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Le Troisième Frère

Patrick Tillard
couverture
Article paru dans Romans états-uniens, sous la responsabilité de Équipe LMP (2007)

Œuvre référencée: McDonell, Nick (2006), Le Troisième frère, Paris, Denoël, 305p. [McDonell, Nick (2005), The Third Brother, New York, Grove Press, 267p.]

Disponible sur demande en traduction française et en version originale anglaise (Fonds Lower Manhattan Project)

Présentation de l’œuvre

Résumé de l’œuvre

Mike, en stage à Hong Kong, est envoyé à Bangkok par Analect, son rédacteur en chef. Sa mission est d’enquêter sur le trafic de drogues mais aussi de retrouver la trace d’un ami de son père, Christopher Dorr. Au cours de cette enquête, des secrets de famille seront révélés: ils fracasseront son identité. Dans une première partie ponctuée de nombreux flash-back vers son enfance et la vie familiale, Mike décrit son aspiration, son enfouissement dans la jungle urbaine de Bangkok (drogue, prostitution, sexe, survie misérable, ratés). Il découvre qu’il n’y a, en Thaïlande, de possibilité de rédemption que pour les Blancs, les « farangs », les autres sont traités comme des chiens et abattus comme Tweety et son frère, un trafiquant de drogue, pour justifier la politique populiste du gouvernement Thaksin. Désillusion, regard désabusé et cynique sur deux humanités distinctes, étourdissement social et tourbillons visuels dus aux drogues omniprésentes, le vécu apparaît insuffisant, la sensibilité et l’humanité ne suffisent plus : pour survivre, il faut toujours rester un Blanc aux valeurs antérieures à soi, chez qui un être invisible veille et renvoie à un monde ordonné ailleurs. Mais le pont se rapetisse sans cesse entre les deux mondes et le naufrage de Mike prend forme au fur et à mesure que le pont se réduit à un vide capable de confondre les deux sphères.

La deuxième partie se situe à New York et dévide plusieurs centres narratifs : l’effondrement des tours du World Trade Center, la folie de Lyle, le frère de Mike, la lueur de plus en plus présente du troisième frère, la disparition des parents. Toutes ces pistes convergent vers une seule métaphore, celle de la dévastation. La perte complète des repères et l’absence d’avenir propagent dans le récit un vertige nihiliste irrémédiable. Le récit se referme sur une troisième partie où le narrateur, maintenant dangereusement seul et proche du délire paranoïaque, constate son impossibilité à participer ou à décrire dans un essai universitaire les variations de la croyance ; l’idée même de la Foi le met en rage. Il évoque son troisième frère comme son seul recours humain probable et potentiel. L’église le met en colère, l’université ne peut rien lui apporter, l’amour est en fuite, la famille est morte. Les images de cette tempête, de ce bombardement à l’infini sur un être au potentiel quasi effacé, ne peuvent introduire qu’une seule notion, unique réalité possible, poussée pure et motrice vers la différenciation indispensable : un départ nouveau et vital vers le monde, vers un autre monde, seule note d’espoir de ce livre.

Précision sur la forme adoptée ou sur le genre

Roman

Précision sur les modalités énonciatives de l’œuvre

Roman polyphonique, narration fragmentaire, narrateur unique, jeux sur la temporalité.

Modalités de présence du 11 septembre

La présence du 11 septembre est-elle générique ou particularisée?

La présence du 9/11 est particularisée par les attentats contre les tours jumelles du WTC à New York.

Les événements sont-ils présentés de façon explicite?

Les événements sont présentés de façon explicite. Le point de vue est contemporain de l’événement. Le narrateur enregistre les événements à travers l’obsession qui le guide : retrouver son frère et le retirer de là. Ni incrédule, ni critique, le narrateur semble se sentir étranger à ce qui arrive. Aucun point de vue politique en tant que tel, aucune critique de fond mais un ensemble de faits, une recherche de l’émotion et de l’expérience d’un vécu à mettre en lien avec la barbarie miroitante de Bangkok.

Attitude face aux événements? Une sorte d’indifférence teintée de tension attentive aux bouleversements. Le monde est vu comme un ensemble de silhouettes incertaines. La barbarie, omniprésente, n’impose pas de profil spécifique aux attentats. Le narrateur enregistre les faits et leurs conséquences violentes et irréversibles sur les êtres qu’il rencontre en donnant une sorte de sentiment confus d’être déjà ailleurs.

Moyens de transport représentés, leurs fonctions : Un taxi mentionné p.193 refuse de prendre Mike, un second (le conducteur est un sikh) accepte de le prendre, un embouteillage puis un accident sur la 72e rue le forcent à descendre du taxi. Sur la 64e rue il croise des bus bondés. Il trouve une calèche à Central Park South. Il l’utilise jusqu’à la statue de William Tecumseh Sherman, en face de la rue du Plaza Hotel (p.214). Le transport sert à représenter une sorte de régression en cette période de chaos urbain.

Les médias et les moyens de communication représentés, leurs fonctions: Le black-out qui a suivi les attentats est évoqué. Le portable sert à localiser les proches. Aucun véritable discours médiatique. Télévision et portable, sont mentionnés comme des objets quotidiens. La télévision apprend à Mike le moment où le premier avion a percuté le World Trade Center, le 911 ne fonctionne plus, un passant photographie le nuage de poussière qui a suivi la chute des tours.

Quels sont les liens entre les événements et les principaux protagonistes du récit (narrateur, personnage principal, etc.)?

La scène urbaine de New York le 11 septembre est vue essentiellement à travers le regard du narrateur qui « creuse » l’inarticulé qui semble l’engloutir. Les personnages rencontrés à New York ne délimitent aucune véritable individualité ; ils s’arrêtent au seuil d’une perception qu’ils ne peuvent remplir. Le troisième frère est une promesse vague, une zone plus claire qui recule constamment, un signe indicatif qui renvoie à d’autres objets comme le dépassement de soi, la dévastation, le constat du néant et du chaos.

Point de vue sur les événements: Le narrateur est un étudiant auquel on attribue l’âge de 23/24 ans. Il s’agit ici d’une quête personnelle servant de prétexte à une remise en cause radicale du monde enseignant qu’il ne semble y avoir de vérité ni du côté du monde matériel ni en se tournant vers des aspirations métaphysiques. Mais comme on ne peut s’affranchir du monde, il reste peut-être l’écriture comme recréation du monde.

Aspects médiatiques de l’œuvre

Des sons sont-ils présents?

Aucun son.

Y a-t-il un travail iconique fait sur le texte? Des figures de texte?

Aucun travail iconique sur le texte.

Autres aspects à intégrer

Twelve, Berkeley, CA 94710, Grove press, 2003.

The third brother, Berkeley, CA 94710, Grove press, 2005.

Traductions françaises : Douze, Paris, J’ai lu, 2004 (ce premier roman de Nick Mc Donell a été traduit dans une dizaine de langues).

Le troisième Frère, Paris, Denoël & D’ailleurs, 2006. (Réf. : http://www.evene.fr/celebre/biographie/nick-mcdonell-15671.php [Page consultée le 8 septembre 2023 via WayBack Machine, URL modifiée])

Le paratexte

Citer le résumé ou l’argumentaire présent sur la 4e de couverture ou sur le rabat

« Mike a toujours eu la vie facile : blanc, riche, new-yorkais, étudiant en journalisme dans les meilleures universités américaines… Mis à part ses parents querelleurs, tout lui sourit. Rien d’étonnant donc à ce que son père lui ait décroché un stage de rêve pour l’été dans le grand quotidien de Hongkong que dirige un de ses vieux amis de Harvard. Mike, placide, s’ennuie un peu sous l’écrasante chaleur de la ville jusqu’à ce qu’Analect, le rédacteur en chef, lui propose d’accompagner un reporter à Bangkok pour enquêter sur le trafic d’ecstasy mais surtout pour entrer en contact avec Christopher Dorr, un autre ancien de Harvard. Commence alors une étrange odyssée dans un Bangkok nocturne et chaotique. De club en club, Mike se frotte au monde interlope des travellers et de la prostitution, à la recherche d’informateurs et du mystérieux Dorr. Mais le voyage initiatique tourne vite au cauchemar, lorsque Mike découvre un à un les secrets de jeunesse de ses parents et l’histoire, occultée et tragique, de sa propre famille. Vif, tranché, actuel, Le Troisième Frère noue une intrigue complexe mêlant critique sociale, saga familiale et dessous trash du narcotourisme en Asie. » (Réf. : http://www.denoel.fr/Denoel/Control.go?action=rech [La page n’est plus accessible.])

« Nick McDonell’s debut novel, Twelve, was a publishing sensation. It was an international best seller, garnished phenomenal reviews, and established its seventeen-year-old author as an important literary voice. In The Third Brother, McDonell delivers another remarkable novel, a haunting tale of brotherly love, family tragedy, and national grief. Mike was a lucky child: a vacation house on Long Island, famous family friends, an Ivy League education, and also an older brother, Lyle, who looked out for him and protected him from his parents’ volatile marriage. Mike is spending the summer working for a magazine in Hong Kong when his editor sends him to Bangkok to report on the drug-tourism crackdown. But Mike’s real mission is to find Christopher Dorr, a brilliant journalist and old friend of his parents who has gone AWOL. This is the beginning of a vertiginous journey that propels Mike into seedy nights in Thailand and back to New York, to a home wrecked by violence. » (Réf. : http://www.groveatlantic.com/ [Page consultée le 8 septembre 2023])

Intentions de l’auteur (sur le 11 septembre), si elles ont été émises

Inconnues pour le moment (12/2006).

Citer la dédicace, s’il y a lieu

Aucune dédicace.

Donner un aperçu de la réception critique présente sur le web

http://www.passiondulivre.fr/livre-21920-le-troisieme-frere.htm [La page n’est plus accessible.]

http://www.groveatlantic.com/ [Page consultée le 8 septembre 2023]

http://www.bookreporter.com/authors/talk-mcdonell-nick.asp [Page consultée le 8 septembre 2023 via Wayback Machine, URL modifiée]

http://www.bookmunch.co.uk/view.php?id=1666 [Page consultée le 8 septembre 2023 via Wayback Machine, URL modifiée]

Impact de l’œuvre

Inconnu pour le moment (12/2006).

Pistes d’analyse

Évaluer la pertinence de l’œuvre en regard du processus de fictionnalisation et de mythification du 11 septembre

Un tel livre participe sans doute d’un processus de mythification. Il aborde et pénètre profondément une des symboliques ultimes (pour le moment) des attentats : la chronique de la dévastation en une seule phase gigantesque vibre dans le monde contemporain et lui est antérieure. Cette conviction anime le livre et historicise le propos de cette fiction en installant au cœur de l’histoire moderne la barbarie, non comme une chose exceptionnelle mais au contraire comme un fait social banalisé par des modèles de pensées et de vécus en congé d’eux-mêmes.

Le phénomène des attentats, qui peine à être défini dans son réseau fébrile de significations, postule néanmoins un devenir autre, une nouvelle réalité, de nouvelles formes de conscience et de nouveaux comportements. Dans un monde consumé de folie balisée, si la probabilité des attentats de Manhattan était articulée depuis longtemps, rien n’a été tenté pour les empêcher, sans doute parce que personne ne croit plus en rien. Et si personne ne croit plus en rien, c’est peut-être parce que plus personne ne sait lire ni vivre. Un violent sentiment d’indignité s’est propagé dans les moindres interstices de l’identité. Avec cette blessure inguérissable, la problématique du symbole coïncide avec le problème du moi, d’un moi sans repères, mouvant, d’un moi dépourvu de véritables contours historiques.

La reconstruction nécessaire de Mike recourt au refus de l’intolérable et aux faux-semblants des surfaces lisses. Ce refus éclaire à rebours les faisceaux antérieurs de concordances explosives. Il révèle que ce qui pouvait passer comme des fluctuations parallèles à soi en Thaïlande et des lâchetés presque sans conséquences visibles pour lui seul, détermine un contexte, des contradictions, des jointures insolites, des pulsions émotionnelles qu’il faut résoudre ou simplement comprendre pour ne pas demeurer dissocié du réel. Les attentats du World Trade Center sont ici le signe consistant d’une explosion de l’énorme système d’indifférence qui défait tous les liens. Pendant le périple de Mike le 11 septembre, du nord de New York vers Manhattan, les délires de son frère Lyle, le cauchemar de la mort de Tweety et la culpabilité devant son impuissance créent des associations brutales accélérées par les attentats, suffisantes pour déconnecter l’un de l’autre les débris d’un monde rongé, sans morale ni amour, et qui s’écroule dans l’horreur et l’inhumanité. Soudain, l’absence d’élan vital, la perte de communauté se révèlent comme un voile entre le présent et l’avenir. Cadavre transparent, le présent se détache comme une perpétuelle dérobade. C’est au tour des « Farangs » de mourir sans recours possible, brutalement, traqués jusque chez eux. Les réponses aux questions débattues ou rencontrées par Mike (les interstices ouverts par la fuite, la drogue, le sexe, l’oubli, la violence, la duplicité) avant même qu’elles aient été formulées, allaient dans le mauvais sens. La protection innée de la « civilisation » ne joue plus.

Après les attentats, Mike se rend compte qu’observer par curiosité des enfants dans un musée fait de lui un pervers potentiel. L’innocence est dorénavant proscrite, la défiance et la menace déterminent les rapports sociaux. Le monde révélé par le 11 septembre articule les signes d’une totalité obscurcie, des discours et des actes répressifs, un état sensitif dominé par la peur de ce qui sombre.

Donner une citation marquante, s’il y a lieu

« Nous finissons tous par être blessés. En comprenant cela, Mike décida qu’il était plus facile de parler à des gens qui n’avaient absolument jamais existé. » (p.257)

Noter tout autre information pertinente à l’œuvre

N/A

Couverture du livre (version anglais et traduction française)

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