Comment se jouer de la beauté?

Au cours de l’atelier « Tous du lichen » présenté lors de la journée d’études« Avec l’autre qu’humain. Penser, agir et écrire les coprésences » la phrase suivante fut prononcée par une participante : « C’est dangereux d’être beau comme ça, on risque d’être déraciné. » Elle faisait référence à un lichen qu’elle avait justement déraciné et conservé dans un bocal chez elle durant trois ans, exprimant désormais une forte ambivalence par rapport à ce geste. Quelques jours plus tard, je tombe sur les mots de Guyotat, affirmant au sujet du beau qu’il « est inséparable du reste, qu’on ne peut l’isoler, le servir comme une divinité quand le monde brûle autour » (Arrière-Fond, 2010, NRF : 36), insistant ainsi sur le caractère radicalement relatif de la beauté : inséparable du reste.

Pour le lichen déraciné, qu’est-ce que ce « reste »? Certainement le bois, la pierre, d’où il a été prélevé. C’est peut-être aussi la lumière au moment du déracinement, l’éclairant particulièrement bien. Ou encore l’air humide de la forêt, du littoral, celui du jour comme de la nuit. C’est peut-être même le temps requis pour croître chaque année de quelques millimètres. Voilà peut-être que la beauté est ce temps long qu’on voudrait contenir dans un bocal, un talisman qu’on pourrait brandir contre la mort.

La question est sérieuse : notre attention se porte d’emblée sur le beau, un beau qu’une culture nous a appris à voir comme détaché du processus de croissance et décrépitude qu’il implique. Alors que « le monde brûle autour », comment pourrions-nous nous jouer de la beauté? Plutôt que de l’antagoniser, la beauté pourrait-elle signaler un point d’entrée en relation avec le monde qu’il faudrait apprendre à investiguer et percevoir dans toute sa complexité?