«The View from Mrs Thompson», in Consider the Lobster

Simon Brousseau
couverture
Article paru dans Essais, sous la responsabilité de Équipe LMP (2007)

Œuvre référencée: Wallace, David Foster. (2005), “The View from Mrs Thompson” in Consider the Lobster, New York: Back Bay Books.

Note: Ce compte rendu était intitulé «Enfantin et terriblement vieux tout à la fois» sur l’ancien site du LMP.

Présentation de l’œuvre

Résumé de l’œuvre

«The View from Mrs. Thompson’s» est un court récit/témoignage qui a d’abord été publié dans le magazine Rolling Stone, le 25 octobre 2001, soit environ un mois après les évènements du 11 septembre. Il s’agit du seul texte où David Foster Wallace aborde directement le sujet, bien que celui-ci soit également mentionné dans la nouvelle «The Suffering Channel», qui se trouve dans le recueil d’histoires Oblivion, publié quant à lui en 2004. La particularité du récit de Wallace est que celui-ci relate son expérience du 11 septembre depuis le Midwest, dans la ville de Bloomington où il est né. Il raconte comment les voisins se sont regroupés chez Madame Thompson pour regarder les nouvelles à la télévision. Ce qui ressort du texte, c’est l’esprit de communauté qui règne à Bloomington. Madame Thompson appartient à la même congrégation que Wallace et accueille volontiers les gens chez elle. Le texte illustre aussi clairement à quel point les gens du Midwest sont coupés de la réalité New Yorkaise, et plus largement de la réalité hip. Wallace suggère par exemple être le seul à avoir la pensée vaguement cynique et postmoderne qu’il a déjà vu des centaines de fois les images qui défilent à l’écran.

Autre particularité du texte: Wallace insiste énormément sur l’aspect télévisuel de son expérience. Celle-ci est décrite comme étant hypnotique, irréelle: les mêmes images défilent sans cesse à CBS, tandis qu’ils demeurent figés devant l’écran, incapablent d’assimiler ce qui est en train de se produire.

Au final, comme c’est souvent le cas chez Wallace, le texte se termine avec l’affirmation vague et pourtant terrifiante que quelque chose a changé en Amérique. Selon Wallace, peu importe quels étaient les motifs des gens qui ont détruit les tours, ceux-ci détestent bien davantage son Amérique à lui, individualiste, hip, branchée, vaguement cynique, que l’Amérique plus traditionnelle du Midwest, fermée sur elle-même mais ayant tout de même un rapport à la réalité où l’individu peut s’inscrire dans quelque chose de plus grand que lui, c’est-à-dire la communauté.

Précision sur la forme adoptée ou sur le genre

Il s’agit d’un récit qui s’inscrit dans le style journalistique bien particulier de David Foster Wallace, alliant une posture intensément réflexive à une subjectivité bien assumée.

Précision sur les modalités énonciatives de l’œuvre

Narration assumée par l’auteur/narrateur homodiégétique.

Modalités de présence du 11 septembre

La présence du 11 septembre est-elle générique ou particularisée?

Elle est générique. Cependant, le texte focalise davantage sur la spectature des gens rivés devant leur écran plutôt que sur les évènements eux-mêmes.

 «Something that’s obvious but important to keep in mind re Bloomington and the Horror is that reality — any felt sense of a larger world — is mainly televisual.» (p. 153)

Les événements sont-ils présentés de façon explicite?

Les évènements sont présentés de façon assez explicite, mais pas dans leur ensemble. Wallace insiste surtout sur les falling men.

«I remember when I came in everybody was staring transfixed at one of the very few pieces of video CBS never reran, which was a distant wide-angle show of the North Tower and its top floors’ exposed steel lattice in flames, and of dots detaching from the building and moving through smoke down the screen, which then a sudden jerky tightening of the shot revealed to be actual people in coats and ties and skirts with their shoes falling off as they fell, some hanging onto ledges or girders and then letting go, upside-down or wriggling as they fell and one couple almost seeming (unverifiable) to be hugging each other as they fell those several stories and shrank back to dots as the camera then all of a sudden pulled back to the long view — I have no idea how long the clip took — after which Dan Rather’s mouth seemed to move for a second before any sound emerged, and everyone in the room sat back and looked at one another with expressions that seemed somehow both childlike and terribly old. I think one or two people made some sort of sound. I’m not sure what else to say. It seems grotesque to talk about being traumatized by a piece of video when the people in the video were dying. Something about the shoes also falling made it worse. I think the older ladies took it better than I did. Then the hideous beauty of the rerun clip of the second plane hitting the tower, the blue and silver and black and spectacular orange of it, as more little moving dots fell.» (p. 136)

Quels sont les liens entre les événements et les principaux protagonistes du récit (narrateur, personnage principal, etc.)?

Les différents protagonistes appartiennent tous à la même congrégation religieuse et vivent à Bloomington, en Illinois. Le texte insiste sur les forts liens qui unissent les membres de la communauté. En fait, il semble suggérer que les habitants de Bloomington se situe en dehors du temps historique: ceux-ci n’appartiennent pas complètement à la réalité qui est en train de s’écrouler à New York. Par exemple, après un temps indéterminé de visionnement des images en boucles, Wallace remarque qu’un voisin a commencé à tondre son gazon. Le texte souligne ainsi cette vérité simple, mais pourtant terrible : même après le 11 septembre 2001, la vie suit son cours.

Aspects médiatiques de l’œuvre

Des sons sont-ils présents?

Non.

Y a-t-il un travail iconique fait sur le texte? Des figures de texte?

Non.

Autres aspects à intégrer

N/A

Le paratexte

Citer le résumé ou l’argumentaire présent sur la 4e de couverture ou sur le rabat

Il s’agit de la quatrième de couverture du recueil dans lequel se trouve le texte, Consider the Lobster (2005)

Do Lobsters feel pain? Did Franz Kafka have a funny bone? What is John Updike’s deal, anyway? And what happens when adult-video starlets meet their fans in person? David Foster Wallace answers these questions and more in essays that are enthralling narrative adventures. Whether covering the three-ring circus of a vicious presidential race, plunging into the wars between dictionary writers, or confronting the World’s Largest Lobster Cooker, Wallace projects a quality of thought that is uniquely his and a voice as powerful and distinct as any in American letters.

Intentions de l’auteur (sur le 11 septembre), si elles ont été émises

L’auteur n’a pas émis d’intentions relatives au 11 septembre, mais il a signé un court texte d’opinion, dans The Atlantic en novembre 2007, «Just Asking», où il posait la question cruciale des liens politiques entre la valorisation de la américaine de la liberté à tout prix et les conséquences de cette valorisation sur la sécurité des citoyens américains.

cf. David Foster Wallace, «Just Asking», The Atlantic, Novembre 2007. En ligne: https://web.archive.org/web/20121111044944/http://www.theatlantic.com/magazine/archive/2007/11/just-asking/306288/ [Consultée le 9 août 2023]

Citer la dédicace, s’il y a lieu

For Bonnie Nadell.

Donner un aperçu de la réception critique présente sur le web

La réception critique de Wallace sur le Web est gigantesque. Un site Web, The Howling Fantods, est consacré à la recension de tout ce qui s’écrit à son sujet (https://web.archive.org/web/20120415171609/http://www.theatlantic.com/magazine/archive/2007/11/just-asking/6288/ [Consultée le 9 août 2023]). À ma connaissance toutefois, il n’existe pas d’articles traitant spécifiquement de cet essai.

Impact de l’œuvre

Il ne s’agit pas d’un texte «majeur» de David Foster Wallace. Comme beaucoup d’articles ont été publiés dans les semaines suivant le 11 septembre, certains d’entre eux étant beaucoup plus polémiques que celui de Wallace, j’ai l’impression que ce dernier a été en quelque sorte étouffé dans le tumulte. Il faut dire également que Wallace aborde le 11 septembre en mode mineur, personnel, et ne s’aventure pas dans des considérations générales sur le destin de la nation ou de la littérature, par exemple.

Pistes d’analyse

Évaluer la pertinence de l’œuvre en regard du processus de fictionnalisation et de mythification du 11 septembre

Ce qui me semble intéressant, dans ce texte, c’est la façon avec laquelle Wallace réfléchit au 11 septembre en adoptant un point de vue éloigné du discours qui a prévalu lors des semaines et des mois qui ont suivis les attentats, à savoir une posture analytique, un discours politique englobant et globalisant tout en étant méfiant. Ce que Wallace remarque dans la communauté de Bloomington, c’est l’absence de cynisme, et plus important encore, une certaine innocence qui semble être en voie de disparition. «Nobody’s near hip enough to lodge the sick and obvious po-mo complaint: We’ve Seen This Before.» (p. 139-140) Wallace, en bon penseur alourdi par son self-consciousness, propose toujours une pensée soucieuse de son exactitude et qui, par le fait même, doute de son exactitude. On sent aussi la proximité des évènements, auxquels il réfère toujours dans le texte par le terme «The Horror». À la fin du texte, celui-ci propose une piste d’interprétation pour le moins troublante. Selon lui, l’Amérique que les terroristes détestent n’est pas tant celle des personnes dévotes et âgées de Bloomington, mais plutôt la sienne, qui par opposition apparaît comme étant déracinée, perdue, plus encline au cynisme et au détachement. C’est une réflexion qui traverse l’oeuvre de Wallace, et on comprend que ce texte sur le 11 septembre s’inscrit dans un projet plus vaste de compréhension des mécanismes qui régissent les rapports sociaux, le rapport à la réalité de l’américain(e) contemporain(e).

Donner une citation marquante, s’il y a lieu

«What these Bloomington ladies are, or start to seem to me, is innocent. There is what would strike many Americans as a marked, startling lack of cynicism in the room. […] None of the ladies seem to notice the president’s odd little lightness eyes appear to get closer and cloer together throughout his taped address, nor that some of his lines sound almost plagiaristically identical to those uttered by Bruce Willis (as a right-wing wacko, recall) in The Siege a couple years back. Nor that at least some of the sheer weirdness of watching the Horror unfold has been how closely various shots and scenes have mirrored the plots of everything from Die Hard I-III to Air Force One. Nobody’s near hip enough to lodge the sick and obvious po-mo complaint: We’ve Seen This Before.» (p. 139-140)

Noter tout autre information pertinente à l’œuvre

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Couverture du livre

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