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Amrikanli, un automne à San Francisco

Jean-François Legault
couverture
Article paru dans Romans internationaux, sous la responsabilité de Équipe LMP (2007)

Œuvre référencée: Ibrahim, Sonallah. 2005. Amrikanli, un automne à San Francisco, Arles: Actes Sud/Sindbad, 443p.

Disponible sur demande (Fonds Lower Manhattan Project au Labo NT2)

Présentation de l’œuvre

Résumé de l’œuvre

À l’automne 1998, un professeur en histoire comparée de l’Université du Caire déambule à travers les rues de San Francisco. Invité à venir enseigner pour un semestre par un collègue ayant quitté l’Égypte, son immersion dans la société américaine ne se fait pas sans difficulté. À travers ses yeux d’étrangers, le lecteur est plongé dans un sentiment d’étrangeté familière : il entre « pour la première fois » en contact avec un paysage quotidien, celui de l’Amérique et de ses paradoxes. Au moment où le scandale Clinton/Lewinski inonde l’espace médiatique, il tente de trouver ses repères, en acceptant néanmoins toutes les expériences en bloc, comme l’essai peu concluant d’un «peep-show» à 50¢ ou la lecture de la chronique « Sexualité » du journal local où un jeune homme raconte ses déboires dans l’exploration de son homosexualité. Son regard est celui d’un observateur froid, impassible et détaché. Ce n’est que par le choix de l’auteur des représentations (l’omniprésence des jeunes sans-abris, la peur engendrée par une violence supposée mais ne se manifestant jamais, la vision d’un Berkeley transformé en l’exact contraire des idéaux que prônaient la contre-culture des années 60, etc.) qu’une certaine critique sociale des États-Unis perce.

À travers le sujet de son cours, une autobiographie servant à illustrer le parcours l’ayant mené à explorer, envers et contre tous, le champ de l’histoire comparée, le professeur procède à une autre critique sociale, moins subtile, des institutions égyptiennes passées et présentes. Par le fait même, il fait porter son propos sur la situation du monde arabe dans sa totalité; il donne un aperçu de son pluralisme, des dissensions, des lignes de tension, des avenues futures, mais surtout, de son interconnexion avec les politiques et les structures sociales de l’Occident d’hier et d’aujourd’hui.
Ainsi, à travers les pérégrinations introspectives de son narrateur, Sonallah Ibrahim peint le paysage d’une Amérique froide et désincarnée, en lui opposant la vision d’une Égypte nécrosée, d’un panarabisme à définir et d’un impérialisme occidental pernicieux.

Précision sur la forme adoptée ou sur le genre

Roman

Précision sur les modalités énonciatives de l’œuvre

Narrateur intradiégétique, temporalité linéaire, présence de quelques analepses (en italique dans le texte).

Modalités de présence du 11 septembre

La présence du 11 septembre est-elle générique ou particularisée?

Puisque le roman se déroule en 1998, les événements du 11 septembre 2001 ne sont pas représentés. Par contre un certain nombre de motifs relatifs au 11 septembre se retrouvent dans le roman (cf. Pistes d’analyse).

Les événements sont-ils présentés de façon explicite?

Les événements du 11 septembre ne sont pas représentés dans le roman (cf. Pistes d’analyse).

Quels sont les liens entre les événements et les principaux protagonistes du récit (narrateur, personnage principal, etc.)?

Il n’y a pas de liens entre les personnages et les événements du 11 septembre 2001 (cf. Pistes d’analyse).

Aspects médiatiques de l’œuvre

Des sons sont-ils présents?

Pas de sons.

Y a-t-il un travail iconique fait sur le texte? Des figures de texte?

Pas de travail iconique.

Autres aspects à intégrer

N/A

Le paratexte

Citer le résumé ou l’argumentaire présent sur la 4e de couverture ou sur le rabat

Un universitaire égyptien, professeur d’histoire comparée, est invité par un collègue et compatriote émigré aux États-Unis à enseigner pendant un semestre à San Francisco. Nous sommes à l’automne 1998, au moment où le président Clinton s’embourbe dans l’affaire Monica Lewinsky. Le roman s’ouvre sur ses premiers pas, timides et maladroits, dans l’univers hyper-réglé, qui lui est totalement étranger, de l’Amérique contemporaine. L’histoire se refermera sur la fin de son séminaire, quatre ou cinq mois plus tard.

Au fil du récit, le lecteur comprend que le héros/narrateur a accepté cette invitation aux États-Unis pour échapper, ne fût-ce que pour quelques mois, à l’atmosphère de plus en plus étouffante de l’université du Caire, où ses travaux novateurs sur l’histoire islamique ont compromis sa carrière.

Si Sonallah Ibrahim ne manque pas de conférer à ce roman la dimension sociologique ou politique dont toute son entreprise littéraire est profondément irriguée, Amrikanli, par-delà le thème de la confrontation de deux cultures et de deux mondes, se démarque quelque peu des œuvres précédentes en raison de l’approche plus personnelle que l’écrivain propose de son protagoniste. Ce vieux célibataire, qui a l’Histoire pour seule véritable compagne et l’Egypte pour seul authentique ancrage, fait ici l’expérience radicale d’un déracinement tant individuel que philosophique. À la fois sobre et âpre, l’écriture de Sonallah Ibrahim sait à merveille faire entendre, dans l’assourdissant silence affectif où s’abîme son héros, les harmoniques douloureuses d’un intellectuel exigeant et lucide.

Intentions de l’auteur (sur le 11 septembre), si elles ont été émises

N/A

Citer la dédicace, s’il y a lieu Aucune. Donner un aperçu de la réception critique présente sur le web

N/A

Impact de l’œuvre

Impact inconnu

Pistes d’analyse

Évaluer la pertinence de l’œuvre en regard du processus de fictionnalisation et de mythification du 11 septembre

Il n’est pas fait mention du 11 septembre dans le roman Amrikanli. L’action est centrée sur la session universitaire de l’automne 1998, à San Francisco. Il est pourtant difficile de lire le récit sans en référer au 11 septembre. Une inscription clôt le récit, qui parle suffisamment en ce sens : Héliopolis, juillet 2003. Héliopolis est un quartier du Caire, où l’on trouve entre autres le palais présidentiel, ainsi qu’une base de l’aviation militaire. Ibrahim situe donc la rédaction de son manuscrit dans une métropole (la plus populeuse d’Afrique et du Moyen-Orient), entourée de symboles du pouvoir étatique et militaire. En ajoutant le mois et l’année, il déclenche un réflexe chez le lecteur, qui se voit alors questionner, analyser, lire le roman sous un autre angle : combien de temps après le 11 septembre? quel rapport pourrait-il y avoir? est-ce que l’auteur y fait allusion? est-ce que des signes avant-coureurs sont évoqués?

Le roman, d’une érudition étoffée, aborde plusieurs thèmes variés, tels que la monarchie pharaonique égyptienne, le genre du roman historique populaire, l’histoire du génocide amérindien en Amérique, la sexualisation de l’espace médiatique, etc. Pourtant, dans une optique post-11 septembre, ces thèmes entrent en résonance avec d’autres motifs qui viennent altérer leurs portées symboliques. Par exemple, aux pages 310-311, l’un des personnages attaque directement deux présidents américains iconiques : « Le président Andrew Jackson, dont le portrait orne les billets de vingt dollars, était un grand amateur de mutilations ; il faisait compter les nez et les oreilles coupés de ses victimes ; le 27 mars 1814, il présida lui-même une cérémonie de mutilation de huit cents cadavres d’Indiens, leur chef en tête. Le président Theodore Roosevelt déclara que le massacre était “une œuvre morale utile car l’extermination des races inférieures est une nécessité inéluctable”. » (page 311) Une quantité d’exemples similaires laissent pointer un courant d’antiaméricanisme partagé par certains personnages du roman. Il en est de même pour les passages où il est question d’antisémitisme. Un sentiment particulier (de malaise peut-être) se dégage de cette critique lorsqu’on prend en compte que ce sont des étudiants arabes qui émettent les critiques les plus virulentes. Ce sentiment s’affine par la mention presque anecdotique que fait l’auteur d’un article du New York Times portant sur le vol TWA 800 (page 180). Or, l’explosion en 1996 du Boeing 747 au large de Long Island a fait le régal des adeptes de théories du complot, certains y voyant un attentat terroriste étouffé par le gouvernement, d’autres une opération déguisée des services secrets américains. Il est dès lors difficile de ne pas voir se dessiner l’ombre d’une représentation maintenant familière : les attaques terroristes du 11 septembre. C’est que l’auteur convoque au fil de la diégèse un large champ sémantique qui, du point de vue des personnages situés en 1998, ne se rattache qu’à leurs problématiques spécifiques, mais qui, pour le lecteur, est désormais associé intimement au 11 septembre. Lorsque le narrateur disserte sur le panarabisme assujetti à l’impérialisme américain, la mondialisation de l’économie néolibérale, l’implication des États-Unis dans le conflit israélo-palestinien, il jalonne des éléments-clefs d’un nouvel ordre du monde, qui certes prend ses racines au cœur du XXe siècle, mais qui s’ancre résolument dans le nouveau paradigme du XXIe siècle post 11-septembre.

Dans le cadre d’un projet comme le LMP, le roman Amrikanli, et assurément beaucoup d’autres dans le futur, jette les bases d’un questionnement important : peut-on analyser l’œuvre sans tenir compte de son contexte sociohistorique d’énonciation? Autrement dit, faut-il voir du 11 septembre là où il n’y en a pas? Nulle part dans le roman il n’en est fait mention; nulle part l’auteur n’émet une intention sur les attentats. Pourtant, le lecteur pétri des représentations médiatiques peut difficilement en faire abstraction dans son interprétation du texte, en particulier puisque l’auteur l’a écrit après. D’autre part, si on adjoint au roman un référent paradigmatique dont l’origine est extérieure à sa structure interne, on postule l’existence d’autres œuvres dans le même cas, c’est-à-dire d’un corpus partageant le même référent. La question essentialiste se pose alors : s’il y a eu par exemple les romans colonial et postcolonial, les romans moderne et postmoderne, y a-t-il lieu de parler de littérature post11septembriste? Est-il encore possible d’entrer en contact, dans une œuvre, avec un motif comme le terrorisme sans conjurer automatiquement tout un réseau de sens se structurant peu à peu dans l’imaginaire collectif mondial depuis le 11 septembre? Encore faudra-t-il avant tout s’interroger sur les modalités et les points de rencontre régissant la spécificité de ce corpus.

Donner une citation marquante, s’il y a lieu

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Noter tout autre information pertinente à l’œuvre

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