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Crash

Jean-Philippe Gravel
couverture
Article paru dans Films, sous la responsabilité de Équipe LMP (2007)

Œuvre référencée: Haggis, Paul (2004), Crash, États-Unis, 112 min.

Présentation de l’œuvre

Résumé de l’œuvre

Los Angeles, de nos jours : sur une période de 36 heures, Crash entrecroise le parcours d’une quinzaine de personnages d’origines, de milieux et de professions diverses. Le tout débute un soir dans la ville, lorsque le procureur Rick Cabot (Brendan Fraser) et sa femme Jean (Sandra Bullock) se font voler, en pleine rue et à la pointe du fusil, leur véhicule par deux jeunes noirs (Laurenz Tate et Ludacris), qui travaillent pour un trafiquant de voitures volées. Un peu plus tard, un policier raciste, l’officier John Ryan (Matt Dillon), croit intercepter le véhicule volé et fait subir une fouille humiliante à l’épouse de son conducteur, un réalisateur de télé afro-américain (Terrence Dawshon Howard). Dégoûté par ce qu’il a vu, le partenaire du policier, une jeune recrue (Ryan Philippe), est dissuadé de porter plainte par son supérieur cynique, qui lui propose plutôt de trouver un prétexte pour faire ses rondes seul. Peu après, la femme du procureur, traumatisée, décide de faire changer les serrures de sa maison dès son retour chez elle, mais s’inquiète aussitôt que le serrurier hispano-américain engagé pour la tâche ne fasse partie d’un «gang» et ne profite de son travail pour cambrioler ses anciens clients. On apprendra pourtant que ce dernier (Michael Pena) est un honnête père de famille qui vient tout juste de s’installer dans un quartier tranquille de Los Angeles après qu’une balle perdue ait traversé la chambre de sa fille de six ans. Son métier l’emmènera par la suite dans le commerce d’un marchand iranien (Shaun Toub), homme doublement mal intégré dans sa culture d’adoption parce qu’il comprend mal l’anglais et que son origine l’expose à des commentaires racistes. Aussi, lorsque le serrurier explique au marchand iranien qu’il doit faire remplacer la porte arrière de son commerce, celui-ci croit qu’il veut l’escroquer, et lorsque son magasin est de nouveau saccagé par des vandales, il cherchera à retrouver le serrurier pour régler ses comptes avec lui. D’une rencontre de hasard et d’un malentendu — souvent explosif — à l’autre, Crash déploie un écheveau d’intrigues qui brosse un portrait des multiples visages que peut prendre l’intolérance, spécialement raciale, dans un milieu cosmopolite comme Los Angeles, lequel prend aisément l’allure d’un microcosme des tensions qui habitent la société états-unienne de l’après-11 septembre.

Précision sur la forme adoptée ou sur le genre

Crash est un long-métrage de fiction pouvant aisément entrer sous la rubrique du « drame social », du « drame psychologique ou de la chronique ; cependant, l’effet cumulatif de ses histoires enchevêtrées lui donne plutôt l’allure d’une fable urbaine ou d’une allégorie.

Précision sur les modalités énonciatives de l’œuvre

À l’instar des films tels que Magnolia (P.-T. Anderson, 1999) ou Short Cuts (R.Altman, 1993), Crash est un film choral, orchestrant coïncidences et intrigues autour du thème de l’intolérance. Ce faisant, il paraît évident que le cinéaste (qui est aussi coscénariste du film) a voulu éviter les pièges du prêche moralisateur et édifiant, quoiqu’on puisse se demander s’il a réussi. Car la méthode de Haggis se révèle assez simple : en somme, il s’agit de faire en sorte que chacun des personnages ait droit à au moins deux scènes. Tandis que l’une présentera le personnage sous un éclairage désavantageux, l’autre se chargera de lui apporter un moment de rédemption ou d’épiphanie, et pas nécessairement dans cet ordre. Ce faisant, le film exerce sur son spectateur un intéressant jeu de manipulation, puisque les attentes qu’a conditionnées en lui la «première» apparition du personnage sont généralement démontées par la scène suivante : le policier raciste peut être capable d’héroïsme et d’attention, le marchand iranien peut être à la fois une victime pitoyable et un individu irascible et borné, des personnages doués de conscience morale peuvent être poussés dans des situations lourdes de conséquences. Aussi, au cours de cette expérience de bruit et de fureur qui se veut plus viscérale qu’intellectuelle, le spectateur, déjoué sans arrêt dans ses attentes, est appelé à ressentir lui-même les impasses où mène l’ignorance de la plupart des personnages, lesquels sont très souvent coupables d’oblitérer la figure de l’autre derrière leurs préjugés raciaux. Mais si Haggis cherche à prouver ici que la réalité qu’il dépeint n’est jamais ni entièrement noire, ni entièrement blanche, c’est surtout qu’elle semble ici passer de l’un à l’autre, ce qui, en fait, réduit beaucoup le potentiel de sa démonstration pour la nuance.

Modalités de présence du 11 septembre

La présence du 11 septembre est-elle générique ou particularisée?

La présence du 11 septembre est générique. À l’exception d’une réplique de dialogue (voir citations, plus bas), il n’est pas fait mention des attentats du 11 septembre dans le film.

Les événements sont-ils présentés de façon explicite?

Non. Cependant, le film emploie certains procédés de mise en scène qui peuvent indirectement suggérer que les événements qu’il relate se déroulent dans l’après-coup de la chute des tours: notamment quelques plans en plongée aérienne totale, ainsi que le motif de la neige qui se met à tomber sur la ville durant les dernières scènes du film.

Ni les moyens de transport ni les moyens de communication ne sont utilisés de manière à les lier aux attentats.

Quels sont les liens entre les événements et les principaux protagonistes du récit (narrateur, personnage principal, etc.)?

On peut comprendre que le vandalisme haineux dont est victime le magasin du commerçant iranien (ainsi que le comportement paranoïaque de celui-ci) est le produit de la remontée du racisme à la suite des attentats du 11 septembre. Plus généralement, le climat de tension psychologique du film se charge d’un surplus de sens lorsqu’on sait que son récit est ultérieur aux attentats.

Aspects médiatiques de l’œuvre

Des sons sont-ils présents?

Aucun son présent en rapport avec les attentats.

Y a-t-il un travail iconique fait sur le texte? Des figures de texte?

Aucun travail iconique.

Autres aspects à intégrer

N/A

Le paratexte

Citer le résumé ou l’argumentaire présent sur la 4e de couverture ou sur le rabat

Une ménagère de Brentwood et son mari procureur.
Un Perse propriétaire de magasin.
Deux détectives amants.
Un directeur de télévision afro-américainet sa femme.
Un serrurier mexicain.
Deux voleurs de voitures.
Un policier tout juste recruté.
Un couple de Coréens.
Ils vivent tous à Los Angeles.
Et dans les prochaines 36 heures,
Leurs vies entreront en collision!

(4e de couverture de l’édition DVD)

Intentions de l’auteur (sur le 11 septembre), si elles ont été émises

Aucune intention manifeste concernant le 9/11; l’auteur semble avoir orienté (c.f. commentaires du DVD, bref «making of», etc.) ses interventions autour du thème de l’intolérance et de la peur de l’autre.

Citer la dédicace, s’il y a lieu

N/A

Donner un aperçu de la réception critique présente sur le web

https://web.archive.org/web/20080420122800/http://www.imdb.com/title/tt0375679/externalreviews [Page consultée le 13 août 2023]

Impact de l’œuvre

Le film Crash a gagné une quarantaine de prix sur une soixantaine de nominations. Il a notamment remporté notamment l’Oscar du meilleur montage, du meilleur scénario et du meilleur film de l’année 2004. Les nominations comprenaient également : meilleur montage, meilleure chanson originale et meilleur acteur de soutien. (https://web.archive.org/web/20070105031944/http://www.imdb.com/title/tt0375679/awards [Page consultée le 13 août 2023])

Pistes d’analyse

Évaluer la pertinence de l’œuvre en regard du processus de fictionnalisation et de mythification du 11 septembre

Présenté par ses artisans comme un film sur l’intolérance, Crash dresse un portrait de la société américaine relativement rare dans son cinéma. On en tire l’impression que cette société est moins une nation homogène qu’elle n’est composée d’un ensemble de collectivités séparées les unes des autres par les cloisons étanches des barrières de classe, de couleur, de culture et parfois de langue, lesquelles provoquent toutes leur propre forme de discrimination. Bien que les conflits qu’ils engendrent se limitent ici à une liste de confrontations individuelles, il est facile d’imaginer que ces problèmes, vus à plus grande échelle, dénoncent le climat de quasi-guerre civile qui règne dans certains quartiers des grandes villes américaines, ainsi que la brutalité des politiques étrangères américaines.

La métaphore de l’isolement est particulièrement importante ici du moment où elle nourrit un examen de conscience collective qui n’aurait sans doute pas été articulé dans ces termes sans les attentats du 11 septembre. Une bonne partie des documentaires américains traitant des attentats et de leurs retombées se sont intéressé aux minorités ethniques, notamment à l’inconfort des immigrés arabes ; d’autres ont tenté de faire de l’«everyman» confronté à des situations extrêmes une nouvelle figure de héros (notamment chez les secouristes, les pompiers et les policiers new-yorkais). Bien qu’il ne traite pas explicitement des attentats du 11 septembre, le film de Paul Haggis semble renvoyer l’écho de ces deux approches, puisqu’en contrepartie de la noirceur du tableau social qu’il dépeint, ses personnages peuvent se montrer capables d’un héroïsme «rédempteur» lorsqu’ils sont confrontés à des circonstances exceptionnelles. En ce sens, Crash n’est pas étranger à une stratégie qui récupère l’impact négatif des crises collectives en présentant celles-ci comme particulièrement favorables au dépassement individuel.

Donner une citation marquante, s’il y a lieu

[Un vendeur d’armes à feu au marchand perse:] « Yeah, I’m ignorant? You’re liberating my country and I’m flying 747s into your mud huts and incinerating your friends? Get the fuck out! »

Noter tout autre information pertinente à l’œuvre

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Affiche / pochette du film

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