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Expression de genre et démystification de l’homosexualité et de la bisexualité

Amélie Charbonneau
Olivier Vallerand
couverture
Article paru dans Féminismes et luttes contre l’homophobie: de l’apprentissage à la subversion des codes, sous la responsabilité de Line Chamberland, Caroline Désy et Lori Saint-Martin (2016)

Réflexions sur ce que les jeunes retiennent des interventions du GRIS-Montréal. 

«Mon opinion a vraiment changé par rapport aux hommes gais, car je croyais que c’était juste des hommes qui agissaient comme des filles.»
-Garçon de 16 ans, catholique non pratiquant, attiré par les femmes

Dans le cadre du 82e congrès de l’ACFAS, le colloque Féminismes et luttes contre l’homophobie: zones de convergence a permis d’aborder le thème des luttes à l’homophobie. Une table ronde a réuni des membres de divers groupes qui, chacun apportant son expertise, utilisent l’éducation afin de faire de l’école et de la société en général des espaces plus sécuritaires et ouverts à la diversité sexuelle. À cette occasion, l’organisme GRIS-Montréal a joint ses expériences à celles des autres en dressant un portrait de ses actions et de ses réflexions sur l’expression de genre dans la démystification de l’homosexualité et de la bisexualité1Le GRIS-Montréal (Groupe de Recherche et d’Intervention Sociale) est un organisme communautaire à but non lucratif dont la mission générale est de favoriser une meilleure connaissance des réalités homosexuelles et bisexuelles et de faciliter l’intégration des gais, lesbiennes, bisexuels et bisexuelles dans la société. Il a choisi de s’adresser principalement aux jeunes en milieu scolaire afin de leur offrir en priorité ses services de démystification de l’homosexualité et de la bisexualité. (http://www.gris.ca/).   

Les comportements et les pensées réfractaires à l’homosexualité et à la bisexualité sont associés, par des auteurs-es tels Schope et Eliason (2003), aux réactions négatives envers les personnes qui ne correspondent pas aux normes de genre, ou envers ce qui peut être appelé «l’inversion de genre». Les comportements et l’apparence, entre autres choses, sont des terrains où une pression sociale à la conformité de genre s’exerce fortement. Conséquemment, une femme devra se conformer à des normes définissant la féminité, par exemple en se montrant sensible, émotive et en accordant beaucoup d’importance à son apparence physique, entre autres par le port de maquillage. De même, on attendra d’un homme qu’il soit fort, qu’il contrôle ses émotions et qu’il apprécie les activités physiques. Dans ce contexte, «l’inversion de genre» se définit comme une inadéquation entre le sexe dit biologique d’une personne et les attentes genrées qui y sont associées: une femme dite masculine ne portera pas d’attention à son apparence, appréciera les sports d’équipe ou se montrera forte de caractère, alors qu’un homme dit efféminé accordera beaucoup d’importance aux soins de sa personne et à la mode ou montrera ses faiblesses et ses émotions en public. Selon une étude de Schope et Eliason (2003), réalisée auprès de 204 étudiants de la Midwest University, les comportements qui vont à l’encontre des rôles de genre jouent un rôle dans les attitudes négatives envers l’homosexualité, bien que le seul fait de savoir qu’une personne est homosexuelle soit suffisant pour faire naître ces attitudes. Les réactions négatives à «l’inversion de genre» font donc partie des défis du travail de lutte contre l’homophobie. Il est nécessaire d’en tenir compte dans la démystification de l’homosexualité et de la bisexualité, ce à quoi s’efforce l’organisme communautaire GRIS-Montréal depuis 1994.

Depuis ses débuts, le GRIS-Montréal travaille à favoriser une meilleure connaissance de la diversité sexuelle et à faciliter l’intégration des personnes lesbiennes, gaies et bisexuelles (LGB) dans la société. Grâce à l’énergie fournie par près de 200 bénévoles intervenants-es, le GRIS-Montréal a rencontré, en 2012 seulement, près de 25 000 élèves dans 212 établissements scolaires. Ces intervenants-es témoignent de leurs vécus et de leurs expériences comme personne homosexuelle ou bisexuelle en répondant le plus ouvertement possible aux questions des jeunes afin qu’ils puissent mettre un visage sur les réalités homosexuelles et bisexuelles. Les interventions du GRIS-Montréal ont rapidement révélé leur potentiel de développement de connaissances sur l’homophobie chez les jeunes. En effet, quelque temps après sa création, l’organisme a conçu un questionnaire qui est distribué aux élèves lors de chacune des interventions. Cet outil a été révisé à quelques reprises afin de le rendre plus complet et de l’adapter au contexte en évolution. Le questionnaire compare le niveau d’aise des jeunes avant et après la rencontre avec les intervenants-es, à l’aide de mises en situation, par exemple liées à l’homosexualité ou la bisexualité d’amis-es ou de proches ou en référence à l’adoption d’un enfant par des couples de même sexe. Les questions entourant l’expression de genre dans les interventions font aussi partie des préoccupations qui motivent le travail de recherche du GRIS-Montréal. La notion de genre s’est imposée d’elle-même dans divers projets de recherche menés par le GRIS-Montréal (Petit et Richard, 2012, 2013). C’est en se basant sur ces travaux que le présent article aborde successivement la perception de l’expression de genre des intervenants-es par les jeunes rencontrés dans les milieux scolaires, puis les préoccupations autour de cette question chez les intervenants-es eux-mêmes.

 

L’expression de genre des intervenants-es bénévoles vue par les jeunes rencontrés 

Une recherche, menée en 2012-2013 par Marie-Pier Petit et Gabrielle Richard pour le GRIS-Montréal2Cette recherche a été rendue possible grâce au soutien financier du Secrétariat à l’action communautaire autonome et aux initiatives sociales du Québec., s’est intéressée aux effets à moyen terme des interventions de démystification de l’homosexualité et de la bisexualité sur les élèves du secondaire rencontrés par le GRIS-Montréal. Parmi tous les impacts identifiés, plusieurs touchaient les questions du genre et les stéréotypes qui y sont associés.

Dans le cadre de cette recherche, deux échantillons distincts de jeunes ont été constitués. Par l’entremise de questionnaires remplis à trois moments différents, soit immédiatement avant et après l’intervention du GRIS-Montréal et puis trois mois plus tard, les réactions de 227 jeunes de 12 à 17 ans (54 % garçons, 46 % filles) ont pu être récoltées. Fait à souligner, 7 % des jeunes interrogés ont rapporté avoir des attirances non hétérosexuelles. Dans un deuxième temps, des entrevues individuelles et de groupe ont été réalisées. Ainsi, 16 jeunes de 14 à 19 ans (9 garçons et 7 filles) ont été rencontrés. Ces jeunes ont déclaré être hétérosexuels-les (10), bisexuels-les (1), homosexuels-les (2), sans attirance (1) et en questionnement (2). Mentionnons aussi que les propos de jeunes ayant des attitudes négatives envers l’homosexualité ont pu être recueillis lors de ces entrevues.

La recherche a permis d’identifier plusieurs apprentissages faits par les jeunes et encore retenus trois mois après l’intervention du GRIS-Montréal. Parmi ceux-ci, les élèves retiennent que les personnes LGB ne correspondent pas nécessairement aux stéréotypes véhiculés à leur sujet. Parmi les stéréotypes mentionnés, ce sont ceux concernant l’expression de genre qui reviennent le plus souvent. Par exemple, à la question «Qu’as-tu appris que tu ne savais pas ?», les élèves interrogés se rappellent :

  • Qu’on ne peut pas les distinguer juste avec leur apparence.

(Garçon de 14 ans, attiré par les filles)

  • Que les lesbiennes n’ont pas nécessairement l’air d’être des hommes.

(Garçon de 17 ans, attiré par les filles)

  • Qu’il n’y a pas toujours un homme et une femme dans les couples.

(Fille de 15 ans, attirée par les garçons)

  • Que les hommes gais peuvent être très masculins.

(Fille de 15 ans, attirée par les garçons)

Pour certains jeunes, l’intervention du GRIS-Montréal a remis en question les stéréotypes accolés aux personnes homosexuelles ou bisexuelles. Ils ont constaté que les personnes LGB bousculaient leurs préjugés. L’expression de genre des intervenants-es a ainsi retenu l’attention de plusieurs élèves, même trois mois après qu’ils les aient rencontrés. Lorsqu’un bénévole déroge de l’image stéréotypée que les élèves se faisaient du gai efféminé ou de la lesbienne masculine, ils en font la remarque et ont tendance à le mentionner comme un point positif de l’intervention, comme l’illustrent ces extraits :

  • [Avec mes amis, on a parlé du fait] qu’ils avaient l’air normaux, alors qu’on s’attendait à voir un homme habillé comme une femme et une femme habillée comme un homme.

(Fille de 16 ans, attirée par les garçons et les filles)

  • [Ce qui m’a marqué, c’est] qu’ils sont normaux. Ils ne ressemblent ni à une lesbienne ni à un homosexuel.

(Garçon de 14 ans, attiré par les filles)

  • Je me souviens que ça ne paraissait pas qu’ils étaient gais.

(Garçon de 15 ans, attiré par les filles)

Le fait que les répondant.e.s soulignent la conformité des intervenants-es aux normes de genre (correspondance entre sexe et genre) comme étant positive n’est pas sans révéler que ces constructions genrées ainsi que l’idée même de «l’inversion de genre» étaient fortement intégrées dans leurs représentations et que l’intervention du GRIS amène les jeunes à se questionner sur la véracité du stéréotype de « l’inversion de genre » associé à l’homosexualité et à la bisexualité, stéréotype qu’ils endossaient jusqu’alors. 

En parallèle, les jeunes rapportent leurs malaises devant un intervenant-e qui se conforme aux stéréotypes de «l’inversion de genre». Même trois mois plus tard, ils reviennent sur le langage non verbal des intervenants-es, dont leurs vêtements et leur gestuelle, comme ici:

  • [Ce qui m’a marqué, c’est] la femme lesbienne. Quand j’ai vu le gars, j’ai su qu’il était gai à cause de ses mouvements physiques. Par contre, la femme, je n’aurais jamais su qu’elle était lesbienne si je l’avais vue marcher dans la rue.

(Garçon de 14 ans, attiré par les filles)

Même si la plupart soulignent les points positifs de la formule d’intervention du GRIS-Montréal, les jeunes ont aussi rapporté certains malaises vécus lors de la visite des bénévoles. En plus de la question de la sexualité, les jeunes sont aussi mal à l’aise, entre autres, lorsque des caractéristiques perçues comme féminines sont présentes chez certains intervenants hommes. Il faut mentionner que l’inverse, soit la présence de caractéristiques dites masculines chez les intervenantes, n’a pas été documenté lors de cette enquête. 

  • [J’étais mal à l’aise ou dégoûtée] quand j’ai vu que le monsieur ressemblait vraiment aux préjugés qu’on dit sur les gais. OMG! [Oh my God]

(Fille de 13 ans, attirée par les garçons)

  • [J’étais mal à l’aise ou dégoûté] quand ils ont commencé à bouger ou à faire des mouvements très féminins.

(Garçon de 13 ans, attiré par les filles)

  • [J’étais mal à l’aise ou dégoûté] quand l’homme faisait des gestes, des positions de femme avec ses mains.

(Garçon de 14 ans, attiré par les filles)

Malgré ce malaise, il est possible que des jeunes confrontés à des intervenants-es s’inscrivant dans les stéréotypes du gai efféminé ou de la lesbienne masculine soient amenés à se questionner sur les normes de genre et à changer leurs attitudes envers les personnes qui ne s’y conforment pas. La formule du GRIS visant à faire connaître plusieurs aspects du vécu des personnes homosexuelles et bisexuelles peut amener des jeunes à voir au-delà de leur malaise et apprécier la richesse des personnes derrière les apparences et attitudes physiques.

La recherche menée en 2012-2013 confirme des observations faites en 2007, lors de la publication du rapport L’homophobie pas dans ma cour! (Émond et Bastien-Charlebois, 2007). Cette dernière étude a recueilli l’opinion de plus de 6000 jeunes rencontrés par l’entremise du questionnaire distribué lors de chacune des interventions, mais aussi grâce à un questionnaire spécial qui demandait à 1097 jeunes, en plus des questions habituelles, s’ils avaient été témoins d’événements homophobes dans leur milieu. De plus, quatre entrevues de groupe ont été réalisées auprès d’une vingtaine de jeunes de niveau secondaire afin de mieux saisir comment ils conçoivent l’homophobie, comment ils la nomment et l’illustrent à l’aide d’exemples.

Cette étude de 2007, effectuée par Gilbert Émond et Janik Bastien-Charlebois, contient plusieurs informations au sujet de l’inversion de genre. Les perceptions des répondant.e.s à propos des hommes gais et des lesbiennes, mais aussi de la discrimination qu’ils peuvent vivre, sont abordées dans les entrevues de groupe. Lorsqu’ils ont été amenés à décrire les hommes gais, les élèves interviewés disent qu’un homme «efféminé» n’est pas forcément gai et, inversement, qu’un gai n’est pas obligatoirement «efféminé», tout en affirmant savoir «reconnaître un gai par son allure extérieure», comme l’illustre ce résumé des propos recueillis lors des entrevues :

[C’est] un homme adoptant des manières, des habitudes et des attitudes dites féminines. Il s’habille de façon soignée, à la mode. […] Il a une allure métrosexuelle: il peut «s’épiler» et porter [des sandales]. […] les hommes gais [ont] des attitudes et des gestuelles qu’on prête davantage aux femmes. Ils auraient les poignets «fourchus» (cassés), puis auraient une voix et une démarche «féminines». En outre, ils aimeraient se tenir avec des filles et discuter avec elles de «choses de filles» […]. [Certains répondants] associent ouvertement les hommes gais aux femmes, puis, dans un même souffle, à la faiblesse […]. (Émond et Bastien-Charlebois, 2007: 92)

Lorsque les répondants se sont exprimés à propos des lesbiennes, ils ont plutôt comparé le traitement qui leur est réservé à celui accordé aux gais. Elles seraient mieux acceptées que les gais, mais les auteurs-es du rapport soulignent aussi que cette acceptation est relative à l’attrait sexuel qu’elles peuvent exercer sur les garçons hétérosexuels.

Toutefois, l’image «cool» des lesbiennes n’est pas forcément interprétée comme un statut enviable ou comme la marque d’un véritable respect de la part des garçons qui disent les préférer aux hommes gais. Elle peut davantage traduire une appréciation en tant qu’objet approprié de désir: «[…] La plupart des gars vont voir […] les lesbiennes comme des objets, puis c’est quasiment bien que deux filles soient lesbiennes, […] deux gais, ça par exemple, c’est dégueulasse.» (Valérie) (Émond et Bastien-Charlebois, 2007: 93)

Émond et Bastien-Charlebois ont récolté des propos concernant les lesbiennes, mais peu vont dans le sens de «l’inversion de genre». En fait, les représentations que se font les répondants des lesbiennes ne sont pas fortement associées à la masculinité, bien que ce stéréotype soit perceptible dans leur discours, mais elles restent plutôt teintées par l’image qu’ils se font des femmes en général. «Une femme reste une femme,“Une fille reste toujours une filleˮ, indépendamment du fait qu’on la voit en relation avec une autre femme» (Émond et Bastien-Charlebois, 2007: 94). Ce constat vient donc rejoindre en un certain sens le silence observé chez les jeunes rencontrés en 2012 en ce qui concerne les stéréotypes de genre associés aux lesbiennes. Les stéréotypes associant masculinité et lesbianisme semblent cependant apparaître plus clairement à l’âge adulte, comme en font foi des commentaires de bénévoles qui seront décrits ci-dessous.

 

L’expression de genre comme préoccupations des intervenants-es bénévoles

Un deuxième volet de l’étude de 2012 mobilisait les intervenants-es bénévoles de l’organisme afin d’explorer les effets des réactions des jeunes et des professeurs-es qu’ils rencontrent sur leurs pratiques d’intervention. L’expression de genre y a été aussi un sujet de réflexion. Rencontrés en groupe de discussion, 18 intervenants-es (10 hommes gais, 7 femmes homosexuelles ou lesbiennes et une femme bisexuelle) ont entre autres échangé leurs points de vue sur la rétroaction qu’ils reçoivent des enseignants-es. De ces propos rapportés par les répondants-es se dégage une certaine image de «l’intervenant-e idéal-e». Une des caractéristiques importantes pour le personnel enseignant est la non-conformité aux stéréotypes de «l’inversion de genre» accolés aux personnes LGB.3Les autres caractéristiques sont l’appartenance à une minorité ethnoculturelle et une histoire de vie difficile. En fait, selon eux, les intervenants-es qui ont une apparence physique permettant de mettre à mal ce stéréotype auraient un impact plus grand sur la réflexion des jeunes. Une intervenante relate une discussion qu’elle a eue à la suite d’une intervention:

  • Je me rappelle qu’un prof m’a dit: «Tu ne corresponds pas du tout à l’image que j’ai des lesbiennes. Tu es quand même féminine. Moi, je croyais qu’elles étaient toutes masculines». Il m’a dit: «Bravo, continue dans cette voie! L’autre intervenante qui est venue la semaine passée était très masculine, mais toi, c’est bon. Tu nous montres un bon exemple!»

(Élise, intervenante lesbienne, 25 interventions à son actif)

Ce témoignage semble corroborer certaines conclusions de Chouinard (2011), dont le mémoire de maîtrise porte sur les perceptions et les besoins des enseignants-es accueillant les intervenants-es bénévoles du GRIS-Québec. En s’appuyant sur les propos recueillis auprès des enseignants-es, Chouinard traduit ainsi leur opinion, à savoir «qu’une ou un bénévole typiquement féminine ou masculin brise mieux les préjugés que ceux qui correspondent aux stéréotypes notamment véhiculés par la télévision. Aussi, le pompier viril au passé conjugal et familial hétérosexuel devient le modèle de référence, c’est-à-dire celui qui, plus que tout autre, démystifie l’homosexualité» (2011: 142).

Le rôle de l’apparence physique dans le stéréotype de «l’inversion de genre» fait aussi partie des réflexions des intervenants-es quand vient le temps d’aller en classe. En groupe de discussion, ce souci a été principalement manifesté par des intervenantes femmes, ce qui ne suggère en aucun cas qu’il se limite à ces dernières. Ici, Marion (nom fictif) explique ses pensées avant une intervention :

On dirait que je veux leur démontrer que je peux porter des talons hauts, un chemisier et du maquillage. Quand je vais en intervention, j’ai le goût de montrer [que je suis féminine]. Même ma blonde va me dire: «Tu fais une intervention au GRIS? Mets tes talons hauts!» Je veux montrer qu’il y a autant des filles masculines que très féminines. Je pense qu’à travers ça, je déconstruis un autre stéréotype. Il y a des jeunes qui me disent assez régulièrement: «Ça ne se peut pas, tu es bien trop féminine pour être lesbienne». Ça ne conforte pas l’image qu’ils ont, et je fais du pouce là-dessus.
(Marion, intervenante lesbienne, 10 interventions à son actif)

Les perceptions des jeunes rencontrés, le discours rapporté des enseignants et l’attention accordée, surtout par les intervenantes, à leur apparence semblent renforcer une certaine idée que, pour bien démystifier l’homosexualité, il est préférable de s’éloigner du stéréotype de «l’inversion de genre». Par contre, l’approche développée à travers les vingt dernières années et privilégiée aujourd’hui par le GRIS-Montréal consiste plutôt à confronter les jeunes, et les enseignants aussi, à une diversité  d’intervenants-es qui correspondent parfois, mais vraiment pas toujours, à ces stéréotypes, justement dans le but de les déconstruire et de mettre au jour les constructions sociales genrées. Si le GRIS-Montréal ne fait que conforter la perception de plusieurs jeunes et enseignants-es, à savoir que les «bonnes» personnes homosexuelles ou bisexuelles sont celles, et celles-là seulement, qui ne correspondent pas aux stéréotypes liés au genre, il est loin d’être sûr que d’autres personnes dans l’entourage des jeunes prendront le relais pour exposer ces constructions. Le GRIS-Montréal propose donc de lutter à la fois contre l’homophobie et contre le sexisme en présentant de façon honnête et claire pourquoi l’orientation sexuelle et l’expression de genre sont deux dimensions distinctes d’une personne. Les intervenants-es sont invités à utiliser leur expérience personnelle et à l’enrichir de réflexions sur la place des normes de genre dans la société.  

 

Conclusion

En somme, le stéréotype de «l’inversion de genre» est surtout associé à l’homosexualité masculine chez les jeunes rencontrés, entre autres parce que les lesbiennes restent des femmes à leurs yeux. Peut-être est-il inconcevable qu’une femme, peu importe son orientation sexuelle, son apparence ou ses comportements, puisse faire preuve d’assez de virilité pour être associée à l’image de la masculinité?  Les stéréotypes et les préjugés envers les lesbiennes seraient-ils plus difficiles à saisir, plus diffus ou moins catégoriques? Comme le rappellent Monto et Supinski (2014), les études qui s’intéressent aux différences dans les attitudes négatives envers les hommes gais et les lesbiennes sont peu nombreuses. Pour y pallier, ces chercheurs ont construit un nouvel instrument de mesure de l’homonégativité, c’est-à-dire les préjugés et les discriminations envers les personnes homosexuelles. Ils ont pu le tester après de 431 étudiants-es du premier cycle d’une université d’enseignement et de recherche de l’Ouest des États-Unis non identifiée par les auteurs et ont obtenu des résultats qui confirment l’idée que l’inconfort des répondants-es est plus grand envers les hommes gais qu’envers les lesbiennes et que les hommes sont plus mal à l’aise que les femmes face à l’homosexualité. Les femmes présentent tout de même de l’homonégativité et de manière plus forte envers les lesbiennes qu’envers les gais. Peu d’études se sont intéressées aux menaces que représentent les lesbiennes à l’identité des femmes hétérosexuelles. Hamilton (2007) a, quant à elle, exploré, chez des femmes de niveau universitaire, l’importance que revêt dans la socialisation entre femmes la capacité d’attirer l’attention des hommes. Ainsi, le sexisme et l’hétérosexisme jouent un rôle dans l’homophobie témoignée par les femmes hétérosexuelles envers les lesbiennes.

Plusieurs facteurs influencent les attitudes homophobes, tels que l’âge de la personne et le fait de connaître ou non une personne homosexuelle. Il n’en demeure pas moins que les préoccupations concernant l’expression de genre sont au cœur des attitudes homonégatives et des préjugés homophobes. Elles doivent donc être abordées de front dans les interventions de démystification de l’homosexualité et de la bisexualité. Qu’un bénévole corresponde ou non à ces stéréotypes, il faut se demander aussi comment utiliser les réactions à cette expression de genre lors d’une intervention afin de remettre en question les attitudes des jeunes, mais aussi celles des enseignants rencontrés. L’absence de caractéristiques physiques perçues comme féminines chez un intervenant homme suffit-elle pour déconstruire les préjugés des jeunes? À l’inverse, la présence de caractéristiques dites masculines dans l’apparence physique d’une intervenante peut-elle offrir l’occasion de favoriser l’acceptation de la différence, l’ouverture vers la diversité?

 

Références

CHOUINARD, Vincent. 2011. La prévention de l’homophobie et de l’hétérosexisme à l’école secondaire: besoins et perceptions des enseignantes et des enseignants, mémoire de maîtrise en service social, Québec: Université Laval. 

ÉMOND, Gilbert et Janik BASTIEN-CHARLEBOIS. 2007. L’homophobie pas dans ma cour! Rapport de recherche, Montréal: GRIS-Montréal.

HAMILTON, Laura. 2007. «Trading on Heterosexuality: College Women’s Gender Strategies and Homophobia». Gender and Society, 21, vol. 21, no 2, p. 145–172.

MONTO, Martin A. et Jessica SUPINSKI. 2014. «Discomfort with Homosexuality: A New Measure Captures Differences in Attitudes Toward Gay Men et Lesbians», Journal of Homosexuality, vol. 61, no 6, p. 899-916.

PETIT, Marie-Pier et Gabrielle RICHARD. 2012. Des interventions auprès des jeunes pour démystifier l’homosexualité et la bisexualité. Des recherches ciblées pour évaluer ce que les jeunes en retiennent. Volet 2: Analyse des impacts des réponses des jeunes rencontrés sur les intervenants bénévoles du GRIS-Montréal. Rapport de recherche. Montréal: Groupe de recherche et d’intervention sociale de Montréal.
 
______. 2013. Des interventions auprès des jeunes pour démystifier l’homosexualité et la bisexualité. Des recherches ciblées pour évaluer ce que les jeunes en retiennent. Volet 1: Évaluation des impacts à moyen terme des interventions du GRIS-Montréal sur les élèves du secondaire qui y sont exposés. Rapport de recherche. Montréal: Groupe de recherche et d’intervention sociale de Montréal. 

SCHOPE, Robert D. et Michele J. ELIASON. 2003. «Sissies and Tomboys: Gender Role Behavior and Homophobia». Journal of Gay and Lesbian Social Services, vol. 16, no 2, p. 73-97.  

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    Le GRIS-Montréal (Groupe de Recherche et d’Intervention Sociale) est un organisme communautaire à but non lucratif dont la mission générale est de favoriser une meilleure connaissance des réalités homosexuelles et bisexuelles et de faciliter l’intégration des gais, lesbiennes, bisexuels et bisexuelles dans la société. Il a choisi de s’adresser principalement aux jeunes en milieu scolaire afin de leur offrir en priorité ses services de démystification de l’homosexualité et de la bisexualité. (http://www.gris.ca/)
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    Cette recherche a été rendue possible grâce au soutien financier du Secrétariat à l’action communautaire autonome et aux initiatives sociales du Québec.
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    Les autres caractéristiques sont l’appartenance à une minorité ethnoculturelle et une histoire de vie difficile.
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