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Discours humoristiques et écologie: un fatalisme comique (2)

Gabriel Lagacé-Courteau
couverture
Article paru dans Écoécritures – études collaboratives et décentrées, sous la responsabilité de Catherine Cyr et Jonathan Hope (2021)

Humour et écocritique : rire pour la protection de l’environnement

L’humour est omniprésent au Québec, c’est même un des principaux moyens par lequel s’exprime le récit collectif. Les humoristes apparaissent dans le cinéma, dans les séries télévisées, sur les scènes et les spectateurs suivent la mouvance avec, par exemple, plus de 1,9 million de billets vendus pour les spectacles humoristiques en 2019[1]. Ce succès populaire s’accompagne d’enjeux multiples qui ouvrent une réflexion sur la nature de l’humour au Québec et sur sa fonction à l’heure actuelle. De nombreux critiques, tel que Mathieu Bélisle,  pensent que notre époque est marquée d’un « humour nourri de la culture médiatique, enclin au repli sur soi et à l’apolitisme […] [qui] ne menace jamais l’ordre établi[2] ». C’est une affirmation qui semble d’autant plus inquiétante si l’on considère l’humour comme un art reflétant la réalité sociale.

            Les humoristes utilisent les lieux communs, au sens d’opinions partagées et de clichés, afin de rejoindre le plus grand public possible et de créer un rapport de proximité avec celui-ci. Cependant, ce n’est généralement pas l’essence du numéro ou du spectacle, mais plutôt un outil au service du discours humoristique qui peut être totalement engagé. C’est le cas pour une  multitude de sujets, mais ce sont les différents rapports qu’entretiennent les humoristes avec la question environnementale qui nous intéressent dans ce travail.

Cela semble particulièrement actuel et les études humoristiques ainsi que l’écocritique américaine conçoivent de plus en plus l’humour comme un moyen permettant de faire passer un message tout en évitant les barrières défensives de l’auditoire : « When a positive appeal­ ­­– like humour – is added to negative messaging, we can capture people’s attention while avoiding unhelpful defensive responses[3] ». L’humour, notamment le stand-up, est ainsi considéré comme un biais de communication potentiel afin de défendre la cause écologique et de sensibiliser les individus à ce sujet. Des universitaires tels que Beth Osnes, Chris Skurka, Massih Zekavat, etc., s’intéressent à de telles possibilités liées à l’humour et à la cause environnementale. Certains, comme Matt Winning, vont plus loin et s’adonnent eux-mêmes au stand-up afin de traiter d’écologie par le rire. Pour ces humoristes et ces critiques, le rire permet de porter un nouveau regard sur le monde. Ils se rangent ainsi aux côtés de Mikhail Bakhtine qui, dans son ouvrage Rabelais and his world (1968), stipule qu’avec le rire : « the world is seen anew, no less (and perhaps more) profoundly than when seen from the serious point[4] ». En partant de cette conception du rire et de ce champ d’études alliant l’écocritique et l’humour,   ce travail vise à percevoir comment la question écologique est discutée dans les discours humoristiques québécois. Est-ce qu’ils penchent davantage vers un art insignifiant et apolitique tel que suggéré par Bélisle ou alors est-ce qu’ils tendent à utiliser le rire tel que défini par Bakhtine afin de défendre la cause écologique ?

            Une recherche rapide montre que de nombreux humoristes québécois contemporains traitent de la question environnementale, par exemples : François Bellefeuille, Maxim Martin, Guillaume Wagner, Louis T, Virginie Fortin, Korinne Côté, etc. Il s’agit maintenant d’analyser leurs discours afin de voir comment, par leurs procédés discursifs, on peut percevoir le reflet social de la réalité québécoise en lien avec l’environnement, c’est-à-dire l’imaginaire de la crise écologique. Pour ce faire, le présent travail se prête, en s’appuyant sur les travaux de Ruth Amossy et de Dominique Maingueneau, à l’analyse, sous une perspective rhétorique, des spectacles de stand-up et d’autres manifestations similaires des humoristes (podcast, capsules web, etc.) afin de déterminer d’une part quelles sont les relations qu’entretiennent les québécois avec le territoire et, d’autre part, afin de voir comment les humoristes construisent leurs discours de manière à éveiller les consciences et, peut-être, à convaincre les individus de changer.

Dans cette perspective, le discours humoristique serait aux antipodes de cette vision apolitique et vide de sens que lui prêtent de nombreux critiques tels que Mathieu Bélisle, Denise Bombardier, Robert Aird, etc. Il sera intéressant de voir comment, dans le contexte québécois, les discours humoristiques sur l’environnement doivent se construire afin d’éviter les barrières défensives de l’auditoire, c’est-à-dire quels sont les procédés rhétoriques mis en place par les humoristes afin de faire passer le message et d’exercer une influence sur l’auditoire. Enfin, l’analyse de ces discours permettra d’illustrer en quoi le banal et l’insignifiance reposant sur des lieux communs, sur l’ethos et le pathos de l’orateur permettent de sensibiliser l’audience au-delà des faits qui reposent sur la science. L’importance de l’humour au Québec est telle que son utilisation à des fins de défense environnementale semble constituer une avenue pertinente pour changer la réalité actuelle sur ce sujet pour le moins sensible et polémique.

Bibliographie

Amossy, R. (2006). L’Argumentation dans le discours. Paris : A. Colin.

Bakhtine, M. et Iswolsky, H. (trad.) (1968). Rabelais and his world. Cambridge, Massachussets: MIT Press.

Bélisle, M. (2017). Bienvenue au pays de la vie ordinaire. Montréal : Leméac.

Borg, K. et Goodwin, D. (2018) « Here’s a funny thing: can comedy really change our environmental behaviours ». Dans The Conversation. Récupéré de https://theconversation.com/heres-a-funny-thing-can-comedy-really-change-our-environmental-behaviours-100014.

La Presse Canadienne. (2019, 23 octobre). Nombre d’entrées : nouveau sommet pour l’humour au Québec. La Presse. Récupéré de https://www.lapresse.ca/arts/humour/2019-10-23/nombre-d-entrees-nouveau-sommet-pour-l-humour-au-quebec.

Maingueneau, D. (1976). Initiation aux methodes de l’analyse du discours : problemes et perspectives, Paris : Hachette.

Osnes B. et Boykoff, M. (2019). « A Laughing matter? Confronting climate change through humor ». Dans Political geography, v.68. Récupéré de  https://wwwsciencedirectcom.proxy.bibliotheques.uqam.ca/science/article/pii/.

Zekavat, M. (2019). « Satire, humor and ecological thought ». Dans Neohelicon, v.46, pp.369–386. Récupéré le 21 février de https://doi-org.proxy.bibliotheques.uqam.ca/10.1007/s11059-018-00471-0.


[1] La Presse Canadienne. (2019, 23 octobre). « Nombre d’entrées : nouveau sommet pour l’humour au Québec ». La Presse. Récupéré de https://www.lapresse.ca/arts/humour/2019-10-23/nombre-d-entrees-nouveau-sommet-pour-l-humour-au-quebec.

[2] Bélisle, M. (2017). Bienvenue au pays de la vie ordinaire. Montréal : Leméac, p.62.

[3] Borg, K. et Goodwin, D., « Here’s a funny thing: can comedy really change our environmental behaviours? ». Dans The Conversation. Récupéré le 21 février 2021 de https://theconversation.com/heres-a-funny-thing-can-comedy-really-change-our-environmental-behaviours-100014.

[4] Bakhtine, M. et Iswolsky, H. (trad.) (1968). Rabelais and his world. Cambridge, Massachussets: MIT Press.

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