9/11 Culture: America Under Construction

Chloé Tazartez
couverture
Article paru dans Essais, sous la responsabilité de Équipe LMP (2007)

Ouvrage référencé: Melnick, Jeffrey (2009), 9/11 Culture: America Under Construction, Malden (MA), Wiley-Blackwell, 191p.

Disponible sur demande (Fonds Lower Manhattan Project au Labo NT2)

Problématique principale et thèses

Ce livre est le fruit de quatre années d’enseignement que Jeffrey Melnick a consacré à s’interroger sur l’impact des attentats du 11 septembre sur la production culturelle américaine, ce qu’il appelle la «9/11 Culture». Ce titre laisse supposer qu’une culture bien particulière, et liée directement aux attentats du 11 septembre 2001, s’est développée. L’auteur se base sur une grande variété de production culturelle qui va des romans aux films, en passant par la musique, les comics, les publicités ou encore le téléthon télévisé intitulé America: A Tribute to Heroes.

Comment la culture a-t-elle affronté cet événement et comment se l’est-elle approprié? C’est à travers diverses thématiques que Jeffrey Melnick est entré dans ces questions.

Il commence par aborder les rumeurs qui se sont développées après le 11 septembre. Elles représentent, selon lui, un besoin d’inclure tout le monde dans cet événement, de le rendre proche de toute personne. Il distingue trois sortes de rumeur: les «wedge-driving» qui stigmatisent une tranche de la population, surtout celle d’origine arabe avec notamment l’exemple des «Celebrating Arabs». Cette rumeur affirme qu’une personne a vu des Arabes Américains se réjouir des attentats dans un restaurant ou bien un café. La seconde catégorie de rumeurs recouvre toutes celles qui font partie d’une dynamique commerciale témoignant d’une volonté de contrôle idéologique, et que Melnick appelle les «corporate-sponsored rumors». L’exemple le plus frappant est celui de la soit-disant liste noire des chansons à ne plus diffuser à la radio, publiée par Clear Channel Communications. Cette rumeur serait plus ou moins fondée et viendrait renforcer le mouvement de censure intellectuelle observé dans les mois qui ont suivi les attentats. La dernière catégorie de rumeur comprend tout ce qui a trait aux théories du complot et que l’auteur nomme le «9/11 truth movement». Les rumeurs, véhiculées principalement par internet, s’opposent au discours officiel qui passe par les médias comme la télévision ou encore les journaux.

Cette opposition entre version officielle et contre-narration est présente tout au long de cet essai, qui tente justement d’en souligner les interactions et les paradoxes. C’est le cas lorsque Melnick étudie les photographies liées aux attentats, les «snapshots». Il souligne dans ce chapitre, la différence entre les clichés officiels s’évertuant à montrer une image des États-Unis en deuil et des Américains remplis de compassion, et d’autres scènes moins tragiques. Melnick observe également la censure des images des hommes qui tombent, visibles seulement dans l’après-coup, toujours sur internet. De plus, tout comme pour les rumeurs, il montre que des passants ont été photographiés pour permettre une identification plus large, pour interpeller plus de personnes.

Les derniers chapitres de l’ouvrage s’intéressent à des topos comme cette unité artificielle de la société américaine dont les discours officiels réclament un «nous». Mais ce «nous» est normatif, c’est celui des hommes blancs riches. L’auteur rappelle que certains artistes afro-américains ne se sont pas sentis concernés par le 11 septembre, soulignant le dédain avec lequel les minorités étaient traitées aux abords du World Trade Center, et démontant le mythe du policier héroïque en rappelant les abus exercés sur les minorités, notamment la minorité noire-américaine. Ces abus ne sont pas disparu du jour au lendemain après les attentats.

Jeffrey Melnick s’attaque ensuite à l’image de l’homme fort présenté comme modèle après les attentats. Il souligne l’absence de la figure féminine, en particulier la figure maternelle, face à l’importance de la figure paternelle incarnée notamment par les pompiers, domaine encore très masculin.
Melnick clôt son parcours en faisant appel aux «shout-outs» du hip hop, ces appels, hommages, faits à des proches ou bien à des personnalités que l’on admire, dans les débuts de chansons hip hop. L’auteur se sert de cette image pour montrer qu’en 2009, les attentats ont perdu de leur intensité tragique et que s’ils demeureront dans la production culturelle, ce sera en quittant la dimension personnelle pour la dimension collective, quitte à se vider de leur sens premier pour devenir une expression servant à donner de l’intensité à une expérience relatée.

Cet essai est un parcours qui souligne la facticité du discours officiel face à la réalité de la situation, désacralisant les attentats pour rappeler que les conflits raciaux et sociaux importants de la société américaine n’ont pas disparu, bien au contraire. Les attentats du 11 septembre tendent à devenir une tragédie parmi d’autres dans l’histoire des États-Unis.

Place des événements dans l’œuvre

Les attentats sont au cœur de cet essai. Ils sont étudiés à travers l’impact culturel qu’ils ont eu, ainsi qu’à travers leur appropriation par la société. L’événement apparaît à travers l’analyse des œuvres culturelles qui les abordent, de manière explicite ou bien implicite. Ils deviennent bien souvent une figure: objet d’une obsession reconstruite artistiquement et investie par le spectateur. Ce statut de l’œuvre artistique comme figure permet à Jeffrey Melnick de considérer certaines productions culturelles comme faisant partie de cette culture du 11 septembre, même s’il n’y est jamais question de l’événement lui-même (c’est donc lui, en tant que spectateur, qui inscrit dans l’oeuvre une relation avec les attentats).

Donner une citation marquante, s’il y a lieu

“This book is about 9/11 questions, and also about 9/11 answers. Or, perhaps more accurately, it is about how 9/11 has served as a question and an answer on the cultural landscape of the United States in the years since September 11, 2001. The basic premise that will be explored in this book is that “9/11” has become the most important question and answer shaping American cultural discussion (in film and other visual arts, in music, in “high” and popular literature) – but not in the banal ways the official story or the “9/11 questions” of our own moment might suggest. Taking this task on means, of course, that we will likely have to be satisfied with hypotheses, possibilities, and even the occasional dead-end inquiry. The assumption here is that we historians, sociologists, musicologists, film scholars, literary critics, and teachers must begin tracking the resonances of 9/11 even as the apparatus used to support this cultural work is still being created : it is, as my subtitle suggests, “under construction”.” (p. 3-4)

Noter toute autre information pertinente à l’œuvre

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Table des matières

  • Acknowledgments
  • Introduction: 9/11 Questions (and Answers)
  • 1. Rumors
  • 2. Telethon
  • 3. Snapshots
  • 4. Rising
  • 5. Us
  • 6. Tools
  • 7. Shout-outs
  • Bibliography
  • Appendix 1: 9/11 in Film and on Television
  • Appendix 2: 9/11 Music
  • A Note to Teachers
  • Index

Citer le résumé ou l’argumentaire présent sur la 4e de couverture ou sur le rabat

9/11 Culture serves as a useful introduction to the complexities of American culture in the wake of the 9/11 attacks. With a broad purview that includes film, music, literary fiction, and other popular arts, the volume is designed for anyone interested in probing how American cultural agents and audiences have “acted out” and “worked through” the national trauma of 9/11. Written in an accessible language, and unburdened by academic jargon, 9/11 Culture constructs a number of common-sense approaches for the study of all works of art – high, low, and in-between.

Offering balances examinations of a catalog of artifacts – film, music, photographs, memorials, comic strips, fiction, telethons, poetry – Melnick probes the various ways that 9/11 has exerted a shaping force on a wide range of practices, from the politics of masculinity to the poetics of redemption. The ample pedagogical material in 9/11 Culture – introduction, film – and discographies, and a note to teachers – suggests to users the many ways one might begin tracking the cultural resonances of 9/11.”

Dédicace

Pas de dédicace.

Entrevues

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Impact de l’œuvre

http://reviews.media-culture.org.au/modules.php?name=News&file=article&sid=3806 [La page n’est plus disponible.]
http://southwestjournalofculturesmaterial.blogspot.com/2009/11/911-culture.html

L’impact semble faible pour le moment, mais l’ouvrage est assez récent (2009), l’évolution à suivre.

Pistes d’analyse

En analysant diverses productions culturelles, Jeffrey Melnick nous offre tout d’abord des ressources à exploiter, ensuite des pistes de réflexions pour des approches pluridisciplinaires.

L’intérêt majeur de cet essai est contenu dans la constante mise en parallèle entre discours officiel et contre-narration, soulignant la réalité de la situation face à l’unité patriotique idéalisée. Melnick analyse les mouvements ascendants et descendants qui traversent les œuvres, que ce soit la nécessité de reconstruire (de faire remonter les tours), ou bien l’investissement de l’image obsédante des hommes qui tombent, image tabou dans les mois qui ont suivi les faits. Le discours officiel est toujours mis en perspective avec une contre-production, parfois plus populaire, qui s’interroge sur la situation actuelle de la société américaine et non sur une construction mythologique et apocalyptique, une réécriture du Phœnix qui renaît de ses cendres.

La présence de l’ouragan Katrina relativise l’omniprésence du 11 septembre. Cette catastrophe naturelle a souligné et accentué les inégalités raciales et sociales des Etats-Unis.

La note aux enseignants qui clôt ce texte établit un fort lien entre la culture du 11 septembre et le développement du web 2.0. En s’appropriant cette nouvelle plateforme de recherche, de création et d’interaction, tout utilisateur peut créer une rumeur et la faire circuler, peut diffuser une production culturelle qui n’ait pas un succès commercial, peut créer des oeuvres culturelles virtuelles ou encore a un accès simplifié à la culture en général. Même si cette affirmation me semble pertinente, elle est réductrice: il n’y a pas que ce que l’auteur appelle la culture du 11 septembre qui se développe grâce au web, toute culture (et contre-culture) contemporaine s’aide de ce média pour se développer. Par rapport aux attentats du 11 septembre, le web 2.0 a surtout permis la circulation de la contre-narration, de versions qui s’opposent à la version officielle des faits et de leurs impacts. L’importance de cet outil dans l’enseignement de ce phénomène est grande, mais elle l’est tout autant face aux divers phénomènes qui traversent la société contemporaine (il n’y a qu’à voir le rôle d’internet dans le déroulement de ce qui est déjà appelé «le printemps arabe» et qui a débuté à l’hiver 2011).

La conclusion de ce texte qui est que le 11 septembre se vide de son sens au fur et à mesure que le temps passe, qu’il devient une étiquette pour donner de l’intensité à un propos,  révèle l’évolution de la société dans sa conception de l’événement. Même si le parcours de cet essai ne se veut pas chronologique, il s’intéresse tout de même d’abord aux productions qui ont immédiatement suivi les attentats (les rumeurs et le téléthon), pour s’en éloigner au fur et à mesure des chapitres. Un tournant est marqué en 2005, année qui voit le tabou sur les hommes qui tombent être levé, notamment par des caricatures ou des satires. Le phénomène du «shout-out» n’aurait pas pu exister dès les mois qui ont suivi les attentats.

Les événements qui se sont produits dans la société américaine depuis les attentats, comme la guerre en Afghanistan puis en Irak, ou encore l’ouragan Katrina, ont créé un certain recul face aux attentats qui d’un côté les transforme en figure, d’un autre les inscrit dans l’histoire des États-Unis, au même titre que d’autres événements, faisant ainsi disparaître petit à petit l’aura d’exception qui plane autour d’eux.

Couverture du livre

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