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La belle vie

Patrick Tillard
couverture
Article paru dans Romans états-uniens, sous la responsabilité de Équipe LMP (2007)

Œuvre référencée: McInerney, Jay (2007), La belle vie, Paris, Éditions de l’Olivier, 424p. [McInerney, Jay (2006), The Good Life, New York, Alfred A. Knopf, 368p.]

Disponible sur demande — traduction française (Fonds Lower Manhattan Project au Labo NT2)

Présentation de l’œuvre

Résumé de l’œuvre

Galeries de portraits de la jet set newyorkaise. Première scène : Russell, éditeur de renom, et sa femme Corinne, mère au foyer, la quarantaine tous les deux, organisent un dîner dans leur appartement (un loft à Tribeca), non loin de ce qui va devenir Ground Zero le lendemain même. Invité d’honneur du dîner : Salman Rushdie, qui se décommandera. Dans ce milieu très upper-class de New York, les mondanités vont leur petit chemin et tous collaborent à cette apparente unification. La préparation de cette soirée, Russell à la cuisine, Corinne avec les enfants, permet de mesurer les liens et la distance instaurés dans le couple, ainsi que leurs aspirations individuelles au niveau du travail et de la vie en général (enfants, parents, famille, amis). Vivant la routine d’un couple en vue avec des enfants en bas âge, Corinne cherche à s’épanouir différemment (elle tente d’écrire un scénario à partir d’un roman de Graham Green). Chez ce couple privilégié aux valeurs conventionnelles, peu tourné sur le monde et apparemment confiant dans la permanence des valeurs occidentales et américaines, le simulacre d’une vie remplie et heureuse semble validé par un quotidien épanoui entre professionnels en vue et amis branchés.

On ne saura rien des attentats. Le récit reprend au lendemain du cataclysme. Corinne se porte volontaire pour aider à distribuer de la nourriture via une minuscule cantine installée dans l’urgence, près de Ground Zero. C’est là, dans cet endroit inusité, carrefour symbolique de la solidarité américaine toutes classes confondues, qu’elle va rencontrer un rescapé des attentats, Luke, star sur le retour de Wall Street dont les valeurs déjà mises à mal par une relative lucidité sur la finalité de son métier peinent à se maintenir telles quelles dans sa conscience. Sa femme le trompe, sa fille vit sa vie loin de lui et sa récente disponibilité le laisse amer et déconcerté.

Peu à peu une certaine compréhension réciproque va rapprocher Corinne et Luke jusqu’à ce qu’une idylle (prévisible) s’ébauche entre eux. Par delà la culpabilité, l’amour et l’excitation d’une passion amoureuse transgressive déportent Luke et Corinne loin de Ground Zero, leur découvrant une vulnérabilité qu’ils ne se pensaient ni l’un ni l’autre capable d’atteindre. Nous suivons le développement et les impacts de cette liaison jusqu’à la fin du livre qui se termine en un point de suspension interrogateur sur l’avenir de cette passion.

À noter : quelques descriptions acerbes du monde de l’édition, de ses mondanités, des restaurants branchés face à la réalité plus terne de la cantine où pompiers, policiers et sauveteurs divers se partagent la nourriture de la ville. Tous les personnages branchés semblent vivre une culpabilité qui les brûle, une crainte ou une indifférence anxieuse face à ces autres qui peuvent envahir à tout moment la Tour d’ivoire à laquelle se réduit leur monde. Les attentats ont existé, leur vie quotidienne est perturbée, leurs relations intimes se transforment inexorablement, mais il n’est pas certain que les attentats aient finalement un pouvoir de mutation radicale qui pourrait les emporter vers des promesses plus tangibles de liberté.

La vie de chacun des protagonistes est faite d’une substance quasi impavide dont même le couple amoureux au centre du roman n’arrive pas à se défaire. Il leur faudrait se pencher sur les expressions mélancoliques de leur vie et avoir l’envie de changer, ce qui n’est pas certain. Leur passion bute sur un mélange de codes et d’habitudes fortement imbriqués et l’aventure amoureuse semble seulement être à même de reproduire un vague désir adolescent d’absolu mais non d’innover vers un amour passion irréversible, vers une sensibilité nouvelle qui pourrait subvertir le réel perturbant, vers … un grain de folie loin de la culpabilité, loin de la vulnérabilité comme de la culpabilité…

Par-delà les ruines gigantesques qui veillent non loin, la passion mélange plutôt les partenaires dans une sensibilité qu’elle réduit presque au théâtral, mais sans supprimer les critères de reconnaissance codés et surfaits qui les anime, cette fausse solidarité cultivée pour des motifs plus secrets et individuels.

Dans le tourbillon des réactions qui ont suivi le 11 septembre 2001, ce sont les fêlures, l’unité précaire qui s’écroulent mais il n’est pas dit, du moins dans ce livre, que les blessures permettent d’apercevoir autrement que fugitivement un visage nouveau.

Précision sur la forme adoptée ou sur le genre

Roman

Précision sur les modalités énonciatives de l’œuvre

Roman polyphonique

Modalités de présence du 11 septembre

La présence du 11 septembre est-elle générique ou particularisée?

La présence du 9/11 est générique.

Les événements sont-ils présentés de façon explicite?

Les événements, ici l’après 11 septembre, sont présentés de façon explicite. La rencontre entre les deux principaux protagonistes du roman a lieu sur le lieu des attentats. Une cantine, mise en place dans l’urgence pour soutenir pompiers, policiers et sauveteurs, sera le lieu de cristallisation de la rencontre amoureuse. Attitude : le 11 septembre 2001 sert de toile de fond à la déconstruction/construction de plusieurs êtres issus de milieux très « branchés » newyorkais. La vulnérabilité est à l’ordre du jour, il s’agit de chercher les moteurs essentiels à la vraie vie après le cataclysme.

Moyens de transport représentés, leurs fonctions : Les moyens de transport n’ont pas de véritable signification liée au 11 septembre 2001 dans ce roman.

Les médias et les moyens de communication représentés, leurs fonctions : Critique ironique du milieu de l’édition et des stratèges de la « bulle » financière.

Quels sont les liens entre les événements et les principaux protagonistes du récit (narrateur, personnage principal, etc.)?

Quel est le point de vue sur les événements (adulte/enfant; homme/femme; professionnel [policier, ambulancier, politicien, militaire]/ homme de la rue; occidental/non occidental/non occidental en Occident [Irakien à New York, p.ex.]? Les protagonistes sont-ils impliqués dans la préparation de l’événement, dans la gestion de l’événement et de ses suites, dans les équipes de sauvetage, etc. Sont-ce leurs parents, leurs proches qui le sont? Les événements sont-il abordés d’un point de vue individuel (quête personnelle) ou collectif (contexte politique contemporain)? Les deux peuvent être présents, indiquer quelle est la dominante, s’il y a lieu.

Aspects médiatiques de l’œuvre

Des sons sont-ils présents?

aucun son

Y a-t-il un travail iconique fait sur le texte? Des figures de texte?

Aucun travail iconique.

Autres aspects à intégrer

N/A

Le paratexte

Citer le résumé ou l’argumentaire présent sur la 4e de couverture ou sur le rabat

Ils avaient trente ans et des poussières. Le monde leur appartenait. Ils étaient, disait-on, le plus beau couple de New York. C’était en 1987.

Quatorze ans plus tard, Corrine et Russell Calloway ont deux enfants et vivent dans un loft, à TriBeCa. Ce soir-là, ils ont invité des amis à dîner (Salman Rushdie vient de se décommander). Nous sommes le 10 septembre 2001. Dans quelques heures, le monde va basculer dans l’horreur. Cette horreur, Jay McInerney se garde bien de nous la montrer. Ce livre n’est pas le roman du 11-Septembre. Il nous parle de ce qui se passe après, quand l’onde de choc de l’attentat du World Trade Center vient percuter des millions d’existences. Une étrange atmosphère se répand, mélange de chaos et de responsabilité collective, d’angoisse et d’euphorie. L’impossible est devenu possible. Désormais, tout peut arriver.

Corrine fait du bénévolat sur le site de Ground Zero. Elle y rencontre Luke. C’est le début d’une passion qui, elle aussi, va tout balayer sur son passage. Dans cette ville qui ne ressemble plus à rien, sinon, peut-être, au Londres de La Fin d’une liaison, ils cachent leurs amours clandestines, au point d’oublier ce qui les entoure : le fric, le toc et le chic du milieu auquel ils appartiennent, l’érosion des sentiments, le poids des habitudes. Jusqu’au moment où…

On retrouve dans ce livre tout ce qui a fait de Jay McInerney un des écrivains les plus brillants de sa génération : l’humour, la légèreté, l’élégance, et cet art de croquer avec férocité la comédie sociale, à une époque où tout le monde rêve de devenir riche et célèbre. Avec, en plus, une touche de gravité et un zeste de mélancolie qui donnent à ce roman magnifique une couleur plus sombre, à laquelle Jay McInerney ne nous avait pas habitués.

Intentions de l’auteur (sur le 11 septembre), si elles ont été émises

Inconnues.

Citer la dédicace, s’il y a lieu

Pour Jeanine Qui m’a sauvé ce jour-là Et bien d’autres jours par la suite

Donner un aperçu de la réception critique présente sur le web

http://buzz.litteraire.free.fr/dotclear/index.php?2007/03/12/750-la-bell… [La page n’est plus accessible.]

http://buzz.litteraire.free.fr/jay-mcinerney-interview-video.htm [Page consultée le 8 septembre 2023 via WayBack Machine, URL modifiée]

http://www.lescribe.com/romans.php3?Id_livre=534 [La page n’est plus accessible.]

http://www.arte.tv/fr/art-musique/metropolis/Cette-semaine/1552250,CmC=1… [La page n’est plus accessible.]

http://www.lelitteraire.com/article2898.html [Page consultée le 8 septembre 2023 via WayBack Machine, URL modifiée]

Impact de l’œuvre

Inconnu.

Pistes d’analyse

Évaluer la pertinence de l’œuvre en regard du processus de fictionnalisation et de mythification du 11 septembre

McInerney veut montrer en quoi la vie upper-class est blessée par le 11 septembre 2001. Témoignage donc du vécu et des traumatismes des habitants et des voisins du lieu mais aussi commentaire sur la reconstruction et les nouvelles lumières qui clignotent peut-être au-delà de la catastrophe. Un terrain est détruit, un autre se constitue dans un monde qui soudain n’est plus vraiment défini ni construit sur les piliers indestructibles que l’on pensait. Pari littéraire intéressant mais qui remplit peu sa mission initiale.

Partant des ruines de Ground Zero, c’est un champ de ruines émotionnel que l’on découvre derrière les règles établies d’un fonctionnement social structuré et hyper codé. On s’en doutait un peu. L’équivalence est tentante entre Ground Zero, terrain vague et ruiné qui sonne le glas de la chute et de l’illusion et souligne l’invulnérabilité, et la culpabilité omniprésentes dans le roman, particularité morale et culturelle si étrangement américaine répandue en couches plus ou moins épaisse sur le cadastre émotionnel des personnages. Cette équivalence parle une langue qui ne hiérarchise plus entre les deux terrains dévastés, et qui présente en effet une certaine identité de pierre tombale sur tous les personnages de ce roman, qui leur confère les qualités de l’absence au monde qu’ils ne pensaient pas avoir et une certaine concavité due à la privation de sentiments véritablement vécus, non aliénés par leur rôle social et les scintillements de la culture industrielle dont ils s’abreuvent et qui n’arrive jamais à remplir les vides. Avec un tel projet, le roman aurait pu enfoncer ses racines dans des lieux autres que l’avalanche de clichés snob et stériles où l’éclair de la poésie s’étiole. Il était intéressant de traiter l’après 11/9/2001. Il est peut-être moins pertinent de ne cerner la désagrégation individuelle et la prise de conscience aigüe d’une vulnérabilité intense que chez les seuls privilégiés de New York, tellement ils apparaissent étrangers à toute réelle direction vitale, alors même que leur confusion demeure, à l’aune de l’écriture, obstinément prétentieuse et vaine.

Entre roman photo de luxe et revues de papiers glacés comme Paris-Match ou Vogue, La belle vie proclame sa dette et son admiration. Il est dommage qu’un réel talent narratif soit consacré à des bluettes sentimentales de 400 pages. Ce roman pourra être considéré comme un calque, un calque dont la trame éparpille la profondeur de son sujet et obscurcit les thèmes et les images du roman rendant difficile l’émotion du lecteur. Ce qui est dommage pour un roman qui s’articule aussi autour du thème de la vulnérabilité.

Donner une citation marquante, s’il y a lieu

Il aurait parfaitement pu se trouver dans le centre commercial situés sous le World Trade Center, pour aller chercher les lunettes de lecture qu’il avait commandés – c’était là qu’était son opticien ainsi que le magasin Gap où il avait acheté les vêtements de ses enfants, une destination ordinaire répondant à de nombreuses nécessités de leur vie quotidienne-, il aurait aussi pu se trouver sur l’esplanade et être percuté par un sauteur, ou encore regarder, bouche bée, les tours s’effondrer sur sa tête. Ou bien encore, il aurait pu se précipiter sur les lieux de l’événement, comme Jim, pour voir s’il pouvait offrir son aide. Il oscillait entre la gratitude d’avoir été épargné et un sentiment de culpabilité pour n’avoir, à aucun moment dans l’heure qui s’était écoulée entre l’impact du premier avion et l’écroulement de la première tour, éprouvé cet élan altruiste, bien qu’il ne se fut trouvé qu’à une dizaine de pâtés des maisons du désastre. (p.150) Je dois être moralement déficiente, dit Corinne plus tard, entortillée dans l’édredon froissé et jouant avec le pénis de Luke comme si c’était son nouveau jouet, tout en évaluant sa culpabilité. Me voila attentant que tu me rebaises, alors que des bombes pleuvent en ce moment sur des pauvres villageois à l’autre bout de la planète. J’ai lu un article qui disait qu’on était censé sortir ennobli de ce truc atroce, mais ces deux derniers mois, je me suis mise à tromper mon mari, à mentir et à échafauder des plans pour satisfaire mon plaisir égoïste. J’envoie mes enfants loin de moi. J’accours à Bowling Green tous les soirs, soi-disant pour accomplir des œuvres de charité, alors qu’en fait j’exploite la tragédie des autres. (p.294)

Noter tout autre information pertinente à l’œuvre

Du même auteur : Bacchus & Me: Adventures in the Wine Cellar, Vintage Books USA, 2002

Journal d’un oiseau de nuit, Livre de Poche, 1987

Site de l’auteur : http://www.jaymcinerney.com/ [Page consultée le 8 septembre 2023 via WayBack Machine, URL modifiée]

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