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De Samson à Mohammed Atta: foi, savoir et sacrifice humain

Chloé Tazartez
couverture
Article paru dans Essais, sous la responsabilité de Équipe LMP (2007)

Ouvrage référencé: Cochran, Terry (2007), De Samson à Mohammed Atta: foi, savoir et sacrifice humain, Montréal, Fides, 220p.

Disponible sur demande (Fonds Lower Manhattan Project au Labo NT2)

Problématique principale et thèses

Terry Cochran se propose de repenser le rapport de l’individu au transcendantal à travers l’analyse de personnages qui représentent pour lui le kamikaze. Son travail a pour point de départ les attentats du 11 septembre 2001. Dans une société marquée par le postmodernisme et la mondialisation, Cochran souligne que le savoir et la foi sont tenus à distance l’un de l’autre et se développent de manière parallèle mais jamais comparée. L’auteur souhaite se pencher un peu plus sur le rapport au transcendantal, qui tend vers la foi, dans les actes d’attentats-suicide. Il questionne le rôle du sacrifice à l’époque contemporaine, l’insérant dans une longue tradition qui prend sa source notamment dans la Bible.

Dans une première partie intitulée «Préliminaires», il pose le contexte de sa pensée en établissant une distinction entre foi et savoir, entre transcendance et immanence, à travers notre conception du monde, de l’univers, de la terre en tant que globe. L’homme, selon lui, est poussé par la raison, par la quête de savoir, toujours plus loin, et la foi semble être mise en marge. Le contexte de la mondialisation accentue ce que l’auteur nomme «la déterritorialisation de l’imaginaire»: l’imaginaire, conçu comme ensemble de données culturelles partagées par un groupe, tend à quitter le domaine national pour s’étendre au domaine universel du globe. Cette déterritorialisation crée une seule et même communauté humaine qui tremble devant la menace d’une apocalypse. Mais cette communauté vient à être scindée par la menace de la bombe atomique, tout comme par celle de l’attentat terroriste, qui posent une différence entre bourreaux et victimes, différence inexistante dans le cas de catastrophes naturelles.

Cette première opposition est renforcée ensuite par une deuxième, celle entre le «techno-monde» que représente le «Nord planétaire», et une autre partie du monde où domine la force conceptuelle. La première est le domaine du savoir, la seconde de la foi. L’auteur étoffe cette idée par les analyses des attentats du 11 septembre qui ont été présentés comme des «assauts [qui] résultaient, d’une part, d’une action de technologie primaire (low-tech) et, d’autre part, d’une planification hautement conceptuelle (high-concept).» (p.29) L’action kamikaze (l’auteur ne limite pas cette appellation aux soldats japonais de la Seconde Guerre mondiale) du 11 septembre 2001 prend sa source dans le transcendantal: cette action n’avait pas pour but de renverser un régime, mais d’ébranler un mode de pensée et de vie.

Dans la deuxième partie de cet essai intitulée «Résidus de l’immanence», l’auteur commence par quelques réflexions sur la notion de filiation: la filiation à venir qui passe par l’écrit testamentaire du suicidé, la filiation passée avec les modèles bibliques de l’auto-sacrifice et de l’attentat-suicide. Cette étude de la lettre testamentaire instaure déjà la notion de rituel qui se développe par la suite dans le rapport au transcendantal. Dans le chapitre «sacrifice», l’auteur fait des larmes, puis de la coupe, les symboles de la communication avec le transcendantal et l’acceptation de son sort à travers le sacrifice. L’exemple christique est beaucoup utilisé tout au long de ce chapitre.

Avec la notion de sacrifice apparaît également quelques remarques sur la mise en scène qui va avec le rituel: l’auteur insiste sur la subjectivité, sur le fait que ce soit le «je» qui perçoit le transcendantal et qui interprète la scène à l’aide de son imaginaire: le rapport au transcendantal est conditionné par l’imaginaire. L’auteur établit un lien entre sacrifice, mise en scène et écriture qui est intéressant dans la conception contemporaine de l’attentat-suicide: le terroriste suicidaire adresse, par sa mort, un message à une communauté présente ou à venir. Ce message prend également une forme textuelle à travers le testament laissé par le suicidé.

L’exposition des deux modèles sacrificiels que constituent Socrate et le Christ permet une fois de plus à l’auteur de renforcer sa distinction entre savoir (Socrate) et foi (Christ). Mais il souligne que le terroriste suicidaire du XXIè siècle est un mélange des deux modèles:

«La figure du kamikaze crée un nouveau composé à partir de l’opposition entre les modèles christique et socratique, amalgamant la discipline et la maîtrise de soi avec l’appropriation d’une transcendance, avec le désir de transcender.» (p.146)

La posture du kamikaze contemporain est vue par l’auteur comme un retour du transcendantal dans un monde où l’individu est conditionné par la technologie et le savoir. L’acte sacrificiel du terroriste est un message, volontaire lorsqu’il y a lettre, involontaire s’il y a absence de lettre. Mais cette absence n’empêche pas les médias d’interpréter le geste, de relater l’événement et, par cette narration, de véhiculer voire de créer un message.

Place des événements dans l’œuvre

Les attentats du 11 septembre 2001 ont été le déclencheur de la réflexion de l’auteur qui a abouti à la rédaction de ce livre. Ils sont en constante périphérie, parfois amenés au devant de la scène, mais ils s’inscrivent dans une démarche plus globale sur les notions de sacrifice et de transcendance. Leurs acteurs constituent un exemple supplémentaire qui ponctue ce parcours transhistorique au même titre que le Christ, Samson, Socrate, ou encore les kamikazes de la Seconde Guerre mondiale.

Donner une citation marquante, s’il y a lieu

«Un kamikaze de la terreur, porteur de la terreur existentielle, ontologique, plutôt que révolutionnaire, ne se réduit pas à une cause particulière, à un ensemble de demandes prévues. L’acte que cet agent accomplit en s’éliminant ne reçoit pas d’explications, ne devient pas l’objet d’un discours de persuasion, ne sera pas une cause dont on peut discuter la légitimité. Néanmoins, les effets et les conséquences – la chair déchirée, les bâtiments effondrés – ont irréfutablement des destinataires, envoyant également un message aux antagonistes et aux partisans. Ils s’inscrivent dans une tradition déjà bien établie, toujours en voie de se renouveler, ou encore à venir. Bref, il n’y a pas de martyr dont on ne connaît l’existence. L’acte kamikaze, l’utilisation de soi comme agent de destruction, naît et perdure grâce aux inscriptions, aux enregistrements, aux déclarations textuelles les revendiquant et aux reconstitutions policières après coup. Enfin, tout comme Socrate et Jésus, ce mort mortel commence à exister en tant que tel au moment où il diffuse une intention, dans la mesure où il devient exemplaire. Même les kamikazes sans testament, qui semblent se sacrifier gratuitement, laissent un legs – qui est inévitable malgré le manque d’intention – dans les reportages qui diffusent leur geste et en tracent les conséquences.» (p.147)

Noter toute autre information pertinente à l’œuvre

Analyse de l’ouvrage sur radio Canada par Georges Leroux lors de l’émission «Banc d’essai» du 15 octobre 2008:
http://www.radio-canada.ca/radio/vousetesici/dossiers.asp?idDossier=107380 [La page n’est plus disponible.]

Table des matières

  • Prologue
  •  Prélilminaires:
    • Globe
    • Technologie
    • Dogme
  • Résidus de l’immanence:
    • Filiation
    • Sacrifice
    • Kamikaze
    • Terreur
    • Univers
    • Illustrations

Citer le résumé ou l’argumentaire présent sur la 4e de couverture ou sur le rabat

«On l’a dit et répété: les attentats du 11-Septembre marquent sans contredit un avant et un après dans l’histoire de notre temps. Et les essais qui se sont multipliés depuis ont cherché à saisir la portée, tant sur le plan religieux que politique, de cet événement inouï. Sans ignorer le caractère singulier de ces attentats, tournant le dos au lectures plus étroitement politiques et tirant profit d’une perspective résolument comparatiste, Terry Cochran montre plutôt que l’idée de sacrifice humain fut de tout temps présente dans les trois grandes religions monothéistes de même que dans l’histoire de la philosophie et de la pensée occidentale, voire orientale. Le sacrifice que Dieu le Père fait de son Fils unique est connu de tous les chrétiens. Mais l’a-t-on oublié? Le Samson de la Bible, qui fait s’effondrer les colonnes du temple et se donne la mort en même temps que 3000 Philistins ennemis, commet un attentat-suicide avant la lettre. Socrate, qui se soumet aux autorités de la Cité en buvant la ciguë, fit aussi le sacrifice de soi, cette fois au nom de la raison. Et dans le Japon du XXè siècle, l’écrivain Mishima et les pilotes kamikazes de la Seconde Guerre mondiale en font autant selon un univers mental devenu en grande partie incompréhensible à la sensibilité moderne.

Dès lors, les attentats du 11-Septembre incarnent à la fois une continuité, une rupture et une réinscription dans l’histoire. Terry Cochran révèle ainsi les limites du discours sur la terreur qui, fort de la raison, lui oppose “l’humain en maître absolu de son propre destin”. Pour cet intellectuel, la foi est plutôt un prisme permettant d’accéder à la connaissance et d’ouvrir une voie nouvelle à l’imaginaire de la transcendance.»

Dédicace

«à Catherine, à Savannah»

Entrevues

Je n’en ai pas trouvé.

Impact de l’œuvre

L’impact m’est inconnu.

Pistes d’analyse

Même si ce n’est pas une analyse directe et détaillée des attentats du 11 septembre 2001, cet essai contient quelques pistes intéressantes à creuser, se trouvant plus en périphérique qu’au centre du développement.

Le rapport binaire entre savoir et foi qui se répercute au niveau Occident, Orient; technologie, pensée conceptuelle; Socrate et le Christ, est un peu trop réducteur.

Le rapport que l’auteur instaure entre écriture, filiation, rituel, sacrifice, récupération, manipulation peut être exploité dans l’analyse de la posture des terroristes suicidaires: leur acte est un message, une mise en scène, un rôle qu’ils ont a joué qui peut venir s’ajouter à une expression écrite de leur volonté.
Il est question de présentation et de représentation aussi bien de la figure du volontaire de la mort (terme construit par François Géré dans Les volontaires de la mort1GÉRÉ, Francois. Les volontaires de la mort: L’arme du suicide. Paris: Bayard, 2003. 294) que de son action, les deux étant liés. Le rôle de metteur en scène des médias est esquissé mais pas creusé, tout comme la question du rituel et de la préparation de l’action.

L’absence volontaire de dimension politique de l’attentat-suicide explique qu’il ne soit jamais question des terroristes nihilistes de la fin du XIXè siècle et du début du XXè. Cette limitation à l’aspect philosophique et mystique de la question empêche cet essai d’embrasser la totalité de la portée de l’acte. Elle permet en plus un amalgame entre Samson, Socrate, le Christ et d’autres personnages suicidaires dont le passage à l’acte ne possède pas la même portée. En effet, là où Samson se sacrifie pour tuer les personnes qui se trouvent dans le temple, les sacrifices du Christ et de Socrate n’impliquent pas le meurtre d’un tiers. Cet aspect est occulté probablement car il est lié à la dimension politique que l’auteur ne souhaite pas aborder. L’analyse de Cochran se tourne principalement vers l’auteur du suicide, vers les motivations de cette personne à s’auto-détruire, mais il ne questionne pas la volonté de tuer en se tuant.

Couverture du livre

  • 1
    GÉRÉ, Francois. Les volontaires de la mort: L’arme du suicide. Paris: Bayard, 2003. 294
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