Entrée de carnet

Le cinéma et la fin du monde: Apocalypticmovies.com

Bertrand Gervais
couverture
Article paru dans Réflexions sur le contemporain, sous la responsabilité de Bertrand Gervais (2011)
Capture d’écran de la page d’accueil du site, conservée sur Internet Archive Wayback Machine

Capture d’écran de la page d’accueil du site, conservée sur Internet Archive Wayback Machine

Le cinéma nous a donné, ces dernières décennies, une quantité impressionnante de films à caractère apocalyptique. La fin du monde fait vendre (c’est pas nouveau, c’est évident, mais on s’étonne que la recette fonctionne toujours). L’industrie cinématographique adore ce plat, même réchauffé, et multiplie à l’envi les blockbusters apocalyptiques. En fait, entre les blockbusters et les TV movies End of the Word (2013), The World’s End (2013), World War Z (2013), Zombie Hunter (2013), Seeking a Friend for the End of the World (2012), 2012 Ice Age (2011), Earth’s Final Hour (2011), etc., nous avons l’embarras du choix.

Un site comme Apocalypticmovies.com, actif jusqu’en septembre 2014, recensait, par décennie, les films, toutes catégories confondues, qui traitent de la fin du monde. Le site a maintenant disparu, les dernières entrées dataient de juillet 2012, mais le projet était éloquent dans son survol de la production apocalyptique des trente dernières années. Ce billet se veut un éloge discret au travail fait par les responsables de cette base de données.

Pour la première décennie du vingtième siècle, 71 films étaient ainsi identifiés; 26 autres étaient répertoriés pour la deuxième décennie. Le répertoire remontait jusque dans les années cinquante, tout comme il suivait l’actualité cinématographique, les films et séries télé en production. Si on pensait que la fin du monde avait été désamorcée avec le passage au vingt-et-unième siècle, qui s’est produit sans effusion de sang ni bogue majeur, le début de ce siècle marqué par les attentats du 11 septembre a connu une réactualisation de cet imaginaire de la fin, qui paraît de plus en plus pertinent comme le siècle s’enfonce dans des conflits et des récessions qui en sapent les fondements.

Sur le site Apocalypticmovies.com, les œuvres étaient classées en fonction de leurs sous-genres. Sur la page d’accueil, on trouvait même un sondage qui demandait quel est notre genre apocalyptique favori. Nous avions le choix entre le post apocalyptique, les zombies, les films de météores ou de comètes, la menace nucléaire, les pestes et les désastres naturels. Ce sont bien entendu les films post apocalyptiques (47,4%) et les films de zombies (24,4%) qui avaient la cote, raflant presque les trois quarts des réponses. Le nucléaire venait en troisième place (11%) et les désastres naturels, en quatrième (7,8%). Ce qui étonne d’un tel sondage, c’est l’absence complète du motif religieux. L’apocalypse est d’abord et avant tout un thème cinématographique et n’a plus rien à voir avec la religion.

L’empan couvert par la cinématographie contemporaine participant de cet imaginaire de la fin est large. En termes narratifs, d’une part, les films couvrent l’ensemble des situations associées à une fin du monde, depuis les premières annonces de la fin jusqu’au monde d’après la fin. Un film tel que Take Shelter (Nichols, 2011) nous montre un prophète en devenir, dont les actions sont interprétées d’abord et avant tout comme les signes précurseurs non pas tant d’une fin du monde que d’une schizophrénie, héritée possiblement de la mère. À l’autre extrémité, dans The Road (Hillcoat, 2009), film adapté du roman de Cormac McCarthy (2006), l’on suit les derniers êtres vivants pour qui les autoroutes et les diverses voies qui traversent le pays apparaissent comme les derniers vestiges de la civilisation et l’ultime moyen de survie. Il est d’ailleurs intéressant de voir la signification associée à la route dans ce film, qui ne signifie plus les grands espaces et la liberté, ce qu’elle fait dans l’imaginaire américain et les road movies, mais la société, le dernier rempart contre la barbarie et la mort.

Le spectre est aussi très large, d’autre part, en termes de spectacle, voire de mythes. Les films oscillent entre des Apocalypses traditionnelles, déployées à grandeur de monde, et des Apocalypses intimes, de ces fins vécues sur un mode restreint, par conséquent, et qui condensent le destin de l’humanité entière. Pour les premières, pensons à ce navet que fut 2012, de Roland Emmerich (2009), reposant sur la fin du monde annoncée dans le calendrier maya et qui se présente comme un banal film de catastrophes, avec arche de Noé en prime. Pour les secondes, Biutiful d’Alejando Gonzales Iñàrritu (2010), tout comme The Tree of Life de Terence Malick (2010) et Melancholia de Lars von Trier (2011) offrent des exemples sérieux de réflexion sur la mort et le destin de l’humanité. Ces apocalypses intimes se tiennent en retrait des spectacles à grand déploiement où l’apocalypse est posée comme un spectre diabolique et parfois grandguignolesque. La fin circonscrite mais beaucoup plus concrète du sujet, la sienne propre ou celle de son monde, y prend le relais pour exprimer de façon beaucoup plus précise l’abîme qui s’ouvre quand sont aperçues les limites de la vie. Le collectif et le singulier s’y articulent comme les faces opposées d’une même réalité imaginaire. Et ce que ces fictions perdent en spectacle, sur le plan de la représentation, elles le regagnent en efficacité symbolique. Leur propos n’est plus littéral, il devient allégorique.

Mais leur fond reste le même, et c’est la fin du monde comme sujet. Comme le disait Frank Kermode, dans un texte qui n’a jamais perdu de son actualité: c’est un trait de l’imagination de se croire toujours à la fin d’une ère (The Sense of an Ending, Londres, Oxford University Press, 1966, p.96), de se percevoir dans ce chronotope précis où tout risque de basculer.

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