com/magazines/high-tech/infos/dossiers/d/technologie-tablettes-essor-tactile-1472/page/4/, consulté le 17 février, 2015.

Rhiannon,  Williams. «Apple iOS: a brief history», 2 septembre 2014, http://www.telegraph.co.uk/technology/apple/11068420/Apple-iOS-a-brief-history.html , consulté le 10 mars 2015.

Timmins, Mary (2010). «In The Time Of PLATO: How students at Illinois created today’s computer technology 50 years ago», Illinois alumni magazine, 10 septembre. En ligne: https://www.uiaa.org/illinois/news/blog/index.asp?id=163, consulté le 17 février, 2015.

Voo, Brian.  «A Look Into: The History Of Ios And Its Features», http://www.hongkiat.com/blog/ios-history/, consulté le 10 mars 2015.

Les articles suivants de Wikipedia: Tablet Computer, Plato, GridPad, Palm Pilot, Android SDK, Écran tactile, tablette tactile, Kit de développement, iOS (Apple), Multi-Touch, Smartphone, iOS, OSX, Android, HoneyComb, Lolipop5, Kit de développement, XCode.

Merci à Robin Varenas et Sylvain Aubé, développeurs au laboratoire NT2, pour avoir accepté de répondre patiemment à toutes mes questions techniques. 

     

Bibliographie

  • 1
    «I spent the afternoon in a bookstore. There were no books in it. None had been printed for nearly half a century. And how I have looked forward to them, after the micro films that made up the library of the Prometheus! No such luck. No longer was it possible to browse among shelves, to weigh volumes in hand, to feel their heft, the promise of ponderous reading. The bookstore resembled, instead, an electronic laboratory. The books were crystals with recorded contents. They can be read the aid of an opton, which was similar to a book but had only one page between the covers. At a touch, successive pages of the text appeared on it. But optons were little used, the sales-robot told me. The public preferred lectons – like lectons read out loud, they could be set to any voice, tempo, and modulation.»(Lem, 1961)
  • 2
    Nous nous écartons ici momentanément du corpus des œuvres hypermédiatiques pour écrans tactiles formé par les documents au format epub.3 car ceux-ci, au contraire des applications, ne sont pas dépendants d’un système d’exploitation particulier et peuvent être consultés aussi bien sur les téléphones ou tablettes à écrans tactiles que sur les écrans de nos ordinateurs (Cf. introduction du dossier).
  • 3
    Pour plus d’informations sur la saqueboute électronique voir le site de Gayle Young (1999) consacré à Hugh Le Caine, consulté le 13 Février 2015.
  • 4
  • 5
    Pour plus d’informations sur le Palm Pilot, lire: «R.I.P. Palm: A History of the Smartphone/PDA Pioneer», 9 février 2011, consulté le 16 février 2015.
  • 6
    Pour plus d’informations sur le Newton, lire: «Une histoire du Newton», 22 janvier 2010, consulté le 16 février 2015.
  • 7
    Source: vidéo YouTube de la huitième conférence  AllThingsD, 1er juin 2010, mise en ligne le 2 juin 2010.
  • 8
    Notons toutefois que la technologie infrarouge s’applique, non pas à des écrans à proprement parler mais à des dalles tactiles, entourées d’émetteurs et de récepteurs infrarouges qui enregistrent les points d’interruption des faisceaux lumineux qu’ils génèrent et les interprètent pour localiser le point d’impact.
  • 9
    Selon Benhamou qui reprend les travaux de Brian Arthur «Il y a verrouillage technologique quand le consommateur est dépendant d’une technologie et des matériels qui lui sont associés, le changement devenant trop coûteux, même si une nouvelle technologie plus performante apparaît sur le marché. Cf. W. Brian Arthur, Increasing Returns and Path Dependence in the Economy, Ann Arbor, University of Michigan Press, 1994.» (Benhamou, 2012/13: 94)
  • 10
    Si jusqu’en 2012 iOS surplombait le marché, désormais c’est sous le système d’exploitation Android que fonctionnent la grand majorité des appareils à écrans tactiles vendus chaque année dans le monde.
  • 11
    Le système de Microsoft est la troisième plateforme la plus populaire, mais loin derrière Android et iOS.
  • 12
    Ce système d’exploitation disponible depuis juillet 2014 est conçu pour s’adapter aux appareils livrés sous Android.
  • 13
    Tizen est un système d’exploitation fondé sur des logiciels Linux. Il propose pour les développeurs d’applications un environnement basé sur l’HTML 5 de manière à ce qu’elles puissent s’exécuter sur différents segments d’appareils. Voir: https://www.tizen.org/fr/about?langredirect=1, consulté le 23 février 2015.
  • 14
    L’accéléromètre détecte les mouvements de l’appareil et permet de modifier l’affichage en conséquence. Il autorise notamment de basculer l’appareil en mode portrait ou paysage. Il est aussi souvent utilisé dans les jeux.
  • 15
    Notons toutefois, qu’Android peut être incrémenté sur des appareils n’ayant pas d’écran capacitif multi-touch.
  • 16
    Voir celui d’Android et celui d’iOS. Apple vient par ailleurs de déposer une série de brevets pour des interactions tactiles encore plus complexes. Lire à ce sujet «Complex Gestures On and Over Your Next iPad», consulté le 9 mars 2015.
  • 17
    Les applications Android contrairement à celles d’Apple peuvent légalement être téléchargées sur d’autres sites que Google Play, Slideme ou l’App-Shop d’Amazon en sont des exemples. Toutefois c’est bien le site de Google qui centralise la majorité des téléchargements. Les sites alternatifs sont particulièrement utilisés dans les pays où Google est bloqué ou marginal comme la Chine ou sur les appareils bons-marchés qui ont préféré ne pas payer les services Google.
  • 18
    Source: Grégory Raymond «5 ans après l’App Store, le web est-il mort?», 10 juillet 2013, consulté le 5 août 2015 et le sondage réalisé par l’institut Nielsen 2014, consulté le 5 août 2015.
  • 19
    Selon le site d’Apple, consulté le 23 février 2015.
  • 20
    À ce sujet Aurélia Bollé, Marie-Christine Roux et Virginie Rouxel expliquent la pratique des éditeurs numériques pure player qu’elles ont étudié dans leur Etudes Pratiques d’éditeurs: 50 nuances de numérique: «Les éditeurs pure players sont convaincus que la médiation de leur catalogue passe par une présence active sur le web. 88% utilisent en priorité les réseaux sociaux pour faire la promotion de leur offre;  tandis que 74% privilégient en priorité leur site dans cet objectif. 56% travaillent étroitement avec les blogs. Les mises en avant sur les plateformes commerciales sont à un degré moindre un levier important du marketing éditorial.» (Bollé, Roux, Rouxel, 2014: 20)
  • 21
    Source : Elizabeth Sutton, «Exclusif–BD numériques: Izneo censuré par Apple», IDBoox,  4 avril 2013, consulté le 5 août 2015.
  • 22
    Voir Laurent Checola, «Une parodie ludique d’Apple retirée de l’App Store», consulté le 5 août 2015.
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